Le papillon d’automne

Ce matin attiré, par le soleil d’automne et le coloris extraordinaire de cette saison en mon pays, j’ai pris mes souliers de marche en direction de la montagne. L’air sentait bon. Feu de bois et feuilles séchés, le tout emporté dans l’air frais du matin. Derniers sursauts d’une saison sur le point de céder la place aux brises qui apportent le froid.

Sur ma route, j’ai croisé un papillon. Événement rarissime pour la saison. Surpris, je l’ai vu s’élever soudainement à ma droite avec une vigueur inhabituelle pour un papillon. Il se débattait dans l’air frais du matin, comme aspiré par cette lumière d’or réfléchie par les feuilles. Ou devrai-je dire, comme inspiré par cette lumière, car il semblait danser avec l’énergie de celui qui sait que le temps est compté. Un petit papillon d’automne, signe d’espérance et de détermination sur la route d’un marcheur solitaire. À sa manière, sans le savoir,  il me parlait de la suite du Christ.

Saisi par la lumière du Christ ressuscité, plus éblouissant qu’un milliard de soleils d’automne, nous allons de-ci de-là, emportés par le souffle de l’Esprit, au gré des événements et des saisons. Les jours qui passent, quand ils baignent dans cette lumière, ne font que raviver la foi de ceux et celles qui croient, car le temps est court et la moisson est grande, très grande ! Tant de défis à relever, tant d’amour à donner et à recevoir.

Il nous faut donc devenir papillon d’automne sur tous ces chemins de par le monde où se trouvent des promeneurs solitaires, qui cherchent un sens à la vie au fil des saisons qui passent. Voilà où nous entraîne l’admirable lumière du Christ : au cœur de la vie ! Apprends donc à danser ta foi là où le souffle de l’Esprit te conduit. Il n’y a pas de plus belle saison dans la vie de celui ou de celle qui croit au Fils de Dieu!

Yves Bériault, o.p.

« La personne qui a une raison de vivre peut supporter presque n’importe quoi. » Viktor Frankl

Viktor FranklViktor Frankl, déporté à Auschwitz, a publié son récit à la sortie des camps en 1946 sous le titre : Un psychiatre déporté témoigne.

Viktor Frankl était un professeur autrichien de neurologie et de psychiatrie, l’inventeur de ce qu’il appellera plus tard, la logothérapie, une approche thérapeutique basée sur la recherche du sens de la vie. Quand les nazis prennent le pouvoir en Autriche, il sabote les ordres reçus, au risque de sa vie, afin de ne pas euthanasier les malades mentaux. En 1942, sa famille est déportée, et il le sera lui-même en 1945 (interné à Auschwitz puis dans d’autres camps). Libéré, il apprend que sa femme est morte d’épuisement à la libération du camp de Bergen-Belsen.

Pour Frankl, il y a chez l’être humain une volonté de sens. Il s’aperçoit que ses patients ne souffrent pas uniquement de frustrations sexuelles (Freud) ou de complexes d’infériorité (Adler), mais aussi d’un « vide existentiel ». C’est son expérience dans les camps de concentration qui l’amènera à approfondir cette intuition.

Le grand principe qu’il dégage de son expérience est que « la personne qui a une raison de vivre peut supporter presque n’importe quoi. » Pour Frankl, la vie n’est pas avant tout une quête du plaisir, comme l’enseignait Freud, ou une quête du pouvoir comme le pensait Adler, mais une quête de sens. La plus grande tâche pour une personne est de trouver un sens à sa vie. Frankl voyait trois sources possibles où une personne pouvait trouver ce sens à sa vie :

1. Dans le travail, par l’engagement dans une œuvre signifiante et fondamentale;
2. Dans l’amour, soit l’amour d’une autre personne ou l’amour de Dieu;
3. Dans le courage, dans la volonté de faire face à l’adversité;

Pour Frankl, le fait que certaines personnes aient survécu aux sévices et conditions de vie des camps de concentration, alors que d’autres se sont laissées mourir, est la preuve que si l’on ne peut contrôler ce qui nous arrive dans la vie, une personne peut toujours décider du comment elle réagira face à ce qui lui arrive. Frankl en arrive au constat que la vie a un sens et que c’est là la tâche de toute personne de faire cette découverte dans sa vie, quelles que soient les circonstances.

C’est le rabbin Harold S. Kushner qui écrit dans la préface du livre de Frankl :

« Nous avons appris à connaître l’Homme tel qu’il est. Après tout, l’homme est celui qui a inventé les chambres à gaz à Auschwitz; cependant, il est aussi celui qui est entré dans ces chambres à gaz, avec la prière du Seigneur ou le Shema Israël sur ses lèvres ».

Il y a un moment-clé dans l’expérience de Viktor Frankl qui l’amène à sa profonde intuition. Alors qu’il se décourage de plus en plus devant les conditions de vie qui sont les siennes, il se met à penser à sa femme, qui est elle aussi à Auschwitz, mais qu’il ne peut voir. La pensée de celle-ci le soutien et le ravive, au point où il devient convaincu que son amour pour elle, même s’il ne sait si elle est encore vivante, sera sa force pour traverser l’épreuve d’Auschwitz. Car, selon Frankl, l’amour va plus loin que le simple attachement à la personne aimée. L’amour prend racine dans notre être spirituel. Nous sommes faits pour aimer. C’est là notre vocation ultime, c’est dans l’amour que l’être humain manifeste toute sa valeur et sa dignité. Ce qui fait dire à Frankl que l’amour est aussi fort que la mort.

C’est pourquoi l’amour est le bien le plus grand et le plus élevé auquel une personne puisse aspirer. Selon Frankl : « Le salut de l’Homme se fait dans l’amour et par l’amour. » Quand une personne est saisie par l’amour, elle peut surmonter toutes les épreuves, même quand elle est impuissante à s’en sortir par elle-même, même quand la personne aimée n’est plus de ce monde. Une personne décédée ou Dieu lui-même peuvent être l’objet de cet amour.

Cette quête de sens à la vie vient aussi donner un sens à la souffrance, selon Frankl. Elle fait irrémédiablement partie de la vie, comme le destin et la mort, et ce serait nier la vie que de vouloir en occulter la souffrance. Sans la souffrance et la mort, la vie humaine ne saurait être complète selon Frankl. Il y a là un tout, et notre vocation humaine est de tout assumer en découvrant le sens de notre vie.

Têtu comme un polygonium

Sommes‑nous les derniers des chrétiens? Nous sommes certainement les derniers de tout un style de christianisme. Nous ne sommes pas les derniers des chrétiens. (…)

Il existe, dans la flore de Saint Pierre et Miquelon où je suis né, une plante dont tout le monde là‑bas connaît le nom latin au singulier comme au pluriel, un polygonium, des polygonia. Pourquoi? Parce que c’est une plante étrange. Bel arbuste ornemental, aux larges feuilles d’un vert très tendre et aux tiges d’un rouge proche de celui de Vlaminck, il joue un important rôle écologique: certains oiseaux des rivages y font leur nid, les insectes l’habitent, les petits rongeurs logent dans ses racines. Mais voilà: c’est une plante têtue. Si vous avez planté un polygonium dans votre jardin ou votre cour, jamais vous ne pourrez vous en débarrasser. Vous aurez beau le déraciner en allant jusqu’à la plus extrême des radicelles, verser du poison, trois ou quatre ans plus tard vous verrez une timide pousse réapparaître au beau milieu de votre framboisier ou entre les pavés de votre cour. Il suffit d’un infime morceau de rhizome demeuré en terre pour que tout repousse. S’interrogeant sur cette vitalité, les spécialistes parlent d’une secrète connivence avec le sol qui est purifié et enrichi par les sels minéraux dont regorgent les racines du polygonium, et qui semble tout faire pour favoriser sa survie.

Quand je pense à l’avenir de l’Église je pense aux polygonia de mon enfance. Cent fois je les ai vus arrachés; cent fois j’ai entendu les jardiniers se dire l’un à l’autre par‑dessus leurs clôtures « je suis venu à bout de mon polygonium »; cent fois j’ai cueilli des framboises ou des groseilles là où j’allais autrefois admirer les araignées tissant leur toile; mais… cent fois j’ai constaté que le polygonium resurgissait. La terre de mon île, pauvre et balayée par les vents de l’Atlantique qui la malmènent, a comme fait alliance avec lui parce qu’elle refuse de devenir un sol stérile.

Ainsi dans le plus profond de son désir l’humanité a fait alliance avec l’Évangile. Arrachez‑le, il repoussera un jour, alors que vous ne vous y attendiez plus. Car l’humanité refusera toujours d’être sans Espérance…

(J.‑M.R. TILLARD, o.p., « Sommes‑nous les derniers des chrétiens? », conférence donnée au Collège Dominicain de Philosophie et de Théologie d’Ottawa, le 25 novembre 1995.) 

Le mystère « Église »

Pour vivre en chrétien, il ne suffit pas de croire en Dieu, ni de croire que Jésus est le Fils de Dieu. Bien sûr, c’est déjà extraordinaire, mais la foi nous entraîne encore plus loin, sur des terrains encore plus exigeants où la foi se vit dans la rencontre des autres. C’est comme l’amour. Pour vivre l’amour, il ne suffit pas d’y tomber, « de tomber en amour », mais il faut savoir y rester! C’est pourquoi l’expérience de la foi s’enracine dans le temps, dans la durée, dans la persévérance avec les autres.

La foi chrétienne nous engage dans une longue suite de témoins, dans une communion qui traverse le temps et qui nous unit dans ce qu’on appelle l’Église, qui est l’assemblée des croyants en Jésus-Christ. Et cet aspect de la foi n’est pas facile à vivre, car souvent l’Église donne l’image d’une sorte de vaisseau amiral lourd et malhabile, avec son cortège de dogmes, de traditions, de structures d’autorité, de morale…

Au début de ma démarche de foi, je puis dire que j’ai livré un combat avec l’Église, un combat qui refait surface à l’occasion, car elle me séduisait en même temps qu’elle me faisait peur. J’étais fasciné par son histoire, par ses récits héroïques d’hommes et de femmes donnant des témoignages de vie et d’engagements des plus impressionnants. Ces témoins m’ont profondément marqué, et avec eux j’ai mieux compris la grandeur de cette vie en Église. J’étais émerveillé aussi, et je le suis toujours, par l’universalité de l’Église.

C’était toujours une fête pour moi que de rencontrer des chrétiens et des chrétiennes venus d’ailleurs, de d’autres continents, et portant en eux-mêmes cette même joie de croire au Christ que moi. Je trouvais là une confirmation que la vie spirituelle dépasse les questions de langues, de cultures, de races et de frontières. Dieu se donne à tous, de la même manière que le soleil brille pour tout le monde où que l’on soit sur la planète. Par ailleurs, dans mon expérience de l’Église, j’ai été surpris, parfois déçu, par son côté plus souvent humain que spirituel. J’ai connu à la fois des pasteurs et des évêques admirables, d’une simplicité et d’une sainteté désarmantes.

J’ai connu et je connais des chrétiens et des chrétiennes dont j’envie le don de soi et la générosité à toute épreuve. Et tout comme vous, j’ai été blessé, scandalisé parfois par les mesquineries qui peuvent exister entre chrétiens, par des comportements qui ne sont pas dignes de l’Évangile. Souvent, ceux et celles qu’il faut bien appeler nos frères et soeurs dans la foi, d’ici ou d’ailleurs, nous font souffrir. Comme vous, les scandales qui parfois ébranlent l’Église me blessent.

Je n’aime pas que l’on défigure le Christ, que des hommes et encore moins des gens qui se disent chrétiens, exploitent les pauvres et les opprimés; que des dictatures se revêtent de la bénédiction d’autorités ecclésiales dans certains pays; que des chrétiens prônent le racisme, la purification ethnique, qu’ils mènent des guerres de conquête… Et ce n’est que la pointe de l’iceberg des forces du mal avec lesquelles sans cesse l’Église est aux prises dans son combat pour faire triompher l’amour de Dieu.

Elle ne gagne pas toujours puisque ce sont des hommes comme vous et moi qui la composent. Bien sûr, il serait tentant de vouloir séparer le bon grain de l’ivraie, faire de l’Église un refuge de purs, mais le Christ lui-même y a renoncé… C’est pourquoi en dépit de ses forces et de ses faiblesses, mon expérience de foi m’a amené à aimer l’Église, à voir au-delà des apparences. Car j’aime cette communion des disciples du Christ qui, avec leurs forces et leurs pauvretés, veulent vivre de la bonne nouvelle de Jésus Christ.

C’est Paul VI qui disait que celui qui n’aime pas l’Église n’aime pas le Christ, car le Christ s’est livré pour elle. Il a voulu qu’elle soit, avec Lui, donnée pour le monde, qu’elle soit la servante du monde, elle qui est bien plus que la somme de nos forces, de nos talents et de nos faiblesses.

Le noyau de la foi selon Benoît XVI

« Il faut se rappeler que depuis les tout premiers temps du christianisme apparaît un « noyau » permanent et irréductible de la catéchèse, donc de la formation à la foi… Tout l’exposé sur la foi est organisé autour de quatre éléments fondamentaux : le Credo, le Pater noster, le Décalogue et les Sacrements. Telle est la base de la vie du chrétien, telle est la synthèse de l’enseignement de l’Église fondé sur l’Écriture et la Tradition.Le chrétien y trouve ce qu’il doit croire (le Symbole ou le Credo), espérer (le Pater noster), faire (le décalogue), et l’espace vital dans lequel tout cela doit s’accomplir (les Sacrements). Or, dans trop de catéchèses actuelles, cette structure fondamentale est abandonnée avec les résultats que l’on sait : une désagrégation du sensus fidei chez les nouvelles générations, souvent incapables d’une vision d’ensemble de leur religion. »

Source : Ratzinger, J. Messori, V. Entretien sur la foi. Fayard, 1985. p. 83-84.

La difficulté de croire

Marc Donzé, le biographe de Maurice Zundel, un prêtre suisse, grand spirituel du XXe siècle, disait ceci à son sujet : « Il voudrait pouvoir parler de Dieu, à pas de silence et de respect, au coeur de ce qui importe le plus à l’homme. Il voudrait pouvoir dire sans violence, mais en prenant chaque homme par la main, que Dieu est l’accomplissement de l’homme. » (Donzé, Marc. La pauvreté comme don de soi. Cerf/Saint-Augustin,1997. pp. 36-37).

La foi ne s’impose pas, elle ne se démontre pas. Elle échappe aux raisonnements logiques qui en donnerait une preuve définitive. La foi, on ne peut ni la donner, ni la prêter, ni la transmettre comme un bien qui nous appartiendrait. On peut tout au plus en parler, en témoigner et surtout en vivre. En vivre, ce sera de l’insérer au plus intime de nos journées, de nos faits et de nos gestes. Y puiser force et courage, goûter à cette joie secrète de celui qui accueille en sa vie la présence de Dieu. Pour nous chrétiens et chrétiennes, c’est cela vivre notre en Jésus-Christ.

Quand je suis appelé à parler de la foi, je ne puis m’empêcher d’en parler comme si je m’adressais à des curieux de la foi, à des distants, à des personnes qui ignorent même tout de la personne du Christ. Car le danger nous guette toujours, nous les croyants, de surestimer le chemin parcouru depuis que nous avons commencé à croire. L’homme aime bien domestiquer son existence, l’enfermer dans un monde de sécurité et d’habitudes. Et parfois il agit ainsi avec Dieu. Il en fait son bien, sa chose, au point de ne plus vraiment avoir besoin de lui. Dieu devient une commodité que l’on range dans le grenier de nos surplus.

D’autre part, même si nous pensons accorder une juste place à Dieu dans nos vies, je suis convaincu qu’il nous faut toujours entendre parler de la foi avec la ferveur des amoureux lorsqu’ils entendent parler de l’amour. Car parler de la foi en Dieu c’est toucher à la fibre la plus intime et la plus personnelle de notre existence, au-delà de toutes nos amitiés, de tous nos amours. Comme le dit Maurice Zundel : « Dieu est l’accomplissement de l’homme » et l’enjeu qui se cache derrière l’expérience de la foi est celui de la réalisation même de mon être en tant que personne. Nous sommes donc loin ici de définitions abstraites, de doctrines, de choses à retenir. Quand nous abordons en Église la question de la foi, nous parlons avant tout de notre bonheur.

Quand on aborde la question de la foi nous sommes souvent renvoyés par les non-croyants aux nombreux scandales qui entoure les religions, toutes espèces confondues. Au nom de la religion des hommes et des femmes exploitent, dominent, excluent et tuent leurs semblables. La religion est vécu par certains comme un pouvoir, une vérité qu’il faut imposer aux autres ou encore au nom de laquelle il faut exclure les autres, quitte à les exterminer. Toutes les religions ont connu ces excès et encore aujourd’hui nous sommes témoins d’actes intolérances commis au nom de la différence religieuse. Certains voient là la preuve que les religions ne servent à rien et par le fait même ils trouvent là la justification leur permettant de disqualifier tout discours sur Dieu.

Par ailleurs, si l’on veut aborder sérieusement la question de l’intolérance, de l’exclusion ou de l’anéantissement pur et simple de l’autre, il faut être honnête et se rappeler que le XXe siècle, entre tous les siècles, a connu les pires des guerres, utilisant des armes de destructions massives; il faut aussi se rappeler que le XXe siècle a connu les pires mouvements d’exclusion et d’extermination sous divers régimes athées : le communisme en Union Soviétique et en Chine, le nazisme en Allemagne, les Khmers Rouge dans le Kamputchéa de Pol Pot (Cambodge), les massacres raciaux il y a seize ans au Rwanda… Dans aucun de ces cas la religion n’a joué un rôle. « L’homme est un loup pour l’homme », dit le dicton, et son instinct de violence et de domination s’affirme partout là où il exerce son emprise, même au nom de la religion. Les grandes religions, en dépit de leurs messages de paix et de concorde, peuvent aussi tomber entre les mains de mercenaires, et alors l’on confond le message et le messager.

Mais est-ce là une raison pour évacuer Dieu de notre horizon? Alors il faudrait non seulement cesser de croire mais aussi cesser d’aimer, car il y a tellement de crimes commis au nom de l’amour qu’il faudrait tenir tout attachement à un autre comme suspect, sinon dangereux. Ne pourrait-on pas trouver dans toutes ces violences quotidiennes que traversent de nombreux couples et familles la justification au bannissement de l’amour dans nos sociétés. Ainsi on pourrait lire sur des panneaux : « Interdiction d’aimer car l’amour ne conduit qu’à la violence ». « L’amour opium du peuple! » N’est-ce pas là le raisonnement que font ceux et celles qui mettent Dieu en-dehors de leur vie à cause des excès commis au nom de la religion.

Plus fondamentalement, la raison pour laquelle Dieu est ignoré par tant de personnes ne réside pas dans une explication unique mais, en même temps, elles se rejoignent toutes. Ainsi certains ressemblent aux Athéniens dont parle l’Apôtre Paul, et qui n’ont jamais vraiment entendu parler de lui. D’autres n’en ressentent tout simplement pas le besoin. Ils semblent satisfaits de n’avoir aucune explication au sens de la vie. Tandis que d’autres encore refusent de croire parce que l’idée d’un Dieu créateur leur semble absurde. Ils ont l’impression que croire en Dieu veut dire perdre son autonomie, sa liberté. Ils se font des représentations assez fragmentaires de la foi, pour ne pas dire caricaturales, d’où leur refus de croire. Mais dans tous ces cas Dieu est méconnu. Comme le disait sainte Marguerite : « L’amour n’est pas aimé. » La source même de nos vies est ignorée. Mais le mystère est tellement immense, tellement incroyable que l’on peut comprendre qu’il soit si difficile de croire.

Dieu et le barbier

Un homme entra dans un salon pour se faire couper les cheveux et tailler la barbe. Avec le barbier, il discuta de sujets nombreux et variés. Soudain, ils abordèrent celui de Dieu. Le barbier dit : « Écoute, je ne crois pas que Dieu existe, comme tu le dis. – Pourquoi donc? continua le client.
– C’est évident. Tu n’as qu’à sortir dans la rue pour comprendre. Dis-moi, si Dieu existait, y aurait-il tant de gens malades? Y aurait-il tant d’enfants abandonnés? Si Dieu existait vraiment, il n’y aurait ni souffrance ni peine. Comment Dieu pourrait-il permettre tout ça?  »

Le client réfléchit et ne répondit rien. Lorsque le barbier termina son travail, le client sortit. Aussitôt, sur la rue, il vit un homme aux cheveux longs et à la barbe négligée. Le client retourna alors au salon et dit au barbier :  » Tu sais quoi? Les barbiers n’existent pas.

– Comment ça, les barbiers n’existent pas? demanda le barbier, amusé. Ne suis-je pas ici et ne suis-je pas un barbier moi-même?
– Non! s’écria le client. Ils n’existent pas parce que s’ils existaient, il n’y aurait pas des gens avec des cheveux longs et une barbe négligée, comme cet homme qui marche dans la rue.
– Les barbiers existent. Mais ce qui arrive, c’est que les gens ne viennent pas à moi.
– Exactement! affirma le client. Dieu existe. Mais comme les gens ne vont pas vers LUI, il y a dans le monde beaucoup de souffrances et de peines.

Lettre à Dieu

Parce que tu as aimé cette terre Seigneur, voilà qui me donne d’espérer quand je sens ma foi vacillante. À voir vivre tes enfants rieurs, comment ne pas sentir la tendresse de ton regard posé tout doucement sur chacun d’eux. Tu es là ! Je le crois. Et je devine ta joie, car c’est ma joie. Et je connais ta peine lorsqu’ils souffrent, car c’est la mienne, et elle ne peut venir que de Toi.

Et du plus profond de mon impuissance, monte en moi cet appel à les consoler avec toi ! À prendre avec toi ce poids de douleur qui accable notre terre jusqu’à plus soif. Mais je te découvre plus pauvre que moi. Plus pauvre que moi dans ta toute-puissance. Et ton amour n’en finit plus d’attendre les deux mains clouées sur le bois. Qui donc prendra sur lui le poids de ta croix? Faut-il être entré dans ta gloire pour mesurer le poids infini de ta souffrance et trouver la force de l’assumer avec toi?

Pourquoi te cacher derrière ce silence qui enveloppe l’univers, comme si, sur le point de parler, tu retenais ton souffle, l’espace d’un instant. Un instant d’éternité où l’Homme attend les yeux tournés vers le Ciel…

Pourtant, tout dans l’univers ne s’écrie-t-il pas :  » Gloire! Des astres créés, aux rires des enfants. Contemplez Celui qui vient! Celui qui Est! Contemplez! Il est là, aux portes du monde, et vous êtes chez Lui. L’univers est son jardin et l’Homme, un promeneur solitaire qui cherche son chemin. N’entendez-vous pas sa voix?  »

Et l’Homme, reste là, hébété au cœur du jardin, soûlé par le poids de sa vie, ne sachant plus où regarder quand tout, autour de lui, l’appel vers Toi. Nous aurais-tu donc créés aveugles?

Pourtant, un jour, mes yeux ont vu. C’était de nuit. C’est bien connu, tous les saints le disent, tu ne viens que de nuit. Tu es venu vers moi parce que je t’avais appelé, je t’avais supplié… Il y a de çà longtemps, et c’est maintenant, tellement le souvenir en est vivace. Ton Nom alors s’est gravé en ma mémoire, en moi qui ne suis rien, une passion inutile d’après certains. Tu es venu au cœur de ma faiblesse et de ma peur. Tu as dit les mots qui seuls pouvaient me relever : j’étais aimé de toi!

fr. Yves Bériault, o.p.

Avance ton doigt ici, et vois mes mains (Jn 20, 27)

Il a touché l’homme, il a reconnu Dieu.Mais, en approchant sa main, Thomas peut pleinement compléter sa foi. Quelle est, en effet, la plénitude de la foi ? De ne pas croire que le Christ est seulement homme, de ne pas croire non plus que le Christ est seulement Dieu, mais de croire qu’il est homme et Dieu. ï Telle est la plénitude de la foi. Ainsi le disciple auquel son Sauveur donnait à toucher les membres de son corps et ses cicatrices s’écrie : « Mon Seigneur et mon Dieu. » Tu as déclaré : si je ne touche pas, si je ne mets pas mon doigt, je ne croirai pas. Viens, touche, mets ton doigt et ne sois plus incrédule, mais fidèle. Je connaissais tes blessures, j’ai gardé pour toi ma cicatrice.Thomas n’était-il pas un des disciples, un homme de la foule pour ainsi dire ? Ses frères lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur. »

Et lui : « Si je ne touche pas, si je ne mets pas mon doigt dans son côté, je ne croirai pas. »

Les évangélistes t’apportent la nouvelle, et toi tu ne crois pas ? Le monde a cru et le disciple n’a pas cru ?
Leurs paroles se sont répandues, elles sont parvenues jusqu’aux confins du monde et le monde entier a cru… et lui ne croit pas. Il n’était pas encore devenu ce Jour qu’a fait le Seigneur. Qu’il vienne donc, lui qui est le point du Jour, qu’il vienne et qu’il dise avec patience, avec douceur, sans colère, lui qui guérit : Viens, viens, touche ceci et crois.

Saint Augustin

Déjà vendredi

Déjà vendredi et je n’ai rien écrit de la semaine… Plusieurs projets qui mijotent et qui laissent peu de temps au temps. Hier soir, c’était le groupe biblique, un groupe que j’anime depuis septembre dernier et où je m’émerveille toujours devant la foi des gens. Une foi simple, entière et tenace, qui ne se paye pas de mots ou de formules. Qui est! tout simplement. Qui endure, qui assume sans avoir toutes les réponses. C’est une foi têtue, qui espère parfois contre toute espérance, et qui est belle à voir.

C’est ma grâce que d’être le témoin de la foi des gens et qui chaque fois me fait dire: « Oh! Comme j’aimerais donner la foi si c’était en mon pouvoir! » Un peu comme l’on donne de son sang à la Croix-Rouge. Il me reste mon désir et ma prière. Et Dieu, bien sûr, qui s’arrange avec tout cela.

Et pourquoi ne pas finir la semaine avec ce beau texte de Charles Péguy:

La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance.
La foi ça ne m’étonne pas
Ce n’est pas étonnant. J’éclate tellement dans la création.
Dans le soleil et dans la lune et dans les étoiles.
Dans toutes mes créatures.
Dans les astres du firmament et dans les poissons de la mer.
Dans l’univers de mes créatures…
La charité, dit Dieu, ça ne m’étonne pas.

Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne
Moi-même.
ça, c’est étonnant

La Foi est une épouse fidèle
La Charité est une mère…
L’espérance est une petite fille de rien du tout…
C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes,
Cette petite fille de rien du tout.

Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus.

(Le Porche du Mystère de la Deuxième Vertu)

La foi en Dieu est-elle nécessaire?

Une amie avec qui je corresponds se demande si la foi est vraiment nécessaire, puisqu’elle a une amie non-croyante qui est bien meilleure et dévouée que bien des chrétiens qu’elle connaît.Ce que je réponds à cette objection: Imaginons ce qui arriverait si cette personne découvrait Jésus Christ et son Évangile? Si elle goûtait à la vie spirituelle que nous donnent la prière, les sacrements, notre appartenance à l’Église et à une communauté chrétienne? La foi en Jésus est pleine de grâces de toutes sortes à cause de son Esprit qui habite en nous. C’est cela le plus (+) que les incroyants ignorent. Eux aussi sont appelés à connaître Dieu, car cela fait une différence fondamentale dans une vie. D’ailleurs, c’est là le but ultime de la vie.

Dieu nous a créés bons, sans même que nous croyions en lui, puisque nous sommes faits non seulement par amour, mais d’amour. C’est Catherine de Sienne dans son Dialogue, au chapitre 51, qui écrit : « L’âme ne peut vivre sans amour, mais toujours veut aimer quelque chose, parce qu’elle est faite d’amour, car par amour je l’ai créée ». Et l’ultime expérience de l’amour c’est de connaître Dieu.

Une personne serait-elle bonne, même sans avoir la foi, elle ne peut en rester là. Elle est appelée à devenir encore meilleure, à réaliser pleinement sa vocation humaine, qui est de nous ouvrir à la présence de Dieu en nous, de le connaître comme Jésus l’a connu. Pour vivre cela, il faut la foi! Qu’importe qu’une personne soit déjà bonne, elle ne pourra qu’être meilleure avec la foi. Elle aura en elle une joie et une paix beaucoup plus grande que ce qu’elle pourrait connaître maintenant. C’est même incomparable! La vie aura alors un véritable sens, une véritable direction.

Surtout, je dirais que cette personne ne sera plus orpheline. Elle saura enfin que le créateur de ce monde est Dieu, qu’il est son Père, et qu’il est venu parmi nous en la personne de son Fils Jésus Christ, qui lui, nous a laissé ses enseignements et le don de son Esprit Saint. C’est là le grand cadeau de la foi. La foi ne peut que nous transformer et nous rendre meilleurs et fondamentalement heureux.

Le saut dans l’inconnu

Un correspondant me demande : « Pourquoi certaines personnes n’ont-elles pas le don de la foi? » La question comporte déjà sa propre réponse. Il s’agit bel et bien d’un don et l’homme est bien impuissant à se donner la foi. Je parle de la foi qui fait vivre et aimer, celle qui nous dépasse. La foi chrétienne affirme que Dieu ne fait pas de distinction entre les personnes. Toutes sont appelées à le connaître et à l’aimer. Dieu n’est pas chiche et il n’a pas de préférés. Ou s’il en a, comme nous le voyons dans les évangiles, ce sont toujours ceux et celles qui sont les plus loin de lui.

Jésus montre une attention toute particulière pour les pauvres et les exclus, pour ceux et celles que l’on considère perdus. Mais la démarche de foi implique un saut dans l’inconnu. Tous ne le vivent pas ainsi. Certaines personnes semblent être tombées dans le « bénitier » dès leur tendre enfance et la foi ne semble jamais leur avoir fait défaut.

D’autres doivent chercher de manière plus laborieuse et je ne doute pas que ce soit parce que Dieu les attend ailleurs. Non pas que Dieu se refuse à eux, mais parfois notre histoire personnelle nous a fait fermer la porte à Dieu. Mais comme le dit Jésus au livre de l’Apocalypse : « Je me tiens à la porte et je frappe, celui qui m’ouvrira, je prendrai mon repas avec lui et lui avec moi. » Ailleurs dans les évangiles Jésus dit : « Frappez et l’on vous ouvrira, demandez et vous recevrez. »

Le don de la foi et la plus belle demande qu’une personne puisse faire, car la foi illumine tout notre existence et lui donne une direction assurée. Et c’est ici qu’intervient la notion de l’amour. Car la foi, c’est vouloir entrer dans l’amour de Dieu. C’est accepter de se laisser aimer par lui, de remettre entre ses mains toute notre vie, tous nos espoirs, nos peines et nos projets. Il y a là une dimension de confiance. Si quelqu’un veut croire en Dieu, il doit tout d’abord lui faire confiance, le prier et lui demander cette foi. La quémander! C’est cela le saut dans l’inconnu, mais dont on ne revient jamais les mains vides.

La foi populaire

De passage à Montréal, je suis allé à l’Oratoire Saint-Joseph. Un sanctuaire gigantesque, sans grande beauté, mais où affluent des millions de personnes chaque année, chacune avec son petit bagage de demandes, de souffrances ou de curiosité. Il y avait là une jeune femme au pied de cette grande croix dans la chapelle de la crypte.Le corpus sur la croix fait près de deux mètres et lorsque l’on se tient devant cette croix, il faut lever les mains au-dessus de sa tête afin de toucher les pieds du Christ. Les pèlerins qui viennent poser ce geste de dévotion sont tellement nombreux qu’il n’y a plus aucune couleur sur les pieds de ce Christ en croix, elles ont toutes été effacées par les touchers successifs de tous ces pèlerins venant exprimer leur amour et leur supplication.

Cette jeune femme aux longs cheveux noirs est restée de longues minutes en prière au pied de cette croix, la tête appuyée sur le bois, tenant fermement les pieds de Jésus. Un spectacle émouvant, où je me sentais un peu voyeur devant cette foi qui s’affichait ouvertement et sans honte. En même temps que je l’observais, je l’admirais et je l’enviais. J’enviais cette prière de confiance amoureuse, cette prière suppliante, comme si elle était seule au monde avec Jésus en croix, et je me disais : « Voilà la vraie prière! », celle qui donne tout, où l’opinion des autres ne nous atteint plus, où l’on se donne tout entier au Christ.

Certains se moquent de cette foi populaire ou en parlent avec complaisance, le regard attendrit, mais tout en laissant entendre que la cause est déjà jugée. Le mépris des pauvres sera toujours une tentation en Église, et pourtant n’est-ce pas leur prière qui seule est capable de toucher le coeur de Dieu? N’est pas là ce que Jésus est venu nous enseigner. Il faut savoir se tenir avec lui au pied de la croix, comme le font les pauvres, et ne pas avoir honte d’avoir besoin de lui. C’est avec cette leçon que j’ai quitté ce haut lieu de prière qu’est l’Oratoire Saint-Joseph.

Sans le savoir, cette jeune femme aux longs cheveux noirs a rendu témoignage au Christ. Il faut prier pour elle et porter avec elle sa prière. « Vois Seigneur comme elle t’aime, et comme elle a confiance en toi. »

Dieu en question

Un prêtre lors d’un repas lance ceci à propos de Dieu : « parfois on se demande ce que fait le type d’en haut! » Ce prêtre voulait ainsi exprimer sa déception devant l’état du monde, tout en blâmant Dieu pour cette situation. Combien de chrétiens et de chrétiennes réagissent ainsi. Et la question qui me vient spontanément à l’esprit est la suivante : mais en quel Dieu croyez-vous au juste?

Le déficit d’incompréhension à l’endroit de la providence de Dieu est directement proportionnel à notre incompréhension vis-à-vis l’état précaire de notre condition humaine. Ce que nous ne parvenons pas à assimiler c’est à la fois la tragédie de notre condition mortelle, avec tout son cortège de souffrances et de calamités, et la toute-puissance de Dieu. Pourquoi sa force ne vient-elle pas contrebalancer notre état de faiblesse, nous demandons-nous?

Le combat de Dieu en notre faveur se situe à un autre niveau. Nous sommes enfermés par le péché dans un cycle infernal que notre condition humaine nous oblige à assumer jusqu’à notre dernier souffle. C’est le mystère du Mal. Nous sommes dans la dèche, mais Dieu vient nous sauver. Il nous appelle à entrer dans son éternité, dans son amour insondable, et pour y arriver il nous envoie son Fils.

Jésus est venu nous apprendre à vivre pleinement notre condition humaine, bien que cela ne nous dispense pas de la souffrance et de la mort. Il y a là un passage obligé qui n’est pas voulu par Dieu, mais dont il veut nous sauver. Grâce au Christ notre vie est marquée à jamais de l’empreinte divine, du don de l’Esprit Saint. Avec lui nous apprenons à durer et à grandir dans ces combats quotidiens où la mort cherche à l’emporter sur la vie. Avec lui nous sommes vainqueurs, même si les épreuves de la vie demeurent entières et ne s’évanouissent pas comme par enchantement de notre horizon terrestre.

Grâce au Christ nous savons que la vie triomphera. C’est cette victoire que nous revendiquons à Pâques et à chaque eucharistie, victoire qui nous sera donnée définitivement lors du retour du Christ. Telle est notre foi. Avec le Christ nous apprenons à obéir au Père, à dire avec lui: « Père, que ta volonté soit faite », et nous devenons peu à peu des intimes de la vie trinitaire, des intimes de l’amour qui bat en son cœur. Elle est là l’action de Dieu en notre faveur, le miracle de Dieu dans nos vies, et non dans la suspension des lois de la nature.

Le chrétien ne croit pas en un Dieu magicien, un « deus ex machina« . Il croit en un Dieu Père, dont il ne devrait jamais douter de la sagesse dans la conduite du monde, du moins s’il a foi en lui. C’est le simple bon sens.

Le bonheur est dans le pré

« Je ne perds pas confiance en Dieu et je n’attends ni miracle, ni solution magique. Avec humour, je dirais que j’essaie simplement d’être plus patient que Dieu. Peut-être va-t-il céder le premier et ouvrir le chemin devant moi de guerre lasse! »

Voilà ce que j’écrivais à une amie il y a quelques jours. Un peu d’humour, mais beaucoup de vérité. À mon corps défendant parfois, je dois reconnaître que plus nous configurons notre existence au temps de Dieu et plus nous entrons dans une relation de confiance et d’abandon qui nous rend capables de tout supporter, car alors il ne reste plus que l’amour.

Il y a des situations dans la vie où l’on a le sentiment de ressembler à ce bétail dans les prés, qui regarde passer le train au loin, impassible. Le cortège de wagons s’en va vers un autre ailleurs, bien loin vers un pays imaginaire, alors que l’on reste là sur place.

Il arrive que la foi soit mise à rude épreuve au coeur de cette attente. Il faut alors s’accrocher et mettre son espérance dans Celui qui est le Dieu de toute espérance. Je pense ici à saint Dominique, dont on dit qu’il avait « planté dans le ciel l’ancre de son espérance ». J’aimerais bien vivre ma foi ainsi.

Je me souviens de l’un de mes professeurs de théologie, lors du cours sur la vertu théologale de l’espérance, et qui insistait beaucoup pour dire que notre foi reposait sur une « espérance de certitude ». Comme le rappelle saint Paul, « l’espérance ne trompe pas, car l’amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rom. 5, 5).

Il ne s’agit pas de pensée magique, ni de se concocter un happy-ending hollywoodien. Non! Mais quand on a la foi en Dieu, il faut l’avoir jusqu’au bout, même si nos rêves restent parfois en plan au bord de la route. Une porte se ferme, Dieu ouvre une fenêtre. Le moine ruminant que je suis se doit de croire que le bonheur est dans le pré, dans ces pâturages où le Seigneur nous mène au gré des âges de la vie, au début d’un été à peine né.

Pourquoi je crois

Un correspondant m’écrit ce qui suit: « Il faudrait que, de temps à autres, Dieu répète les miracles qu’on relate dans le nouveau testament. Je crois en Lui (je pense) mais, en même temps, j’ai un gros doute. Je crains que tout ce qu’on se dit ne soit que des mots, répétés afin de se conforter face au néant. »

J’ai souvent souhaité pouvoir donner ma foi comme l’on donne de son sang car, pour reprendre une exclamation de Jean-Paul II lors d’une homélie: « Comment cacher la joie qui nous habite ». Nous voulons partager cette joie avec tous, mais souvent les mots sont traîtres: ils dénaturent notre pensée, le message ne passe pas, sans parler de notre manque d’exemplarité qui vient souvent contredire le témoignage que nous sommes appelés à donner.

De plus, la foi est tellement personnelle que les mots ne sont que des phares qui éclairent faiblement la route devant soi. Mais il faut oser s’avancer, seul, avec le désir de connaître Dieu.

Quant à moi, les éléments déterminants qui m’assurent que ma foi n’est pas qu’un réconfort face au néant sont les suivants:

1. Il y a tout d’abord l’expérience bien personnelle de l’amour de Dieu dans ma vie, d’un sentiment intime de sa présence qui me nourrit dans mes engagements et dans mon sens à la vie depuis des années sans jamais défaillir. Voilà bien un miracle dont je suis le premier bénéficiaire et dont je suis témoin. Inexplicable!

2. La foi en Dieu est aussi une source de joie et de paix, d’une plénitude qui trouve sa confirmation dans la vie des autres chrétiens. Il y a entre nous cette espèce de reconnaissance qui nous dit que nous puisons à la même source, et cette source nous fait vivre, elle devient notre bien le plus précieux. L’autre nous renvoit à nous-mêmes.

3. Enfin, bien que l’énumération que je fais est bien partielle, il y a l’exemple, la profondeur et la richesse des vies de ceux et celles qui sont marqués par le Christ. Je veux parler ici des saints et des saintes d’aujourd’hui et d’hier. Je reconnais en eux le même dynamisme de vie, le même appel, qui semble à l’œuvre dans ma vie, et chaque fois cela vient me confirmer combien il est vrai et combien il est grand cet amour de Dieu pour nous, qu’il a la force de transformer une vie. Le témoignage de leur vie me fait m’exclamer à chaque fois: « C’est donc vrai! »

Voilà. Je pense convaincre personne, car ce ne sont que des mots. Il faut vous approcher vous mêmes de Dieu, même dans la nuit, et crier vers lui. Après tout, on l’appelle le « bon » Dieu. Allez! N’ayez pas peur.

Visite chez mon dentiste

Tout est prêt. Le ronron discret et menaçant de la technologie, la musique d’ambiance et le patient résigné que je suis. Contre mauvaise fortune bon coeur!

L’on incline ma chaise au point où je suis pratiquement couché à l’horizontale. Au plafond, astuce de dentiste me dis-je, il y a un grand poster sur lequel on aperçoit une flotte de petites embarcations entourant un grand voilier magnifique. Le tout vu à vol d’oiseau. Tous les petits voiliers et les hors-bords convergent vers le grand voilier, sur fond de mer bleu corail. Me voilà fasciné! Je vois dans cette photo comme une allégorie de la vie, de la quête de l’absolu…

Entre alors dans mon champ de vision le regard attentif de mon dentiste. Un regard intelligent, soucieux et bienveillant penché sur moi. Un regard tout entier consacré à cette dent qu’il faut sauver.

Et si Dieu se penchait ainsi sur nous? Une présence qui se manifesterait à travers l’autre. Et voilà qui me relance sur cette grande question de la proximité à l’autre qu’évoque Jésus dans son Évangile.

L’autre est marqué de l’empreinte de Dieu. Non pas qu’il soit Dieu, mais il possède en partage ce qui marque l’être même de Dieu : l’intelligence, l’amour, la compassion. Ces qualités Dieu en fait don à l’Homme, au point où elles deviennent liées intimement à son être. En l’autre, je puis contempler quelque chose de Dieu.
L’autre me devient précieux à cause de ce qu’il est, aimable pour ce qu’il est, car Dieu le rend digne d’amour, sujet de mon émerveillement. Tout comme l’on se saisit d’admiration devant la plus belle des fleurs. Comment l’expliquer? Sinon que la fleur est investie de beauté et que la beauté est la nourriture même de l’âme. Oui, je sais, les fleurs ne sont pas toutes belles, et pourtant dans toutes les fleurs s’exprime le génie du Créateur. Elles sont toutes une pensée de Dieu, du pissenlit au cactus!

C’est Maurice Zundel qui écrit dans une homélie pour le premier dimanche de l’Avent: « Dans les autres, il y a l’Autre et c’est parce que dans les autres le destin de Dieu est engagé, c’est parce qu’il est mis en question par chaque décision de la volonté, c’est à cause de cela que le prochain nous est confié, c’est à cause de cela que nous avons la charge des autres, parce qu’en eux nous avons la charge de l’Autre ». Mystérieusement je me sens l’objet de ce mystère assis sur la chaise de mon dentiste.

Je quitte la clinique un peu plus léger. Je n’ai vraiment rien ressenti cette fois-ci.

« Il vit et il crut! »

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En relisant le récit de la course passionnée de Pierre et de Jean vers le tombeau vide, comment ne pas voir dans leur sillage les souvenirs enchevêtrés de ces trois années d’itinérance passées avec Jésus. Comme il était grand leur espoir! Trois années nourries des rêves les plus fous… et puis la mort tragique, la fin brutale de celui qu’ils aimaient. Et quoi maintenant? Quelle est cette nouvelle? Le souffle se fait haletant, mais le pied, lui, reste ferme. Et si c’était vrai? Ils n’osent y croire. À bout de souffle, le regard inquiet, les voici au tombeau, le plus jeune devançant le plus vieux. Le commentaire est stupéfiant par sa brièveté : « Il vit et il crut! »

Et nous voilà projetés hors du tableau, 2009 et quelques poussières… Et cette image de Pierre et de Jean, le matin de Pâques, métaphore de notre vie de foi, continue d’habiter la mémoire de tous ceux et celles qui, un soir ou un matin, se sont retrouvés étonnés, devant un tombeau vide. Le tombeau vide de leurs doutes et de leurs craintes; le tombeau vide de leur impuissance, de leur manque de foi. Un tombeau à la porte ouverte, irradiant la lumière matinale, sa béance pleine d’une présence, le regard intérieur s’allumant soudainement à l’expérience de foi : « Il vit et il crut! »

La foi au Christ ressuscité, avant d’être de l’ordre du croire, est avant tout de l’ordre du voir. C’est la reconnaissance d’une présence intérieure, une présence d’amour infinie devant laquelle la foi se prosterne et adore : « Il vit et il crut! »

C’est l’amour qui croit! C’est le regard aimant de Jésus Christ posé sur nous, qui nous attire vers lui. Et cet appel intérieur, du plus profond de nous-mêmes, se fait pressant, comme pour nous dire : « Vous pensiez avoir enterré tous vos espoirs. Mais regardez, c’est plein de vie dedans. » Parole de Ressuscité!

Ingrid Bétancourt

L’image est saisissante. À peine descendue de l’avion qui venait de l’arracher à l’enfer de la guérilla, Ingrid Betancourt s’est agenouillée, avec sa mère et les autres otages, pour prier quelques instants sur le tarmac de l’aéroport de Bogota. Revêtu d’une aube blanche, un prêtre était sur place pour accueillir les rescapés et les bénir.

« Je veux d’abord rendre grâce à Dieu et aux soldats de Colombie », répétait-elle, quelques minutes plus tôt, remerciant pour « leurs prières » tous ceux qui ont pensé à elle. « C’est un miracle », lançait-elle encore, débordante d’énergie. Cette foi inébranlable, qu’on avait déjà pu percevoir par divers témoignages ces derniers mois, a sans aucun doute aidé à sa survie pendant ces six longues années et quatre mois de captivité.

Dans une longue lettre rendue publique en décembre dernier, elle confiait que, dans le dénuement, « la Bible » était son « unique luxe ». « Ici rien n’est à soi, rien ne dure », écrivait-elle. « Chaque jour, je suis en communication avec Dieu, Jésus et la Vierge (…). Ici, tout a deux visages, la joie vient puis la douleur. La joie est triste. L’amour apaise et ouvre de nouvelles blessures… c’est vivre et mourir à nouveau. »

Jeudi 3 juillet, elle a eu quelques mots pour ses anciens ravisseurs. « J’ai vu le commandant, qui pendant tant d’années a été responsable de nous, et qui en même temps a été si cruel avec nous. Je l’ai vu au sol, les yeux bandés. Ne croyez pas que j’étais joyeuse, j’ai senti de la pitié pour lui, parce qu’il faut respecter la vie des autres, même s’ils sont vos ennemis. »

Source : Journal La Croix

Dieu caché

Parce que tu as aimé cette terre Seigneur,
voilà qui me donne d’espérer
quand je sens ma foi vaciller.

À voir vivre tes enfants rieurs,
comment ne pas sentir
la tendresse de ton regard
posé tout doucement sur chacun ‘eux.

Tu es là ! Je le crois.

Et je devine ta joie, car c’est ma joie.
Et je connais ta peine lorsqu’ils souffrent,
car c’est la mienne
et elle ne peut venir que de Toi.

Et du plus profond de mon impuissance
monte en moi cet appel à les consoler avec Toi !
À prendre avec Toi ce poids de douleur
qui accable notre terre jusqu’à plus soif.

Mais je te découvre plus pauvre que moi.
Plus pauvre que moi dans ta toute-puissance.
Et ton amour n’en finit plus d’attendre
les deux mains clouées sur le bois.

Qui donc prendra sur lui le poids de ta croix?
Faut-il être entré dans ta gloire
pour mesurer le poids infini de ta souffrance
et trouver la force de l’assumer avec Toi?

Pourquoi te cacher derrière ce silence
qui enveloppe l’univers,
comme si, sur le point de parler,
tu retenais ton souffle, l’espace d’un instant.

Un instant d’éternité où l’Homme attend
les yeux tournés vers le ciel…

Pourtant, tout dans l’univers ne s’écrie-t-il pas: Gloire!
Des astres créés, aux rires des enfants:
« Contemplez Celui qui vient!
Celui qui Est! Contemplez!
Il est là, aux portes du monde,
et vous êtes chez Lui.

L’univers est son jardin et l’Homme,
un promeneur solitaire
qui cherche son chemin.
N’entendez-vous pas sa voix? »
Et l’Homme, reste-là, hébété,
au coeur du jardin,
soûlé par le poids de sa vie,
ne sachant plus où regarder,
quand tout autour de lui l’appelle vers Toi.

Nous aurais-tu donc créés aveugles ?

Yves Bériault, o.p.