Devant la mort d’un ami

N.B. J’ai écrit cette lettre en décembre 2005, suite à la mort d’un ami âgé de 37 ans, père de deux jeunes enfants de cinq et sept ans. Cette lettre s’adresse à tous ceux et celles qui ont connu Stéphane, essentiellement des camarades d’université ayant à peu près le même âge que Stéphane. J’ai pensé la partager à nouveau avec vous car elle parle du sens de la prière. J’aimerais bien entendre vos réactions…

Chers amis, chers frères et sœurs dans le Christ,

Je tenais à vous écrire suite à l’épreuve de la perte de notre ami Stéphane afin de vous partager ma conviction face à une telle confrontation avec la mort d’un proche. Je ne voudrais pas que cette épreuve nous laisse sans espérance.

Nous avons tous prié intensément pour la guérison de Stéphane, au point où il peut sembler légitime de se demander pourquoi Dieu n’a pas répondu à notre prière. Serait-il sourd? La prière a-t-elle vraiment un sens dans une telle épreuve où la fin semble inévitable? Voilà des questions que je me suis posées tout comme vous sans doute.

J’ai eu l’occasion de voir Stéphane à quelques reprises pendant sa maladie et j’étais en contact téléphonique avec lui tous les jours. Il m’avait demandé de le faire parce qu’il voulait s’assurer qu’on le soutienne spirituellement et que l’on prie pour lui. Il est donc normal de se demander si nous avons échoués?

Et où était Dieu dans tout cela? Nous lui avons crié : « Seigneur, ton ami est malade », comme l’a fait la sœur de Lazare, et aujourd’hui nous avons envie de lui dire avec le psalmiste : « Cela ne te fait-il rien de nous voir mourir? »

Mais d’entrée de jeux, je dois vous avouer que mon espérance est ailleurs maintenant et ma compréhension de l’efficacité de la prière a été profondément transformée par cette épreuve de la mort de Stéphane. Je pensais savoir bien des choses sur la vie de foi. N’est-ce pas normal quand on a fait de la théologie et que l’on a beaucoup lu. Mais il n’y a rien comme l’expérience de la prière poussée dans ses derniers retranchements pour nous en faire saisir un peu mieux la dynamique. C’est cela que j’aimerais maintenant vous partager. Je le ferai en trois points qui correspondent aux trois étapes du processus que j’ai vécu dans cet accompagnement de Stéphane, notre frère dans la foi.

1- Tout d’abord, devant la maladie qui semblait progresser inéluctablement après seulement deux semaines, j’ai saisi tout à coup qu’une des fonctions de la prière n’était pas l’exaucement à tout prix, ce que je savais déjà, mais que la prière avait aussi pour fonction de porter l’autre devant Dieu. Alors que ma prière se faisait insistante pour que le Seigneur guérisse Stéphane, j’ai compris que ma prière avait aussi comme fonction de le soutenir, de veiller avec lui. Comme si Dieu me demandait de le laisser habiter ma prière afin qu’à travers moi Il soutienne Stéphane dans sa souffrance. Une invitation à veiller avec l’ami malade dans la prière, à porter avec lui sa douleur, à penser très souvent à lui et à le confier à chaque fois au Seigneur.

C’est comme si un nouvel éclairage sur la prière m’avait été donné. Il ne suffit pas de dire « Seigneur, Seigneur ». Il faut aussi veiller avec lui à Gethsémani, le Gethsémani de toutes les souffrances humaines. C’est là quelque chose qui demande bien plus de temps que la simple demande de guérison au Seigneur dans une formule rapide et toute faite. C’est plus engageant aussi, plus fatiguant, plus coûteux. Écouter un ami qui souffre prend du temps. Prier pour lui aussi. Peut-être est-ce là le vrai sens de la prière d’intercession… Et en ce sens je ne doute plus que les proches de Stéphane l’aient soutenu de leur prière et aient porté avec lui une part de son fardeau. Cela a été là pour moi une forme de découverte. Jamais je n’avais vécu aussi profondément cette dimension de la prière, le « prier toujours » dont parle Jésus et où l’on se tient devant Dieu pour le monde.

2- Mais il y a plus. Cette prière d’intercession est avant tout d’ordre spirituel. Des adeptes du New Age ou de la « pensée positive » parleraient ici « d’énergies », mais c’est là une vision réductrice de la prière chrétienne. Nous prions avec le Christ, nous formons le Corps de Christ et c’est dans cette communion que notre prière a rejoint Stéphane. J’ai découvert que la prière avait cette capacité d’amener l’autre à s’engager davantage sur le chemin de lumière que nous a ouvert le Christ. J’ai senti Stéphane se transformer peu à peu, devenir de plus en plus spirituel face à sa maladie, ce qui m’a été confirmé par sa mère. Tous ceux et celles d’entre vous qui le connaissent bien reconnaîtront que Stéphane n’était pas du genre à livrer aux autres ses émotions spirituelles. Et pourtant, à chaque fois que je parlais de prière avec lui, de la foi en Dieu ou lorsque nous avons célébré le sacrement des malades, je l’ai senti s’extasier au point où sa mère me confiait le jour des funérailles qu’elle avait eu le sentiment que plus l’on priait pour Stéphane, plus elle sentait qu’il lui échappait, comme s’il se rapprochait de plus en plus de Dieu.

Je me souviens de ma dernière visite à Stéphane. Il était très faible, mais gardait toujours son sens de l’accueil et de l’attention à l’autre. À un moment donné il m’a demandé d’accrocher au mur le crucifix que sa mère lui avait apporté le jour même. Il avait hâte qu’il soit en place afin qu’il puisse le regarder. Une fois le crucifix mis au mur, Stéphane l’a regardé en silence pendant un long moment avec un regard lumineux, où semblait transparaître une grande joie. Il avait le regard des grands contemplatifs et je ne pouvais que rester là en silence, à la fois gêné et ému d’être le témoin d’une aussi grande ferveur chez lui. Je crois que la prière de tous ceux et celles qui ont prié pour lui a amené Stéphane à entrer encore plus avant dans cette foi en Jésus-Christ qui était la sienne, et c’est sans doute là le vrai miracle, celui auquel je ne m’attendais pas.

3- Enfin, je crois que nos prières pour Stéphane nous ont aussi touchés et transformés. Comme dit le psalmiste : « tout comme la pluie du Seigneur ne retourne pas au ciel, après être tombée sur la terre, sans l’avoir transformée », notre prière pour Stéphane nous a rapprochés non seulement de lui, mais, plus fondamentalement, elle nous a rapprochés de Dieu. Nous sortons grandis spirituellement de cette épreuve : notre relation à Stéphane en est à jamais transformée, ainsi que notre vision de la vie et de la mort, de nos liens d’amitié et de nos liens familiaux. Nous avons touché d’un peu plus près ce que signifie la communion des saints.

Mais il ne s’agit pas ici simplement d’une expérience d’ordre intellectuel. Spirituellement, la prière nous a ouverts un peu plus au mystère de la vie et elle a agrandi cette brèche en nos cœurs par laquelle l’Esprit du Seigneur peut nous inspirer et nous guider afin que nous découvrions le vrai sens des choses. Fondamentalement la prière pour le prochain ne peut que bonifier celui ou celle qui prie, car cette personne s’ouvre à l’action de Dieu dans le monde et dans sa vie.

Voilà ma réflexion. Je ne veux pas m’étendre davantage, mais je trouvais important de partager ces choses avec vous, car nous sommes tous engagés dans une même aventure, l’aventure d’une vie aux prises avec le mal et la mort, conséquences du péché. Dieu est présent à chacun de nous et nous ne devons pas douter de son amour et de son souci pour nous. Si nous avons la foi, il nous faut alors faire preuve d’une confiance absolue. Jésus-Christ ne vient pas lever les épreuves de la vie comme par magie, mais il vient plutôt nous aider à combattre par la foi, la prière et l’amour fraternel.

Jésus est venu nous apprendre à lutter et il continue de lutter avec nous. Voilà ce que Dieu fait pour nous. L’enjeu ici-bas n’est pas de vivre le plus longtemps possible, mais de vivre comme des hommes et des femmes spirituels appelés à la vie éternelle. Je crois que c’est l’exemple que Stéphane nous laisse et je crois que nos prières l’ont aidé dans ce passage. Désormais, il est mystérieusement imbriqué dans la trame la plus secrète de nos vies.

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