Euthanasie, la confusion des sentiments

Il y a tout juste dix ans, les Pays-Bas puis la Belgique dépénalisent l’euthanasie, initiant ainsi un processus qui semble irréversible… En France, durant sa campagne, François Hollande a fait un pas vers ce qu’il appelle une « exception d’euthanasie ». Il pourrait maintenant faire de cette loi le symbole de son quinquennat… Pour les militants de la dépénalisation, c’est le triomphe d’une idéologie : la prééminence absolue de la liberté individuelle. Mais à quel prix ? Celui des dérives de plus en plus nombreuses en Belgique : IVV (interruption volontaire de vieillesse), Alzheimer ou grands dépressifs, certains demandent aujourd’hui des extensions de la loi aux enfants de plus de 12 ans… Entre France et Belgique, entre soins palliatifs et euthanasie, il ne s’agit pas d’adopter des postures morales, de lancer des anathèmes, mais de dépasser la confusion des sentiments, des émotions pour saisir ce qui se joue à travers cette loi. Un film écrit et réalisé par Frédéric Jacovlev. Une coproduction Grand Angle Productions et KTO – Juin 2012

Porter sa croix. Homélie pour le 12e Dimanche du temps ordinaire. Année C.

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 9,18-24. 
Un jour, Jésus priait à l’écart. Comme ses disciples étaient là, il les interrogea : « Pour la foule, qui suis-je ? »
Ils répondirent : « Jean Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un prophète d’autrefois qui serait ressuscité. »
Jésus leur dit : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Pierre prit la parole et répondit : « Le Messie de Dieu. »
Et Jésus leur défendit vivement de le révéler à personne,
en expliquant : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les chefs des prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. »
Il leur disait à tous : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive.
Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi la sauvera.

COMMENTAIRE

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« Porter sa croix ! » Nous connaissons tous l’expression et c’est sans doute l’un des points communs les plus répandus entre tous les humains. Nous avons tous à porter notre croix un jour ou l’autre.

Mais d’où vient cette expression ? Elle existait bien avant Jésus. Nous savons que la crucifixion était un mode d’exécution très commun chez les Romains, en particulier pour les esclaves. Le condamné devait porter sa croix jusqu’au lieu de sa mise à mort. Quant à l’expression elle-même, elle signifie dans le langage populaire : persévérer dans l’épreuve, supporter avec patience les difficultés qui s’abattent sur nous.

Toutefois, l’expression « porter sa croix » a une portée beaucoup plus profonde dans l’évangile. « Porter sa croix » ne veut pas simplement dire pâtir en attendant que l’épreuve soit passée. Cette expression revêt un caractère plus volontaire et plus dynamique dans la bouche de Jésus, car elle est indissociable de sa mission et de son identité. C’est pourquoi il sent le besoin de faire une mise au point avec ses disciples. Mais il est important de connaître le contexte de cette confidence de Jésus pour en saisir toute la portée.

Cette scène survient après la multiplication des pains. Un prodige extraordinaire qui propulse la renommée de Jésus. Tous le cherchent ; tous veulent manger de ce pain ; tous recherchent ce faiseur de miracles. Jésus, lui, s’est retiré à l’écart de la foule et il prie son Père. Il s’entretient sûrement avec lui de sa mission et au sortir de cette prière, il va interroger ses disciples. À n’en pas douter, Jésus est soucieux, inquiet même. Il vit sans doute une grande solitude pour interroger les siens comme il le fait.

« Pour la foule qui suis-je ? » Comme il peut paraître étrange que Jésus, lui le Messie, le Fils de Dieu, porte une préoccupation aussi humaine, aussi terre à terre, que de demander à ses disciples ce que la foule pense de lui. La suite de cet échange ne fait que renforcer cette impression puisque Jésus se permet même d’insister en leur demandant : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? »

Bien sûr, on pourrait se limiter à ne voir dans cet épisode évangélique, qu’une belle leçon de pédagogie où Jésus instruit ses disciples, tel un bon professeur, en les engageant, par une série de questions, à découvrir qui il est véritablement. Mais croire que Jésus est le Messie n’est pas ce qu’il y a de plus exigeant pour la foi des disciples. On l’attendait depuis tellement longtemps ce Messie. Et si c’était lui le Roi puissant envoyé par Dieu pour libérer Israël ? Par contre, croire en un Messie souffrant comme l’annonçait le prophète Zacharie, voilà qui a de quoi bouleverser les disciples et mettre leur foi à l’épreuve. Sont-ils prêts à entendre cette vérité ?

La question de Jésus est donc fondamentale et elle nous dévoile la grande intimité qui existe entre lui et ses disciples. Ce sont ses amis, et Jésus veut savoir ce qu’ils pensent de lui. Ses disciples vont-ils accepter de le suivre s’il ne répond à leurs attentes ? Cette préoccupation de Jésus se retrouve ailleurs dans les évangiles. Rappelez-vous cette scène où certains disciples abandonnent Jésus à cause de son enseignement, et où ce dernier demande aux disciples qui restent : « Allez-vous partir vous aussi ? »

L’évangile de ce jour évoque ce même drame qui sans cesse vient hanter Jésus. L’incompréhension des foules, le refus de sa personne, le détournement du sens de sa mission. Jésus veut s’assurer que ses disciples ne se méprennent pas quant à l’issue inévitable de son combat en faveur des pauvres et des humiliés, des accablés et des pécheurs. C’est pourquoi il évoque cette croix qui se profile à l’horizon et tout le drame qui va se jouer autour d’elle. Mais les disciples ne peuvent pas encore comprendre.

Par ailleurs, cette conversation entre Jésus et ces derniers soulève une question fondamentale. Pourquoi Jésus s’entoure-t-il de disciples ? Pourquoi est-ce si important pour lui que nous soyons là ? Qu’est-ce que nous pouvons bien apporter au Christ qu’il ne peut accomplir par lui-même ?

Un constat s’impose : Jésus ne peut s’engager seul dans ce don de lui-même. Aussi étonnant que cela puisse paraître. Il a besoin de nous. Il a besoin que nous portions la croix de sa mission avec lui et que nous marchions à ses côtés. Saint Paul va dire dans la lettre aux Colossiens (1, 24) « que nous achevons dans notre chair ce qui manque aux souffrances du Christ ». Ce passage paraît bien étrange, mais il s’éclaire avec l’évangile de ce jour.

Le Christ, depuis sa résurrection, poursuit sa mission dans le monde à travers la vie de tous ceux et celles qui mettent leur foi en lui. Les combats que nous menons pour l’évangile, nos luttes pour le bien, pour la justice, pour la vérité, sont un prolongement même de la vie du Christ, parce que nous sommes intimement liés à son souci pour le monde par notre baptême. C’est pourquoi saint Paul dira aux Galates, que nous avons revêtu le Christ. Et si nous avons revêtu le Christ, nous ne pouvons que nous engager à sa suite quand il dit du disciple : « qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour, et qu’il me suive. »

Cela veut dire que le seul amour qui soit digne de nous, c’est d’aimer avec le Christ, en partageant sa passion pour le monde, et en étant habités par cette invincible espérance que la charité est possible, même là où il y a la haine, l’exclusion et le mépris de l’autre ; même là où Dieu n’est pas reconnu, là où il est bafoué, humilié et rejeté. Et parce que nous croyons que le Christ est ressuscité, nous préparons déjà avec lui ces temps nouveaux qu’il a inaugurés.

C’est le moine trappiste, Christian de Chergé, assassiné avec six de ses frères en Algérie, qui disait dans l’une de ses dernières homélies : « l’espérance est une attitude qui nous fait habiter aujourd’hui l’au-delà de la mort », dans une communion avec l’autre qui nous rend responsable de lui, même au risque d’y laisser sa vie. Le dominicain Mgr Claverie, évêque d’Alger, assassiné la même année que les moines de Tibhirine, affirmait quant à lui que la mort ne peut rien nous ravir quand l’amour a tout donné. Elle est là l’espérance des disciples, et entrer dans ce combat, c’est porter sa croix avec le Christ.

C’est être convaincu que Dieu le premier espère en nous, qu’il a besoin de nous, et qu’il nous demande d’être là avec lui dans les marges de l’humanité, dans la vie de tous les jours, afin d’y porter un message d’espoir qui sera un témoignage à la grandeur de la vie humaine, ainsi qu’à sa destinée. C’est à cette présence prophétique dans le monde que les disciples sont appelés. Et c’est dans ce don de lui-même que Jésus veut nous entraîner, lui le grand vainqueur de la mort.

C’est pourquoi, quand il demande à ses disciples : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » Il ne nous demande pas une définition de sa personne. Il nous invite tout simplement à le connaître, à l’aimer, afin de pouvoir donner un témoignage vivant et vrai de qui il est pour nous. Et c’est ainsi que nous serons véritablement les disciples du Christ. Que ce soit notre joie ! Amen.

fr. Yves Bériault, o.p.

Devant la croix

basilique oratoire

Étonnant de parler de ma rencontre avec la croix, moi qui suis un chrétien engagé depuis plus de 35 ans maintenant. Cela s’est passé à l’Oratoire Saint-Joseph, à l’occasion d’une visite impromptue, dans ce lieu sans grande beauté à première vue, mais qui demeure un haut lieu spirituel au coeur de Montréal et qui recèle néanmoins de beaux trésors d’art religieux.

Non pas que la croix n’ait pas eût sa place dans ma vie de foi, mais c’était la première fois que j’éprouvais un tel sentiment devant la croix du Christ. Cette belle croix de l’Oratoire, immense et dépouillée, sur laquelle le Christ semble dormir tout en nous contemplant. À ses pieds veillent Marie et l’Apôtre bien-aimé. Un spectacle émouvant qui m’a tout à coup saisi, me détachant de l’immense basilique pour ne plus voir que le Christ crucifié.

C’est en disant le Notre Père que j’ai alors compris, d’une manière nouvelle, pourquoi on l’appelait la prière du Seigneur. Je compris tout à coup que sur la croix ce fut la prière de Jésus : « Notre Père… ». Je le voyais, je l’entendais la dire pour moi, pour nous : « Notre Père ». C’est la prière du Christ en croix : « Notre Père ». Le Fils de Dieu étant venu pour ne plus faire qu’un avec notre humanité, ne parle plus à son Père désormais qu’en nous incluant dans sa propre prière. Il ne dit plus mon père, mais « notre Père ». Il ne dit plus donne-moi mais « donne-nous », « ne nous soumets pas », « délivre-nous ».

Je compris d’une manière plus profonde combien nous étions présents dans la prière du Christ sur la croix, crucifiés avec lui, offerts par lui, comme son bien le plus précieux: « Père, ceux que tu m’as donnés je te les offre, et je m’offre avec eux, pour eux. Notre Père… »

La croix m’est véritablement apparue comme le lieu par excellence de notre filiation avec le Christ. C’est là qu’il nous prend dans son mystère d’amour et qu’il ne fait plus qu’un avec nous. Il est là à cause de nous. Il prend sur lui nos péchés, nos détresses, et il s’associe pour l’éternité à notre pauvre humanité blessée par le péché. Par amour, il se laisse vaincre et il donne sa vie. Désormais sa vie est notre vie, son Père est notre Père et il prie avec nous : « Notre Père… »

La croix devient le cœur de toute prière et je ne vois pas comment il m’est possible désormais de prier sans passer par la croix, sans désirer m’unir à cette croix avec Jésus. Comme elle est belle cette croix quand Jésus la recouvre de sa présence. C’est la vie même qui est clouée au cœur de la mort. Notre humanité peut enfin refleurir. Elle n’est plus orpheline, car elle peut désormais appeler Dieu « notre Père ».

Simone Weil a écrit un texte extraordinaire au sujet de la croix. Le voici :

« Le don plus précieux pour moi, comme vous le savez, c’est la croix. S’il ne m’est pas donné de mériter de participer à la croix du Christ, j’espère au moins de pouvoir y participer en tant que larron repentant. Après le Christ, de toutes les personnes dont il est fait mention dans l’Évangile, le bon larron est celui que j’envie le plus. D’être avec le Christ pendant la crucifixion, à ses côtés et dans la même position que lui, me semble être un privilège encore plus grand et plus enviable que d’être assis à sa droite dans la gloire. » (Lettre du 16 avril 1942).

Mais comme disait Paul Claudel : « il faut savoir porter la croix avant de monter dessus ». C’est la grâce que je te demande Ô mon Seigneur crucifié.

De quoi Jésus vient-il nous sauver? Homélie pour le 10e dimanche du temps ordinaire (C)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 7,11-17.
Jésus se rendait dans une ville appelée Naïm. Ses disciples faisaient route avec lui, ainsi qu’une grande foule.
Il arriva près de la porte de la ville au moment où l’on transportait un mort pour l’enterrer ; c’était un fils unique, et sa mère était veuve. Une foule considérable accompagnait cette femme.
En la voyant, le Seigneur fut saisi de pitié pour elle, et lui dit : « Ne pleure pas. »
Il s’avança et toucha la civière ; les porteurs s’arrêtèrent, et Jésus dit : « Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi. »
Alors le mort se redressa, s’assit et se mit à parler. Et Jésus le rendit à sa mère.
La crainte s’empara de tous, et ils rendaient gloire à Dieu : « Un grand prophète s’est levé parmi nous, et Dieu a visité son peuple. »
Et cette parole se répandit dans toute la Judée et dans les pays voisins.

Naim

COMMENTAIRE

Ce récit, qui est propre à l’évangéliste Luc, survient après une série de miracles que Luc assemble de manière à former un crescendo de plus en plus spectaculaire : guérison d’un lépreux, d’un paralytique, de l’homme à la main sèche, du serviteur du Centurion et finalement ce fils de la veuve de Naïm qui est ramené à la vie. Dans la scène qui suit, Jésus pourra répondre aux envoyés du Baptiste, qui veut savoir s’il est bien le Messie attendu : « Allez dire à Jean ce que vous avez vu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres… »

Tous ces miracles sont révélateurs de l’action de Dieu en notre faveur qui, en Jésus, vient nous sauver. Mais de quoi au juste vient-il nous sauver ? Ou encore, pour reprendre une question plus contemporaine : qu’est-ce que la foi en Dieu peut bien changer dans ma vie ? Avons-nous vraiment besoin de croire pour être heureux ? Avons-nous besoin d’être sauvés ? Il suffit de demander aux gens sur la rue s’ils ressentent ce besoin pour avoir la réponse. Mais l’on pourrait commencer par nous interroger nous-mêmes. Si nous n’avions pas la foi, qu’est-ce que cela changerait à nos vies ?

Avant de répondre, revenons tout d’abord à l’évangile d’aujourd’hui. Mis à part le miracle de Jésus, qui ramène Lazare à la vie dans l’évangile de Jean, la résurrection du fils de la veuve de Naïm est le miracle le plus spectaculaire de Jésus. Revoyons la scène que nous décrit l’évangéliste Luc. Dès l’ouverture du récit, la mort et son cortège de douleurs se tiennent devant nous. Cette mort que nous avons tous croisée un jour ou l’autre lors de la perte d’un être cher. Cette mort détestable qui se profile dès qu’un enfant voit le jour ; qui se tient aux aguets, surveillant sa proie, sachant que nul ne peut y échapper. C’est cette mort que Jésus affronte dans la petite ville de Naïm, dont le souvenir nous est conservé uniquement à cause de ce miracle de Jésus.

L’on transporte le corps d’un fils unique vers le lieu de sa sépulture. Un cortège funèbre suit la dépouille et, à sa tête, il y a cette mère inconsolable, une veuve de surcroît, ce qui rend la scène encore plus pathétique. Elle enterre son unique enfant. Une profonde tristesse se dégage de cette scène et dès le début du récit Jésus est pris de pitié pour cette femme. Remarquez que personne n’est venu le chercher pour qu’il intervienne. Mais Jésus ne peut rester impassible devant la douleur de cette femme et devant cette victoire apparente de la mort. Il lui dit tout simplement : « Ne pleure pas. » Jésus touche tout simplement la civière et il ordonne au garçon de se lever. L’évangéliste ajoute : « Et Jésus le rendit à sa mère. »

Le miracle, nous le savons bien, n’est pas dans l’ordre normal des choses. Il survient dans cet évangile comme un signe anticipateur de ce qui nous attend, tous et chacun de nous. La résurrection du fils de la veuve de Naïm se dresse comme un signe puissant dans l’évangile pour nous redire encore une fois que Dieu n’est pas insensible à la douleur de ses enfants. Une expression de l’Ancien Testament parle de Dieu comme ayant des entrailles de miséricorde. Il nous aime d’un amour dont nous ne pouvons mesurer la profondeur, mais la détresse intérieure de Jésus et son action en faveur de cette veuve, nous en révèlent la portée et la grandeur.

Mais je reviens à ma question initiale : Si nous n’avions pas la foi, qu’est-ce que cela changerait à nos vies ? C’est la question que m’a posée un jour un étudiant de l’École Polytechnique de Montréal. Apprenant que j’étais aumônier à l’université, il m’avait dit : « je termine mes études, déjà un emploi m’attend. J’ai une copine, nous venons d’acheter une maison. J’ai une voiture de l’année, je suis en santé et je suis jeune. Qu’est-ce que la foi en Dieu pourrait bien m’apporter de plus ? » Vers la même période, un journaliste provocateur, sourire en coin, avait demandé à des passants sur la rue, à l’approche de Noël : « L’on dit que Jésus est venu pour nous sauver. De quoi est-il venu nous sauver au juste ? » Une jeune femme de l’âge de mon étudiant de Polytechnique lui avait répondu sans hésiter : « Il est venu nous sauver de l’insignifiance. »

La foi en Dieu ce n’est pas la possession d’un bien extérieur à soi-même, comme une deuxième voiture dans le garage. Ce n’est pas non plus une assurance malheur. Avoir la foi en Dieu, c’est donner à sa vie sa véritable orientation, tout comme l’aiguille d’une boussole se tourne spontanément vers le nord magnétique. Il est là son véritable pôle d’attraction et le nôtre, les hommes et les femmes de cette terre, c’est Dieu. Dieu vient nous sauver de tout ce qui peut nous détourner de notre vocation humaine, afin que nous puissions nous réaliser pleinement en cette vie, et ce, malgré tous les écueils de la vie.

Ce miracle de Jésus, qui ramène un jeune homme à la vie, n’est pas simplement une analogie avec ce que l’espérance chrétienne nous promet après la mort. Notre espérance s’enracine avant tout dans le présent. Nous croyons non seulement pour demain, mais avant tout pour aujourd’hui, car cette foi en Dieu nous fait nous dresser debout sans cesse dans notre quotidien. Elle transforme notre regard sur le monde, notre relation les uns avec les autres, notre manière de vivre l’épreuve, d’aimer la vie et de nous y engager. La foi en Dieu donne sens à tout ce que nous sommes et c’est pourquoi il est juste de dire que Jésus vient nous sauver de l’insignifiance, lui le révélateur du véritable visage de Dieu.

Lorsque je célèbre des funérailles, j’aime bien rappeler à l’assemblée que la mort est trompeuse. Elle oriente nos regards vers l’absence, vers la perte, cherchant à nous faire croire que tout est fini, qu’il ne reste plus rien de l’être aimé qu’un vague souvenir. Mais Jésus est vainqueur de la mort et il nous promet « de ressusciter nos liens d’amour. Ceux et celles que nous avons perdus nous seront rendus un jour, et nous, nous serons rendus à ceux et celles que nous avons aimés » (fr. Dominique Charles, o.p.), tout comme Jésus le fait dans l’évangile en remettant le fils à sa mère.

Alors, de quoi Jésus vient-il nous sauver ? Il vient nous sauver en venant au-devant de toutes nos morts, même celles, et elles sont nombreuses, qui marquent notre vie de tous les jours. Jésus est le sourcier capable de faire couler des fleuves d’eau vive en nos cœurs, capable de nous relever par la puissance de sa Parole quand tout semble s’écrouler et se tourner contre nous.

L’évangile de ce dimanche vient nous redire : si tu cherches le vrai bonheur, si tu cherches la vie en plénitude, regarde vers le Christ, car lui il a déjà posé son regard sur toi. Il voit ta peine et ta misère, et il est saisi de pitié parce qu’il t’aime. Et parce qu’il est plus fort que la mort, avec lui nous pouvons triompher de toutes nos morts. Promesse de Jésus Christ ! Amen.

Fr. Yves Bériault, o.p.

Pourquoi l’eucharistie?

Dernière Cène

L’un des plus beaux témoignages qu’il m’ait été donné d’entendre au sujet de l’eucharistie est celui d’un étudiant italien que j’ai connu à l’Université et qui, suite au décès subit de sa mère, est retourné d’urgence dans son pays pour les funérailles. Le soir des funérailles, il s’est retrouvé seul à la maison avec son père et ils ont préparé le repas en silence. Ce repas était composé de mets que la mère avait préparés quelques jours auparavant. Et au moment de commencer à manger, les odeurs familières de la cuisine familiale, le partage de la nourriture qui rappelait tellement celle qui la préparait avec soin et affection, ont fait se rappeler au père et à son fils, d’une manière très émouvante, le souvenir de celle qui était partie, mais dont l’amour s’exprimait encore dans cette nourriture partagée. Et ils parlèrent très tard ce soir-là de celle qu’ils aimaient et qui les avait quittés. Après avoir vécu ce repas, cet étudiant m’a dit qu’il avait alors compris le sens de l’eucharistie comme jamais auparavant.

En écoutant ce récit, on croirait réentendre l’histoire des disciples d’Emmaüs qui reconnurent le ressuscité à la fraction du pain. Et pourtant, cette belle histoire que je viens de vous raconter est bien loin de nous révéler le sens profond de l’eucharistie. Mais c’est une piste très belle et très pertinente, je pense.

Dans l’eucharistie nous retrouvons bien sûr la dimension du repas partagé, le souvenir d’un être aimé, mais là s’arrête toute comparaison, car ce n’est pas un absent qui nous rassemble, mais une présence bien vivante. Quand Jésus invite à faire mémoire de lui, en partageant le pain et le vin, il faut savoir que « faire mémoire » dans la tradition juive c’est rappeler aujourd’hui un évènement de salut opéré par Dieu en notre faveur. Ainsi, la Pâque juive fait mémoire de la traversée de la mer Rouge et quand cet évènement est célébré, chaque juif qui la célèbre entre dans l’actualité du geste sauveur de Dieu en faveur de son peuple. On ne fait pas que se souvenir, on entre dans l’évènement, on le vit et on est soi-même sauvé.

Mais pourquoi Jésus nous laisse-t-il le souvenir de son dernier repas, un peu à la manière d’un testament, en demandant à ses disciples de le perpétuer en tant que témoins privilégiés de ses dernières volontés : « Vous ferez cela en mémoire de moi! »? Pourquoi Jésus nous donne-t-il l’eucharistie? C’est la question que je pose aux lecteurs et lectrices de ce blogue.

Les anglophones disent : « Food for thought »! (De la nourriture pour votre réflexion!) Laissez-moi vos réflexions sur la question.