Le burn-out au XIIe siècle et Bernard de Clairvaux

Hier je lisais le « De la Considération » de saint Bernard, dans lequel il donne ce conseil au pape Eugène III :

« Et toi donc, dis-le moi, où es-tu jamais libre? Où peux-tu trouver abri? Où peux-tu être toi-même? Partout c’est le vacarme, partout c’est le tumulte; oui, partout tu es accablé par le joug de la servitude. » (5)

« De même, si tu entends te dévouer à tous, à l’exemple de Celui qui s’est fait tout entier à tous, j’approuverai l’humanité de ton dévouement, mais seulement s’il est total. Comment pourrait-il l’être, toi excepté? Tu es un homme, toi aussi. Si tu veux donc que ton humanité sois parfaite et totale, il faut que le sein qui accueille tous les autres te compte toi-même. S’il en était autrement, à quoi te servirait, selon la Parole du Seigneur, de gagner le monde entier en étant seul à te perdre? Alors que tous les autres font leur profit de toi, sois donc, toi aussi, l’un de ceux qui en profitent. Pourquoi serais-tu seul privé du don de toi? Vas-tu, longtemps encore, laisser errer ton cœur sans qu’il revienne? Vas-tu, longtemps encore, refuser de te recevoir toi-même, parmi les autres et à ton tour? Alors que tu te dois aux sages et aux fous, vas-tu te refuser seul à toi-même? L’ignorant et le savant, l’esclave et l’homme libre, le riche et le pauvre, l’homme et la femme, le vieillard et l’adolescent, le clerc et le laïc, le juste et l’impie, tous indistinctement auraient part à toi-même, tous pourraient boire à ton sein comme à une fontaine publique, et toi, seul de tous, tu te tiendrais à l’écart et altéré? »

« …bois, toi aussi, parmi les autres, de l’eau que tu auras puisée à ton propre puits… Rappelle-toi donc, je ne dis pas toujours, je ne dis même pas souvent, mais seulement de temps en temps, que tu te dois aussi à toi-même. Tire profit de toi, sinon avec, du moins après tout le monde. Pourrait-on moins te demander? » [6]


Saint Bernard de Clairvaux

«Il était noble, comme Abélard. Originaire de la haute Bourgogne, du pays de Bossuet et de Buffon, il avait été élevé dans cette puissante maison de Cîteaux, soeur et rivale de Cluny, qui donna tant de prédicateurs illustres, et qui fit, un demi-siècle après, la croisade des Albigeois. Mais saint Bernard trouva Cîteaux trop splendide et trop riche ; il descendit dans la pauvre Champagne et fonda le monastère de Clairvaux, dans la vallée d’Absinthe. Là, il put mener à son gré cette vie de douleurs, qu’il lui fallait. Rien ne l’en arracha; jamais il ne voulut entendre à être autre chose qu’un moine. Il eût pu devenir archevêque et pape. Forcé de répondre à tous les rois qui le consultaient, il se trouvait tout-puissant malgré lui, et condamné à gouverner l’Europe. Une lettre de saint Bernard fit sortir de la Champagne l’armée du roi de France. Lorsque le schisme éclata par l’élévation simultanée d’Innocent II et d’Anaclet, saint Bernard fut chargé par l’Église de France de choisir, et choisit Innocent. L’Angleterre et l’Italie résistaient : l’abbé de Clairvaux dit un mot au roi d’Angleterre; puis, prenant le pape par la main, il le mena par toutes les villes d’Italie, qui le reçurent à genoux. On s’étouffait pour toucher le saint, on s’arrachait un fil de sa robe ; toute sa route était tracée par des miracles.»
Jules Michelet, portrait de saint Bernard dans l’Histoire de France

Source : Encyclopédie de l’Agora

La foi en Dieu est-elle nécessaire?

Une amie avec qui je corresponds se demande si la foi est vraiment nécessaire, puisqu’elle a une amie non-croyante qui est bien meilleure et dévouée que bien des chrétiens qu’elle connaît.Ce que je réponds à cette objection: Imaginons ce qui arriverait si cette personne découvrait Jésus Christ et son Évangile? Si elle goûtait à la vie spirituelle que nous donnent la prière, les sacrements, notre appartenance à l’Église et à une communauté chrétienne? La foi en Jésus est pleine de grâces de toutes sortes à cause de son Esprit qui habite en nous. C’est cela le plus (+) que les incroyants ignorent. Eux aussi sont appelés à connaître Dieu, car cela fait une différence fondamentale dans une vie. D’ailleurs, c’est là le but ultime de la vie.

Dieu nous a créés bons, sans même que nous croyions en lui, puisque nous sommes faits non seulement par amour, mais d’amour. C’est Catherine de Sienne dans son Dialogue, au chapitre 51, qui écrit : « L’âme ne peut vivre sans amour, mais toujours veut aimer quelque chose, parce qu’elle est faite d’amour, car par amour je l’ai créée ». Et l’ultime expérience de l’amour c’est de connaître Dieu.

Une personne serait-elle bonne, même sans avoir la foi, elle ne peut en rester là. Elle est appelée à devenir encore meilleure, à réaliser pleinement sa vocation humaine, qui est de nous ouvrir à la présence de Dieu en nous, de le connaître comme Jésus l’a connu. Pour vivre cela, il faut la foi! Qu’importe qu’une personne soit déjà bonne, elle ne pourra qu’être meilleure avec la foi. Elle aura en elle une joie et une paix beaucoup plus grande que ce qu’elle pourrait connaître maintenant. C’est même incomparable! La vie aura alors un véritable sens, une véritable direction.

Surtout, je dirais que cette personne ne sera plus orpheline. Elle saura enfin que le créateur de ce monde est Dieu, qu’il est son Père, et qu’il est venu parmi nous en la personne de son Fils Jésus Christ, qui lui, nous a laissé ses enseignements et le don de son Esprit Saint. C’est là le grand cadeau de la foi. La foi ne peut que nous transformer et nous rendre meilleurs et fondamentalement heureux.

Sourde, muette et aveugle

imagesUn livre à lire, celui de Hellen Keller, publié en 1991, réédité en 2001 dans la collection Petite bibliothèque Payot, et qui s’intitule : « Sourde, muette et aveugle ». Véritable drame dans les ténèbres où l’on assiste au combat d’une femme emmurée qui cherche à tout prix à s’ouvrir à ce monde qu’elle appréhende autour d’elle, mais qu’elle ne peut ni voir, ni entendre. Voici un extrait :

« Nous descendîmes le sentier qui menait au puits, attirés par le parfum épandu dans l’air ambiant par le chèvrefeuille qui formait un dôme au-dessus du puits. Quelqu’un était précisément occupé à tirer de l’eau, et mon institutrice me plaça la main sous le jet du seau qu’on vidait. Tandis que je goûtais la sensation de cette eau fraîche, Miss Sullivan traça dans ma main restée libre le mot eau, d’abord lentement, puis plus vite. Je restais immobile, toute mon attention concentrée sur les mouvements de ses doigts.

Soudain il me vint un souvenir imprécis comme de quelque chose depuis longtemps oublié et, d’un seul coup, le mystère du langage me fut révélé. Je savais maintenant, que e-a-u désignait ce quelque chose de frais qui coulait dans ma main. Ce mot avait une vie, il faisait la lumière dans mon esprit qu’il libérait en l’emplissant de joie et d’espérance. Il me restait bien des obstacles à franchir, il est vrai, mais j’étais pénétrée de cette conviction qu’avec le temps j’y parviendrais. »

Photo de Helen Keller et de son professeur Anne Sullivan. Photo prise en 1888 et retrouvée en 2008.

KELLER, Helen. Sourde, muette, aveugle. Histoire de ma vie.
Paris, Petite Bibliothèque Payot. 2001. 288p

Petite fleur! Vraiment?

L’enfance spirituelle, expression avec laquelle on a caractérisé l’expérience spirituelle de Thérèse de l’Enfant-Jésus, n’est pas une voie facile, ni le fait d’une « belle âme attardée dans une interminable puberté » (Expression d’Etty Hillesum à l’encontre de ses détracteurs). Certaines expressions pour caractériser la vie des saints ont parfois le don de diluer, sinon fausser le sens de leur engagement ainsi que la maturité spirituelle qui les caractérisent. Il en est ainsi pour la « petite » Thérèse. Petite fleur, vraiment? Oui, si l’on a bien compris son acte d’abandon entre les mains de Dieu. Mais il reste que cette petite fleur ressemble à certains coquelicots de montagne; on ne les trouve que sur les sommets! À titre d’exemple, voici une réflexion de Thérèse vers la fin de sa jeune vie :

« Cette parole de Job: « Quand même Dieu me tuerait, j’espérerais en lui« , m’a ravie dès mon enfance. Mais j’ai été longtemps avant de m’établir à ce degré d’abandon. Maintenant, j’y suis; le Bon Dieu m’y a mise et m’a posée là. »

(Derniers entretiens, DDB-Cerf, 1971, Carnet jaune, 7 juillet, p. 241-242.)