Homélie pour le 3e Dimanche de l’Avent (B)

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COMMENTAIRE

« Soyez toujours dans la joie », nous dit saint Paul en ce troisième dimanche de l’Avent. Et c’est le dominicain Pierre Claverie, qui disait que la joie c’est la béatitude de ceux et celles qui se savent aimés. C’est dans cet amour que prend sa source la joie chrétienne.

Et comment le savons-nous que nous sommes aimés de Dieu? Il y a là quelque chose du mystère de la foi propre à chacun et à chacune de nous. Nos cheminements dans la foi sont uniques et précieux, mais l’on peut toutefois affirmer que c’est l’Esprit Saint qui nous donne de ressentir cet amour pour Dieu, et cette joie qui en découle. C’est Lui qui nous fait appeler Dieu notre Père, qui nous donne de le reconnaître dans sa visitation en son Fils Jésus. Voilà la source de notre joie.

Mais il ne faut pas s’y méprendre. Celui ou celle qui fait l’expérience de cette joie sait qu’elle peut exiger beaucoup de nous. Elle n’est ni béate ni facile, car elle nous demande que l’on puisse regarder la réalité dans le blanc des yeux, sans se détourner, sans fuir. Elle nous rend responsables du bonheur des autres, au point où elle nous invite à pleurer avec ceux qui pleurent, à nous réjouir avec ceux qui se réjouissent, à souffrir avec ceux qui souffrent, comme Jésus…

Par ailleurs, cette joie se fait parfois discrète en nos vies, au point où elle semble nous échapper. Elle nous demande alors de patienter, d’attendre sans consolation au coeur des pires épreuves, mais avec cette assurance que Dieu est là. Cette joie profonde nous donne force et courage, elle nous fait tenir bon, dans la confiance, au coeur des tempêtes de la vie.

La joie chrétienne a sa source et son enracinement dans la réalisation de cette nouvelle incroyable que le Créateur du monde nous aime d’un amour infini. La Parole de Dieu nous l’affirme : notre vie est sacrée et elle est porteuse de sens.

Un évêque allemand, que j’ai eu la chance d’entendre prêcher un jour à Rome proclamait bien fort dans une homélie : « Je suis fils de Dieu! Avant même que le monde soit créé, Dieu pensait à moi. Il m’aimait déjà et il voulait me créer. Et ce monde avec ses galaxies a été créé pour MOI, car JE suis fils de Dieu. Et il me demande de m’y engager avec tout cet amour qu’il a mis en moi, car JE suis fils de Dieu! »

Notre vocation, personnelle et mystérieuse, s’inscrit déjà dans le coeur de Dieu, avant même que nous ne soyons nés. Dieu, nous voyait déjà chacun et chacune, avant même la création du monde. Il se penchait déjà, avec amour, sur le rêve en devenir que nous étions; posant son regard bienveillant sur chacun de ses enfants en devenir, encore à l’état de rêve; et mettant en chacun et chacune un dynamisme de vie capable de se tourner vers l’infini, capable de le reconnaître pour qui Il est : Dieu, notre Père. Car nous sommes fils et filles de Dieu.

Dans son livre, « L’enfance de Jésus », Joseph Ratzinger, le pape émérite Benoît XVI, écrit ceci : «  Jésus assume en lui toute l’humanité, toute l’histoire de l’humanité, et lui fait prendre un nouveau tournant, décisif, vers une nouvelle façon d’être une personne humaine. » Être « Chrétien », c’est être « Du Christ », c’est appartenir au Christ, et donc être rempli de la joie même du Christ, qui est capable de transfigurer une existence humaine. Cette joie du Christ a très certainement impressionné les apôtres, puisque l’évangéliste Jean a retenu cette phrase de Jésus : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 15, 11) . C’est à cette joie que nous sommes appelés.

Il y a quelques années, une correspondante m’écrivait en me questionnant au sujet du Christ souriant. Il s’agit d’un Jésus en croix qui sourit. On peut voir cette croix à l’Abbaye de Lérins, en France. Cette femme me demandait comment comprendre une telle œuvre, une telle représentation du Christ?

Je lui ai répondu ceci : « Je comprends que ce Christ souriant puisse nous interroger lorsque nous-mêmes nous souffrons. Le sourire du Christ n’est pourtant pas le sourire béat des ”Roger-bon-temps”. Ce sourire, que les artisans du Moyen âge ont donné au Christ en croix, renvoie à une certitude intérieure chez Jésus qui se fonde sur cet amour du Père qui le soutient.

C’est Jean-Paul II, lors de son Angelus du 14 décembre 2003, disait ceci:

Une caractéristique incomparable de la joie chrétienne est que celle-ci peut coexister avec la souffrance, car elle est entièrement basée sur l’amour. En effet, le Seigneur qui ”est proche” de nous, au point de devenir un homme, vient nous communiquer sa joie, la joie d’aimer. Ce n’est qu’ainsi que l’on comprend la joie sereine des martyrs même dans l’épreuve, ou le sourire des saints de la charité face à celui qui est dans la peine : un sourire qui ne blesse pas, mais qui console.

Bien sûr, il est difficile de parler de joie à ceux et celles qui souffrent dans leur corps et dans leur âme. Pourtant, la joie est au rendez-vous dans l’Évangile. Elle frappe à la porte de nos souffrances physiques, morales et spirituelles, et elle nous invite au rendez-vous de Dieu. Cette joie transforme toute vie qui l’accueille.

Alors, comment cacher cette joie qui nous habite? Il faut nous la redire, la chanter, la célébrer, la proclamer, la faire nôtre. C’est tout le sens de nos liturgies, quand nous chantons nos alléluias, quand nos chants de louange montent vers le ciel, quand nous proclamons ensemble au coeur de l’eucharistie « comme il est grand le mystère de la foi », quand l’orgue nous accompagne triomphalement à la sortie de l’église.

Car la joie pascale est la marque de la spiritualité chrétienne, comme le disait Paul VI. Ce n’est pas de l’insouciance, mais une sagesse qui vient de Dieu, et qui s’enracine dans un bonheur profond et durable qui n’a pas peur des combats, qui n’a pas peur de se salir les mains, ni de se compromettre ou de lutter comme Jésus l’a fait. Car tout bonheur n’a de sens que lorsqu’il est partagé, et c’est vraiment ce qui fait la joie du disciple du Christ. Amen.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 2e Dimanche de l’Avent (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 1, 1-8

Commencement de l’Évangile de Jésus,
Christ, Fils de Dieu.
Il est écrit dans Isaïe, le prophète :
Voici que j’envoie mon messager en avant de toi,
pour ouvrir ton chemin.
Voix de celui qui crie dans le désert :
Préparez le chemin du Seigneur,
rendez droits ses sentiers.

Alors Jean, celui qui baptisait,
parut dans le désert.
Il proclamait un baptême de conversion
pour le pardon des péchés.

Toute la Judée, tous les habitants de Jérusalem
se rendaient auprès de lui,
et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain,
en reconnaissant publiquement leurs péchés.
Jean était vêtu de poil de chameau,
avec une ceinture de cuir autour des reins ;
il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
Il proclamait :
« Voici venir derrière moi
celui qui est plus fort que moi ;
je ne suis pas digne de m’abaisser
pour défaire la courroie de ses sandales.
Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau ;
lui vous baptisera dans l’Esprit Saint. »

COMMENTAIRE

Quelques mots tout d’abord sur l’évangile de Marc dont nous venons de proclamer le tout début. Cet évangile n’est pas simplement une vie de Jésus, à l’exemple de la biographie d’un homme célèbre. Il s’agit avant tout d’un témoignage de foi qui annonce la Bonne Nouvelle du Fils de Dieu lui qui fait irruption au cœur même de notre monde et se fait l’un des nôtres. C’est pourquoi l’évangéliste souhaite engager le lecteur à se mettre en route à la suite du Sauveur, à prendre même le relais de Jean Baptiste dans l’accueil et la proclamation de cette bonne nouvelle. 

Ce qui est intéressant dans la manière de procéder chez Marc, c’est que dès les premières paroles de son évangile, l’identité de Jésus est solennellement dévoilée : «Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, le fils de Dieu.» D’entrée de jeu, Jésus nous est tout d’abord présenté comme le Christ, le Messie, l’Élu de Dieu, le Sauveur tant attendu par Israël. Marc affirme aussi qu’il est le Fils de Dieu. Et c’est là une nouvelle des plus extraordinaire, puisque l’Absolu s’est incarné, Dieu parmi nous, et il porte un visage, celui de Jésus de Nazareth. Voilà ce dont Marc cherche à témoigner tout au long de son évangile.

Toutefois, le dévoilement explicite de l’identité de Jésus se retrouvera surtout à deux moments charnières dans l’évangile de Marc. Tout d’abord, quand Jésus demande à ses apôtres : «Et vous, qui dites-vous que je suis?» L’apôtre Pierre répond : «Tu es le Messie» (8, 29). Jésus est alors reconnu dans sa mission. Quant au deuxième moment de dévoilement, on le retrouve à la fin de l’évangile, dans la bouche du soldat romain au pied de la croix, qui s’exclame alors que Jésus rend son dernier souffle : «Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu» (15, 39). Et c’est la divinité de Jésus qui est reconnue ici. Jésus, Christ et Fils de Dieu! Voilà ce que Marc veut nous transmettre par son évangile.

Voilà pourquoi il nous faut nous mettre en route nous aussi, chausser les sandales de celui qui annonce la Bonne Nouvelle, comme nous y invite le prophète Isaïe, comme le fait Jean-Baptiste. Car avec la venue du Messie, nous sommes appelés à être les témoins des temps nouveaux dans l’histoire de l’humanité. C’est pourquoi Marc choisit comme premier mot de son évangile : «Commencement!» Vous savez qu’un livre majeur de la Bible commence par ce mot. Lequel selon vous?

Il s’agit en effet du livre qui est placé au tout début de la Bible, soit celui de la Genèse, dont la première ligne se lit ainsi : «Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre…» Par son emploi du mot «commencement», l’évangéliste Marc veut bien sûr souligner à la fois la nouveauté de cette venue de Dieu parmi nous, et où nous assistons en quelque sorte à une re-création du monde, un nouveau point de départ pour notre humanité. D’ailleurs, c’est pourquoi la tradition chrétienne a toujours vu dans le Christ le nouvel Adam au seuil de la nouvelle création!

Maintenant, nous voici deux mille ans plus tard et nous pourrions nous demander si le monde a vraiment changé depuis. J’avoue que c’est là une question à laquelle il n’est pas possible de répondre objectivement, sinon de le faire à partir de notre propre expérience de foi. Pour la plupart d’entre nous, il est sans doute difficile d’identifier un avant et un après, de notre foi en Jésus Christ, mais peu importe, car cette foi qui est la nôtre est source de changement en nous, de conversion, d’un bonheur réel, d’une manière unique de nous situer dans l’existence, qui a sûrement un effet transformateur sur le monde et qui prépare l’avènement du Royaume de Dieu. C’est pourquoi le choix des textes bibliques qui nous sont proposés en ce début de l’Avent veut nous rappeler qu’il y a en nous un trésor que l’on ne peut enfouir comme s’il n’appartenait qu’à nous seul.

Sinon, pourquoi souhaiter que davantage de personnes se joignent à nous pour célébrer? Pourquoi des parents et des grands-parents se désolent-ils que leurs enfants ou petits-enfants soient indifférents à la question de Dieu? Après tout, on n’en fait pas une maladie si des proches ne partagent pas notre amour de la musique ou de l’opéra, du bridge ou de la cuisine asiatique. Mais la foi en Jésus Christ, c’est bien autre chose, nous le savon.

Quand Jésus nous invite à nous déclarer pour lui devant les hommes, nous touchons ici à quelque chose de fondamental dans notre vie de foi. C’est pourquoi nous ne sommes pas indifférents quand Dieu est méconnu ou ignoré. Car, nous les premiers, nous sommes les bénéficiaires de cette foi en Dieu qui change notre regard sur le monde, qui fonde nos valeurs et notre amour de la vie, qui donne sens à tous nos efforts et à toutes nos joies. Car il existe en nous une source profonde et limpide où nous puisons l’eau vive et qui s’appelle Dieu. 

Alors, pourquoi faut-il aplanir le chemin qui mène à Dieu? Parce que nous étant abreuvés à cette source intarissable, nous aimerions tellement la partager quand nous voyons tant d’hommes et de femmes s’avancer dans le désert de l’existence en quête d’un lieu où s’abreuver et donner sens à leur vie, alors qu’ils ne savent où trouver. On ne voudrait jamais laisser quelqu’un mourir de soif. C’est pourquoi témoigner du Christ, c’est offrir un peu de cette eau vive. 

Tous les gestes qui parlent du Christ sont porteurs d’une promesse, d’où l’importance de témoigner en aimant sans condition, en pardonnant, en priant et en donnant de nous-mêmes, en partageant avec les autres ce regard de l’âme sur le secret des choses que donne la foi en Jésus Christ. N’est-ce pas ce que font les musiciens, les chanteurs, les danseurs, mais aussi les peintres, les cinéastes et tous les artistes, qui ne cherchent qu’à partager leurs passions et à donner le goût de vivre? 

Frères et sœurs, Dieu fait de nous des artistes en quelque sorte, appelés à témoigner de cette vie qui nous habite, qui nous est si précieuse, qui est la foi en Dieu et qui constitue un véritable re-commencement pour quiconque l’accueille chaque jour de sa vie. Heureux êtes-vous donc si votre foi est votre bien le plus précieux; si vous ne voudriez jamais être séparés du Christ, car alors, n’en doutez pas, déjà votre vie elle-même annonce au monde entier la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, fils de Dieu. 

fr. Yves Bériault, o.p.