Homélie pour le 26e Dimanche (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 9, 38-43

En ce temps-là,
Jean, l’un des Douze, disait à Jésus :
« Maître, nous avons vu quelqu’un
expulser les démons en ton nom ;
nous l’en avons empêché,
car il n’est pas de ceux qui nous suivent. »
Jésus répondit :
« Ne l’en empêchez pas,
car celui qui fait un miracle en mon nom
ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ;
celui qui n’est pas contre nous
est pour nous.
Et celui qui vous donnera un verre d’eau
au nom de votre appartenance au Christ,
amen, je vous le dis,
il ne restera pas sans récompense.


Qu’est-ce que cela signifie pour nous être prophète au nom du Christ? En quoi cela nous concerne-t-il?

Commençons donc par le commencement en reconnaissant tout d’abord qu’il y a un grand désir qui traverse toute la Bible, et qui est déjà énoncé par la bouche de Moïse, au livre des Nombres, et que nous avons entendu dans notre première lecture. En réponse à ceux qui se plaignent que des personnes prophétisent sans y avoir été appelées, Moïse répond : « Ah! puisse tout le peuple de Yahvé être prophète, Yahvé leur donnant son Esprit » (Nb 11, 29). Comme en écho à la réponse de Moïse, Jésus dans l’évangile adopte la même attitude : « Laissez les faire. Qui n’est pas contre nous est avec nous. » Les prophètes dans la Bible sont les porte-parole du désir de Dieu, et leur mission est de faire connaître son rêve pour ses enfants. Il rêve de leur donner son Esprit. 

C’est Joël, l’un des derniers prophètes de l’A.T., qui prophétisait ainsi : « Dans les derniers temps […] je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront, vos anciens auront des songes, vos jeunes gens des visions. Même sur les esclaves, hommes et femmes, en ces jours-là, je répandrai mon Esprit. » (Jl 3, 1-2). 

Ce qui est annoncé par Joël, c’est l’avènement d’un peuple de prophètes, comme en rêvait Moïse. Dans l’histoire d’Israël, seulement quelques individus étaient investis de cette mission. Le prophète était un personnage hors du commun, dont l’Esprit du Seigneur s’emparait pour un temps, afin de se servir de lui pour parler au peuple. Joël, par sa prophétie, confirme la venue des temps nouveaux. Alors que Moïse appelait de tout son coeur ce jour comme inspiré dans l’élan d’une intuition mystérieuse, d’un rêve fou, où il serait possible que tout le peuple devienne prophète, Joël vers l’an 500 av. J.-C., nous amène à l’étape d’une promesse formelle, d’un projet de Dieu en voie de se réaliser. L’événement Jésus Christ sera à la fois le révélateur de ce dessein de Dieu et son accomplissement.

L’expérience chrétienne se situe donc à l’intérieur d’une longue quête spirituelle. Une quête où la grandeur de Dieu dans la tradition mosaïque a toujours été affirmée : un Dieu Tout-Puissant, un Dieu Créateur, mais surtout un Dieu Père, un Dieu d’Amour et de Miséricorde. Les hommes et les femmes de l’A.T. n’ignoraient pas quelle était la nature de leur Dieu. Toute la Bible nous révèle que Dieu est avant tout un être de relation, comme nous. Et s’il pose des êtres hors de lui-même, par son acte de création, c’est pour les ramener à lui, afin de les faire participer pleinement, au terme de leur existence, à ce qu’Il est. Voilà notre destinée.

La grandeur de Dieu, ce qui le rend fascinant, c’est que c’est un Dieu qui veut se faire connaître et qui prend l’initiative, comme s’il avait besoin de se faire connaître. Il nous est difficile de parler de Dieu comme d’un être de besoin, et pourtant, Dieu ne joue pas à « avoir besoin de nous ». Il ne fait pas semblant. Ce que la Révélation nous apprend, du livre de la Genèse jusqu’au dernier livre de la Bible, c’est qu’il est dans la nature même de Dieu de créer et d’appeler sa création à participer à sa gloire. Quand Dieu donne, il ne donne pas à moitié. Quand Dieu appelle à la vie, c’est à une vie en plénitude qu’il appelle. 

Saint-Exupéry, dans son livre Le Petit Prince, fait dire au renard que l’on est responsable de ce que l’on apprivoise. Que dire alors lorsque l’on crée, lorsque l’on donne la vie à des créatures! Dieu s’intéresse passionnément à notre réalité. Il vient s’y insérer avec tout le respect et la tendresse de celui qui aime. Il invite, il n’impose pas. Il invite avec une infinie discrétion à le connaître et à l’aimer. C’est pourquoi survient l’événement Jésus-Christ, et son achèvement, qui est le don de l’Esprit Saint. L’Esprit Saint vient rendre possible en nous le rêve fou de Dieu pour nous, qui est de le connaître et de l’aimer tel que l’a connu et aimé Jésus. 

Mais l’Esprit Saint nous entraîne aussi à poursuivre la mission du Christ, à discerner les lieux, les situations, les personnes à l’endroit desquels il nous demande d’agir en son nom. Et c’est là la dimension prophétique de nos vies de baptisés. La vie dans l’Esprit Saint nous transforme et nous fait voir le monde d’une manière nouvelle. Comme l’écrivait Henri Nouwen : « C’est laisser le feu de l’amour de Jésus faire fondre la glace du ressentiment en nous; c’est créer un espace où la joie remplace la tristesse, où la miséricorde supplante l’amertume, où l’amour déplace la peur, où la douleur et la tendresse surmontent la haine et l’indifférence. » Où la foi déplace les montagnes!

Depuis sa résurrection, le Christ vient réaliser en notre monde ce souhait de Moïse : « Ah! puisse tout le peuple de Dieu être prophète. » Par notre baptême, nous participons à la fonction prophétique de l’Église, et cette action du Christ en son Église en dépasse les structures pour s’étendre au monde entier, partout où il y a des hommes et des femmes de bonne volonté.

Le concile Vatican II l’affirme : « Le Saint-Esprit se manifeste où il veut », car « le Royaume de Dieu est plus vaste que l’Église. » Jean-Paul II lui-même, dans son encyclique Le Rédempteur de l’homme, écrit : « Peut-on dire que l’Église n’est pas seule dans la supplication à l’Esprit Saint? Oui, on peut le dire, écrit-il, parce que le “besoin” de ce qui est spirituel (dans notre monde) est exprimé également par des personnes qui se trouvent hors des frontières visibles de l’Église. »

Et c’est ainsi que se rencontrent des hommes et des femmes de toutes langues, peuples, cultures, religions, animés par ce même Esprit qui est à l’oeuvre en notre monde, et qui fait dire à Jésus : « Laissez les faire. Qui n’est pas contre nous est avec nous. » Ce sont les oeuvres caritatives partout dans le monde au service des enfants, des pauvres et des malades; les ONG, telles que Médecins sans Frontières, Amnistie Internationale; les centres d’accueil pour les itinérants; les organismes en faveur des réfugiés; ce sont aussi les Raoul Follereau et les lépreux; Henri Dunant et la Croix-Rouge; soeur Emmanuel et les chiffonniers du Caire; frère Roger de Taizé; Nelson Mandela et Mgr Tutu; Martin Luther King et Gandhi, et j’en passe et j’en passe… 

Comme il est riche ce trésor de notre humanité. Il s’agit d’une multitude d’hommes et de femmes chez qui nous reconnaissons cette action prophétique du Christ, qui est une oeuvre de guérison, de réconciliation, de justice et de miséricorde, et qui annonce un monde nouveau, le Règne de Dieu à venir, dont l’aube s’est déjà levée le matin de Pâques.

Frères et soeurs, voilà le prophétisme dans lequel nous engage notre suite du Christ. C’est pourquoi nous demandons à Dieu d’être trouvés fidèles et de nous donner la force de répondre aux appels de l’Esprit Saint dans nos vies, afin que s’imprime en nous le visage du Christ, et que l’on puisse dire en nous voyant agir : voilà véritablement ses disciples! Amen.

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le 25e Dimanche (B)

DE QUOI PARLIEZ-VOUS EN CHEMIN?

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 9,30-37.
En ce temps-là, Jésus traversait la Galilée avec ses disciples, et il ne voulait pas qu’on le sache,
car il enseignait ses disciples en leur disant : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. »
Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger.
Ils arrivèrent à Capharnaüm, et, une fois à la maison, Jésus leur demanda : « De quoi discutiez-vous en chemin ? »
Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand.
S’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. »
Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa, et leur dit :
« Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »

COMMENTAIRE

« De quoi discutiez-vous en chemin? » Voilà la question que Jésus nous pose alors que nous nous rassemblons pour faire mémoire du don incroyable que Dieu nous fait en son Fils. Par le simple fait d’être ici réunis, nous proclamons à la face du monde le grand mystère de la mort-résurrection du Christ ainsi que le sérieux de nos vies en tant que disciples. Alors, « de quoi discutiez-vous en chemin », nous demande Jésus? Quelles passions portons-nous pour le monde? Qu’est-ce qui nous inquiète? Qu’est-ce qui nous habite et qui porte l’empreinte même de Jésus et de sa bonne nouvelle?

À travers les plus grands projets que nous pouvons mener, jusqu’aux tâches les plus humbles, nous sommes appelés à être porteurs de l’évangile et du souci de Dieu pour le monde. Et si nous voulons vraiment être fidèles à cette mission, Jésus nous dit : « Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous et le serviteur de tous. »

Tout dans nos sociétés est orienté vers ce but d’être premier, d’être le meilleur, de se surpasser sans cesse. L’évangile nous fait aussi cette invitation, mais il s’agit plutôt de se surpasser dans l’amour, d’être les premiers à porter le fardeau de ceux et celles qui peinent sur les routes de ce monde.

L’enseignement de Jésus est explicite à ce sujet et incontournable : « Quiconque accueille un petit enfant à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille. » En prenant l’exemple de l’enfant, Jésus nous présente non seulement ce qu’il y a de plus faible dans notre monde, mais il va jusqu’à s’identifier à cet enfant. Là où des personnes sont rejetées, méprisées, persécutées, c’est Jésus lui-même qui souffre et qui est victime.

Alors, de quoi discutez-vous en chemin avec vos frères et vos soeurs dans la foi? Car nous sommes tous en route, ensemble, car nous formons l’Église, le Corps du Christ, et nul ne va au ciel tout seul. Comme l’écrivait le poète Péguy : « L’on ne se sauve pas tout seul. Nul ne retourne seul à la maison du Père. L’un donne la main à l’autre. Le pécheur tient la main du saint et le saint tient la main de Jésus. » Voilà une image évocatrice qui vient nous rappeler que nous sommes tous et toutes des « pèlerins de l’absolu » en marche vers le Royaume.

Des pèlerins, voilà ce que nous sommes. Peut-être avez-vous déjà fait cette expérience d’être pèlerin un jour? Si vous avez eu cette chance, vous savez que le pèlerinage est une extraordinaire école pour entrer dans la spiritualité de la route. Je ne parle pas ici de ces pèlerinages où l’autobus nous dépose à un sanctuaire, mais de ceux où il faut se lever de bon matin, prendre la route et marcher, soit seul ou avec d’autres. J’ai eu la chance de vivre cette expérience pendant plusieurs jours, avec des compagnons de route, sac au dos, dans le but de nous rendre dans un monastère ou un sanctuaire.

L’une des premières constatations que l’on fait au cours d’un pèlerinage est de se rendre compte que la route est tout aussi importante que le lieu qui nous attend. Si le but visé a du sens, il en prend surtout un à cause de ce que l’on a souffert pour y arriver, de ce que l’on a partagé avec les autres, à cause du soutien mutuel que l’on s’est prodigué au fil des kilomètres. En fin de compte, le ciel n’a de sens qu’à cause du chemin qui nous y conduit et de Celui qui nous y mène. L’aventure spirituelle, la vie en Église, c’est avant tout un compagnonnage sur les routes du monde.

Quand on termine un pèlerinage, en se levant le premier matin où l’on se retrouve chez soi, on a le sentiment d’avoir acquis une nouvelle habitude. L’on a envie de chausser ses bottes de marche, prendre son sac à dos à nouveau, et s’engager sur la route vers l’inconnu. C’est lors du retour à la maison que l’on comprend le vrai sens du pèlerinage. Il est comme une « parabole en acte » de nos vies, une sorte de mise en scène du quotidien que nous avons à assumer, et qui est d,aller vers l’avant tout au long de nos vies, par-delà les épreuves et les défis.

L’expérience du pèlerinage pour un chrétien ou une chrétienne nous révèle que le vrai chemin où il nous faut engager nos vies est celui de notre quotidien vécu en Église. Ce n’est plus seulement la fin du voyage qui devient importante, mais surtout la vie qui y conduit. Le pèlerinage nous apprend que tous les jours, de bon matin, il nous faut mettre nos souliers de marche, prendre avec nous nos rêves, nos projets et nos peines, et nous engager ensemble sur le chemin que le Christ ouvre devant nous et sur lequel il marche avec nous.

Yves Bériault, o.p.

Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 24e Dimanche (B)

Un jour, une personne m’a demandé ce que les chrétiens faisaient de si exceptionnel? J’avais répondu qu’ils essayaient tout simplement d’assumer le sérieux de leur vie à la lumière de leur foi en Dieu. L’Évangile d’aujourd’hui vient nous rappeler que c’est là une chose exigeante, car être chrétien ce n’est ni une fuite hors du monde, ni une voie de facilité.

Être chrétien, c’est aussi exigeant qu’être un bon père, une bonne mère de famille pour ses enfants. C’est aussi exigeant que d’entourer de soins et de prévenance un proche, ses vieux parents ou un ami malade. C’est aussi exigeant que d’engager sa vie dans la lutte pour la justice, pour les pauvres, pour les blessés de la vie. C’est aussi exigeant que d’avoir le souci de cette planète et de ses ressources. En somme, être chrétien, c’est assumer pleinement cette vie qui est la nôtre sur terre. C’est être bon et fidèle, pacifique et miséricordieux, charitable et honnête. C’est se faire le prochain de ceux et celles qui ont besoin de nous, c’est accepter de donner de soi-même, et ce parfois, jusqu’au don de sa vie. 

C’est à cet achèvement de nos vies que Dieu nous appelle en son Fils, lui qui nous donne la force de nous réaliser en tant qu’enfants de Dieu. La foi est une grâce, un don, mais c’est une grâce qui coûte. C’est ce que l’apôtre Pierre n’a pas encore saisi quand Jésus lui parle de sa passion à venir, et du don qu’il fera de lui-même jusqu’à donner sa vie. Il est facile de proclamer sa foi bien haut et fort, mais la vivre jusqu’au bout, cela fait appel à un courage et à une lucidité que seul Dieu peut nous donner. 

« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, dit Jésus, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. » Cette suite du Christ peut prendre bien des formes dans notre quotidien, mais elle nous demande toujours d’être à l’écoute des signes des temps et des événements. Vous savez, nous accueillons dans nos murs différents organismes, dont une troupe de théâtre. Il s’agit de la compagnie de théâtre Company of Fools qui présente chaque une création autour des textes de Shakespeare que l’on appelle « Shakespeare in the Park ». Les voyant répéter la semaine dernière un souvenir m’est revenu de mes propres expériences théâtrales qui peut nous aider à entrer dans la dynamique de cet évangile. Je vous raconte.

Alors que j’étais responsable d’une troupe de théâtre multidisciplinaire à l’Université de Montréal, une troupe composée de cinquante à soixante-quinze étudiants selon les années, nous avions créé une pièce qui abordait la problématique des réfugiés illégaux au Canada. C’était le choix des étudiants. La pièce mettait en scène un groupe de jeunes en excursion qui faisaient la rencontre en forêt d’un jeune couple d’Amérique centrale en fuite, cherchant refuge dans notre pays. Fallait-il les aider, oui ou non? C’était l’enjeu de la pièce.

La préparation de cette pièce nous avait amenés à méditer l’enseignement de Jésus qui disait à ses disciples : « J’étais étranger et vous m’avez accueilli ». Nous ne nous doutions pas alors jusqu’où cette parole de Jésus nous entraînerait. Pendant la semaine où nous présentions notre spectacle, les médias parlaient abondamment du cas d’une famille de réfugiés somaliens à Montréal qui avait été refoulée par notre gouvernement fédéral vers la ville de Plattsburgh aux États-Unis, et qui était condamnée à être déportée par le gouvernement américains vers la Somalie, là où la guerre sévissait. Et où elle sévit encore.

Notre spectacle était des plus actuel et il connut un bon succès. Tous les membres de la troupe semblaient satisfaits, sauf une comédienne qui demanda à me voir le lendemain de notre dernière représentation. C’était une jeune juive qui s’appelait Esther. Elle se planta bien droit devant moi et me dit d’un ton assuré : « C’est bien de présenter une pièce sur le drame des réfugiés, mais une famille somalienne, du nom des Guelhes, vient d’être déportée aux États-Unis. Tout le monde en parle. Est-ce que notre troupe a l’intention de faire quelque chose après la pièce de théâtre que nous venons de présenter? Ou est-ce que nous faisons seulement du théâtre?» La même question pourrait nous être adressée à nous dans nos assemblées : « Est-ce que nous faisons seulement des prières? »

La famille Guelhes, c’était une jeune somalienne de 21 ans, avec ses deux frères de quatorze et douze ans, qui se retrouvaient complètement laissés à eux-mêmes à la frontière de notre pays. Esther avait raison, il fallait faire quelque chose. Nous nous sommes donc entendus pour réunir les membres de la troupe, et les étudiants acceptèrent avec enthousiasme le défi qu’Esther nous proposait.

Nous avons entrepris une campagne en faveur des Guelhes, sensibilisant familles et amis, approchant des politiciens, les médias, les professeurs de l’école que fréquentaient les deux plus jeunes Somaliens. Nous avons organisé des manifestations, sensibilisé les communautés chrétiennes à la sortie des églises le dimanche, nous avons fait circuler une pétition à l’université, nous avons fait du piston en approchant des personnes influentes que nous pouvions connaître : oncles, tantes, papa, maman, professeurs d’universités, députés… Deux mois plus tard, le gouvernement provincial nous annonçait qu’il donnait enfin son accord et qu’il était prêt à donner le statut d’immigrants reçus aux Guelhes!

Je partis aussitôt pour Plattsburgh afin d’aller les chercher et les amener au consulat canadien de New York afin d’obtenir leurs visas. Trois jours plus tard, nous étions de retour à la frontière canadienne où nous attendaient Esther, une meute de journalistes, ainsi que plusieurs membres de la troupe. Ce soir-là, nous avons fêté cette victoire inespérée à l’école des deux plus jeunes, victoire à travers laquelle notre pièce de théâtre trouvait en quelque sorte son véritable dénouement : une victoire où l’évangile nous avait entraînés beaucoup plus loin que nous ne l’aurions imaginé au moment de monter cette pièce : « J’étais étranger et vous m’avez accueilli. »

Esther nous avait rappelé cette sagesse fondamentale, et dont j’aime bien l’expression anglaise : « To walk the walk, and talk the talk! » Que l’on peut traduire par une expression populaire chez les jeunes d’ici : « Que les bottines suivent les babines ». Ou encore, pour employer un langage un peu plus châtié : De la nécessité d’être congruent avec soi-même.

C’est l’apôtre saint Jacques dans sa lettre qui écrit: « Si quelqu’un prétend avoir la foi, sans la mettre en œuvre, à quoi cela sert-il ? » C’est dans cette dynamique que nous avons été entraînés en ce printemps pas si lointain, alors qu’une jeune juive, un groupe de chrétiens et trois jeunes musulmans vivaient ensemble une page d’évangile. Et c’est ainsi, frères et soeurs, que la suite du Christ nous entraîne sans cesse sur des chemins de traverse inattendus, où nous faisons l’expérience que l’exigence de l’évangile, c’est parfois d’accepter de se laisser surprendre par Dieu. Tous les jours, ce Dieu surprenant frappe à notre porte nous invitant à marcher avec lui, aussi dur que ce soit le chemin. C’est cela aussi prendre sa croix, perdre sa vie au nom de l’Évangile!

fr. Yves Bériault, o.p.

Dominicain. Ordre des prêcheurs