Homélie pour le 4e Dimanche de Pâques (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 10,11-18. 


En ce temps-là, Jésus déclara : « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis.
Le berger mercenaire n’est pas le pasteur, les brebis ne sont pas à lui : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse.
Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui.
Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent,
comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis.
J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur.
Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau.
Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. »

COMMENTAIRE

Dans les évangiles, Jésus a cette préoccupation constante d’amener ses auditeurs à croire en lui, mais il le fait sans jamais dévoiler pleinement son identité. Ainsi, il ne dit jamais : « Je suis le Verbe » ou encore « Je suis le Fils de Dieu ». Au contraire, Jésus procède par analogies, avec des paraboles et des miracles, qui deviennent des clefs d’interprétation afin de nous ouvrir à son mystère.

Jésus emploie aussi beaucoup d’images afin d’expliquer sa personne et sa mission. Il dit de lui-même qu’il est la lumière du monde, le pain vivant, la vraie vigne, le chemin, la vérité, la résurrection et la vie. Mais il y a deux autres attributs que Jésus fait siens et que l’on retrouve dans l’Ancien Testament pour représenter Dieu, soit les titres d’époux et de pasteur. Comme l’époux aime l’épouse, Jésus nous révèle dans l’évangile de ce dimanche qu’il est le Bon pasteur qui aime ses brebis au point de donner sa vie pour elles.

Cette image du Bon pasteur est l’une des plus anciennes dans l’iconographie chrétienne, et les premiers chrétiens peignaient cette image sur les murs de leurs catacombes. On peut y voir Jésus vêtu en simple berger, un bâton à la main, portant une brebis sur ses épaules. « Voilà notre Dieu! disaient les premiers chrétiens. Il est le Bon pasteur, le vrai chef des brebis. »

Faut-il se surprendre si Jésus emploie l’image du berger afin d’exprimer jusqu’où va son amour pour nous? Nous le savons, il ne s’est pas présenté en roi triomphant, imposant son autorité au monde. Pour se dire à nous et nous décrire sa mission, Jésus s’est identifié à l’un des métiers les plus humbles de son époque, soit celui de berger, dont la seule richesse était ses brebis, et pour lesquelles il était prêt à affronter le loup et à donner sa vie pour elles. Jésus agit de même en notre faveur. Il est le le Bon pasteur qui connaît ses brebis.

Ce qui est extraordinaire dans la façon dont Jésus décrit cette intimité qu’il vit avec ses brebis, c’est que ces dernières le connaissent elles aussi. Elles reconnaissent sa voix, elles sont dociles à son appel. Elles se tiennent toujours près de lui, et lui les prend sur son coeur, tellement elles lui sont chères et il veille sur elles et les protège.

Il y a entre Jésus et ses brebis une connaissance réciproque, qui est fondée sur cette intimité qui unit Jésus à son Père. « Qui m’a vu a vu le Père », dit Jésus. Voilà l’intimité dans laquelle le Seigneur nous entraîne quand nous mettons notre foi en lui. Il nous donne de le connaître ainsi que son Père qui est le nôtre.

Ce dimanche est une invitation à entrer plus avant dans cette relation d’amour que le Seigneur veut vivre avec nous. D’où ces quelques questions que j’aimerais proposer à notre réflexion.

Jésus nous dit qu’il est le Bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Est-ce que cette réalité du don que Jésus fait de lui-même nous rejoint personnellement? Est-ce que nous mesurons à quel point Dieu nous aime et veut nous avoir avec lui, tout près de lui?

Quand Jésus nous dit que ses brebis entendent sa voix et le reconnaissent, est-ce que nous cherchons à entendre cette voix quand nous sommes confrontés à des épreuves ou lorsqu‘il nous faut prendre des décisions importantes, ou tout simplement quand la vie éclate en bonheurs de toutes sortes autour de nous? Jésus est-il le confident de nos nuits, de nos peines et de nos joies? Le complice de nos rêves?

Par ailleurs, les paroles de Jésus aujourd’hui sont l’occasion pour nous de réfléchir à cette bergerie que nous sommes appelés à former avec lui, et qui s’appelle l’Église. Certains chrétiens vivent leur foi sans l’Église, sans souci ni attachement pour elle. Ils se décrivent comme des personnes spirituelles, mais non pas religieuses, sans appartenance à l’Église. Pourtant, Jésus définit bien son rapport à nous comme celui du berger avec ses brebis qui veut nous rassembler en une seule bergerie.

Un poète a énoncé une grande vérité au sujet de l’Église : « Nul ne va au ciel tout seul ». En tant que chrétiens, nous sommes appelés à aller dans ces verts pâturages où Jésus nous conduits, là où se retrouve l’assemblée chrétienne, à l’écoute de la Parole de Dieu, se ressourçant aux sources vives des sacrements, construisant la fraternité au nom du Christ, y apprenant notre métier d’hommes et de femmes en ce monde, tel que rêvé par Dieu. C’est là le beau et grand mystère de la vie en Église, cette verte prairie où naissent et grandissent les enfants de Dieu.

C’est Christian de Chergé, le prieur du monastère de Tibhirine en Algérie, assassiné avec six de ses frères trappistes, qui disait lors d’une retraite : « Le plus grand de l’Incarnation, ce n’est pas que Dieu se soit fait homme, mais c’est que l’homme soit en Dieu, c’est qu’une humanité semblable à la nôtre se retrouve en Dieu (par l’Incarnation du Fils de Dieu et son ascension au ciel)… Désormais, dit Christian de Chergé, il y a de la fraternité en Dieu. » Et c’est ce témoignage que l’Église porte au plus profond d’elle-même. Jésus, le Bon pasteur, en prenant notre humanité s’est fait FRÈRE, le frère de tous, nous entraînant à vivre cette fraternité à sa suite en Église.

Car l’Église, c’est le sacrement du salut, le signe de l’action miséricordieuse de Dieu en notre monde. Aussi différents que nous soyons les uns des autres, nous portons tous les mêmes peines, les mêmes aspirations, le même besoin d’aimer et d’être aimés. C’est cette humanité, avec ses grandeurs et ses misères, que le Bon pasteur prend sur ses épaules, nous invitant à le suivre et à nous faire à la fois brebis et pasteurs du troupeau avec lui. Pour y parvenir il nous confie son Église.

C’est le cardinal Christoph Schönborn, dominicain et archevêque de Vienne, dans son livre intitulé Qui a besoin de Dieu, qui écrit : « Même après soixante-deux ans, je ne connais rien de mieux (que l’Église). Je n’ai rien trouvé de plus beau que cette Église. Et c’est une grande chance pour moi qu’elle soit imparfaite parce que j’y ai ainsi ma place. »

Frères et soeurs, le Seigneur nous appelle tous dans sa bergerie. Il n’exclut personne. Et aujourd’hui encore, il dresse la table pour nous et il nous invite dans les verts pâturages de son eucharistie, afin que grâce et bonheur nous accompagnent tous les jours de notre vie. Amen.

Yves Bériault, o.p.

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1.  Christian de Chergé. Retraite sur le Cantique des cantiques. Nouvelle Cité, 2013. p. 149

2.  Christoph Schönborn. Qui a besoin de Dieu. Entretiens avec Barbara Stöckl. Éditions Parole et Silence, 2008, p. 200-201

Homélie pour le 3e Dimanche de Pâques (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 24, 35-48

En ce temps-là,
les disciples qui rentraient d’Emmaüs
racontaient aux onze Apôtres et à leurs compagnons
ce qui s’était passé sur la route,
et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux
à la fraction du pain.
Comme ils en parlaient encore,
lui-même fut présent au milieu d’eux, et leur dit :
« La paix soit avec vous ! »
Saisis de frayeur et de crainte,
ils croyaient voir un esprit.
Jésus leur dit :
« Pourquoi êtes-vous bouleversés ?
Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ?
Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi !
Touchez-moi, regardez :
un esprit n’a pas de chair ni d’os
comme vous constatez que j’en ai. »
Après cette parole,
il leur montra ses mains et ses pieds.
Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire,
et restaient saisis d’étonnement.
Jésus leur dit :
« Avez-vous ici quelque chose à manger ? »
Ils lui présentèrent une part de poisson grillé
qu’il prit et mangea devant eux.
Puis il leur déclara :
« Voici les paroles que je vous ai dites
quand j’étais encore avec vous :
“Il faut que s’accomplisse
tout ce qui a été écrit à mon sujet
dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.” »
Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures.
Il leur dit :
« Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait,
qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour,
et que la conversion serait proclamée en son nom,
pour le pardon des péchés, à toutes les nations,
en commençant par Jérusalem.
À vous d’en être les témoins. »

COMMENTAIRE

« C’est vous qui en êtes les témoins, nous dit Jésus. » Dans ces paroles du ressuscité, l’Église trouve à la fois le fondement de sa mission, et sa raison d’être. Mais en dehors des grands projets missionnaires et des campagnes d’évangélisation, comment allons-nous porter cette mission au monde, comment allons-nous témoigner de Jésus-Christ? J’aime bien ce que saint François d’Assise disait à ses frères : « Prêchez toujours l’évangile et, si c’est nécessaire, aussi par des paroles. » En fait, la mission que Jésus nous confie est avant tout un appel à la sainteté au cœur de notre monde, la sainteté du quotidien.

Afin d’illustrer cet appel à la sainteté dans le monde actuel, j’ai pensé vous partager quelques extraits de l’exhortation apostolique du pape François intitulée Gaudete et Exsultate, c.-à-d. « Soyez dans la joie et l’allégresse ». L’objectif du pape François en publiant cette exhortation « c’est, dit-il, de faire résonner une fois de plus l’appel à la sainteté, en essayant de l’insérer dans le contexte actuel, avec ses risques, ses défis et ses opportunités. » Donc, aujourd’hui, c’est le pape François qui donne l’homélie.

D’entrée de jeu, ce dernier ne veut surtout pas que nous pensions uniquement à ceux et celles qui sont déjà béatifiés ou canonisés quand il parle de sainteté. J’aime voir, dit-il, la sainteté dans le patient peuple de Dieu : chez ces parents qui éduquent avec tant d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades, chez les religieuses âgées qui continuent de sourire. 

Dans cette constance à aller de l’avant chaque jour, je vois la sainteté de l’Église militante, dit le pape. C’est cela, souvent, la sainteté, que le pape appelle la sainteté « “de la porte d’à côté »”, c’est-à-dire de ceux qui vivent proches de nous et qui sont un reflet de la présence de Dieu.

Ce qui importe, dit le pape, c’est que chaque croyant discerne son propre chemin et mette en lumière le meilleur de lui-même, ce que le Seigneur a déposé de vraiment personnel en lui (cf. 1 Co 12, 7) et qu’il ne s’épuise pas en cherchant à imiter quelque chose qui n’a pas été pensé pour lui. 

Pour être saint, dit le pape François, il n’est pas nécessaire d’être évêque, prêtre, religieuse ou religieux. Bien des fois, nous sommes tentés de penser que la sainteté n’est réservée qu’à ceux et celles qui ont la possibilité de prendre de la distance par rapport aux occupations ordinaires, afin de consacrer beaucoup de temps à la prière. Il n’en est pas ainsi, dit-il. 

Nous sommes tous appelés à être des saints et des saintes en vivant avec amour et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes, là où chacun se trouve. Es-tu une consacrée ou un consacré, dit-il ? Sois saint en vivant avec joie ton engagement. Es-tu marié ? Sois saint en aimant et en prenant soin de ton époux ou de ton épouse, comme le Christ l’a fait avec l’Église. Es-tu un travailleur ? Sois saint en accomplissant honnêtement et avec compétence ton travail au service de tes frères et de tes sœurs. Es-tu père, mère, grand-père ou grand-mère ? Sois saint en enseignant avec patience aux enfants à suivre Jésus. As-tu de l’autorité ? Sois saint en luttant pour le bien commun et en renonçant à tes intérêts personnels.

Laisse la grâce de ton baptême, dit le pape, porter du fruit dans un cheminement de sainteté. Et cette sainteté à laquelle le Seigneur t’appelle grandira par de petits gestes. Par exemple : une dame va au marché pour faire des achats, elle rencontre une voisine et commence à parler, et les critiques arrivent. Mais cette femme se dit en elle-même : “Non, je ne dirai du mal de personne”. Voilà un pas dans la sainteté ! Ensuite, à la maison, son enfant a besoin de parler de ses rêves, et, bien qu’elle soit fatiguée, elle s’assoit à côté de lui et l’écoute avec patience et affection. Voilà une autre offrande qui sanctifie ! Ensuite, elle connaît un moment d’angoisse, mais elle se souvient de l’amour de la Vierge Marie, prend le chapelet et prie avec foi. Voilà une autre voie de sainteté ! Elle sort après dans la rue, rencontre un pauvre et s’arrête pour échanger avec lui avec affection. Voilà un autre pas !

Cette mission, dit le pape François, trouve son sens plénier dans le Christ et ne se comprend qu’à partir de lui. Au fond, la sainteté, c’est vivre les mystères de sa vie en union avec lui. La sainteté consiste à s’associer à la mort et à la résurrection du Seigneur d’une manière unique et personnelle, à mourir et à ressusciter constamment avec lui. Mais cela peut impliquer également de reproduire dans l’existence personnelle divers aspects de la vie terrestre de Jésus : sa vie cachée, sa vie communautaire, sa proximité avec les derniers, sa pauvreté et d’autres manifestations du don de lui-même par amour. À chacun et chacune de trouver la voie qui lui correspond.

Tu as besoin de percevoir la totalité de ta vie comme une mission, dit le pape François. Essaie de le faire en écoutant Dieu dans la prière et en reconnaissant les signes qu’il te donne. Demande toujours à l’Esprit ce que Jésus attend de toi à chaque moment de ton existence et dans chaque choix que tu dois faire, pour discerner la place que cela occupe dans ta propre mission. Et permets-lui de forger en toi ce mystère personnel qui reflète Jésus-Christ dans le monde d’aujourd’hui.

Le pape conclut son exhortation avec les mots suivants : J’espère que ces pages seront utiles pour que toute l’Église se consacre à promouvoir le désir de la sainteté. Demandons à l’Esprit Saint d’infuser en nous un intense désir d’être saint pour la plus grande gloire de Dieu et aidons-nous les uns les autres dans cet effort. Ainsi, nous partagerons un bonheur que le monde ne pourra nous enlever.

Frères et sœurs, ce qu’il importe de retenir, c’est qu’être saint, c’est vivre l’Évangile là où la vie nous entraîne; c’est vivre l’Évangile dans nos choix de vie et nos engagements. La sainteté du quotidien, la sainteté “‘de la porte d’à côté”, comme l’appelle le pape François, c’est tout simplement la synthèse des ressources et des talents que nous portons, marqués par l’empreinte de l’évangile et de l’Esprit de Jésus-Christ. Cette façon de vivre donne une couleur et une profondeur unique à notre quotidien, et nous incite à nous y engager courageusement et sans compter. Voilà le témoignage que nous devons rendre à Jésus-Christ, nous ses disciples et ses amis. Et quand on nous demandera pourquoi nous agissons ainsi, nous répondrons tout simplement que c’est à cause de lui !

fr. Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le 2e Dimanche de Pâques (B)

Si l’évangile de Jean occupe une place de premier plan dans la Semaine sainte et le temps pascal, c’est que saint Jean nous livre une méditation d’une profondeur incomparable sur le mystère du Christ. Son objectif est sans équivoque quand il écrit à la fin de son évangile que les signes dont il a témoigné « ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom. » 

Pour que nous croyions et que nous ayons la vie ! Voilà le but que vise saint Jean, et c’est ainsi qu’il nous met en présence de trois personnages à la fin de son évangile, qui ont pour but de nous aider à comprendre à quelle profondeur notre acte de foi doit nous entraîner. Ces trois personnages sont : le disciple bien-aimé, dont l’identité n’est pas précisée, mais qui est un ami très cher de Jésus, Marie-Madeleine, et bien sûr l’Apôtre Thomas.

Commençons tout d’abord par Marie-Madeleine qui occupe une place privilégiée le matin de Pâque, et qui est tellement émouvante dans son amour pour le Seigneur. L’expression populaire ne fait-elle pas mémoire d’elle quand on dit d’une personne qu’elle pleure comme une Madeleine! Malgré son amour pour Jésus, ce dernier toutefois doit corriger ses attentes lorsqu’il lui apparaît, car elle semble vouloir le retenir, ne saisissant pas encore la nouvelle réalité dont vit Jésus. Elle ne peut plus le connaître comme auparavant, alors qu’elle marchait avec lui et les autres disciples. Le Ressuscité l’invite à un lâcher-prise afin de le connaître autrement. « Ne me retiens pas, lui dit-il, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va annoncer la bonne nouvelle, car vous me verrez en Galilée, tu me reverras en Galilée!»

Quant à l’apôtre Thomas, on ne peut douter de son attachement à Jésus. Ainsi, quand Jésus est appelé au chevet de son ami Lazare, voyage qui va impliquer un retour en Judée où sa vie est menacée, Thomas dira alors aux autres apôtres : « Allons nous aussi, et nous mourrons avec lui. » Aucun doute, Thomas aime beaucoup Jésus lui aussi, mais c’est aussi un homme des plus réaliste, et il ne peut accueillir le témoignage des autres apôtres à qui Jésus est apparu.Il a beau aimer Jésus, mais il ne faut quand même pas forcer la note ! Jésus vivant après sa mise à mort! D’où, sa vive réaction : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! » 

Comme un défi lancé à ses amis, Thomas exige de voir Jésus dans toute sa réalité humaine. Mais ce qui est extraordinaire dans cette histoire, c’est que le Ressuscité va répondre aux attentes de Thomas, au point de le confondre dans son incroyance. Le Seigneur Jésus le prend au mot et l’accompagne dans son acte de foi, comme il le fait pour Marie-Madeleine. Il va acquiescer à la demande de Thomas de voir ses plaies, de le toucher, et cette rencontre va amener Thomas à la plus belle expression de foi de tous les évangiles : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Une transformation s’opère en lui.

Et c’est alors que Jésus va corriger Thomas pour lui révéler ce que c’est que d’être véritablement croyant : « Parce que tu m’as vu, tu crois, lui dit Jésus. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » En disant cela, le Ressuscité se tourne vers nous et nous regarde, «heureux ceux qui croient sans avoir vu», car cette invitation, cette béatitude, nous concerne en premier lieu, nous qui avons mis notre foi en lui sans le voir.

Pourtant, on peut comprendre les doutes de Thomas. Ses amis se cachent depuis trois jours suite à la crucifixion de Jésus. Ils sont terrorisés. Ne seraient-ils pas l’objet d’une hallucination collective quand ils disent avoir vu Jésus vivant? « Je veux des preuves », dit Thomas. N’est-ce pas là ce que nous objecte le monde qui ne peut accueillir cette bonne nouvelle de la résurrection ? Quelles preuves avons-nous à offrir? Un tombeau vide? Mais ne sommes-nous pas alors dans le registre d’une foi naïve et sans fondement. Sur quoi allons-nous donc fonder notre foi?

C’est pourquoi l’évangéliste Jean nous livre le témoignage du disciple bien-aimé, qui représente le vrai disciple du Christ, celui qui croit sans avoir vu! Entre Marie-Madeleine, qui cherche à retenir Jésus dans sa réalité humaine le matin de Pâques, et l’Apôtre Thomas qui a besoin lui d’une certitude tangible pour croire, saint Jean nous laisse le témoignage de celui qui court avec l’Apôtre Pierre le matin de Pâque. Se tenant devant le tombeau vide, l’évangéliste a cette formule laconique au sujet du disciple bien-aimé : « il vit et il crut. »Mais que veut nous dire l’évangéliste quand il nous dit que le disciple bien-aimé a vu et a cru, alors qu’il se tient devant un tombeau vide? L’expérience qu’il nous rapporte au sujet du disciple bien-aimé va bien au-delà de la foi en un absent. Ce qu’il veut nous dire, et c’est là ma conviction, c’est que le cœur de la foi chrétienne est avant tout la reconnaissance d’une présence intérieure à nos vies, d’un appel au plus profond de nous-mêmes, une présence d’amour devant laquelle la foi se prosterne et adore. «Il vit et il crut!»

En fait, c’est l’amour qui fait croire le disciple bien-aimé ! Comme s’il se disait en regardant à l’intérieur du tombeau vide : « Je le savais ! » Cette brise légère au cœur de notre vie de foi, cet amour qui nous dépasse, c’est la rencontre du regard aimant du Ressuscité, qui nous fait entendre son appel au plus profond de nous-mêmes, et qui nous confirme en quelque sorte le témoignage des premiers témoins du Christ ressuscité.

Lorsque Thomas fait la rencontre du Seigneur, il ne s’est pas encore arrêté à cette présence nouvelle au cœur de sa vie, trop occupé à chercher des preuves en dehors de lui-même. Mais Jésus ne l’abandonne pas, bien au contraire. Il l’accompagne dans son doute, tout comme il aide Marie-Madeleine à purifier son désir afin de mieux s’attacher à lui, tout comme il nous prend par la main, chacun et chacune de nous.

Et voilà que Thomas, ce matin, nous livre l’expression la plus achevée de qui est Jésus, «mon Seigneur et mon Dieu», et que Marie-Madeleine devient la première à annoncer la résurrection du Christ aux premières lueurs de Pâque. C’est cette bonne nouvelle qui est parvenue jusqu’à nous au fil des siècles et qui nous fait vivre à notre tour !

fr. Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le Dimanche de Pâques

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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean   (Jn 20, 1-9)
Le premier jour de la semaine,
Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ;
c’était encore les ténèbres.
Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.
Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple,
celui que Jésus aimait,
et elle leur dit :
« On a enlevé le Seigneur de son tombeau,
et nous ne savons pas où on l’a déposé. »
Pierre partit donc avec l’autre disciple
pour se rendre au tombeau.
Ils couraient tous les deux ensemble,
mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre
et arriva le premier au tombeau.
En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ;
cependant il n’entre pas.
Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour.
Il entre dans le tombeau ;
il aperçoit les linges, posés à plat,
ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus,
non pas posé avec les linges,
mais roulé à part à sa place.
C’est alors qu’entra l’autre disciple,
lui qui était arrivé le premier au tombeau.
Il vit, et il crut.
Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris
que, selon l’Écriture,
il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

COMMENTAIRE

En entendant le récit de la course passionnée de Simon-Pierre et du disciple bien-aimé, comment ne pas voir dans leur sillage les souvenirs enchevêtrés de ces trois années d’itinérance passées avec Jésus ?

Comme il était grand leur espoir ! Trois années nourries des rêves les plus fous… et puis la mort tragique, la fin brutale de celui qu’ils aimaient. Et quoi maintenant ? Quelle est cette nouvelle ? Ils n’osent y croire. À bout de souffle, le regard inquiet, les voici au tombeau, le plus jeune devançant le plus vieux. Le commentaire de l’évangéliste à son sujet est stupéfiant par sa brièveté : « Il vit et il crut ! ».

La résurrection de Jésus est la réalisation d’une promesse longtemps attendue, où Dieu affirme que le Vivant n’a pas sa place dans les tombeaux de ce monde. Pourtant, l’expérience du tombeau vide n’explique en rien la foi des disciples du Christ. Ce serait là un bien faible appui sur lequel miser nos vies. Le tombeau vide n’est que le signe annonciateur préparant les disciples à une rencontre décisive avec le Ressuscité.

« Il vit et il crut ! », nous dit l’évangéliste. Nous avons là une clé d’interprétation fondamentale pour comprendre ce que veut dire la foi en Jésus Christ. Ceci peut sembler contradictoire, mais avant de croire, il faut avoir vu. Je m’explique. La foi au Dieu de Jésus Christ ne se fonde pas sur des raisonnements intellectuels irréfutables, bien que l’intelligence soit au service de la foi. Je serais un bien mauvais dominicain si j’osais affirmer le contraire. Mais je garde cette conviction fondamentale que le cœur de la foi chrétienne est avant tout la reconnaissance d’une présence intérieure, d’un appel au plus profond de nous, une présence d’amour infinie devant laquelle la foi se prosterne et adore. « Il vit et il crut ! »

En fait, c’est l’amour qui fait croire ici ! Comme si l’apôtre bien-aimé se disait en regardant le tombeau vide : « Je le savais ! » Cette brise légère au cœur de notre vie de foi, c’est la rencontre du regard aimant de Jésus posé sur nous qui nous attire vers lui et qui nous fait entendre cet appel intérieur, au plus profond de nous-mêmes, tout comme les deux disciples devant le tombeau vide, à qui le Ressuscité semble dire : « Voyez ! Vous pensiez avoir enterré tous vos espoirs. Mais regardez ce tombeau vide, c’est plein de vie dedans. »

Tout comme pour Pierre et le disciple bien-aimé, c’est la bonne nouvelle de la résurrection du Christ qui nous fait accourir ici en ce matin de Pâques. C’est une recherche commune qui nous unit en Église, où nous ne cessons d’approfondir le don que Dieu nous fait en Jésus Christ, et où nous ne cessons de nous en émerveiller ensemble.

C’est tout le sens de cette grande Semaine Sainte qui nous a conduits jusqu’à ce matin de la résurrection, où nous nous tenons éblouis nous aussi devant ce tombeau vide. Un tombeau à la porte grande ouverte, irradiant la lumière de Pâques. « Il vit et il crut ! » C’est à ce regard de foi et d’amour que nous sommes conviés ce matin.

fr. Yves Bériault, o.p.

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Samedi saint

L’antique homélie sur le Samedi Saint que l’on lit dans l’Office des lectures résume bien la portée de cet intervalle que constitue le Samedi Saint : « Qu’est-ce qui s’est produit? Aujourd’hui sur la terre règne un grand silence, un grand silence et la solitude. Un grand silence, car le Roi dort… » [1].

Comment ne pas évoquer ici le psaume 131 où la figure du psalmiste devient celle de Jésus dans sa parfaite obéissance au Père:

“Seigneur je n’ai pas le coeur fier…
Non, mais je tiens mon âme
égale et silencieuse;
mon âme est en moi comme un enfant,
l’enfant sevré contre sa mère.”

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[1] Antica omelia sul Sabato santo (PG 43, 439 s.)

[2] La peinture du peintre Arcabas intitulée : Grand Balthasar décédé se veillant lui-même

Vendredi saint : Stabat Mater

« Près de la croix de Jésus se tenait debout sa mère. » (Jn 19, 25)

« Près de la croix de Jésus se tenait debout sa mère. » C’est avec Marie que je vous propose de contempler la croix du Seigneur en ce Vendredi Saint. À travers la figure de Marie, la Mère du Seigneur, l’évangéliste Jean nous introduit dans le sens profond du mystère de la croix et de notre mystère en tant que disciples du Christ.

Il est vrai que les évangiles ne nous parlent pas beaucoup de la Mère du Seigneur, et pourtant elle est la seule personne dans les évangiles dont on mentionne la présence à toutes les étapes importantes de la vie de Jésus.

Elle est présente à son incarnation, elle en est même l’objet privilégié; elle est là pendant la mission de Jésus, pensons ici aux noces de Cana; elle est présente à Jérusalem, lors de la passion et de la mort de Jésus; et, après la résurrection, elle est sera présente à la Pentecôte avec les apôtres. Malgré leur discrétion, Marie occupe une place unique dans les évangiles, parce qu’elle occupe une place unique dans l’histoire du salut.

Celui que Marie a contemplé tout petit, couché dans une mangeoire, emmailloté, le voici maintenant couché sur la croix. Marie se tient debout devant lui, en silence, mère courageuse et en attente, comme la femme enceinte qui attend l’heure de sa délivrance. Marie, devant la croix, vit une pauvreté spirituelle qui la dépouille de tout privilège, de toute promesse. Il n’y a plus que cette nuit obscure, nuit de la passion, dans laquelle est entré son fils Jésus et dans laquelle elle entre avec lui. Et Marie se tient debout au pied de la croix…

L’évangéliste Jean est le seul qui présente cette scène, et pour bien la comprendre, il faut savoir ce que représente le Calvaire chez Jean. Le Calvaire représente l’ « Heure » de Jésus. Jean mentionne cette « Heure » à plusieurs reprises dans son évangile. Ainsi Jésus dira : « Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils » (Jn 17, 1), « c’est pour cette Heure que je suis venu dans le monde » (Jn 12, 27). Et voilà que tout est consommé. Jésus est suspendu entre ciel et terre, et Marie se tient debout au pied de la croix.

Pour l’évangéliste Jean, le Calvaire est le lieu privilégié où se révèle la gloire du Christ. C’est l’« Heure » par excellence. Jésus ne disait-il pas : « lorsque vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous connaîtrez que Je Suis. » (Jn 8, 28).

Et en plaçant Marie au pied de la croix, Jean la situe au coeur du mystère pascal. Elle est témoin non seulement de la mort de son fils, mais de sa victoire sur la mort. Jésus après sa résurrection dira : « Bienheureux ceux qui croient sans avoir vu! » Marie sa mère est de ceux-là.

De Marie au pied de la croix, on ne nous rapporte ni cri, ni lamentation. Seulement son silence et sa position : Marie se tait, elle est debout, « donnant à l’immolation de la victime, née de sa chair, le consentement de son amour » (Vatican II : Lumen gentium, 58). Elle entre avec Jésus dans sa Pâque. C’est l’« Heure » de Jésus, mais c’est aussi l’« Heure » de Marie. Son oui la conduisait à cette « Heure », et c’est aussi le lieu de notre « Heure » à nous, parce que la croix est le lieu du disciple du Christ, et, comme Marie, le disciple est appelé à entrer dans l’offrande de Jésus faite au Père en notre nom.

Est-il surprenant alors que Marie se tienne debout au pied de la croix? Le Calvaire, où le cœur de Marie est transpercé par le glaive qu’annonçait la prophétie du vieux Syméon (« toi-même un glaive te transpercera l’âme »), nous donne de contempler la Mère du Seigneur qui avance dans la foi à la rencontre de la passion et de la mort de son fils. En Marie, nous contemplons déjà l’Église qui va à la rencontre de son Seigneur et qui se tient debout avec lui. C’est cette grâce qui est à l’œuvre en Marie et qui fait d’elle le véritable modèle du disciple du Christ. Avec elle, en ce Vendredi Saint, nous nous tenons debout près de la croix.

Marie se tient debout dans un sens physique bien sûr, mais avant tout, dans un sens spirituel. Au pied de la croix, Marie se tient debout et victorieuse avec le Christ. La passion est achevée, le long périple dans la nuit de la foi s’ouvre déjà sur l’Heure de Jésus, sur sa victoire sur la mort.

Quant à nous, nous savons combien il est difficile parfois de rester avec Jésus. C’est pourquoi il nous invite à prendre avec nous sa mère : « Voici ta mère » dit-il à chacun et chacune de nous. Avec elle, nous pouvons apprendre à nous tenir debout, là où dans la nuit de nos épreuves la résurrection de notre Seigneur est déjà à l’œuvre. Telle est notre foi et nous la proclamons fièrement en ce Vendredi Saint en nous tenant debout tout près de la croix.

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le Jeudi saint

L’un des plus beaux témoignages qu’il m’ait été donné d’entendre au sujet de l’eucharistie est sans doute celui d’un étudiant italien, Francesco, qui, à la suite au décès subit de sa mère, est retourné d’urgence dans son pays. Le soir des funérailles, il s’est retrouvé seul à la maison avec son père, et ensemble ils ont préparé le repas. Ce repas était composé de mets que la mère avait cuisinés quelques jours à peine auparavant. Et voilà qu’au moment de mettre la table et de commencer à manger, les odeurs familières de la cuisine de la maman se sont peu à peu répandues dans toute la maison, comme une présence mystérieuse accentuant le souvenir de celle qui était partie, mais dont l’amour s’exprimait encore dans cette nourriture partagée par le père et le fils. 

Au début du repas, ce fut un silence ému qui unit le père et le fils en manque de mots autour de la table. Mais peu à peu les souvenirs se frayèrent un chemin, et, ce soir-là, le père et le fils parlèrent ensemble très tard de celle qu’ils aimaient et qui les avait quittés. 

De retour au pays, Francesco est venu me voir pour me parler de ce repas qui l’avait grandement marqué. Un peu gêné, ne sachant pas s’il était dans l’erreur, il me confia que ce repas lui avait donné de comprendre l’Eucharistie comme jamais auparavant et qu’il ne pouvait plus la vivre de la même façon. Vous comprendrez que Francesco était un jeune catholique convaincu et devant sa découverte, il me venait à l’esprit les paroles de Jésus à ce scribe : «Tu n’es pas loin du Royaume!»

Car dans l’eucharistie, nous retrouvons bien la dimension du repas partagé, le souvenir d’un être aimé, le rappel de ses paroles, de ses faits et gestes… Mais il y a quand même une différence importante : l’eucharistie ce n’est pas un absent dont le souvenir nous rassemble, mais un vivant, le Christ ressuscité, qui nous constitue en son corps, qui nous forme et nous fait grandir. 

Vous aurez sans doute remarqué ce soir, que ce qui occupe le centre du dernier repas chez l’évangéliste Jean, ce n’est pas la mention du pain et du vin partagé, mais plutôt le lavement des pieds des apôtres par Jésus. Nous le savons, Jésus s’est fait le serviteur de tous, et par ce geste du lavement des pieds, une tâche qui était habituellement réservée aux esclaves, Jésus veut montrer à ses disciples ce que c’est que de prendre au sérieux son message d’amour : c’est revêtir le tablier et se faire le serviteur de tous.

Frères et sœurs, la liturgie du Jeudi saint a ceci de particulier quand on la compare soit au dimanche des Rameaux, à la passion du Vendredi saint, ou encore au dimanche de Pâques. Le Jeudi saint est tout orienté vers nous les disciples. Jésus nous rassemble, il fait préparer le repas, il s’agenouille devant nous, il nous lave les pieds et nous demande de faire de même entre nous, comme si c’était là la chose la plus importante qu’il pouvait nous léguer en héritage la veille de sa mort. 

C’est ainsi que l’évangéliste Jean comprend la dernière Cène. Jésus ne laisse pas un culte à ses disciples, une dévotion quelconque, mais il veut leur rappeler une dernière fois, ce que doit être l’orientation fondamentale de la vie de ceux et celles qui se disent ses amis : «ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi». Nous aimer les uns autres comme Jésus l’a fait pour nous, c’est là notre appel frères et sœurs, et c’est là le fondement même de ce que veut dire faire Église ensemble, faire communauté.

Contrairement aux autres évangélistes, Jean ne parle pas de l’amour du prochain. Il insiste plutôt sur l’amour mutuel entre les disciples, qui doivent accepter de se laver les pieds les uns aux autres, qui doivent accepter de se faire les serviteurs les uns des autres. Jésus le dit bien, c’est un exemple que je vous ai laissé, un témoignage qui est l’expression même du cœur de sa vie et de sa mission, et qui trouve son enracinement, son fondement, dans une communauté qui partage la Parole, qui se rassemble autour de l’Eucharistie, qui prie et s’engage ensemble, qui se soutien, qui vient en aide à ses membres les plus faibles, ou les plus souffrants.  

Si le monde a besoin de disciples-missionnaires, comme le veut ce slogan à la mode dans bien des diocèses, et bien l’action la plus significative que nous puissions mener passe tout nécessairement par notre être ensemble, passe par le souci les uns des autres que le Christ inscrit dans nos cœurs. C’est cet amour fraternel des disciples, cette agapè, qui devient alors contagieux, qui parle du Christ et de l’amour de Dieu, comme aucun de nos mots ne saurait le faire.

Frères et sœurs, en cette veille de la passion et de la mort de notre Seigneur, il y a là quelque chose de la folie de Dieu qui nous dépasse, un acte d’amour tellement absolu qu’il questionnera notre humanité jusqu’à la fin des temps. Et, à cause de lui, mystérieusement, les hommes et les femmes qui le suivent se surprennent à vouloir aimer et servir comme lui. C’est à ce don de nous-mêmes qu’il nous invite lorsqu’il nous dit, en offrant le pain et le vin : «Vous ferez cela en mémoire de moi». Nous sommes invités, avec lui, à revêtir le tablier, à nous revêtir de sa puissance d’amour, et à devenir son corps et son sang pour le salut du monde, à devenir avec lui une éternelle offrande à la gloire du Père.

Yves Bériault, o.p.