L’Annonciation à la Vierge Marie

L'Annonciation à la Vierge Marie

L’Archange Gabriel et la Vierge Marie

Osez espérer! Le printemps est arrivé!

Imperceptiblement, la vie se fraie un chemin au coeur du long hiver qui s’achève. Nous le savons, et c’est même une certitude, la vie est plus forte que tout. Plus forte que ces glaces qui nous emmurent, plus forte que ce froid qui trop souvent nous paralyse. Cette expérience des saisons dans notre pays nordique est à la fois  exigeante et exaltante. De la canicule de juillet aux bancs de neige de janvier, des vergers  fleuris aux érablières flamboyantes de nos automnes, la vie s’offre à nous comme un immense livre à colorier. La nature se fait pédagogue et elle enseigne à ses enfants à lire les signes des temps. Imperceptiblement, elle renouvelle sans cesse notre regard sur le monde que nous habitons. A quiconque sait tendre l’oreille, comme un chant séculaire, elle murmure ces paroles qui sont au coeur même de l’acte de création : Osez espérer ! 

Il y a plusieurs années, la communauté chrétienne de l’Annonciation à laquelle j’appartenais avait accueilli deux familles de réfugiés cambodgiens. J’étais allé chercher l’une de ces familles en plein mois de janvier, les ramenant de leur « hôtel refuge » de Montréal à ma petite vallée des Laurentides. Pour la première fois, ils voyaient nos vastes forêts et je lisais une pointe d’inquiétude dans leurs yeux. Le père, devant le regard insistant de sa femme, osa enfin me questionner. Il  me demanda ce qui avait bien pu arriver aux arbres pour qu’ils soient tous morts. Je lui expliquai alors que nos arbres perdaient toutes leurs feuilles en automne pour s’endormir dans un profond sommeil. Mais le printemps venu, je l’assurai qu’ils retrouveraient leur vitalité et leurs feuilles. Cette explication sembla le satisfaire et nous poursuivîmes notre route jusqu’à l’Annonciation. Après les affres de la guerre au Cambodge, une nouvelle vie commençait pour cette famille. Les mois passèrent, et l’été venu mes nouveaux amis m’avouèrent, mi-amusés, mi-confus, qu’ils n’avaient pas vraiment cru en mon explication au sujet des arbres. Ce n’est qu’en expérimentant eux même cette réalité complexe, et combien mystérieuse de nos saisons, qu’ils purent comprendre à leur tour ce que signifie cette attente du renouveau au coeur de la vie. Chaque année maintenant ils entendent eux aussi cet appel des saisons qui leur dit: Osez espérer !

La  fête de Pâques, n’est-elle pas le lieu par excellence où les chrétiens et les chrétiennes enracinent leur espérance, au-delà des saisons  qui passent. Nous espérons parce que Dieu a cru en nous. Parce que dans un élan d’amour sans égal, Il nous a donné son Fils en partage. Nous espérons parce que Jésus a vaincu la mort et que sa vie s’offre à nous comme un printemps toujours renouvelé. Osez espérer ! C’est le printemps! 

Yves Bériault, o.p.

En la fête de saint Patrick

04b-st-patrickMoi Patrick
J’avance sur ma route
Avec la force de Dieu comme appui
La puissance de Dieu pour me protéger
La sagesse de Dieu pour me diriger
L’oeill de Dieu pour me guider
L’oreille de Dieu témoin de mon langage

Que la parole de Dieu soit sur mes lèvres
Que la main de Dieu me garde
Que le chemin qui mène à Dieu
s’étende devant moi
Que le bouclier de Dieu me protège
que l’armée invisible de Dieu me sauve
De toute embûche du démon
De tout vice qui pourrait me réduire en esclavage
Et de tous ceux qui me veulent du mal
Au cours de mon rapide ou long voyage
Seul ou avec la multitude
Que le Christ sur ma route
Me garde
Afin qu’une moisson fructueuse
Puisse accompagner ma mission

Christ devant moi, derrière moi
Christ sous moi, sur moi
Christ en moi et à mes côtés
Christ autour et alentour
Christ à ma gauche et Christ à ma droite
Christ avec moi le matin et avec moi le soir
Christ dans chaque coeur qui pensera à moi
Christ sur chaque lèvre qui parlera de moi
Christ dans chaque regard qui se posera sur moi
Christ dans chaque oreille qui m’écoutera…

Sur ma route…
Me conduisant vers le roi d’Irlande
et sa colère
J’invoque le pouvoir de la Trinité Sainte
Par ma foi dans le Père.
Et en Dieu Créateur.

Saint Patrick d’Irlande

La Transfiguration du Seigneur

Deuxième dimanche du Carême. Année A

metamorfosis

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 17,1-9. 

Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l’écart, sur une haute montagne. 
Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière.
Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui.
Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. »
Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre ; et, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon amour ; écoutez-le ! »
Entendant cela, les disciples tombèrent la face contre terre et furent saisis d’une grande frayeur.
Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et n’ayez pas peur ! »
Levant les yeux, ils ne virent plus que lui, Jésus seul.
En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »

COMMENTAIRE

C’est le théologien Karl Rahner qui dit de Jésus qu’il est « la parole ultime de Dieu et la plus belle. » Le récit de la Transfiguration met cette affirmation en évidence comme aucun autre récit évangélique. Aucune des manifestations de Jésus après sa résurrection n’atteint une telle intensité, un tel éblouissement. Aussi, il n’est pas surprenant que la Transfiguration soit l’un des événements les plus commenté du Nouveau Testament avec la passion et la résurrection du Christ.

Même s’il ne parle pas de l’épisode de la Transfiguration, l’évangéliste Jean y fait sans doute référence quand il écrit : « Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité; et nous avons contemplé sa gloire » (Jean 1:14). Ailleurs, dans sa première épître, Jean écrira encore : « ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie… nous vous l’annonçons. » Comment ne pas voir là un rappel de ce que ce disciple a vécu avec Jésus.

L’apôtre Pierre lui, dans sa deuxième épître, fait explicitement référence à l’événement de la Transfiguration en affirmant avec emphase : nous l’avons « vu de nos yeux dans tout son éclat… Et cette voix, nous-mêmes nous l’avons entendue venant du ciel quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. »

Par ailleurs, les évangélistes peinent à trouver les mots pour nous décrire ce qui s’est réellement passé sur la montagne. Luc, Matthieu et Marc ne trouvent pas de meilleur comparaison que celle d’une « lumière éclatante » pour parler de la Transfiguration. Saint Luc raconte que le visage de Jésus « devint autre, et ses vêtements d’une blancheur fulgurante. » « Son visage resplendit comme le soleil », écrit saint Matthieu. Saint Marc lui, nous dit que ses vêtements devinrent resplendissants, très blancs, comme aucun foulon sur terre ne peut blanchir de la sorte. » Les évangélistes et les témoins de la Transfiguration de Jésus sont à court de mots pour tenter de décrire l’indicible, l’insaisissable. Mais ce qui est certain, c’est que la Transfiguration est la manifestation de la divinité du Christ, de sa gloire tenue cachée et, pour un instant, dévoilée devant les yeux stupéfaits des trois apôtres.

Mais que vient faire ce récit, au coeur de ce Carême, dans notre montée vers Jérusalem? Il est bon de se rappeler que la Transfiguration de Jésus survient après la première annonce de sa passion. Les disciples sont effrayés. Ils ne comprennent pas et, surtout, ils n’acceptent pas l’éventualité de la fin tragique de leur maître. C’est alors que Jésus amène avec lui trois de ses disciples et leur donne de contempler sa gloire de Fils de Dieu avec Moïse et Élie, les grands témoins de la foi d’Israël.

Certains commentateurs ont vu dans la Transfiguration une démarche pédagogique de la part de Jésus afin de préparer les disciples à l’éventualité de sa mort, et ainsi leur redonner courage devant l’épreuve à venir. Mais il faut bien reconnaître que cela n’a pas suffit. Comme les autres Apôtres, Pierre, Jacques et Jean vont abandonner Jésus devant le spectacle insoutenable de sa crucifixion, confrontés au souvenir de celui-là même qu’ils ont vu transfiguré, et qui est maintenant défiguré sous leurs yeux, méprisé, livré à l’hostilité de la foule. Il faudra que le Christ ressuscite et que sa gloire les enveloppent à nouveau de sa présence pour que ces disciples trouvent le courage de le suivre, et ce, jusqu’au don même de leur vie. C’est donc après la résurrection que l’événement de la Transfiguration va dévoiler tout son sens.

Les Apôtres se rappelleront que lors de la montée de Jésus à Jérusalem, sa vie était en parfaite communion avec le Père, sa gloire et sa passion ne pouvant être dissociés l’une de l’autre. Il s’agit d’un même mouvement chez Jésus. C’est à la lumière de ce mystère incroyable, que saint Paul pourra encourager son fidèle Timothée à prendre sa part de souffrance pour l’annonce de l’Évangile. Car la passion du Christ ne peut s’arrêter avec sa mort en croix. Elle se poursuit pour tous ceux et celles qui mettent leur foi en lui et qui ont cette conviction que la bonne nouvelle de l’Évangile est le seul chemin proposé à notre humanité dans sa quête du bonheur.

Le récit de la Transfiguration en ce deuxième dimanche du Carême, vient nous rappeler à la fois la grandeur, mais aussi l’exigence de notre foi en Jésus-Christ. Non seulement il nous dévoile sa divinité; non seulement il nous donne d’entendre la voix du Père, mais il nous engage à marcher courageusement avec lui dans un monde qui cherche toujours à le crucifier. Allons-nous partir nous aussi quand les vents contraires semblent menacer l’Église? Est-ce que notre foi est capable de contempler le Christ aujourd’hui alors qu’il est souvent rejeté?

Faut-il le rappeler, nous n’avons pas mis notre foi dans des fables sophistiquées, comme l’affirme l’Apôtre Pierre. Nous le savons, il n’est pas facile de rester au pied de la croix de Jésus quand la foule se moque de lui. Et pourtant, c’est cette croix elle-même qui nous incite à croire et qui vient authentifier la foi des premiers disciples. Car, comment penser que les évangélistes aient pu inventer une telle histoire, qui ne pouvait que les humilier et les discréditer, et qui aurait dû même empêcher la naissance du christianisme? Ils ont voulu rapporter les faits, aussi improbables qu’ils étaient, tels qu’ils les ont vécus, soit la victoire glorieuse du Christ alors qu’il était crucifié au coeur de la mort.

Dans le récit de la Transfiguration, l’apôtre Pierre, ce cher Pierre, veut s’arrêter sur cette montagne en y plantant trois tentes, perdu qu’il est dans la contemplation de cette vision merveilleuse du Père avec le Fils. Mais Jésus nous invite à redescendre dans la plaine avec lui. C’est pourquoi la figure d’Abraham nous est proposée comme modèle en ce dimanche, lui qui quitte son pays et qui part dans la foi vers l’inconnu à la demande de Dieu, et qui se voit promettre une postérité aussi nombreuse que le sable de la mer. Tout semble contredire les promesses de Dieu dans la vie d’Abraham, et pourtant il avance dans la foi et la confiance. C’est à cette audace que nous sommes invités en ce dimanche de la Transfiguration.

Frères et soeurs, aujourd’hui encore, le Christ s’offre à notre contemplation, en nous rassemblant tout comme les Apôtres Pierre, Jacques et Jean, afin de nous partager sa vie dans cette eucharistie que nous célébrons. C’est la grâce qui nous est faite de pouvoir nous arrêter avec lui sur ce sommet de notre foi, et d’être les témoins éblouis de la gloire de Dieu. Au terme de notre célébration, nous pourrons retourner dans la plaine de nos occupations et de nos engagements, sûrs de sa présence et de sa force au coeur de nos vies. Amen.

Yves Bériault, o.p.

Les plus beaux gestes du pape François

La prière est la lumière de l’âme (Homélie du Ve siècle)

Le bien suprême, c’est la prière, l’entretien familier avec Dieu. Elle est communication avec Dieu et union avec lui. De même que les yeux du corps sont éclairés quand ils voient la lumière, ainsi l’âme tendue vers Dieu est illuminée par son inexprimable lumière. La prière n’est donc pas l’effet d’une attitude extérieure, mais elle vient du cœur. Elle ne se limite pas à des heures ou à des moments déterminés, mais elle déploie son activité sans relâche, nuit et jour.En effet, il ne convient pas seulement que la pensée se porte rapidement vers Dieu lorsqu’elle s’applique à la prière ; il faut aussi, même lorsqu’elle est absorbée par d’autres occupations — comme le soin des pauvres ou d’autres soucis de bienfaisance —, y mêler le désir et le souvenir de Dieu, afin que tout demeure comme une nourriture très savoureuse, assaisonnée par l’amour de Dieu, à offrir au Seigneur de l’univers. Et nous pouvons en retirer un grand avantage, tout au long de notre vie, si nous y consacrons une bonne part de notre temps.La prière est la lumière de l’âme, la vraie connaissance de Dieu, la médiatrice entre Dieu et les hommes.

Par elle, l’âme s’élève vers le ciel, et embrasse Dieu dans une étreinte inexprimable ; assoiffée du lait divin, comme un nourrisson, elle crie avec larmes vers sa mère. Elle exprime ses volontés profondes et elle reçoit des présents qui dépassent toute la nature visible.

Car la prière se présente comme une puissante ambassadrice, elle réjouit, elle apaise l’âme.

Lorsque je parle de prière, ne t’imagine pas qu’il s’agisse de paroles. Elle est un élan vers Dieu, un amour indicible qui ne vient pas des hommes et dont l’Apôtre parle ainsi : Nous ne savons pas prier comme il faut, mais l’Esprit lui-même intervient pour nous par des cris inexprimables.

Une telle prière, si Dieu en fait la grâce à quelqu’un, est pour lui une richesse inaliénable, un aliment céleste qui rassasie l’âme. Celui qui l’a goûté est saisi pour le Seigneur d’un désir éternel, comme d’un feu dévorant qui embrase son cœur.

Lorsque tu la pratiques dans sa pureté originelle, orne ta maison de douceur et d’humilité, illumine-la par la justice ; orne-la de bonnes actions comme d’un revêtement précieux ; décore ta maison, au lieu de pierres de taille et de mosaïques, par la foi et la patience. Au-dessus de tout cela, place la prière au sommet de l’édifice pour porter ta maison à son achèvement. Ainsi tu te prépareras pour le Seigneur comme une demeure parfaite. Tu pourras l’y accueillir comme dans un palais royal et resplendissant, toi qui, par la grâce, le possède déjà dans le temple de ton âme.

Mercredi des Cendres : Entrons en Carême

En entrant en Carême, nous sommes invités à aller au désert. Ce désert pour le peuple hébreu va devenir le lieu de l’épreuve et de la tentation, mais avant tout le lieu de la présence de Dieu. Un temps de passage où Dieu accompagne, nourrit, désaltère, conduit. Le désert est un lieu où l’on vit l’expérience de se situer devant Dieu comme seul guide, c’est le temps de la confiance et de la fidélité, c’est un retour à l’essentiel.

Entrer au désert, c’est se rappeler chaque année que l’essence même de la vie de foi se vit dans une sorte d’abandon entre les mains de Dieu, dans cette attitude du Fils, qu’est Jésus, et qui se laisse conduire par l’Esprit Saint. Ce désert évoque aussi la tentation, la présence de forces adverses en nous qui veulent nous faire renoncer à notre vie d’enfant de Dieu. Et souvent nous tombons, nous cédons… C’est pourquoi le désert est aussi une expérience de conversion, un appel à renoncer à nos façons de faire qui sont parfois un refus de l’amour de Dieu et un refus de l’autre.

Le Carême est un appel à la conversion, mais avons-nous besoin de conversion? Nous convertir de quoi? Tant que nous n’aurons pas saisi l’enjeu de cette conversion, nos prières, nos célébrations, nos eucharisties demeureront stériles. Si la grâce de Dieu nous est donnée, il faut coopérer à la grâce afin d’être des signes lumineux dans le monde. Un incroyant disait à Henri Grouès, l’abbé Pierre : « Monsieur le curé, je ne sais pas si le Bon Dieu existe, mais je suis sûr que s’il existe il est ce que vous faites ».

Mais l’on se sent tellement démuni devant ce monde qui constamment nous glisse entre les mains, comme un enfant turbulent que l’on voudrait retenir, mais qui nous échappe constamment, et qui est capable du meilleur et du pire. Non pas que l’homme soit mauvais, mais il y a la contagion du mal, comme il y a la contagion de l’amour.

Non pas que nous soyons méchants, mais nous aussi, nous laissons parfois dominer le mal sur nos vies. À petite échelle, ça semble avoir bien peu de conséquences. Petite parole désobligeante, envie et jalousie, un certain plaisir à s’en prendre à des personnes parce qu’elles ne nous plaisent pas. Un petit geste malhonnête, surtout quand c’est le gouvernement. Refuser de pardonner, alimenter la haine… une foule de petits massacres en puissance que l’on sème sur notre passage, tandis que les enfants épient nos paroles et nos gestes. Et l’on a pas besoin de conversion me dites-vous ! « Revenez à moi de tout votre cœur », nous dit le Seigneur. (Joël 2, 12).

Homélie pour le huitième dimanche du temps ordinaire. Année A.

« Ne vous inquiétez pas du lendemain! »

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 6,24-34. 
Comme les disciples s’étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait : « Aucun homme ne peut servir deux maîtres : ou bien il détestera l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent.
C’est pourquoi je vous dis : Ne vous faites pas tant de souci pour votre vie, au sujet de la nourriture, ni pour votre corps, au sujet des vêtements. La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ?
Regardez les oiseaux du ciel : ils ne font ni semailles ni moisson, ils ne font pas de réserves dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ?
D’ailleurs, qui d’entre vous, à force de souci, peut prolonger tant soit peu son existence ?
Et au sujet des vêtements, pourquoi se faire tant de souci ? Observez comment poussent les lis des champs : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas.
Or je vous dis que Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’était pas habillé comme l’un d’eux.
Si Dieu habille ainsi l’herbe des champs, qui est là aujourd’hui, et qui demain sera jetée au feu, ne fera-t-il pas bien davantage pour vous, hommes de peu de foi ?
Ne vous faites donc pas tant de souci ; ne dites pas : ‘Qu’allons-nous manger ? ‘ ou bien : ‘Qu’allons-nous boire ? ‘ ou encore : ‘Avec quoi nous habiller ? ‘
Tout cela, les païens le recherchent. Mais votre Père céleste sait que vous en avez besoin.
Cherchez d’abord son Royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus le marché.
Ne vous faites pas tant de souci pour demain : demain se souciera de lui-même ; à chaque jour suffit sa peine.

COMMENTAIRE

Il est bon de se rappeler que les textes de l’Ancien Testament sont les témoins de la longue pérégrination d’un peuple à la recherche d’une terre et de son identité. Un peuple esclave qui découvre à travers ses sages et ses prophètes les promesses inouïes d’un Dieu qui se présente à lui non seulement comme son protecteur, mais aussi comme son créateur, le Dieu unique, le seul vrai Dieu.

Alors que les dieux des peuples environnants demandent des sacrifices humains, Israël découvre le visage d’un Dieu qui aime son peuple comme une mère aime son enfant et qui jamais ne saurait l’oublier. Israël fait l’expérience que sa vie, son existence même, est entre les mains de Dieu, qu’Il veille sur lui comme sur son bien le plus précieux. « Même si une femme pouvait en arriver à oublier son enfant, dit le Seigneur, moi je ne t’oublierai jamais. »

Le texte d’Isaïe que nous avons entendu dans la première lecture, survient pendant l’exil à Babylone, bien des années après la destruction du Temple et le saccage de Jérusalem en l’an 587 avant Jésus Christ. Le peuple est en exil depuis près de cinquante ans. La lignée royale a disparu, ainsi que les premières générations qui avaient été envoyées en exil. Les années passent. Certains se demandent ce qu’il restera de la foi au Dieu vivant dans la Babylone des idoles où Israël a été déporté ? Qu’en est-il des promesses de Dieu, se demandent-ils ? Et où est-il ce Dieu ? C’est dans ce contexte que le prophète Isaïe, rappelle la fidélité de Dieu à son peuple et l’assure de son amour indéfectible.

En écho à cette promesse, le psalmiste répond par cette prière confiante : « Je n’ai de repos qu’en Dieu seul, mon salut vient de lui. Lui seul est mon rocher, mon salut, ma citadelle : je suis inébranlable… Comptez sur lui en tout temps, vous, le peuple. » C’est sur cet arrière-fond de la foi d’Israël que la liturgie nous propose de comprendre l’enseignement de Jésus aujourd’hui quand il nous dit : « Ne vous faites donc pas tant de soucis ». Mettez votre confiance en Dieu. N’ayez pas peur du lendemain.

Cet enseignement de Jésus va à l’encontre des réflexes les plus élémentaires chez les hommes et les femmes de ce monde. La crainte, la peur, le repli défensif, sont souvent des réflexes de survie. La prudence n’est-elle pas le début de la sagesse ? Comment survivre et préparer l’avenir si l’on vit de manière insouciante ? En quoi est-ce que l’inquiétude et la peur du lendemain peuvent-ils être mauvais pour nous ?

Car nous connaissons tous l’épreuve, le deuil, la maladie, la peine, la peur, la souffrance. Ce sont là des obstacles inévitables dans nos vies. Il ne faudrait donc pas s’en inquiéter quand ils surviennent ?

Jésus, lui, nous enseigne que l’inquiétude constante du lendemain est contre-productive, car nous ne laissons plus Dieu être Dieu dans nos vies. La foi est supplantée par la peur et le doute qui nous submergent, au point d’étouffer la vie en nous. Jésus nous rappelle avec sagesse que nos vies sont entre les mains de Dieu, et que l’on ne peut allonger d’une seul journée sa vie en s’inquiétant.

Mais à quoi Jésus nous invite-t-il véritablement ? À l’insouciance ? À vivre comme des Roger-bon-temps ? Comme des personnes qui ne voient jamais venir les difficultés ou les épreuves ?

On le sait, Jésus est le maître du paradoxe, et souvent il nous déstabilise avec ses exemples, afin de nous provoquer et ainsi nous amener plus loin dans notre réflexion. En fait, dans son enseignement aujourd’hui, Jésus nous invite à vivre dans la confiance en Dieu, ce qui est le contraire d’un optimisme béat. Jésus nous dit de ne pas avoir peur d’espérer, car Dieu est notre Père, il est bon et il nous aime. C’est sur ce fondement solide qu’il nous invite à asseoir nos vies.

Jésus nous invite à convertir notre regard, et à demander au Seigneur de guérir notre coeur malade d’inquiétude, afin que nous puissions véritablement nous reposer en Dieu. Afin que nous puissions vivre nos vies en sachant que la vie éternelle est à nous, que Dieu marche avec nous sur cette terre, comme notre ami le plus proche et le plus cher, et que nous sommes en sécurité entre ses mains. Pourquoi alors laisser les inquiétudes nous désespérer? Rappelez-vous qui vous êtes, nous dit Jésus, et combien vous avez du prix aux yeux de Dieu! On ne peut avoir un coeur divisé. Si l’on a confiance en Dieu, il faut l’avoir jusqu’au bout et tout lui remettre de nos vies.

Car les inquiétudes sont trompeuses, comme la mort elle-même qui cherche à nous faire croire qu’il ne reste plus rien de l’être aimé. Comme vous le savez, j’ai perdu ma mère, il y a trois semaines. Elle avait 96 ans. Elle m’appelait encore « mon petit gars ». Il m’est difficile de réaliser qu’elle n’est plus là. Et, par ailleurs, je sens toujours sa présence dans l’absence. Comme celle de l’être aimé parti en voyage et dont on vit du souvenir. Il est absent bien sûr, mais jamais loin du coeur. C’est là que l’on touche au grand mystère de la vie à la lumière de notre foi. C’est à cette foi et à cette confiance que Jésus nous convie quand nous sommes confrontés à l’épreuve et à la peur du lendemain.

Il nous appelle à entrer dans le grand mystère de la vie, qui est plus fort que toutes nos morts, malgré les apparences, malgré les menaces, les lendemains incertains, malgré les nuits obscures, malgré le doute et la peine. Jésus nous invite à lui faire confiance.

Et pourquoi le ferions-nous ? Parce que nous avons remis nos vies entre ses mains. Parce qu’il est Dieu et qu’il ne saurait nous tromper. Parce que la voie qu’il nous propose est celle de la véritable sagesse, du vrai bonheur, où il nous est demandé de vivre nos vies avec cette conviction que nous sommes déjà vainqueurs quoiqu’il arrive, et que prendre la parole du Christ au sérieux est la meilleure façon pour nous de lui montrer que nous l’aimons et que nous avons confiance en lui.

En retour, il nous donne la force de relever le défi quotidien de nos vies sur terre. Il met en nous cette confiance profonde comme la mer où, en dépit des flots déchaînés parfois, les profondeurs gardent toujours leur calme et leur sérénité.

J’aimerais citer, en conclusion, ce qu’une correspondante m’écrivait un jour, en me parlant de son quotidien vécu à la lumière de la foi, de l’espérance et de la charité. Elle m’écrivait ceci :

« La foi : Jésus toujours à mes côtés pour me soutenir et me redonner courage quand j’ai envie de baisser les bras. La charité : c’est elle qui me permet de servir et accompagner la fin de vie de mon époux de 86 ans atteint de la maladie d’Alzheimer, avec amour après plus de 56 ans de vie commune. L’espérance! elle me fait espérer l’accueil miséricordieux de ce Dieu plein d’amour, auquel je crois, où nous serons définitivement réunis dans la paix. »

Oui, frères et soeurs, la présence de Dieu dans nos vies à ce pouvoir de nous donner la paix, la paix véritable, celle qui vient d’en haut, et qui nous fait tenir fermes et confiants au coeur des tempêtes de la vie, et de chacune des journées qui nous est donnée, car, nous le savons maintenant en Jésus Christ, combien nous avons du prix aux yeux de Dieu. Nous valons plus que tous les oiseaux du ciel, et que la somme de toutes nos épreuves, car nous sommes ses enfants. Amen.

Yves Bériault, o.p.