Homélie pour le 4e dimanche de Pâques (A)

Dans les évangiles, Jésus a cette préoccupation constante d’amener ses auditeurs à croire en lui, mais il le fait sans jamais dévoiler pleinement son identité. Il procède par analogies, avec des paraboles et des miracles, qui deviennent des clés d’interprétation afin de nous ouvrir à son mystère, afin que ses auditeurs puissent vraiment le connaître avec les yeux du coeur.

Il emploie aussi beaucoup d’images afin d’expliquer sa personne et sa mission. Il dit de lui-même qu’il est la lumière du monde, le pain vivant, la vraie vigne, le chemin, la vérité et la vie. Mais il y a deux autres attributs que Jésus fait siens et que l’on retrouve dans l’Ancien Testament pour représenter Dieu, soit les titres d’époux et de pasteur. Comme l’époux aime l’épouse, Jésus nous révèle dans l’évangile de ce dimanche qu’il est la porte des brebis, le chemin vers les vrais pâturages, le bon berger qui aime ses brebis au point de donner sa vie pour elles.

Cette image du bon pasteur est l’une des plus anciennes dans l’iconographie chrétienne, et les premiers chrétiens peignaient cette image sur les murs de leurs catacombes, cavernes et souterrains où les chrétiens se réunissaient secrètement pendant les persécutions des premiers siècles afin de célébrer leur foi et qui servaient aussi de lieux de sépulture pour leurs morts. Sur les murs de plusieurs de ces catacombes on peut y voir Jésus vêtu en simple berger, un bâton à la main, portant une brebis sur ses épaules. « Voilà notre Dieu ! disaient les premiers chrétiens. Il est le Bon pasteur, le vrai chef des brebis. »

Il y a une unité particulièrement frappante entre les textes de ce dimanche qui souligne à quel point est importante pour notre vie de foi l’image du bon pasteur ! Le psalmiste écrit:  « le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. » Dans la deuxième lecture, saint Pierre compare les personnes qui n’ont pas la foi en Jésus-Christ à des brebis perdues : « Vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes. » Et, ici, dans l’évangile de Jean, Jésus développe son long discours sur le bon pasteur.

Jésus se décrivant comme le bon pasteur est sans doute l’analogie la plus forte et la plus évocatrice parmi celles employées par le Christ pour nous dire jusqu’où va son amour pour nous . Nous le savons, il ne s’est pas présenté en roi triomphant, imposant son autorité au monde. Pour se dire à nous et nous décrire sa mission, Jésus s’est identifié à l’un des métiers les plus humbles de son époque, soit celui du berger dont la seule richesse était ses brebis, et pour lesquelles il était prêt à affronter le loup et à donner sa vie pour elles.

Ce qui est extraordinaire dans la façon dont Jésus décrit cette intimité qu’il vit avec ses brebis, c’est que ces dernières le connaissent elles aussi. Ne les appellent-ils pas chacune par leur nom?  Elles reconnaissent sa voix, elles sont dociles à son appel. Il y a entre Jésus et ses brebis une connaissance réciproque, qui est fondée sur cette intimité qui unit Jésus à son Père. «  Qui m’a vu a vu le Père  », dit Jésus. Nous sommes ici au coeur même de l’expérience chrétienne qui a ce pouvoir de transformer radicalement nos vies.

C’est dans ce mystère d’intimité et d’amour que la foi en Jésus Christ nous entraine, telle une porte qui s’ouvre sur les frais pâturages que chante le psalmiste, et où Dieu nous attend et nous conduit vers la vraie vie, cette vie qui commence dès ici-bas. Nous ne croyons pas seulement pour demain, frères et soeurs, mais pour aujourd’hui même là où le monde nous attends.

C’est une grâce incroyable qui nous est faite quand la foi nous est donnée, ou encore quand nous la recherchons avec passion. Mais c’est aussi une grâce qui coûte, car se mettre à la suite du Christ, nous le savons, est d’une grande exigence, il faut tout donner comme dans tout amour véritable, dans toute amitié authentique.

Comme l’écrivait avec justesse le pape François dans sa première encyclique Lumen fidei :

« La foi n’est pas un refuge pour ceux qui sont sans courage, mais un épanouissement de la vie. Elle fait découvrir un grand appel, qui est la vocation à l’amour, et elle assure que cet amour est fiable, qu’il vaut la peine de se livrer à lui, parce que son fondement se trouve dans la fidélité de Dieu, fidélité qui est plus forte que notre fragilité.»

Oui, frères et soeurs, cet amour qui nous est offert, cette aventure de la foi en vaut la peine, comme l’affirme le pape François, car la fidélité de Dieu est plus forte que toutes nos morts ! N’est-il pas, Lui, le grand vainqueur de la mort en son fils Jésus Christ ! C’est cette promesse déjà accomplie au matin de Pâques qui nous rassemble à chaque eucharistie.

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain.

Homélie pour le 3e dimanche de Pâques (A)

Luc 24, 13-35. Les disciples d’Emmaüs

Quand on a la foi, on ne peut qu’acquiescer à cette affirmation de Maurice Zundel : « Le bonheur, c’est Dieu. Dieu c’est le bonheur. » Et c’est ainsi que nos deux disciples d’Emmaüs, après leur rencontre avec le Ressuscité, peuvent s’exclamer : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous tandis qu’Il nous parlait sur la route. »

Chaque dimanche, partout dans le monde, les chrétiens et les chrétiennes se rassemblent afin de se laisser rejoindre sur la route par le Ressuscité, pour se mettre à nouveau à l’écoute des Écritures qui nous parlent de Lui et qui nous préparent à communier à sa vie donnée, à recevoir ce supplément de grâce afin que nous puissions repartir avec cette paix et cette joie du Christ que nous avons pour mission de porter au monde.

Mais pour être habité par cette passion qui change véritablement une vie, il faut rencontrer le Christ, et surtout vouloir le rencontrer sans cesse; ne jamais hésiter à lui dire, quand le jour baisse et que le soir approche :  « Reste avec nous! »

Remarquez que nos deux disciples d’Emmaüs ne reconnaissent pas le Ressuscité quand il se fait voir à leurs yeux. Ce n’est que lorsqu’il disparaît, à la fraction du pain, qu’ils le reconnaissent. Nous ne croyons pas au Christ à cause d’une preuve extérieure évidente ou parce que son tombeau a été trouvé vide le matin de Pâques, ou même parce que des témoins nous disent l’avoir vu après sa mort. Bien sûr, ce sont là des éléments de preuve qui peuvent nous mettre sur le chemin de la foi, mais comme l’écrivait Maurice Zundel : « Je ne crois pas en Dieu, disait-il, je le vis. » Dieu ne se réduit pas à une formule ou un credo, il est une rencontre. Il n’est pas une simple connaissance, il est une re-connaissance au plus intime de nos vies.

La foi chrétienne, c’est le cœur qui s’ouvre à plus grand que lui, à la source même de sa vie, qui expérimente cette rencontre du Christ dont parlait l’Apôtre Pierre dans sa première lettre aux chrétiens de Rome et qui leur disait : « Vous qui l’aimez sans l’avoir vu. » Est-ce possible d’aimer le Christ sans l’avoir vu? Certainement, nous en sommes convaincus. L’Église vit de cette réalité depuis près de deux mille ans. Il suffit de regarder la vie de cette foule de témoins qui nous ont précédés pour s’en convaincre, jusqu’au cœur même de nos communautés chrétiennes.

Pour prendre une image que nous comprenons bien au Québec, cette présence du Ressuscité à nos vies est comparable à l’irruption du printemps au cœur de nos hivers. Nous le savons, et c’est même une certitude, la vie est plus forte que tout. Plus forte que ces glaces qui nous emmurent en janvier, plus forte que ce froid qui trop souvent nous paralyse en février. Cette expérience des saisons dans notre pays nordique est à la fois exigeante, mais aussi exaltante. La nature se fait pédagogue dans notre pays et elle nous enseigne à lire les signes des temps, qui ne sauraient nous tromper. À quiconque sait tendre l’oreille, en ce temps de l’année, la nature semble murmurer ces paroles qui sont au cœur même de l’acte de création : « Osez espérer! Osez croire! Ne soyez pas incrédules. Tout va changer ». C’est l’invitation que nous fait le Ressuscité à travers ce récit des disciples d’Emmaüs.

Petite anecdote personnelle pour concrétiser mon propos. Il y a plusieurs années, la communauté chrétienne de l’Annonciation, à laquelle j’appartenais, avait accueilli deux familles de réfugiés cambodgiens. J’étais allé chercher l’une de ces familles, les ramenant de leur « hôtel refuge » de Montréal à ma petite vallée des Laurentides. Nous étions en plein mois de janvier et pour la première fois, ils voyaient nos vastes forêts et je lisais une pointe d’inquiétude dans leurs yeux. 

Le père, devant le regard insistant de son épouse, osa enfin me questionner. Il me demanda ce qui avait bien pu arriver à notre forêt pour que les arbres soient tous morts. Je lui expliquai alors que nos arbres perdaient toutes leurs feuilles en automne pour ensuite s’endormir dans un profond sommeil. Mais le printemps venu, je l’assurai qu’ils retrouveraient leur vitalité et leurs feuilles. Cette explication sembla le satisfaire et nous avons poursuivi notre route. 

Après les affres de la guerre au Cambodge, une nouvelle vie commençait pour cette famille. Les mois passèrent et, le printemps venu, mes nouveaux amis m’avouèrent, mi-amusés, mi-confus qu’ils n’avaient pas vraiment cru en mon explication au sujet des arbres. Ce n’est qu’en expérimentant eux même cette réalité complexe, et combien mystérieuse de nos saisons, qu’ils purent comprendre à leur tour ce que signifie cette attente du renouveau au cœur de la vie.

Frères et sœurs, la  fête de Pâques est le lieu par excellence où les chrétiens et les chrétiennes enracinent leur espérance, au-delà des saisons  qui passent, au-delà des échecs apparents de l’Église, au-delà des déceptions et des découragements. L’Évangile de ce dimanche nous invite à passer de nos désillusions à une foi ferme et convaincue, à une foi persévérante. Nous espérons et nous croyons parce que Dieu le premier a cru en nous en nous donnant la vie. Nous espérons et nous croyons en Dieu parce que dans un élan d’amour sans égal, Il nous a donné son Fils unique en partage. Nous espérons  et nous croyons parce que Jésus a vaincu la mort et que sa vie s’offre à nous, sans cesse, comme un printemps toujours renouvelé. N’en sommes-nous pas les témoins?

Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 2e dimanche de Pâques (A)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 20,19-31.
C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.
Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »
Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint.
À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu.
Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! »
Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. »
Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.

COMMENTAIRE

Les Églises orientales, catholiques et orthodoxes, appellent ce dimanche, le dimanche de Thomas. Elles veulent ainsi souligner que l’attitude de l’apôtre incrédule est parfois la nôtre. Ce qui n’empêcha pas cet apôtre de grandir dans sa foi, avec l’aide du Christ, car c’est ce même Thomas qui donnera à Jésus le titre le plus éloquent de tout l’Évangile : «Mon Seigneur et mon Dieu.» 

Voilà qui est encourageant pour nous! Malgré les doutes et les difficultés que nous pouvons parfois éprouver dans notre vie de foi, Dieu est toujours là avec nous et il nous aide sans cesse dans notre découverte de qui il est et de sa présence au cœur de nos vies. C’est ce que Jésus fait avec ses disciples après sa résurrection. Bien que ces derniers l’aient abandonné, il n’a pas eu honte de ses apôtres. Au contraire, il se manifesta à eux, les appelant à passer des ténèbres de la peur à son admirable lumière, les invitant à entrer dans sa Pâque!

Chaque année, à l’occasion du Triduum pascal, nos couvents dominicains un peu partout dans le monde, célèbrent l’Office des ténèbres. Il s’agit de la prière des psaumes, entrecoupée de lectures bibliques et spirituelles, célébrée le matin, et qui a pour but de nous associer à la passion du Christ. Après l’un de nos offices, j’ai fait la rencontre d’une jeune femme. Elle tenait à nous exprimer son bonheur d’avoir pu prier avec nous. Elle m’avouait avoir même pleuré pendant le beau Cantique de Zacharie, quand nous chantions au sujet du Christ, qu’il est venu illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix. 

Elle était belle à voir cette jeune mère de six enfants, convertis depuis maintenant seize années. Elle s’exclama soudain, emportée par son enthousiasme : «Je ne comprends pas que des gens ne croient pas en Dieu». Mais elle se ravisa aussitôt, se rappelant qu’elle-même avait jadis été incroyante, et elle ajouta : «Pourquoi moi? Pourquoi nous? Je ne comprends pas. 

C’est une grâce, dit-elle, c’est un don. Jamais je ne voudrais perdre ce don et comme j’aimerais le partager.» Elle était là avec son conjoint, rayonnante, comme un ange m’annonçant la bonne nouvelle de Pâques. 

Frères et sœurs, c’est à cette joie toute pascale que nous invite la Parole de Dieu en ce dimanche, alors que le Christ ressuscité se tient au milieu de ses apôtres, qu’il se tient au milieu de notre assemblée, et qu’il nous offre sa paix. Jésus apparait à ses disciples dès le premier jour de sa résurrection, comme si les liens noués ici-bas étaient de la plus grande importance pour lui. Malgré le fait que ses amis l’aient abandonné, renié et trahi, Jésus ne se détourne pas d’eux. Au contraire, il vient vers eux avec empressement, et il traverse les murs de leurs peurs et de leurs doutes, afin de les ramener vers lui, et de les établir fermement dans cet amour sans limites qu’il a pour eux. À travers ces apparitions, Jésus nous révèle combien nous avons du prix pour lui. C’est cet amour qui l’a conduit à sa passion et dont il porte encore les marques dans son corps glorifié.

Mais venons-en à l’apôtre Thomas. Quand ses amis affirment : « Nous avons vu le Seigneur », c’est le témoignage d’une adhésion de foi au Ressuscité que les apôtres donnent à Thomas. Le verbe « voir » chez Saint Jean ne désigne pas une vision sensible, mais une nouvelle manière de voir, tout intérieure, grâce à l’action de l’Esprit Saint. Ils ont vraiment reconnu Jésus comme Seigneur, et c’est ce désir de partager cette même foi qu’exprime Thomas quand il dit : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je n’y croirai pas ». On entend dans ces paroles de Thomas comme une supplication. Il y a chez lui une volonté ferme de communier à son Seigneur, de participer au mystère de Celui qui a été crucifié et qui est mort pour lui. Thomas appelle son Seigneur à son secours et il ne sera pas déçu. Il est alors invité à cesser d’être incrédule et à devenir croyant. 

Frères et sœurs, n’est-ce pas là l’invitation sans cesse renouvelée par le Christ dans nos vies? Demandons à Dieu la grâce de l’entendre et d’y répondre, afin de pouvoir faire nôtre à nouveau la profession de foi de Thomas alors que sera remis entre nos mains le corps du Christ : «Mon Seigneur et mon Dieu !»

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

La résurrection du Christ chez nos frères dominicains de Kigali, Rwanda

Homélie pour le dimanche de la Résurrection

En entendant le récit de la course passionnée de Simon-Pierre et du disciple bien-aimé, comment ne pas voir dans leur sillage les souvenirs enchevêtrés de ces trois années d’itinérance passées avec Jésus ? 

Comme il était grand leur espoir ! Trois années nourries des rêves les plus fous… et puis la mort tragique, la fin brutale de celui qu’ils aimaient. Et quoi maintenant ? Quelle est cette nouvelle ? Ils n’osent y croire. À bout de souffle, le regard inquiet, les voici au tombeau, le plus jeune devançant le plus vieux. Le commentaire de l’évangéliste à son sujet est stupéfiant par sa brièveté : « Il vit et il crut ! ». 

La résurrection de Jésus est la réalisation d’une promesse longtemps attendue, où Dieu affirme que le Vivant n’a pas sa place dans les tombeaux de ce monde. Pourtant, l’expérience du tombeau vide n’explique en rien la foi des disciples du Christ. Ce serait là un bien faible appui sur lequel miser nos vies. Le tombeau vide n’est que le signe annonciateur préparant les disciples à une rencontre décisive avec le Ressuscité.

« Il vit et il crut ! », nous dit l’évangéliste. Nous avons là une clé d’interprétation fondamentale pour comprendre ce que veut dire la foi en Jésus Christ. Ceci peut sembler contradictoire, mais avant de croire, il faut avoir vu. Je m’explique. La foi au Dieu de Jésus Christ ne se fonde pas sur des raisonnements intellectuels irréfutables, bien que l’intelligence soit au service de la foi. Je serais un bien mauvais dominicain si j’osais affirmer le contraire. Mais je garde cette conviction fondamentale que le cœur de la foi chrétienne est avant tout la reconnaissance d’une présence intérieure, d’un appel au plus profond de nous, une présence d’amour infinie devant laquelle la foi se prosterne et adore. « Il vit et il crut ! » 

En fait, c’est l’amour qui fait croire ici ! Comme si l’apôtre bien-aimé se disait en regardant le tombeau vide : « Je le savais ! » Cette brise légère au cœur de notre vie de foi, c’est la rencontre du regard aimant de Jésus posé sur nous qui nous attire vers lui et qui nous fait entendre cet appel intérieur, au plus profond de nous-mêmes, tout comme les deux disciples devant le tombeau vide, à qui le Ressuscité semble dire : « Voyez ! Vous pensiez avoir enterré tous vos espoirs. Mais regardez ce tombeau vide, c’est plein de vie dedans. »

Tout comme pour Pierre et le disciple bien-aimé, c’est la bonne nouvelle de la résurrection du Christ qui nous fait accourir ici en ce matin de Pâques. C’est une recherche commune qui nous unit en Église, où nous ne cessons d’approfondir le don que Dieu nous fait en Jésus Christ, et où nous ne cessons de nous en émerveiller ensemble. 

C’est tout le sens de cette grande Semaine Sainte qui nous a conduits jusqu’à ce matin de la résurrection, où nous nous tenons éblouis nous aussi devant ce tombeau vide. Un tombeau à la porte grande ouverte, irradiant la lumière de Pâques. « Il vit et il crut ! » C’est à ce regard de foi et d’amour que nous sommes conviés ce matin.

Par ailleurs, la joie pascale ne doit pas nous faire oublier combien est exigeante notre foi au Christ. Nous le savons, notre espérance est sans cesse mise à l’épreuve devant les convulsions que subissent nos vies et notre monde, aux prises avec le mal et la violence. Nous ne sommes ni naïfs ni aveugles. Et c’est pourquoi il importe plus que jamais de célébrer la Pâque du Seigneur, quand les forces du mal se déchainent autour de nous et au cœur même de nos vies. Les scandales récents qui affligent l’Église ne font que renforcer cette certitude.

Notre époque n’est pas unique en ce sens, toutes les générations depuis la nuit des temps ont connu la violence, Caïn s’en prenant le premier à Abel. Mais ce qui est caractéristique de notre époque, c’est le refus de Dieu ; c’est de croire que nos vies soient sans direction et sans lendemain. C’est de croire que notre monde puisse se construire par lui-même et prétendre à la sagesse. « Insensés », leur dirait Jésus. 

En ce matin de Pâques, nous tenant debout avec le Christ ressuscité, nous affirmons que ce monde est voulu et aimé par Dieu. Nous affirmons que Dieu s’est révélé à travers notre histoire, à la fois par sa création et par ses prophètes, et qu’en ces temps qui sont les derniers, Dieu a confié au monde sa dernière parole, la plus belle et la plus profonde en son Fils fait chair, qui nous dit en ce matin de sa résurrection :

« Je t’aime ô monde, homme et femme. Je suis là. Je pleure vos larmes. Je suis votre joie. N’ayez pas peur. Quand vous ne savez pas comment allez plus loin, je suis avec vous. Je suis dans vos angoisses, parce que je les aie souffertes moi aussi. Je suis dans vos besoins et dans votre mort, parce qu’aujourd’hui j’ai commencé à vivre et à mourir avec vous. Je suis votre vie. Et je vous le promets : la vie vous attend vous aussi. Pour vous aussi, les portes vont s’ouvrir. » (Karl Rahner).

En cette fête de Pâques, debout devant la croix glorieuse du Christ, nous affirmons qu’elle porte toutes nos douleurs, toutes nos peines, toutes nos morts, et toutes nos violences. Nous affirmons que seul le Ressuscité est capable de transfigurer nos blessures, capable de nous prendre avec lui et de nous rendre vainqueurs, malgré nos défaites apparentes, malgré la mort elle-même.

Un philosophe de l’Antiquité a dit un jour : « Si tu ne sais pas espérer, tu ne pourras jamais accueillir l’inespéré. » (Héraclite, Fragment 18). En cette fête de Pâques, qui est la mère de toutes les fêtes, de toutes les attentes au cœur de la vie des hommes et des femmes de ce monde, nous proclamons que l’inespéré s’est fait chair, que le Fils du Père a habité parmi nous, et qu’il est le grand vainqueur de la mort. 

La pierre qui retenait la vie a été roulée sur le côté. La vie qui était captive de la mort a été libérée de ses entraves, et Jésus est devenu notre éternel printemps. 

Voilà, sœurs bien-aimées et frères bien-aimés, ce qui fait notre joie ce matin ! Réjouissons-nous ! Célébrons ! Rendons grâce à Dieu en ce jour de Pâques ! Car Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! 

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain.

Homélie pour le Jeudi saint

À quelques heures du rappel de la mort de Jésus, alors que nous célébrons son dernier repas avec ses apôtres, le mystère demeure entier et il bouleverse tout chrétien, toute chrétienne qui prend au sérieux sa foi. Pourquoi Jésus devait-il mourir ainsi?

Dernière Cène. Duccio

Bien sûr, nous savons qu’il devait mourir parce qu’il l’avait affirmé lui-même : « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne ». Nous sommes familiers avec ce passage de l’évangile, et nous savons que la mort de Jésus annonçait non seulement sa résurrection, mais aussi notre rédemption, notre salut, mais le pourquoi fondamental de tout cela demeure caché dans le cœur du Père et nous sera révélé que lors du grand face à face dans l’éternité de Dieu.

Ce que nous savons c’est qu’il y a là un mystère d’amour et c’est ce mystère que nous sommes invités à contempler ce soir en cette célébration de la Cène du Seigneur. Contempler sans tout comprendre, accueillant dans la foi, et nous faisant le plus proche possible du cœur de Jésus, comme le disciple bien-aimé reposant sur sa poitrine.

La liturgie du Jeudi Saint nous invite à contempler le geste que Jésus a posé à l’endroit de ses disciples la veille de sa passion. Car comment évoquer ce qui est au cœur de la vie de Jésus, sinon en rappelant cette image gravée à jamais dans la mémoire de l’Église : Jésus à genoux aux pieds de ses disciples.

L’enseignement de Jésus est simple au fond. Il se résume dans l’accueil de Dieu, et dans l’accueil du prochain. Jamais l’un sans l’autre. Ce prochain, cet autre : l’ennemi, le mal-aimé, le pauvre, l’étranger, Jésus nous invite à le regarder avec ses yeux à lui, à poser sur l’autre un regard digne de la compassion de Dieu, vraiment porteur de son amour. Jésus nous dit ce soir, à genoux à nos pieds : « Viens à moi avec ton cœur, et tu verras avec mes yeux ».

C’est le théologien Jean Galot qui disait : « Le Christ est venu sur la terre pour provoquer un attachement à sa personne, pour attirer à lui l’humanité et l’univers. Mais avant de réclamer cette adhésion et pour l’obtenir, il s’attache lui-même aux hommes ». Et, je dirais, qu’il s’attache aussi à des hommes et des femmes qui deviennent solidaires du mystère qui l’habite et qui, à leur tour, s’attachent à leurs frères et à leurs sœurs les humains, comme le Christ.

L’autre, le tout proche, comme la personne la plus éloignée, est tellement important dans l’enseignement de Jésus qu’il devient un chemin privilégié vers Dieu, un passage inévitable, incontournable. Avec Jésus nous apprenons qu’il faut savoir nous approcher de tous ceux et celles que Dieu met sur notre route en revêtant le tablier du serviteur.

Le royaume de Dieu, nous dit Jésus, passe par une charité effective, celle de la tenue de service qui nous amène à nous laver les pieds les uns aux autres; à laver les offenses, les indifférences, les pauvretés et les blessures dont l’autre est porteur, afin de découvrir en elle, en lui, une sœur, un frère aimé de Dieu, digne de son amour et donc digne de notre attention et de notre affection.

Jésus nous révèle qu’en toute personne Dieu se fait connaître. « Je suis pour toi un lieu où Dieu se fait connaître à toi, et tu es un lieu où Dieu se fait connaître à moi ». N’en doutons pas, nous sommes semblables à des icônes qui révèlent mystérieusement quelque chose du mystère ineffable de Dieu. Voilà une bonne nouvelle et nous sommes au cœur de l’Évangile!

C’est le génie de l’évangéliste Jean de nous présenter le dernier repas de Jésus avec les siens, non pas en mettant l’accent sur le pain et le vin, mais en mettant l’accent sur la portée de ce pain et de ce vin offerts par Jésus. Le pain et le vin sont signe par excellence de son offrande, de sa vie donnée, lui qui se fait nourriture pour nous. Mais ils nous révèlent aussi le sens de la mission de Jésus : le pain et le vin, c’est Jésus à nos pieds, corps et sang livrés pour nous, « parce qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime », nous dit Jésus. Et Jésus a suivi cette logique jusqu’au bout de lui-même…

Pourquoi le Fils de Dieu devait-il mourir ainsi? Il y a là quelque chose de la folie de Dieu qui nous dépasse. Mais il y a dans la mort de Jésus un acte d’amour tellement absolu qu’il questionnera notre humanité jusqu’à la fin des temps. Et désormais, à cause de lui, mystérieusement, les hommes et les femmes qui le suivent, se surprennent à vouloir aimer et servir comme lui, en dépit de leurs manques, de leurs faiblesses, ou de leur histoire personnelle.

Et Jésus leur dit : « Viens, suis-moi et tu auras la vie ».  C’est à ce don de nous-mêmes qu’il nous invite lorsqu’il nous dit, en offrant le pain et le vin à la dernière Cène : « Vous ferez cela en mémoire de moi ». Nous sommes invités, nous aussi, à revêtir le tablier du serviteur, à devenir son corps et son sang pour le salut du monde, à devenir une éternelle offrande à la gloire du Père avec lui.

C’est dans cette offrande que nous entrons maintenant au moment de célébrer la Cène du Seigneur en ce Jeudi Saint. Comme le soulignait le pape Jean-Paul II  dans son encyclique sur l’Eucharistie : « L’Eucharistie, présence salvifique de Jésus dans la communauté des fidèles et nourriture spirituelle pour elle, est ce que l’Église peut avoir de plus précieux dans sa marche au long de l’histoire […] C’est le don par excellence, poursuit Jean-Paul II, parce que c’est le don de lui-même ». Le don qui nous rend semblables à lui, qui nous fait vivre et agir comme lui. Et il n’y a pas de plus grand bonheur.

fr. Yves Bériault, o.p.