Homélie pour la fête du Saint Sacrement

Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 14,12-16.22-26.

Le premier jour de la fête des pains sans levain, où l’on immolait l’agneau pascal, les disciples de Jésus lui disent : « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? »
Il envoie deux de ses disciples en leur disant : « Allez à la ville ; un homme portant une cruche d’eau viendra à votre rencontre. Suivez-le,
et là où il entrera, dites au propriétaire : “Le Maître te fait dire : Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?”
Il vous indiquera, à l’étage, une grande pièce aménagée et prête pour un repas. Faites-y pour nous les préparatifs. »
Les disciples partirent, allèrent à la ville ; ils trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit, et ils préparèrent la Pâque.
Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit : « Prenez, ceci est mon corps. »
Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous.
Et il leur dit : « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude.
Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu. »
Après avoir chanté les psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers.

COMMENTAIRE

Quelques mots tout d’abord quant à l’origine de la solennité du Corps et du Sang du Christ. Cette fête a fait son apparition au XIIIe siècle. Elle est proposée en réaction à certains théologiens qui remettaient en question la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Elle est aussi une réponse à une dévotion populaire qui cherchait de plus en plus à voir l’hostie consacrée lors de l’élévation pendant la messe, l’élévation de l’hostie étant une nouveauté liturgique attestée pour la première fois à Paris, vers l’an 1200. Voilà pour la petite histoire.

Par ailleurs, depuis que Jésus a dit de son corps qu’il était une véritable nourriture et son sang un véritable breuvage, plusieurs ont trouvé, et trouvent encore, ces paroles trop dures à entendre. Un jour, une dame m’en fit la remarque lors de funérailles. Elle reprenait l’objection qualifiant les chrétiens d’anthropophages! La fête d’aujourd’hui devient donc une belle occasion de réfléchir ensemble sur le sens de notre repas dominical et de mettre les choses au clair : nous ne sommes pas des anthropophages!

Tout d’abord, et ce qui peut en surprendre quelques-uns, ce qui est premier dans l’eucharistie, c’est nous, l’assemblée. C’est nous tous, les fidèles, fidèles en ce que nous attachons nos pas à ceux du Ressuscité, et nous réunissons le dimanche pour célébrer sa résurrection. Sans assemblée, sans peuple de Dieu, l’Eucharistie n’a pas de sens. Nous sommes les premiers sujets de l’action qui se déroule chaque dimanche et chaque jour de la semaine dans nos églises. L’eucharistie n’appartient pas au prêtre, elle appartient à l’assemblée et le ministre ne fait que présider l’action de grâce de l’assemblée en union avec l’offrande du Christ.

Remarquez ce détail important dans l’évangile d’aujourd’hui. Jésus envoie ses disciples préparer la salle où manger la Pâque avec eux. Jamais l’eucharistie sans les disciples. Nous sommes la raison même de ce don précieux que nous fait le Christ de lui-même, nous en sommes les premiers bénéficiaires.

Voilà vingt siècles que les chrétiens, fidèles à l’invitation de leur Seigneur, célèbrent l’Eucharistie. Cette action de la mémoire de l’Église est vite devenue le coeur même de la foi chrétienne, car l’eucharistie naît du mystère pascal. Elle est une fête pascale! Il faut donc que les chrétiens et les chrétiennes développent une vive conscience de la grandeur du mystère qu’ils célèbrent afin d’en goûter tous les fruits et de grandir dans l’amour de ce sacrement.

Car Jésus ressuscité n’a jamais cessé d’habiter visiblement parmi nous. Il se fait voir dans le pain et vin consacré, c’est lui qui véritablement préside notre assemblée, et nous partage son corps et son sang de ressuscité, c.-à-d. sa divinité et sa force d’aimer. Quand nous parlons de la chair et du sang du Christ, cela désigne son être tout entier. Il s’agit d’une nourriture spirituelle qui fonde et enracine nos vies d’hommes et de femmes en ce monde.

C’est saint Jean-Paul II, dans son encyclique sur l’Eucharistie, qui affirmait au sujet de l’Eucharistie : « même lorsqu’elle est célébrée sur un petit autel d’une église de campagne, l’Eucharistie est toujours célébrée, en un sens, sur l’autel du monde… Le monde, sorti des mains du Dieu créateur, retourne à lui après avoir été racheté par le Christ. »

Mais ce mouvement de retour vers Dieu ne se fait pas sans nous. Nous sommes aussi les acteurs de cette action avec le Christ. C’est pourquoi notre assemblée dominicale est éminemment missionnaire. À la fin de chacune de nos eucharisties, nourris de la vie du Christ et de sa Parole, la paix du Christ nous est confiée afin que nous allions nous aussi, comme les disciples de l’évangile, étendre aux quatre coins du monde la grande nappe du banquet pascal où toutes les nations sont conviées.

Voilà frères et soeurs, en quelques mots, le grand mystère qui nous rassemble aujourd’hui en cette solennité du Corps et du Sang du Christ.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le Dimanche de la Sainte trinité (B)

Un jour, un évêque exprima le souhait de rencontrer un groupe d’enfants, qui se préparait pour la première communion. Il les recevait l’un après l’autre et les questionnait sur ce qu’ils avaient appris dans leur cours de catéchèse. Il demanda à une fillette : « Peux-tu me parler de la Sainte Trinité ? » L’enfant commença son boniment, mais après une minute, l’évêque étant un peu sourd, s’approcha d’elle, et tendant l’oreille, lui dit : « Je m’excuse mon enfant, mais je ne comprends pas ». La petite fille lui répondit en chuchotant, sur le ton de la confidence : « Moi non plus, monseigneur, je ne comprends pas. C’est un mystère ! » Un mystère ! C’est ainsi habituellement que l’on nous présente ce qui est le cœur de notre foi, la Sainte Trinité. 

Ce mystère d’un Dieu en trois personnes, bien des pères de l’Église et des mystiques ont tenté de l’expliquer en usant de métaphores de toutes sortes afin de le rendre intelligible. Saint Grégoire de Nazianze, disait de la Trinité : « Le Père est la Source, son Verbe est le fleuve, l’Esprit Saint est le courant du fleuve. » Catherine de Sienne, elle, prenait l’analogie du Buisson ardent, le Père étant le feu, le Fils étant la lumière qui se dégage du feu, et l’Esprit Saint, la chaleur du feu.

Mais l’exemple dont je garde le souvenir le plus frappant est celui de cette soirée chez mes parents. Nous étions assis au salon ensemble sur un divan. Ma mère était assise entre moi et mon père, heureuse de nous avoir tout près d’elle. Soudain, comme si elle venait de faire une grande découverte, elle s’exclama, en indiquant mon père : « Le père » ; ensuite elle se tourna vers moi et dit : « le fils », et, se pointant du doigt, elle eût un moment d’hésitation, et elle dit avec un grand sourire : « et le Saint Esprit ». Ma mère ne parlait jamais de sa foi, et je me demande encore aujourd’hui comment lui est venue une telle idée ? C’était tout à fait spontané, et je garde le souvenir que ma mère venait d’exprimer là une profonde intuition du mystère de la Trinité, qui m’interpelle encore aujourd’hui, le mystère d’une profonde communion.

Il n’est pas simple de parler de la Sainte Trinité, et pourtant, cette vérité de notre foi est fondamentale. Elle structure notre Credo, ainsi que toutes nos liturgies. Ainsi, lorsque nous prions et célébrons ensemble, nos prières sont toujours adressées au Père, par le Fils, dans le Saint Esprit. Notre foi est décidément trinitaire.

Pourtant, vous conviendrez avec moi qu’il serait tellement plus facile d’affirmer que nous croyons simplement en un Dieu, comme toutes les autres grandes religions, sans aborder ces distinctions entre le Père, et le Fils et le Saint Esprit. On éviterait ainsi beaucoup de querelles et de désaccords, et je n’aurais pas à préparer une homélie sur un tel sujet. Alors, pourquoi tenons-nous tellement à affirmer cette foi en la Sainte Trinité ? 

Poser la question, c’est y répondre. Nous croyons au Dieu trinitaire parce que c’est Lui qui nous a donné de le connaître. C’est Lui qui s’est révélé à nous. Ce serait tellement plus simple si Dieu ne nous avait pas légué cette révélation de lui-même en Jésus Christ. Mais voilà, Jésus est venu, et il nous a dévoilé le vrai visage de Dieu. Il nous a donné de comprendre que si nous pouvons affirmer que Dieu est Amour, c’est justement parce qu’il est Trinité, un seul Dieu en trois personnes ! Comme c’est compliqué, me direz-vous.

Mais de la même manière que les astrophysiciens ne cessent de s’émerveiller devant l’infinie grandeur d’un univers, qui ne cesse de se complexifier et de s’étendre au fur et à mesure qu’ils le découvrent, la foi chrétienne est le résultat de cette découverte progressive du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, et qui atteint son point culminant, il y a deux mille ans, alors que Dieu est venu parmi nous, qu’Il a pris un visage, qu’Il s’est fait connaître de nous comme un être de communion, en qui se vit une profonde intimité, un mystère d’amour inouï entre le Dieu Père qui envoie son Fils, le Dieu Fils qui est tout donné à son Père, et qui vient nous ramener vers Lui, et le Dieu Saint Esprit qui est cet amour éternel qui uni le Père et le Fils. C’est Jean-Philippe Ferlay, dans un livre sur l’Esprit Saint, qui exprime magnifiquement cette réalité en Dieu. Il écrit :

« L’amour du Père pour son Verbe dans l’Esprit est tellement fort et généreux qu’il éclate hors de Dieu. Et voilà que le monde est créé, tout différent de Dieu et pourtant absolument lié à lui. Dieu n’a besoin de rien. Il ne crée ni par hasard ni par caprice, mais par surabondance d’amour, pour faire participer ce qui existe à sa vie et à sa joie. » 

Frères et sœurs, parce que nous mettons notre foi en Jésus-Christ, nous croyons que Dieu n’est pas une invention, mais une découverte qu’un jour nous pourrons contempler face à face. C’est ce grand mystère d’amour que Jésus est venu nous révéler, nous donnant de comprendre que s’il y a communion, joie, et amour en Dieu, c’est parce qu’il y a trois Personnes en Dieu : le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Ils sont trois et pourtant ils ne forment qu’un seul Dieu. On l’appelle la Sainte Trinité et c’est un mystère ! Bonne fête de la Sainte-Trinité !

fr. Yves Bériault, o.p.

Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour la fête de la Pentecôte

Le récit de la Pentecôte est fort impressionnant et n’est pas sans rappeler certaines scènes de l’Ancien Testament. Ainsi à la Pentecôte, c’est la tour de Babel qui est revisitée où, cette fois-ci, Dieu prend l’initiative d’unifier l’humanité autour d’un même langage, soit celui de l’Esprit Saint. À la Pentecôte, tous ces gens rassemblés à Jérusalem qui proviennent de régions diverses de la Méditerranée, parlant tous différentes langues, s’exclament en entendant les Apôtres : «Tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu.» 

Nous retrouvons aussi dans le récit de la Pentecôte une évocation de la remise des Tables de la Loi à Moïse. Surgissent alors, nuée, bruit assourdissant, vent de tempête, tout comme au mont Sinaï. Et si Moïse reçoit les Tables de la Loi comme signe de l’Alliance indéfectible entre Dieu et son peuple, à la Pentecôte, cette Alliance trouve son achèvement. Et se réalise alors la promesse solennelle de Dieu qui déclarait au livre de Jérémie : «Je mettrai ma loi au dedans d’eux, je l’écrirai dans leur cœur.» C’est cela le souffle de la Pentecôte!

Ce qui doit donc attirer notre attention aujourd’hui, ce n’est pas tellement le merveilleux du récit, mais surtout la finalité du don de l’Esprit Saint, qui est que toutes les nations entendent parler des merveilles que Dieu le Père accomplit en ressuscitant son fils Jésus Christ d’entre les morts. 

Cette fête n’a certainement pas le même éclat pour nous aujourd’hui que pour les premiers témoins de la Pentecôte. Comme nous aurions besoin parfois nous aussi de signes tangibles et éclatants de la présence de Dieu en notre monde. Mais peut-être nous faut-il apprendre à ouvrir les yeux, surtout en cette période inédite d’une pandémie qui nous relie tous les uns aux autres sur cette planète, dans une solidarité faite de hasards et de circonstances. Il y a là, il me semble, un parallèle à faire avec la Pentecôte et le don de l’Esprit Saint. Je m’explique.

Voyez-vous, un seul voyageur des Indes peut très bien apporter avec lui le virus de la Covid-19 en Afrique du Sud et le transmettre à tout un continent; tout comme un voyageur revenant du Mexique peut le transmettre à toute la région de l’Outaouais, et ainsi de suite. On le sait bien, ce virus ne connaît aucune frontière, il ne fait pas de distinction entre les personnes, groupes d’âge, races ou nationalités. Nul ne peut se dire à l’abri. Que l’on soit catholique, protestant ou orthodoxe, ne change rien à l’affaire; que l’on soit musulman, hindou ou bouddhiste, non plus. Nous sommes tous et toutes vulnérables, imbriqués dans une étrange solidarité dont on se passerait bien.

Maintenant, faut-il s’étonner, mais l’Esprit du Seigneur obéit à cette même logique de la contagion, mais à une différence près. Il faut vouloir l’attraper ce virus et le communiquer aux autres! Il nous faut vouloir être habités par le souffle de l’Esprit, que nous promet le Christ, afin de gouter à la transformation spirituelle qu’il vient opérer en nous! Ce don est toujours offert, même aux croyants de longue date. C’est un don qui se renouvelle et qui s’approfondit sans cesse dans nos vies. C’est là la promesse de la Pentecôte, où l’Esprit Saint ne cessera jamais de nous former et de nous enseigner! Mais pour cela, il nous faut l’invoquer. C’est pourquoi le répons du psaume aujourd’hui nous fait chanter : «Ô Seigneur, envoie ton esprit!»

L’Esprit Saint est comme ce vent dont parlait Jésus à Nicodème et dont on ne sait ni d’où il vient ni où il va, et qui souffle à la fois sur les bons comme sur les méchants. Il est à l’œuvre partout dans notre monde, mais contrairement à la Covid, il nous faut vouloir l’attraper, être contaminés par lui, afin d’en vivre. C’est pourquoi, avec l’Église toute entière en ce dimanche de la Pentecôte, nous chantons et nous supplions : «Ô Seigneur, envoie ton esprit!» Nous prions afin que le mal n’ait jamais le dernier mot. Là où la haine domine, où la violence fait la loi, là où les enfants sont abusés, maltraités, assassinés; là où l’injustice et la loi du plus fort dominent. Nous supplions : «Ô Seigneur, envoie ton Esprit!» 

Mais une mise en garde est de mise ici. Il faut savoir qu’on ne peut invoquer impunément l’Esprit Saint. Car il trace alors pour nous des chemins de vie qui peuvent se révéler des plus exigeants. La suite du Christ est à ce prix, nous le savons trop bien. Et l’Esprit du Seigneur nous conduit dans une logique du don de soi, du sacrifice. Sacrifice! Mot qui n’a certainement pas la cote de nos jours, mais qui est bien réel, surtout quand il nous faut nous oublier et servir, quand il nous faut pardonner et vivre des réconciliations, quand il nous faut donner de nous-mêmes, alors qu’il serait beaucoup plus simple de tourner le dos. 

Car l’Esprit saint que nous envoie le Fils d’auprès du Père est non seulement un Esprit de sainteté, mais il est aussi un Esprit de vérité qui exige de nous que nous vivions en accord avec l’Évangile du Christ que le baptême a gravé en nos cœurs.

Frères et sœurs, avec la fête de la Pentecôte nous touchons à la clé de voûte de notre foi qui tient tout l’édifice de notre vie spirituelle. La Pentecôte, c’est l’Esprit Saint qui  fait de nous de véritable disciples du Christ, tout autant que les Apôtres. Il nous rend capables de le reconnaître comme Seigneur et Fils de Dieu. C’est l’Esprit Saint qui met dans notre bouche la parole de vérité et de réconciliation et qui nous donne de professer notre foi en ce Dieu Père, Fils et Esprit Saint. 

C’est lui enfin qui met en nous des langues de feu capables d’annoncer avec force et courage la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, car la présence de l’Esprit Saint en nos vies c’est la présence même du Christ ressuscité, présent à son Église et à chacun et chacune de nous jusqu’à la fin des temps! Voilà l’extraordinaire mystère que nous célébrons en ce jour.

Bonne fête de la Pentecôte!

fr. Yves Bériault, o.p.

Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 6e Dimanche de Pâques (B)

C’est le théologien Jean Galot qui disait : « Le Christ est venu sur la terre pour provoquer un attachement à sa personne, pour attirer à lui l’humanité et l’univers. Mais avant de réclamer cette adhésion et pour l’obtenir, il s’attache lui-même aux hommes ». Afin d’illustrer cette affirmation, voici une brève catéchèse pascale en trois mouvements. Nous verrons ensuite quelques considérations pastorales du pape François.

Ainsi, il y a deux semaines, Jésus disait à ses disciples qu’il était le bon berger. Par sa parabole, il nous invitait à établir avec lui une relation de confiance et de sécurité, comme si notre vie en dépendait. Il se présentait à nous tel un berger bagarreur, prêt à affronter le loup, allant jusqu’à donner sa vie pour ses brebis. Déjà, un grand amour pour nous se dessinait dans cet évangile.

Dimanche dernier, cette intimité des disciples avec Jésus s’approfondissait encore davantage. Jésus y décrivait le lien qui nous rattache à lui non plus simplement comme une relation de confiance et de protection, mais il comparait ce lien à celui des sarments greffés sur la vigne, image combien évocatrice, où notre communion avec lui devient littéralement organique, vivante, et où en dehors de lui nous ne pouvons vivre ! Par analogie, nous pourrions comparer cette relation à celle de l’enfant dans le sein de sa mère qui doit à tout prix se nourrir de sa vie afin d’atteindre sa pleine stature d’enfant. L’image n’est pas trop forte pour décrire l’intimité extraordinaire qui nous unit au Christ.

Aujourd’hui, dans l’évangile, le regard se porte davantage sur ce que Jésus attend de nous. Il ne nous appelle plus serviteurs mais amis, et il nous partage le grand commandement de son amour. Il nous invite, à demeurer dans son amour, afin que nous en soyons pétris, transformés, et que nous apprenions ainsi à nous aimer les uns les autres en vérité, comme lui nous a aimés. C’est là l’œuvre que Jésus vient accomplir en nous donnant sa vie. Il est à la fois la source et l’artisan de cet élan d’amour qui jaillit en nous, qui est capable de soulever nos cœurs, et ce, jusqu’à donner nos vies COMME lui. 

C’est pourquoi afin d’entrer dans cette dynamique de l’amour, Jésus nous prend avec lui dans sa bergerie, il nous attache à sa personne, il nous guide et nous protège, et il nous greffe à sa vie de ressuscité ! 

Voilà la symphonie dans laquelle nous entraînent tout particulièrement les trois évangiles que j’ai cités. Ces trois mouvements nous sont donnés en ce temps pascal afin de nous rappeler ce que sont les exigences afin de devenir véritablement disciples du Christ. Il s’agit ni plus ni moins d’un appel quotidien à la sainteté, où nos vies greffées sur le Christ, sont marquées par l’amour à cause de lui. Et ceci nous amène maintenant au volet plus pastoral de cette homélie.

Le pape François dans son exhortation apostolique Gaudete et Exsultate, c.-à-d. Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, propose des pistes toutes simples et remplies de sagesse afin de réaliser ce projet de Dieu sur nos vies de faire de nous des saints et des saintes. 

D’entrée de jeu, le pape François ne veut surtout pas que nous pensions uniquement à ceux et celles qui sont déjà béatifiés ou canonisés quand il parle de sainteté. J’aime voir, dit-il, la sainteté dans le patient peuple de Dieu : chez ces parents qui éduquent avec tant d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades, chez les personnes âgées qui continuent de sourire. 

Dans cette constance à aller de l’avant chaque jour, dit le pape, je vois la sainteté de l’Église militante. C’est cela, souvent, la sainteté que le pape appelle la sainteté « de la porte d’à côté », c’est-à-dire de ceux et de celles qui vivent proches de nous et qui sont un reflet de la présence de Dieu. Ainsi, dit le pape, nous sommes tous appelés à être des saints et des saintes en vivant avec amour, et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes, là où chacun se trouve. 

Es-tu une consacrée ou un consacré, dit le pape François ? Sois saint en vivant avec joie ton engagement. Es-tu marié ? Sois saint en aimant et en prenant soin de ton époux ou de ton épouse, comme le Christ l’a fait avec l’Église.  Es-tu un travailleur ? Sois saint en accomplissant honnêtement et avec compétence, ton travail au service de tes frères et de tes sœurs. Es-tu père, mère, grand-père ou grand-mère ? Sois saint en enseignant avec patience aux enfants à suivre Jésus. As-tu de l’autorité ? Sois saint en luttant pour le bien commun et en renonçant à tes intérêts personnels.

À chacun et chacune, dit le pape, de trouver la voie qui lui correspond, sa manière propre de suivre le Christ. Tu as besoin de percevoir la totalité de ta vie comme une mission, dit-il. Essaie de le faire en écoutant Dieu dans la prière, et en reconnaissant les signes qu’il te donne. Demande toujours à l’Esprit ce que Jésus attend de toi à chaque moment de ton existence et dans chaque choix que tu dois faire, pour discerner la place que cela occupe dans ta propre mission. Et permets-lui de forger en toi ce mystère personnel qui reflète Jésus-Christ dans le monde d’aujourd’hui. Ainsi, dit le pape François, nous partagerons un bonheur que le monde ne pourra nous enlever.

fr. Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le 5e Dimanche de Pâques (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 15, 1-8

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
« Moi, je suis la vraie vigne,
et mon Père est le vigneron.
Tout sarment qui est en moi,
mais qui ne porte pas de fruit,
mon Père l’enlève ;
tout sarment qui porte du fruit,
il le purifie en le taillant,
pour qu’il en porte davantage.
Mais vous, déjà vous voici purifiés
grâce à la parole que je vous ai dite.
Demeurez en moi, comme moi en vous.
De même que le sarment
ne peut pas porter de fruit par lui-même
s’il ne demeure pas sur la vigne,
de même vous non plus,
si vous ne demeurez pas en moi.

Moi, je suis la vigne,
et vous, les sarments.
Celui qui demeure en moi
et en qui je demeure,
celui-là porte beaucoup de fruit,
car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire.
Si quelqu’un ne demeure pas en moi,
il est, comme le sarment, jeté dehors,
et il se dessèche.
Les sarments secs, on les ramasse,
on les jette au feu, et ils brûlent.
Si vous demeurez en moi,
et que mes paroles demeurent en vous,
demandez tout ce que vous voulez,
et cela se réalisera pour vous.
Ce qui fait la gloire de mon Père,
c’est que vous portiez beaucoup de fruit
et que vous soyez pour moi des disciples. »

COMMENTAIRE

Une amie m’a fait parvenir tout récemment ce petit mot de son quotidien, tellement son bonheur avait besoin d’être partagé. Elle m’a écrit ce qui suit au sujet de sa fille Heidi qui a six ans : «Je te partage un petit moment que je chéris depuis tout à l’heure. Avant de dormir, Heidi me dit : “Maman, je suis tellement heureuse, comme si j’ai toujours des larmes de joie aux yeux.”» 

Ça ne s’invente pas! Les enfants ont des mots à la fois merveilleux et d’une simplicité désarmante quand ils vous partagent leur toute jeune expérience de la vie. Ce cri d’émerveillement et de joie chez Heidi, on s’en doute bien, s’enracine dans un terreau familial bien particulier où un enfant peut grandir dans la confiance et dans l’amour.

Avec cette histoire que je vous raconte, sommes-nous vraiment si loin de la vigne dont nous parle Jésus et où il nous invite à demeurer en lui? L’image de l’enfant qui se blottit contre sa mère dans une confiance totale a déjà été évoquée dans la Bible pour décrire ce que doit être notre relation au Seigneur. Il s’agit du psaume 130 où il est dit : 

« Seigneur, je n’ai pas le coeur fier, ni le regard ambitieux; je ne poursuis ni grands desseins ni merveilles qui me dépassent. Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse; mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère.»

Il n’y a qu’un pas à franchir, il me semble, entre ce psaume et la réalité de la vigne dont nous parle Jésus, et où il nous invite à demeurer en lui, vigne qui représente l’expérience fondatrice de nos vies de baptisés. Dans le court passage de l’Évangile entendu, Jésus va employer à sept reprises le verbe «demeurer». Ce «demeurez en moi» se précisera encore plus, quelques versets plus loin, quand Jésus dira à ses disciples : «demeurez dans mon amour.» Cet amour qui est à l’origine du monde, des étoiles et des galaxies! Cet amour qui nous a appelés à la vie! 

Pour nous aider dans la compréhension de ce grand mystère, Jésus se présente à nous aujourd’hui comme la vraie vigne à laquelle nous sommes rattachés tels des sarments appelés à porter du fruit. Il n’est pas question ici d’une voie parmi d’autres que nous proposerait un sage quelconque. C’est le Seigneur lui-même qui nous décrit de manière imagée, mais combien évocatrice, le chemin du véritable bonheur et ce qu’il nous faut faire de nos vies pour qu’elles aient du sens et qu’elles se déploient pleinement. Il nous faut être greffés sur lui!

Nous le savons bien, cet enjeu du sens de la vie nous habite très tôt dans l’existence. C’est une question fondamentale qui peut nous hanter parfois pendant des années, toute une vie même, quand on ne parvient pas à y répondre de façon satisfaisante. 

J’écoutais récemment une jeune chanteuse canadienne de 26 ans, déjà connue mondialement, qui s’appelle Charlotte Cardin. Elle compose ses propres textes, et elle affirme avec force dans l’une de ses nouvelles chansons en anglais : «I don’t want to live a meaningless life.» «Je ne veux pas vivre une vie qui n’a pas de sens.»

Bien sûr, pour une jeune en recherche, une vie qui a du sens passe nécessairement par la reconnaissance, les amitiés, un plan de carrière, le succès, l’amour, surtout l’amour, qui fait se lever chaque matin. Mais il faut bien admettre que nos vies ne se réduisent pas si facilement à cette équation idéale du bonheur. Car parler de la vie, c’est aussi parler de sa fragilité, des épreuves qui l’accompagnent, des déceptions, des rêves brisés, des départs, des pertes, des souffrances, des épreuves de toutes sortes. C’est à travers cet océan que nos vies naviguent, et nos journées et nos années ne sont pas toujours comme un long fleuve tranquille.

Ce que Jésus nous propose aujourd’hui, c’est de marcher avec nous. Il nous propose de nous former, de nous laisser émonder sur ce chemin qui nous conduit vers la maison du Père. Car cette vigne que nous formons avec le Christ plonge ses racines dans le terreau de l’éternité de Dieu et de sa bienveillance. Et puisque nous avons été greffés sur le Christ (cf. Rm 6, 6), comme l’affirme l’apôtre Paul, nous sommes donc appelés à porter du fruit avec lui, quels que soient notre âge ou les difficultés de la vie que nous pouvons rencontrer. Mais qu’est-ce que porter du fruit?

Porter du fruit, frères et sœurs, ce sera garder les yeux ouverts sur la grandeur et les exigences de notre condition humaine, et assumer pleinement ce que la vie attend de nous à la lumière de l’Évangile. Voyez quels sont les fruits que Paul évoque dans sa lettre aux Galates (5, 22-23), et remarquez combien ils sont faits pour notre quotidien, pour la vie de chaque jour que le Seigneur nous donne. Ces fruits ce sont : le don de soi, la paix, la joie, la patience, la douceur, la bonté, la bienveillance, l’empathie, la fidélité, l’humilité, et la maîtrise de soi. Voilà une vigne bien garnie et qui ne peut faire que la joie de son Maître! Mais comment y parvenir?

Pour l’ami du Christ, pour le disciple bien-aimé que nous sommes, une promesse nous est faite aujourd’hui dans l’Évangile quand le Seigneur dit à ses disciples : « Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous. » 

Frères et sœurs, que ce soit là notre joie ! Cette joie profonde que Dieu donne déjà à ses enfants et que la jeune Heidi, se sachant aimée, exprimait de manière tellement touchante de vérité, quand elle disait à sa mère : «Maman, je suis tellement heureuse, comme si j’ai toujours des larmes de joie aux yeux.»

fr. Yves Bériault, o.p.