« Pierre, m’aimes-tu ? »

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (21, 15-19)

Jésus se manifesta encore aux disciples
sur le bord de la mer de Tibériade.
Quand ils eurent mangé,
Jésus dit à Simon-Pierre :
« Simon, fils de Jean,
m’aimes- tu vraiment, plus que ceux-ci ? »
Il lui répond :
« Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. »
Jésus lui dit :
« Sois le berger de mes agneaux. »
Il lui dit une deuxième fois :
« Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ? »
Il lui répond :
« Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. »
Jésus lui dit :
« Sois le pasteur de mes brebis. »
Il lui dit, pour la troisième fois :
« Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? »
Pierre fut peiné
parce que, la troisième fois, Jésus lui demandait :
« M’aimes-tu ? »
Il lui répond :
« Seigneur, toi, tu sais tout :
tu sais bien que je t’aime. »
Jésus lui dit :
« Sois le berger de mes brebis.
Amen, amen, je te le dis :
quand tu étais jeune,
tu mettais ta ceinture toi-même
pour aller là où tu voulais ;
quand tu seras vieux,
tu étendras les mains,
et c’est un autre qui te mettra ta ceinture,
pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. »
Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort
Pierre rendrait gloire à Dieu.
Sur ces mots, il lui dit :
« Suis-moi. »

COMMENTAIRE

Chacun de nous a un rapport bien singulier avec l’Évangile, une manière propre et originale d’entendre et de réentendre ces récits qui mettent en scène Jésus avec ses disciples, avec les foules bigarrées, avec les opposants comme les curieux, avec les pécheurs comme avec les justes. Prenons l’évangile de ce jour. Comment entendons-nous ce récit pour nous-mêmes ? Il ne s’agit pas simplement d’une vieille histoire de pêche sur les bords du lac de Tibériade. C’est une rencontre qui se poursuit encore aujourd’hui sur les berges de nos vies entre nous et le Christ ressuscité.

Lors de sa rencontre avec Jésus, Pierre lui se voit obligé d’aller au fond de lui-même afin de revivre d’une certaine manière tout le processus de son reniement, comme à rebours, jusqu’au tout début de sa relation avec Jésus.

C’est sur les bords de ce même lac que Jésus avait rencontré Pierre pour la première fois et l’avait invité à le suivre. Le voilà de nouveau à la case départ. Des poissons grillés et des pains ont mystérieusement été préparés pour les disciples. Ils vont partager cette nourriture avec Jésus, comme autrefois. Mais pas un mot n’est dit sur ce repas, comme si l’on avait déjeuné en silence, l’évènement étant trop solennel pour qu’aucun n’ose prendre la parole.

Après le repas, nous assistons au tête-à-tête entre Jésus et Pierre, comme si c’était là le véritable motif de la présence du Ressuscité sur les berges du lac ce matin-là.

Ce qui m’a toujours impressionné dans ce récit, l’une de mes pages préférées des Évangiles, c’est que Jésus, bien que ressuscité, paraît vulnérable dans ce récit. À trois reprises, il demande à Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Une question extraordinaire dans la bouche du ressuscité, car n’est-ce pas son humanité qui s’y révèle ?

« Pierre m’aimes-tu ? » Comme si les liens noués ici-bas importaient plus que jamais pour Jésus, lui qui est pourtant passé de ce monde-ci à son Père. Comme s’il nous ressemblait plus que jamais dans son désir d’être aimé. Cet évangile qui nous interpelle en tant que disciples du Christ, nous révèle aussi qui est ce Dieu dont nous avons contemplé le visage en Jésus-Christ. C’est François Varillon dans son magnifique volume intitulé L’humilité de Dieu qui écrit :

« Quand je prie je m’adresse à plus humble que moi. Quand je confesse mon péché, c’est à plus humble que moi que je demande pardon. Si Dieu n’était pas humble, j’hésiterais à le dire aimant infiniment » (p. 9).

Et c’est ainsi que Jésus vient quémander en quelque sorte l’amour de Pierre comme il le fait sans cesse avec chacun de nous. Dans cette humilité de Dieu s’exprime toute la patience de Dieu, qui ira avec nous partout où nous irons, quels que soient nos choix, nos dérives, sans jamais nous abandonner. Par ailleurs, la question de Jésus met sûrement à vif la plaie encore fraîche de la trahison chez Pierre. « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Pourquoi cette question et pourquoi la poser à trois reprises ?

Par sa triple question, je ne crois pas que Jésus cherche à vérifier la détermination de celui à qui il veut confier ses brebis. Et je crois encore moins qu’il y ait là un reproche adressé à Pierre. Le caractère d’intimité indéniable de cette scène contredit une telle interprétation. Je crois plutôt qu’à l’affirmation trois répétée du reniement, Pierre se voit offrir la possibilité d’affirmer à trois reprises son amour pour Jésus. Jésus vient le libérer et par sa question, il offre à Pierre de dénouer cet écheveau de douleur et de peine qui lui étreint le cœur depuis son reniement.

« Pierre m’aimes-tu ? » J’entends cette question comme une prière dans la bouche de Jésus. Une prière qui est toute chargée de l’espérance de Dieu. Dans cette simple demande, c’est Dieu lui-même qui vient solliciter notre amour, et c’est dans la réciprocité de cet amour que Pierre trouvera la véritable paix et la guérison, et pourra ainsi marcher à la suite de son Seigneur, se faire pasteur des brebis avec lui.

« Pierre m’aimes-tu ? » C’est la question ultime que pouvait poser Jésus à Pierre. Question qui l’amène à un point de rupture dans sa vie, qui le libère de sa honte, et qui ouvre sur le grand large, où Pierre peut enfin donner son cœur à Jésus : « Seigneur, tu sais tout. Tu sais bien que je t’aime ». C’est la miséricorde de Dieu qui touche Pierre en plein cœur, qui fera de lui désormais un pêcheur d’hommes et qui donnera volontiers sa vie pour le Christ.

L’évangile d’aujourd’hui est un récit merveilleux, qui vient nous rappeler combien nous avons du prix aux yeux de Dieu. Il nous demande tout simplement de l’aimer et de lui faire confiance, alors qu’il nous rassemble sur les berges de notre eucharistie et se donne à nous. Amen.

fr. Yves Bériault, o.p.

« Conduis-moi douce lumière ! »

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Conduis-moi, douce lumière,
A travers les ténèbres qui m’encerclent.
Conduis-moi, toi, toujours plus avant!

Garde mes pas: je ne demande pas à voir déjà
Ce qu’on doit voir là-bas : un seul pas à la fois
C’est bien assez pour moi.

Je n’ai pas toujours été ainsi
Et je n’ai pas toujours prié
Pour que tu me conduises, toi, toujours plus avant.

J’aimais choisir et voir mon sentier;
mais maintenant :
Conduis-moi, toi, toujours plus avant!

Si longuement ta puissance m’a béni!
Sûrement elle saura encore
Me conduire toujours plus avant.

Par la lande et le marécage,
Sur le rocher abrupt et le flot du torrent
Jusqu’à ce que la nuit s’en soit allée…

Conduis-moi, douce lumière,
Conduis-moi, toujours plus avant !

John Henri Newman

Homélie pour la fête de la Pentecôte

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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 20,19-23.

C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.
Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »
Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint.
À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »

COMMENTAIRE

Si vous avez foi en Dieu et en son Fils Jésus Christ, je vous adresse la question suivante : Mais pourquoi vous, et pourquoi pas les autres? Cette question je me la suis souvent posée, et je l’ai retrouvée avec bonheur sous la plume d’un théologien canadien, Gregory Baum, qui dans son dernier livre, paru quelques mois avant sa mort en 2017, raconte l’histoire de son parcours théologique. Gregory Baum est un juif allemand converti au catholicisme, et qui, à l’âge de 92 ans, se demande d’entrée de jeu dans son livre : « Pourquoi moi, et pas les autres ? »

Étrange question à se poser en cette fête de la Pentecôte, me direz-vous? Mais je sais que cette question ne vous est sans doute pas étrangère et qu’elle a sûrement habité une foule de témoins au fil des siècles parce qu’ils se sentaient tributaires d’un héritage qui leur est tombé dans le cœur sans qu’ils aient rien fait pour le mériter, souvent même, sans l’avoir demandé. Mais le don est là, immensément présent, et dont ils ne pourraient se défaire même s’ils le voulaient. Et voilà qu’ils contemplent ce cadeau incroyable de croire en Dieu, et même d’aimer Dieu, et qui les amène à se demander : « pourquoi moi et pas les autres ? »

Alors je vous la pose cette question en cette fête de la Pentecôte : « Pourquoi vous et pas votre frère, ou votre sœur, votre conjoint, ou vos enfants ? » Car quand on a la foi, on aimerait tellement la partager avec d’autres, afin qu’ils aient la chance eux aussi de vivre un tel don, d’avoir ce regard différent sur la vie et qui change profondément notre manière d’assumer nos vies. Car c’est là, je crois, le sens premier du don de l’Esprit Saint. Une présence mystérieuse qui part du plus profond de nous-mêmes et qui nous ouvre à plus grand que nous-mêmes.

Un don par lequel Dieu nous appelle à le connaître, à l’aimer et à le faire connaître, et ce, sans aucun mérite de notre part. On l’a bien vu avec Jésus dans le choix qu’il a fait de ses apôtres. Ce dernier n’était pas très regardant quand on considère ceux qu’il a choisis. Il n’y a donc pas de quoi se glorifier que d’avoir la foi. Comme le dit saint Paul, notre seule fierté c’est la croix du Christ, c’est le don qu’il nous fait de lui-même. Quant à nous, nous ne sommes que des vases d’argile, mais combien précieux, en qui Dieu veut mettre sa confiance et tout son amour. Quel don extraordinaire! C’est la fête de la Pentecôte !

C’est pourquoi il importe de nous redire la chance que nous avons en ces temps difficiles pour l’Église et pour notre monde, d’être appelés à vivre une fidélité à Dieu souvent humble et cachée, sans grands éclats, sans grande renommée, goûtant tout simplement les fruits de l’Esprit Saint, tâchant de vivre en paix les uns avec les autres, soucieux de la justice et du bon droit, de la défense des plus pauvres, cherchant sans cesse à être bons, à être meilleurs.

Oui, c’est la fête de la Pentecôte où Dieu se fait tout à tous, même à nous, et pourtant la question demeure entière : «Pourquoi nous et pas les autres?» Sans prétendre sonder le coeur de Dieu, la réponse qui me paraît la plus juste est peut-être parce que nous en avons davantage besoin de cette foi ! Où en serions-nous si Dieu ne nous avait pas appelé à lui ? De toute évidence, il y a là une miséricorde de Dieu qui s’exerce à notre endroit en nous donnant la foi, en nous appelant à son service, et cette miséricorde nous ne pourrons en mesurer la profondeur et le pourquoi qu’une fois au ciel.

En attendant, bonne fête de la Pentecôte frères et soeurs dans le Christ ! En ce jour, nous avons mille et une raisons de nous réjouir et de dire merci !

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour la fête de l’Ascension (A)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 28,16-20.
En ce temps-là, les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes.
Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.
Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit,
apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

COMMENTAIRE

La promesse de Jésus à ses disciples est quand même extraordinaire : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Comme nous avons besoin d’entendre ces paroles, certains jours plus que d’autres, surtout quand le malheur nous frappe, quand le monde semble glisser sous nos pas. Comme il est important de pouvoir entendre ces paroles du Christ dans de telles circonstances et de mettre notre foi en lui. C’est une grâce, un cadeau qui nous dépasse, je le sais que trop bien, mais qu’il nous faut sans cesse demander à Dieu afin que nous puissions être les dépositaires de cette espérance dont notre monde a tellement besoin. Dieu nous invite à regarder au-delà des drames et des horreurs qui nous frappent en ces moments où notre foi se tient comme au-dessus d’un abîme.

La fête de l’Ascension que nous célébrons est toute chargée de l’espérance de Dieu en notre faveur, alors qu’il nous invite à regarder au-delà des épreuves qui nous affligent. Il ne s’agit pas de faire comme si nous n’étions pas éprouvés ni atteints dans notre corps ou notre âme. Il s’agit tout simplement de ne pas perdre de vue combien nous avons du prix aux yeux de Dieu. C’est ce que la fête de l’Ascension vient nous dévoiler : soit le grand mystère de notre destinée humaine alors que le Christ nous précède au ciel et qu’il nous y entraîne.

Car la fête de l’Ascension forme un tout avec la résurrection du Christ et elle nous parle du sérieux de son Incarnation, du fait que le Fils de Dieu ait pris chair de la Vierge Marie, chair de notre chair. La Résurrection et son pendant qu’est l’Ascension, est le couronnement de l’Incarnation : Jésus ne rejette pas son corps ; il le transfigure, il le divinise en plénitude en montant au ciel avec son corps glorifié.

Contrairement à ce que me disait un jour une amie, la fête de l’Ascension n’est pas une fête triste. Elle disait cela parce que Jésus était parti. Jésus est parti ! Elle vivait en quelque sorte la peine des disciples, et cela est tout à son honneur. Quel grand amour de Jésus exprimait-elle ainsi en avouant son désarroi devant son départ ! Mais Jésus ne nous abandonne pas. Non seulement il nous précède dans la demeure du Père, mais il nous y prépare une place.

Dans le Christ, vrai Dieu et vrai homme, notre humanité est conduite auprès de Dieu. Jésus nous ouvre le passage, il est comme le chef de cordée arrivé au sommet de la montagne et qui nous guide à lui en nous conduisant vers Dieu. Cette expérience des premiers disciples est tellement forte que la foi des Apôtres affirmera sans hésitation dans le Credo : « nous croyons en la résurrection de la chair ! » C’est-à-dire nous croyons à la résurrection des corps ! Car tel est le maître, tels sont les disciples, tous appelés à une même destinée avec lui.

Tout comme nous sommes passés du ventre de notre mère à la vie sur terre, un jour, nous passerons du ventre de la terre à la vie en plénitude auprès de Dieu. Par son Ascension, Jésus vient achever la longue histoire de notre salut, qui est de nous ramener vers Dieu. Il ne nous laisse pas seuls. Il nous emporte avec lui, premier-né d’une multitude de frères et de soeurs, alors qu’il monte au ciel avec son corps, réalisant ainsi cette folle espérance du vieux Job, un texte souvent repris lors des funérailles, où Job s’écrie du fond de son malheur : « Je sais, moi, que mon libérateur est vivant, et qu’à la fin il se dressera sur la poussière des morts ; avec mon corps, je me tiendrai debout, et de mes yeux de chair, je verrai Dieu. »

Le trappiste Christian de Chergé, prieur du monastère de Tibhirine en Algérie, assassiné avec six de ses frères en 1996, restera toute sa vie fasciné par le mystère de l’Incarnation. Il dira à ses frères moines dans une homélie : « Le plus extraordinaire du mystère de l’Incarnation, ce n’est pas que Dieu se soit fait homme, mais c’est que l’homme soit en Dieu, c’est qu’une humanité semblable à la nôtre, se retrouve en Dieu. […] Désormais, écrit-il, il y a de la fraternité en Dieu. C’est ainsi que nous pouvons nous appeler « petits frères » et « petites sœurs. »

Il y a de la fraternité en Dieu parce que notre frère Jésus Christ nous précède en Dieu. Et cette fraternité s’étend désormais au monde entier. C’est pourquoi la fête de l’Ascension marque aussi le début du temps de l’Église, communauté de foi des disciples du Christ, qui célèbre ce don que Dieu nous fait d’un amour infini, communauté qui est appelée à partager cette joie qui est la sienne, qui est appelée à donner le goût de Dieu au monde quand ce dernier est méconnu ou ignoré, accompagnant notre monde dans sa quête de sens et de bonheur, tout en nous faisant solidaires de ses luttes et de ses peines. Sûr de la promesse que Jésus fait à ses disciples : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

fr. Yves Bériault, o.p
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 6e Dimanche de Pâques (A)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 14,15-21.
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements.
Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous.
l’Esprit de vérité, lui que le monde ne peut recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas ; vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en vous.
Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous.
D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi.
En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous.
Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. »

COMMENTAIRE

En nous rapportant les paroles de Jésus, l’évangéliste Jean nous donne de voir quels sont les craintes et les défis qui se présentent aux disciples en tant que communauté des amis de Jésus, ces craintes et ces défis qui sont aussi les nôtres. C’est le Christ ressuscité qui nous parle et il promet à ses disciples un défenseur, un avocat. Contrairement à une certaine compréhension de cette promesse, ce n’est pas pour nous défendre devant Dieu que cet avocat nous est proposé, mais plutôt pour nous défendre devant le tribunal de ce monde quand il juge ceux et celles qui mettent leur foi en Dieu.

Jésus nous promet que dans la mesure où nous resterons attachés à lui, nous serons affermis dans notre témoignage de foi, nous deviendrons de ces hommes et de ces femmes dont la vie parle d’elle-même. Ce qui nous est promis, ce n’est pas de devenir des tribuns extraordinaires à la parole facile et convaincante, mais que nos vies seront illuminées par cette présence de l’esprit du Christ en nous, qui nous fera lui ressembler et marcher avec courage comme lui-même nous en a donné l’exemple.

La foi qui nous habite pourra se dire en peu de mots, et ce, avec douceur et respect, comme nous le rappelle l’apôtre Pierre. Mais elle pourra surtout se dire dans le silence d’une vie ouverte et généreuse, soucieuse des autres, marquée profondément par notre foi en Dieu. C’est cette vie-là qui parlera en notre faveur et qui parlera de Dieu. Comme le disait un prêtre ouvrier à Paris, qui travaillait auprès des délinquants et des prostitués, seul Jésus Christ convertit. À nous, il revient de témoigner de lui, parfois par la parole, mais le plus souvent avec beaucoup d’amour.

Nos vies ne sont pas différentes des personnes qui nous entourent dans notre société. Nous portons tous et toutes des préoccupations qui se ressemblent : la famille, les conjoints, les amis, le travail, nos projets, nos épreuves. Ce qui distingue les chrétiens et les chrétiennes, c’est de vivre leur vie à la lumière de l’évangile. D’être fidèle à la recommandation de Jésus quand il nous dit : « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. » Et cela se vit surtout à travers notre souci de l’autre, par nos solidarités avec le monde qui nous entoure. Comme l’écrivait quelqu’un : « Ne parle que si on t’interroge, mais vis de manière à ce qu’on t’interroge. »

Je repense à l’un des plus beaux témoignages que j’aie entendus alors que j’étais au Rwanda, à Kigali. J’animais une rencontre avec des responsables de jeunes novices qui se préparaient à la vie religieuse et j’avais demandé à ces soeurs comment elles étaient venues à la vie religieuse. L’une d’entre elles, soeur Antoinette, nous a alors raconté que lorsqu’elle était enfant, elle se rendait tous les dimanches à l’église du village voisin avec son père. Une marche de deux heures pour se rendre, deux heures pour revenir. Naturellement, aller à la messe au village impliquait d’y passer une bonne partie de la journée et d’y être témoin de la vie quotidienne qui s’y déroulait.

Un jour, la jeune Antoinette, qui avait alors six ans demanda à son père qui était cette femme qu’elle voyait tous les dimanches, accueillant les malades à sa clinique en plein air, veillant sur chacun d’eux avec beaucoup de bienveillance. Le père d’Antoinette lui avait alors répondu : « Elle, c’est la maman de tout le monde ! » Et Antoinette du haut de six ans avait alors dit à son père : « Moi aussi je veux être la maman de tout le monde ! » Et devant moi se tenait une femme qui avait consacré sa vie aux plus pauvres, inspirée par le témoignage contagieux d’une religieuse rencontrée un jour par hasard.

Quand on met sa foi en Jésus Christ, saint Pierre nous le rappelle dans notre deuxième lecture, il nous faut alors rendre compte de notre espérance. Parce que nous ne sommes pas seuls, nous ne sommes pas orphelins en ce monde, dans cette marche vers la vie en plénitude qui nous est promise. C’est cette présence du Christ à nos vies qui est capable de les transfigurer et de nous donner le courage d’assumer notre quotidien, même quand l’épreuve se fait toute proche de nous, même quand notre Église vit des situations de pauvreté, d’abandon ou de rejet. Comme le soulignait le pape François à l’occasion d’une Vigile pascale : « La première pierre à faire rouler au loin cette nuit, c’est le manque d’espérance qui nous enferme en nous-mêmes. »

Car nous ne pouvons témoigner de Jésus-Christ que si nous avons d’abord vécu l’espérance. Ce qui veut dire que notre témoignage se fait d’abord en actes et non en paroles. Et c’est certainement là le témoignage le plus urgent dont notre monde a besoin.

Fr. Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 5e Dimanche de Pâques (A)

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Jésus dans l’Évangile de ce dimanche interpelle la foi des disciples alors que sa passion se profile à l’horizon. Devant leurs craintes, il leur dit : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé : Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. » Qu’en est-il de nous alors que nous traversons une crise majeure qui met peut-être à l’épreuve notre foi? Voilà le contexte de la réflexion que je nous propose ce matin.

II vous est sans doute arrivé un jour de remettre Dieu en question, de douter ou même de perdre la foi. Tout cela fait partie des divers chemins qui mènent vers Dieu, même si parfois ces chemins semblent s’en écarter. La foi en Dieu, bien que capable de transformer nos vies, de changer notre regard sur le monde, cette foi demeure fragile, elle est comme une jeune pousse qui a constamment besoin d’être entretenue, arrosée, émondée.

C’est surtout lorsque l’épreuve frappe à notre porte que nous sommes tentés de questionner Dieu, tentés de le faire comparaître devant le tribunal de notre indignation afin qu’il se justifie. «  Que dis-tu de toi-même? » Secrètement, nous faisons nôtre le cri des contradicteurs de la foi d’Israël, dont le psalmiste fait entendre la voix moqueuse lorsqu’ils s’écrient devant les malheurs du juste : « Où est-il ton Dieu ? » C’est cette interrogation qui monte aux lèvres des opprimés, de ceux qui souffrent et des malheureux à travers les siècles. « Où es-tu? »

Nous le savons, le plus grand défi que la foi doit affronter c’est le silence de Dieu et son impuissance apparente quand le malheur frappe. Jésus lui-même en fait l’expérience à Gethsémani quand il s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Et pourtant, il en arrivera à une remise totale de sa personne entre les mains du Père sur la croix : « Père, non pas ma volonté, mais la tienne. » Cette prière d’abandon est certainement la plus difficile qui soit, car elle implique l’acceptation de ce que l’on ne peut changer, alors que l’on voudrait tellement que Dieu intervienne, qu’il change le cours des événements qui nous frappent de plein fouet.

Alors, qu’est-ce que Dieu attend de nous ? Et que pouvons-nous attendre de lui ? Pour illustrer mon propos, j’aimerais parler ici d’Esther Hillesum, cette jeune juive assassinée à Auschwitz en 1943 à l’âge de 29 ans. Une jeune convertie qui a des réflexions étonnantes au sujet de Dieu. Au cœur de la détresse et des persécutions qui frappent son peuple, Esther est convaincue que Dieu ne peut empêcher, comme d’un coup de baguette magique, le drame qui se déroule autour d’elle, soit l’extermination systématique de son peuple à l’échelle de l’Europe, persécutions qui feront près de six millions de victimes.

Esther en arrive à un constat qui bouleverse complètement notre représentation de Dieu. Elle affirme, au cœur de cette violence qui l’entoure, que c’est à nous d’aider Dieu, que Dieu veut avoir besoin de nous. Mais pour y parvenir, dit-elle, il faut le laisser habiter en nous. « Un peu de toi en nous mon Dieu », écrira-t-elle dans son journal. Esther Hillesum a cette vive conscience que la force intérieure qui peut nous donner le courage d’affronter la vie et ses tempêtes ne peut nous venir que de Dieu. Qu’Il est lui le véritable artisan de nos redressements, de nos recommencements et de nos luttes ! « Un peu de toi en nous mon Dieu », demande-t-elle.

Ce témoignage, ainsi que toute la tradition biblique, nous dévoile une condition indispensable pour bien assumer notre foi en Dieu : c’est de l’enraciner dans la fidélité. C’est s’attacher à Dieu pour le meilleur et pour le pire, sachant que cela n’a pas pour but de nous mettre à l’abri des épreuves, même si c’est là notre désir le plus profond et qu’il est légitime demander qu’il soit exaucé. Mais la foi en Dieu, vécue dans une fidélité tenace et têtue, nous aide avant tout à accepter avec courage nos vies de femmes et d’hommes, de pères et de mères, et ainsi affronter la vie et ses tempêtes avec la force de Dieu.

Est-ce que cela veut dire qu’on ne souffre pas quand on met sa foi en Dieu? Que nous ne sommes pas saisis de vertige devant la peine et la douleur ? Bien sûr que non ! Mais Dieu sera toujours l’appui le plus sûr, l’ami le plus fidèle que nous ayons pour affronter l’épreuve.

Car la remise de nos vies entre ses mains nous donne de nous tenir debout en ce monde, malgré les vents contraires. Notre foi en Jésus Christ nous donne de communier à sa puissance de résurrection et nous invite à entrer dans le grand mystère de sa vie, qui est plus fort que toutes nos morts. Il suffit de contempler les témoins autour de nous, ceux d’hier et d’aujourd’hui, pour nous en convaincre. Pas seulement les saints et les saintes sur les autels de nos dévotions, mais surtout ces fidèles anonymes dont la foi en Dieu est comme vissée au corps et qui l’assument courageusement, jour après jour.

Voici ce que m’écrivait une correspondante de 80 ans, me parlant de son quotidien vécu à la lumière de la foi, de l’espérance et de la charité :

« La foi, m’écrivait-elle, c’est Jésus toujours à mes côtés pour me soutenir et me redonner courage quand j’ai envie de baisser les bras. La charité : c’est elle qui me permet de servir et accompagner la fin de vie de mon époux de 86 ans atteint de la maladie d’Alzheimer, avec amour après plus de 56 ans de vie commune. L’espérance ! Elle me fait espérer l’accueil miséricordieux de ce Dieu plein d’amour, auquel je crois, et où nous serons définitivement réunis dans la paix. »

Frères et sœurs, voilà un beau témoignage de ce que Dieu vient accomplir en nous en son Fils Jésus Christ. Il vient marquer nos vies de son amour afin que le véritable bonheur ne nous échappe jamais. Comme on le disait de saint Dominique, nous avons planté l’ancre de notre espérance au ciel avec le Christ, qui seul peut nous mener à bon port, car il est lui le Seigneur, et il tient précieusement nos vies entre ses mains.

fr. Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le 4e Dimanche de Pâques (A)

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Dans les évangiles, Jésus a cette préoccupation constante d’amener ses auditeurs à croire en lui, mais il le fait sans jamais dévoiler pleinement son identité. Ainsi, il ne dit jamais : « Je suis le Verbe » ou encore « Je suis le Fils de Dieu ». Au contraire, Jésus procède par analogies, avec des paraboles et des miracles, qui deviennent des clés d’interprétation afin de nous ouvrir à son mystère.

Jésus emploie aussi beaucoup d’images afin d’expliquer sa personne et sa mission. Il dit de lui-même qu’il est la lumière du monde, le pain vivant, la vraie vigne, le chemin, la vérité, la résurrection et la vie. Mais il y a deux autres attributs que Jésus fait siens et que l’on retrouve dans l’Ancien Testament pour représenter Dieu, soit les titres d’époux et de pasteur. Comme l’époux aime l’épouse, Jésus nous révèle dans l’évangile de ce dimanche qu’il est le Bon pasteur qui aime ses brebis au point de donner sa vie pour elles.

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Cette image du Bon pasteur est l’une des plus anciennes dans l’iconographie chrétienne, et les premiers chrétiens peignaient cette image sur les murs de leurs catacombes. On peut y voir Jésus vêtu en simple berger, un bâton à la main, portant une brebis sur ses épaules. « Voilà notre Dieu ! disaient les premiers chrétiens. Il est le Bon pasteur, le vrai chef des brebis. »

Faut-il se surprendre si Jésus emploie l’image du berger afin d’exprimer jusqu’où va son amour pour nous ? Nous le savons, il ne s’est pas présenté en roi triomphant, imposant son autorité au monde. Pour se dire à nous et nous décrire sa mission, Jésus s’est identifié à l’un des métiers les plus humbles de son époque, soit celui de berger, dont la seule richesse était ses brebis, et pour lesquelles il était prêt à affronter le loup et à donner sa vie pour elles. Jésus agit de même en notre faveur. Il est le Bon pasteur qui connaît ses brebis.

Ce qui est extraordinaire dans la façon dont Jésus décrit cette intimité qu’il vit avec ses brebis, c’est que ces dernières le connaissent elles aussi. Elles reconnaissent sa voix, elles sont dociles à son appel. Elles se tiennent toujours près de lui, et lui les prend sur son cœur, tellement elles lui sont chères. Il veille sur elles et les protège.

Il y a entre Jésus et ses brebis une connaissance réciproque, qui est fondée sur cette intimité qui unit Jésus à son Père. « Qui m’a vu a vu le Père », dit Jésus. Voilà l’intimité dans laquelle le Seigneur nous entraîne quand nous mettons notre foi en lui. Il nous donne de le connaître ainsi que son Père qui est le nôtre.

Ce dimanche est une invitation à entrer plus avant dans cette relation d’amour que le Seigneur veut vivre avec nous. D’où ces quelques questions que j’aimerais proposer à notre réflexion.

Jésus nous dit qu’il est le Bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Est-ce que cette réalité du don que Jésus fait de lui-même nous rejoint personnellement ? Est-ce que nous mesurons à quel point Dieu nous aime et veut nous avoir avec lui, tout près de lui ?

Quand Jésus nous dit que ses brebis entendent sa voix et le reconnaissent, est-ce que nous cherchons à entendre cette voix quand nous faisons face à des épreuves, ou lorsqu’il nous faut prendre des décisions importantes, ou tout simplement quand la vie éclate en bonheurs de toutes sortes autour de nous ? Jésus est-il le confident de nos nuits, de nos peines et de nos joies ? Le complice de nos rêves ?

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs