La Parole de Dieu est comparable à un glaive à deux tranchants écrivait saint Paul. Un glaive qui à la fois libère, mais aussi un glaive qui coupe, qui nettoie. La Parole de Dieu devient alors un appel à la conversion qui invite à prendre conscience de notre misère, de notre péché. Pas de conversion possible si l’on ne touche pas à ce manque fondamental en nous, qui fait que trop souvent nous sommes riches de nous-mêmes, mais pauvres de Dieu. L’homme riche dans la parabole de Luc en est un exemple.
Dans l’imaginaire populaire, lorsque l’on parle de cette parabole, on va habituellement la désigner sous le nom de la parabole de Lazare et du mauvais riche. Pourtant l’Évangile ne qualifie pas cet homme de mauvais riche. Une fois mort, dans le shéol, dans cet enfer qui symbolise la séparation d’avec Dieu, cet homme riche pense même à ses frères : « Envoi quelqu’un les avertir afin qu’ils changent de vie », demande-t-il à Abraham. C’est un homme qui a le sens de la famille, qui pense au bien des siens. Alors, faut-il parler de lui comme d’un mauvais riche ? Le sort de cet homme dans la parabole semble bien donner raison à cette interprétation. Car ce que Jésus lui reproche, c’est que ses biens le rendent aveugle. Les hommes ne sont pas tous des siens.
Alors que Lazare gît par terre dans le portail de la maison de l’homme riche; alors que ce riche et les siens ont sans doute dû enjamber bien des fois ce Lazare encombrant, tellement il vit proche de la maison, il y a pourtant un abîme qui sépare cet homme du pauvre Lazare. Ce riche qui aime ses frères, sa famille et ses amis ne fait pas de tous les hommes ses frères et ses sœurs. Son cœur reste insensible à la misère de certains. L’on croirait réentendre ici, dans cette parabole, le cri de Dieu à Caïn qui a tué son frère, quand il lui demande : « Qu’as-tu fait de ton frère? » La question nous est lancée comme aux Pharisiens à qui Jésus s’adresse, « eux qui aiment l’argent », nous rappelle saint Luc.
Cette parabole chez Luc, s’inscrit dans une charge à fond de train où Jésus s’en prend à l’amour des richesses, et où il invite ses auditeurs à ne pas servir deux maîtres : Dieu et l’argent, mais plutôt à se faire des amis avec ce qu’il appelle l’argent malhonnête.
Car pour Jésus, l’argent n’a de sens que s’il est humanisé, que s’il permet de faire le bien, de faire le bien non seulement à nous mêmes et à nos proches, mais à tous ceux et celles que Dieu place sur notre route, devant le portail de nos maisons, car l’argent, les possessions, les talents, s’ils ne sont au service des autres, ne peuvent qu’endurcir le cœur. C’est le drame de l’homme riche.
Tour à tour dans la vie nous sommes parfois cet homme riche ou Lazare, selon les saisons de la vie, et c’est pourquoi cette Parole de Dieu est pour nous tous. Elle est là pour nous faire vivre, non pas pour nous condamner. Que l’on se reconnaisse un peu plus dans Lazare ou dans l’homme riche, de toute manière, c’est un appel à la conversion qui nous est fait.
Pour le Lazare que je suis dans mes épreuves, l’Évangile me rappelle que Dieu est fidèle, et, parce qu’il m’aime, il veille sur moi, il me protège, il me soutient dans la nuit de mes épreuves. La Parole de Dieu nous redit que le mal et le méchant ne peuvent triompher en dépit des apparences. Elle invite les Lazare que nous sommes, quand l’épreuve s’abat sur nous, à la confiance absolue en Dieu. Première conversion à laquelle nous appelle la parabole de Jésus.
Et quand je suis l’homme riche qui parfois établit un gouffre entre lui et certaines personnes, certaines situations, la Parole de Dieu est pour moi aussi. Elle nous dit : écoute le cri de tes frères et de tes sœurs. Ne sois pas dur de cœur devant l’humanité qui est à ta porte. Entends l’indignation de Dieu devant les excès que l’on commet partout, à l’endroit des pauvres et des démunis. Entends l’indignation de Dieu devant le gouffre grandissant entre pays riches et pays pauvres, entre les riches et les pauvres de notre société.
Que cette indignation de Dieu soit aussi la tienne. Laisse-toi toucher par les autres. Ne pense pas qu’à ton seul bonheur. Ne remets pas constamment à demain ta générosité qui est sollicitée, car c’est maintenant que ton frère a faim, que ta sœur a besoin de toi. Voilà la deuxième conversion à laquelle nous sommes invités.
Oui, la Parole de Dieu ce soir, est une parole forte et provocante, mais pleine d’espérance, car il y a en elle un appel qui nous est fait, où Dieu nous redit ce qu’il aimerait faire de nos vies. Il veut faire de nous des hommes et des femmes de Dieu qui se battent pour la foi, la justice et la miséricorde.
La Parole de Dieu vient nous le rappeler. Il nous faut nous convertir au désir de Dieu sur nous. Il nous faut accueillir sans cesse la force de résurrection du Christ Jésus dans nos vies, lui qui est capable de changer nos cœurs, de nous aider à combler cet écart entre nous et les pauvres qui attendent à notre porte.
Si nous acceptons de faire un pas dans cette direction où Dieu nous invite, si nous lui disons aide-moi à faire ce pas, alors c’est une parabole vivante et nouvelle qui s’écrira dans nos vies : c’est Lazare qui sera invité à la table du riche; c’est le riche qui pansera les plaies de Lazare; c’est Lazare qui donnera à boire au riche. Il n’y aura plus ce pauvre et ce mauvais riche, mais deux frères qui marcheront ensemble avec la grâce de Dieu. Amen.
Yves Bériault, o.p.
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