Etty Hillesum et la rose fanée

Etty n’est pas ignorante du sort probable qui l’attend. À travers une prose dépouillée mais combien profonde, elle contemple une fleur qui se fane et y projète son propre destin :

19 juin 1942 : « Entre ma machine à écrire, un mouchoir et un rouleau de coton noir, ma rose est en train de se faner. Elle est d’une beauté et d’une délicatesse à peine supportable. Se fanant doucement et avec résignation, elle se prépare à quitter cette vie brève et froide. Elle est si fragile et si belle et si gracieuse dans sa lente agonie que mon cœur pourrait facilement se briser. Mais il faut même laisser mourir une rose en paix, et ne pas essayer passionnément et désespérément de s’y accrocher. Avant, j’étais inconsolable, terriblement malheureuse quand une fleur se fanait. Mais l’on doit apprendre à accepter ce qui fane sans protester. Et savoir qu’il y aura toujours une nouvelle floraison. »

La mort de Julius Spier

La mort de Julius Spier, son « initiateur », la veille du jour où il devait être déporté, est pour Etty Hillesum comme une seconde naissance. Elle s’adresse à lui dans son Journal le lendemain de son décès :

16 septembre 1942 : « J’avais encore mille choses à te demander et à apprendre de ta bouche; désormais je devrai m’en tirer toute seule. Je me sens très forte, tu sais, je suis persuadée de réussir ma vie. C’est toi qui as libéré ces forces dont je dispose. Tu m’as appris à prononcer sans honte le nom de Dieu. Tu as servi de médiateur entre Dieu et moi, mais maintenant, toi le médiateur, tu t’es retiré et mon chemin mène désormais directement à Dieu; c’est bien ainsi, je le sens. Et je servirai moi-même de médiatrice pour tous ceux que je pourrai atteindre. »

Etty Hillesum et Julius Spier

6 juillet 1942. Alors que Julius est gravement malade, Etty écrit après lui avoir rendu visite :

« Au moment de le quitter, je me suis blottie un instant contre lui et lui ai dit : « J’aimerais rester avec toi aussi longtemps que possible…. j’ai eu tout à coup l’impression qu’un grand ciel se déployait autour de nous comme dans une tragédie grecque : un instant tous mes sens se sont brouillés, j’étais avec lui au milieu d’un espace infini traversé de menaces, mais aussi d’éternité… Entre nos yeux, nos mains, nos bouches passent désormais un courant ininterrompu de douceur et de tendresse où le désir le plus ténu semble s’éteindre. Il ne s’agit plus désormais que de donner à l’autre toute la bonté qui passe en nous. Chacune de nos rencontres est aussi un adieu. »

Quand on étudie la vie d’Etty Hillesum, on ne peut le faire sans tenir compte, non seulement de la grande influence de Julius, mais aussi de sa grande foi. Etty l’avouera dans son journal, Julius est un modèle d’émulation pour elle. Voici l’une des rares lettres que nous avons de Julius à Etty et que cette dernière retranscrit dans son journal :

15 juillet 1942 : « Il est dix heures et demie. Je viens de m’agenouiller longtemps devant mon fauteuil et de prier en silence avec ardeur et du fond du coeur. Aide et protection s’enfuient de tous les pauvres gens remplis d’angoisse et sans préparation intérieure, qui passent maintenant les dernières heures dans leur domicile. Combien je peux ressentir tout cela!! Mon coeur est si lourd et si plein d’amour, je voudrais les y étreindre tous et les consoler comme on console sa mère. » Il termine par : « Amour, je veux continuer à prier ». »