Une petite fille dit à sa mère…

Une petit fille dit à sa mère: « Maman, j’ai envie de dessiner Dieu ». Sa mère lui dit « Prends tes crayons de couleurs, du papier et dessine ». La petite fille s’installe la table et réfléchit à ce qu’elle va faire. Elle revient trouver sa mère et demande: « Maman, est-ce qu’il est grand, Dieu ? ». « Oui, ma fille, Dieu est très grand », lui dit la mère. La petite fille revient s’asseoir, prend un crayon et s’arrête encore. Elle revient trouver sa mère: « Maman, Dieu, est-ce qu’il est beau ? ». « Oui, lui dit sa mère, Dieu est très beau ». La petite fille revient table , réfléchit encore devant son papier et revient trouver sa mère: « Maman, j’ai décidé de ne pas dessiner Dieu, j’ai trop peur de l’abîmer ».

La difficulté de croire

Marc Donzé, le biographe de Maurice Zundel, un prêtre suisse, grand spirituel du XXe siècle, disait ceci à son sujet : « Il voudrait pouvoir parler de Dieu, à pas de silence et de respect, au coeur de ce qui importe le plus à l’homme. Il voudrait pouvoir dire sans violence, mais en prenant chaque homme par la main, que Dieu est l’accomplissement de l’homme. » (Donzé, Marc. La pauvreté comme don de soi. Cerf/Saint-Augustin,1997. pp. 36-37).

La foi ne s’impose pas, elle ne se démontre pas. Elle échappe aux raisonnements logiques qui en donnerait une preuve définitive. La foi, on ne peut ni la donner, ni la prêter, ni la transmettre comme un bien qui nous appartiendrait. On peut tout au plus en parler, en témoigner et surtout en vivre. En vivre, ce sera de l’insérer au plus intime de nos journées, de nos faits et de nos gestes. Y puiser force et courage, goûter à cette joie secrète de celui qui accueille en sa vie la présence de Dieu. Pour nous chrétiens et chrétiennes, c’est cela vivre notre en Jésus-Christ.

Quand je suis appelé à parler de la foi, je ne puis m’empêcher d’en parler comme si je m’adressais à des curieux de la foi, à des distants, à des personnes qui ignorent même tout de la personne du Christ. Car le danger nous guette toujours, nous les croyants, de surestimer le chemin parcouru depuis que nous avons commencé à croire. L’homme aime bien domestiquer son existence, l’enfermer dans un monde de sécurité et d’habitudes. Et parfois il agit ainsi avec Dieu. Il en fait son bien, sa chose, au point de ne plus vraiment avoir besoin de lui. Dieu devient une commodité que l’on range dans le grenier de nos surplus.

D’autre part, même si nous pensons accorder une juste place à Dieu dans nos vies, je suis convaincu qu’il nous faut toujours entendre parler de la foi avec la ferveur des amoureux lorsqu’ils entendent parler de l’amour. Car parler de la foi en Dieu c’est toucher à la fibre la plus intime et la plus personnelle de notre existence, au-delà de toutes nos amitiés, de tous nos amours. Comme le dit Maurice Zundel : « Dieu est l’accomplissement de l’homme » et l’enjeu qui se cache derrière l’expérience de la foi est celui de la réalisation même de mon être en tant que personne. Nous sommes donc loin ici de définitions abstraites, de doctrines, de choses à retenir. Quand nous abordons en Église la question de la foi, nous parlons avant tout de notre bonheur.

Quand on aborde la question de la foi nous sommes souvent renvoyés par les non-croyants aux nombreux scandales qui entoure les religions, toutes espèces confondues. Au nom de la religion des hommes et des femmes exploitent, dominent, excluent et tuent leurs semblables. La religion est vécu par certains comme un pouvoir, une vérité qu’il faut imposer aux autres ou encore au nom de laquelle il faut exclure les autres, quitte à les exterminer. Toutes les religions ont connu ces excès et encore aujourd’hui nous sommes témoins d’actes intolérances commis au nom de la différence religieuse. Certains voient là la preuve que les religions ne servent à rien et par le fait même ils trouvent là la justification leur permettant de disqualifier tout discours sur Dieu.

Par ailleurs, si l’on veut aborder sérieusement la question de l’intolérance, de l’exclusion ou de l’anéantissement pur et simple de l’autre, il faut être honnête et se rappeler que le XXe siècle, entre tous les siècles, a connu les pires des guerres, utilisant des armes de destructions massives; il faut aussi se rappeler que le XXe siècle a connu les pires mouvements d’exclusion et d’extermination sous divers régimes athées : le communisme en Union Soviétique et en Chine, le nazisme en Allemagne, les Khmers Rouge dans le Kamputchéa de Pol Pot (Cambodge), les massacres raciaux il y a seize ans au Rwanda… Dans aucun de ces cas la religion n’a joué un rôle. « L’homme est un loup pour l’homme », dit le dicton, et son instinct de violence et de domination s’affirme partout là où il exerce son emprise, même au nom de la religion. Les grandes religions, en dépit de leurs messages de paix et de concorde, peuvent aussi tomber entre les mains de mercenaires, et alors l’on confond le message et le messager.

Mais est-ce là une raison pour évacuer Dieu de notre horizon? Alors il faudrait non seulement cesser de croire mais aussi cesser d’aimer, car il y a tellement de crimes commis au nom de l’amour qu’il faudrait tenir tout attachement à un autre comme suspect, sinon dangereux. Ne pourrait-on pas trouver dans toutes ces violences quotidiennes que traversent de nombreux couples et familles la justification au bannissement de l’amour dans nos sociétés. Ainsi on pourrait lire sur des panneaux : « Interdiction d’aimer car l’amour ne conduit qu’à la violence ». « L’amour opium du peuple! » N’est-ce pas là le raisonnement que font ceux et celles qui mettent Dieu en-dehors de leur vie à cause des excès commis au nom de la religion.

Plus fondamentalement, la raison pour laquelle Dieu est ignoré par tant de personnes ne réside pas dans une explication unique mais, en même temps, elles se rejoignent toutes. Ainsi certains ressemblent aux Athéniens dont parle l’Apôtre Paul, et qui n’ont jamais vraiment entendu parler de lui. D’autres n’en ressentent tout simplement pas le besoin. Ils semblent satisfaits de n’avoir aucune explication au sens de la vie. Tandis que d’autres encore refusent de croire parce que l’idée d’un Dieu créateur leur semble absurde. Ils ont l’impression que croire en Dieu veut dire perdre son autonomie, sa liberté. Ils se font des représentations assez fragmentaires de la foi, pour ne pas dire caricaturales, d’où leur refus de croire. Mais dans tous ces cas Dieu est méconnu. Comme le disait sainte Marguerite : « L’amour n’est pas aimé. » La source même de nos vies est ignorée. Mais le mystère est tellement immense, tellement incroyable que l’on peut comprendre qu’il soit si difficile de croire.

Dieu et le barbier

Un homme entra dans un salon pour se faire couper les cheveux et tailler la barbe. Avec le barbier, il discuta de sujets nombreux et variés. Soudain, ils abordèrent celui de Dieu. Le barbier dit : « Écoute, je ne crois pas que Dieu existe, comme tu le dis. – Pourquoi donc? continua le client.
– C’est évident. Tu n’as qu’à sortir dans la rue pour comprendre. Dis-moi, si Dieu existait, y aurait-il tant de gens malades? Y aurait-il tant d’enfants abandonnés? Si Dieu existait vraiment, il n’y aurait ni souffrance ni peine. Comment Dieu pourrait-il permettre tout ça?  »

Le client réfléchit et ne répondit rien. Lorsque le barbier termina son travail, le client sortit. Aussitôt, sur la rue, il vit un homme aux cheveux longs et à la barbe négligée. Le client retourna alors au salon et dit au barbier :  » Tu sais quoi? Les barbiers n’existent pas.

– Comment ça, les barbiers n’existent pas? demanda le barbier, amusé. Ne suis-je pas ici et ne suis-je pas un barbier moi-même?
– Non! s’écria le client. Ils n’existent pas parce que s’ils existaient, il n’y aurait pas des gens avec des cheveux longs et une barbe négligée, comme cet homme qui marche dans la rue.
– Les barbiers existent. Mais ce qui arrive, c’est que les gens ne viennent pas à moi.
– Exactement! affirma le client. Dieu existe. Mais comme les gens ne vont pas vers LUI, il y a dans le monde beaucoup de souffrances et de peines.

Lettre à Dieu

Parce que tu as aimé cette terre Seigneur, voilà qui me donne d’espérer quand je sens ma foi vacillante. À voir vivre tes enfants rieurs, comment ne pas sentir la tendresse de ton regard posé tout doucement sur chacun d’eux. Tu es là ! Je le crois. Et je devine ta joie, car c’est ma joie. Et je connais ta peine lorsqu’ils souffrent, car c’est la mienne, et elle ne peut venir que de Toi.

Et du plus profond de mon impuissance, monte en moi cet appel à les consoler avec toi ! À prendre avec toi ce poids de douleur qui accable notre terre jusqu’à plus soif. Mais je te découvre plus pauvre que moi. Plus pauvre que moi dans ta toute-puissance. Et ton amour n’en finit plus d’attendre les deux mains clouées sur le bois. Qui donc prendra sur lui le poids de ta croix? Faut-il être entré dans ta gloire pour mesurer le poids infini de ta souffrance et trouver la force de l’assumer avec toi?

Pourquoi te cacher derrière ce silence qui enveloppe l’univers, comme si, sur le point de parler, tu retenais ton souffle, l’espace d’un instant. Un instant d’éternité où l’Homme attend les yeux tournés vers le Ciel…

Pourtant, tout dans l’univers ne s’écrie-t-il pas :  » Gloire! Des astres créés, aux rires des enfants. Contemplez Celui qui vient! Celui qui Est! Contemplez! Il est là, aux portes du monde, et vous êtes chez Lui. L’univers est son jardin et l’Homme, un promeneur solitaire qui cherche son chemin. N’entendez-vous pas sa voix?  »

Et l’Homme, reste là, hébété au cœur du jardin, soûlé par le poids de sa vie, ne sachant plus où regarder quand tout, autour de lui, l’appel vers Toi. Nous aurais-tu donc créés aveugles?

Pourtant, un jour, mes yeux ont vu. C’était de nuit. C’est bien connu, tous les saints le disent, tu ne viens que de nuit. Tu es venu vers moi parce que je t’avais appelé, je t’avais supplié… Il y a de çà longtemps, et c’est maintenant, tellement le souvenir en est vivace. Ton Nom alors s’est gravé en ma mémoire, en moi qui ne suis rien, une passion inutile d’après certains. Tu es venu au cœur de ma faiblesse et de ma peur. Tu as dit les mots qui seuls pouvaient me relever : j’étais aimé de toi!

fr. Yves Bériault, o.p.

L’impuissance de Dieu

« Le Dieu qui est avec nous est celui qui nous abandonne (Mc 15, 34) ! Le Dieu qui nous laisse vivre dans le monde, sans l’hypothèse de travail Dieu, est celui devant qui nous nous tenons constamment. Devant Dieu et avec Dieu, nous vivons sans Dieu. Dieu se laisse déloger du monde et clouer sur la croix. Dieu est impuissant et faible dans le monde, et ainsi seulement il est avec nous et nous aide […] Voilà la différence décisive d’avec toutes les autres religions. La religiosité de l’homme le renvoie dans sa misère à la puissance de Dieu dans le monde, Dieu est le deus ex machina. La Bible le renvoie à la souffrance et à la faiblesse de Dieu; … L’évolution du monde vers l’âge adulte dont nous avons parlé, faisant table rase d’une fausse image de Dieu, libère le regard de l’homme pour le diriger vers le Dieu de la Bible qui accomplit sa puissance et sa place dans le monde par son impuissance. »

(Dietrich Bonhoeffer. Résistance et soumission, Lettres et notes de captivité. Lettre du 16 juillet 1944, Genève 1967, p. 162-163.)

Lettre de captivité de Dietrich Bonhoeffer

« Le Dieu qui est avec nous est celui qui nous abandonne (Mc 15, 34) ! Le Dieu qui nous laisse vivre dans le monde, sans l’hypothèse de travail Dieu, est celui devant qui nous nous tenons constamment. Devant Dieu et avec Dieu, nous vivons sans Dieu. Dieu se laisse déloger du monde et clouer sur la croix. Dieu est impuissant et faible dans le monde, et ainsi seulement il est avec nous et nous aide […] Voilà la différence décisive d’avec toutes les autres religions. La religiosité de l’homme le renvoie dans sa misère à la puissance de Dieu dans le monde, Dieu est le deus ex machina. La Bible le renvoie à la souffrance et à la faiblesse de Dieu; … L’évolution du monde vers l’âge adulte dont nous avons parlé, faisant table rase d’une fausse image de Dieu, libère le regard de l’homme pour le diriger vers le Dieu de la Bible qui accomplit sa puissance et sa place dans le monde par son impuissance. » (D. Bonhoeffer, Dietrich. Résistance et soumission, Lettres et notes de captivité. Lettre du 16 juillet 1944, Genève 1967, p. 162-163.)


Qui est Dietrich Bonhoeffer?

« Né à Breslau en 1906, fils de la haute bourgeoisie allemande, docteur en théologie à 23 ans après de brillantes études, tout semble destiner Dietrich Bonhoeffer à une haute position dans la société. Il voyage en Europe et aux Etats-Unis et est ordonné pasteur en 1931.

Le 30 janvier 1933, Hitler arrive au pouvoir. Dès le 1er février, Bonhoeffer dénonce, dans une allocution à la radio, la prétention de souveraineté totale du Führer. Son émission est immédiatement interrompue. Il publie ensuite un article contre l’antisémitisme et participe à l’organisation de l’Eglise confessante, avec Karl Barth et Niemöller. Chez ce « théologien de la réalité » (selon André Dumas), la vie, l’oeuvre, la foi, sont indissolublement liées.

En 1935, il est responsable du séminaire de Finkenwalde dont les activités sont rapidement interdites, et se poursuivent dans la clandestinité.

« Nachfolge » (Le prix de la Grâce) – 1937 – « Gemeinsames Leben » (De la vie communautaire) – 1939 – Ethique – paru en 1949 – Résistance et soumission, lettres de prison publiées en 1951 : l’oeuvre de Bonhoeffer a marqué son époque. Comment être croyant dans un monde qui semble ne pas avoir besoin de Dieu, quelle peut être l’action de l’Eglise dans le monde ?

En 1940, Bonhoeffer s’engage dans la conjuration contre Hitler. Arrêté par la Gestapo le lendemain de l’attentat manqué de 1943, il est condamné à mort et pendu le 9 avril 1945 sur l’ordre personnel de Hitler. » (Source)


Une biographie récente de D. Bonhoeffer

Schlingenspien, Ferdinand. Dietrich Bonhoeffer 1906-1945. Salvator, 2005. 438 pp.

« Sur la base de nouvelles sources (oeuvres complètes, correspondances diverses), l’auteur nous décrit l’itinéraire exemplaire et courageux du pasteur luthérien allemand, Dietrich Bonhoeffer. Dans cet ouvrage, il fait preuve d’une très grande maîtrise pour présenter en Dietrich Bonhoeffer l’homme, l’écrivain, le résistant à Hitler, le théologien d’exception qui ouvre de nouvelles voies au christianisme contemporain. Après une longue période – puisque le livre de Ebehard Bethge remonte à 1967 – cette biographie devient l’ouvrage de référence sur Dietrich Bonhoeffer. »

Le saut dans l’inconnu

Un correspondant me demande : « Pourquoi certaines personnes n’ont-elles pas le don de la foi? » La question comporte déjà sa propre réponse. Il s’agit bel et bien d’un don et l’homme est bien impuissant à se donner la foi. Je parle de la foi qui fait vivre et aimer, celle qui nous dépasse. La foi chrétienne affirme que Dieu ne fait pas de distinction entre les personnes. Toutes sont appelées à le connaître et à l’aimer. Dieu n’est pas chiche et il n’a pas de préférés. Ou s’il en a, comme nous le voyons dans les évangiles, ce sont toujours ceux et celles qui sont les plus loin de lui.

Jésus montre une attention toute particulière pour les pauvres et les exclus, pour ceux et celles que l’on considère perdus. Mais la démarche de foi implique un saut dans l’inconnu. Tous ne le vivent pas ainsi. Certaines personnes semblent être tombées dans le « bénitier » dès leur tendre enfance et la foi ne semble jamais leur avoir fait défaut.

D’autres doivent chercher de manière plus laborieuse et je ne doute pas que ce soit parce que Dieu les attend ailleurs. Non pas que Dieu se refuse à eux, mais parfois notre histoire personnelle nous a fait fermer la porte à Dieu. Mais comme le dit Jésus au livre de l’Apocalypse : « Je me tiens à la porte et je frappe, celui qui m’ouvrira, je prendrai mon repas avec lui et lui avec moi. » Ailleurs dans les évangiles Jésus dit : « Frappez et l’on vous ouvrira, demandez et vous recevrez. »

Le don de la foi et la plus belle demande qu’une personne puisse faire, car la foi illumine tout notre existence et lui donne une direction assurée. Et c’est ici qu’intervient la notion de l’amour. Car la foi, c’est vouloir entrer dans l’amour de Dieu. C’est accepter de se laisser aimer par lui, de remettre entre ses mains toute notre vie, tous nos espoirs, nos peines et nos projets. Il y a là une dimension de confiance. Si quelqu’un veut croire en Dieu, il doit tout d’abord lui faire confiance, le prier et lui demander cette foi. La quémander! C’est cela le saut dans l’inconnu, mais dont on ne revient jamais les mains vides.

Dieu et la violence

Comme moi vous n’êtes sans doute pas indifférents à ce déferlement de violence entourant les caricatures du prophète de l’Islam. Un sentiment d’inquiétude monte en moi. Certains admirent la détermination et la conviction avec lesquelles le monde musulman défend sa religion, mais moi j’en éprouve un profond malaise.

Que la violence soit si manifeste et naturelle devant ce que l’on considère être un blasphème m’interroge sur ce rapport de l’Islam avec la violence. Quel Dieu mérite que l’on tue pour lui? J’ai le sentiment d’être plongé dans une dynamique propre à l’Ancien testament où la foule se déchaîne, où l’on lapide et l’on tue. Le tout au nom de Dieu. Étrange n’est-ce pas?

Non pas que la violence ne soit pas aussi le lot de certains groupes se disant chrétiens, mais habituellement ce ne sont pas des motifs religieux qui les animent et leurs actions ne peuvent trouver aucun appui dans les enseignements de Jésus. Mais dans le cas présent, il n’y a aucun doute, même si les extrémistes profitent de la situation, ce sont bien de fervents musulmans qui portent leur indignation à un point limite, un point de cassure avec le monde occidental.

Par ailleurs, j’ai le sentiment, à voir certaines entrevues à la télévision, que bien des musulmans se sentent obligés d’entériner ce qui se passe actuellement, sinon ils seraient considérés comme de mauvais musulmans. Et ici s’exprime aussi un profond malaise quant au rapport entre religion et liberté. Ces deux concepts ne semblent pas pouvoir coexister facilement dans l’Islam.

J’ai l’impression parfois que cette religion est entraînée dans un cycle de violence inexorable et nul ne sait où il s’arrêtera. Tout cela pour Dieu! Quels lendemains nous réserve l’Islam et son rapport au monde moderne? Je ne puis m’empêcher de croire et de souhaiter que bien des musulmans doivent être attristés devant ce qui se passe présentement. Il faut prier les uns pour les autres.

Trois en Un

Sainte Trinité de Roublev

Un jour un enfant observait un sculpteur qui taillait un énorme bloc de marbre dans son atelier. Un enfant venait l’observer de temps en temps, mais comme le travail ne progressait que très lentement sa curiosité l’amena à jouer ailleurs et pendant des semaines il oublia le sculpteur. Un jour, alors que ses jeux l’avaient ramené près de l’atelier, il se pencha par la fenêtre pour voir où en étaient les travaux. Il poussa un grand cri de surprise en voyant un énorme lion au centre de la pièce. Il courut chez lui tout affolé en criant à sa mère : « Maman, maman, il y avait un lion caché dans la pierre. »

Sans doute faut-il un regard d’enfant pour découvrir Dieu caché au cœur de notre monde. Dans sa liturgie, l’Église joue un peu le rôle de ce sculpteur en invitant les fidèles, de dimanche en dimanche, à découvrir celui qui semble se cacher dans sa création. Parmi tous les dimanches, le dimanche de la Sainte Trinité est sans doute celui qui nous invite le plus à réfléchir à notre rapport avec Dieu et à nous demander : « qui est notre Dieu? »

Discutant cette semaine avec un ami, celui-ci m’affirma : « Dieu est un égoïste. Tout n’est fait qu’en fonction de lui et de sa gloire. Tout est dirigé vers lui afin que nous l’aimions. Dieu, insistait-il, est un égoïste! » Je dois avouer que je me suis senti provoqué par cette affirmation que je trouvais trop facile et injuste. Dieu un égoïste? Bien sûr, ni vous ni moi n’avons jamais vu Dieu et pourtant, lorsque l’on croit en Dieu, l’on se sent saisi par un amour qui nous dépasse et qui nous surprend, un amour qui nous invite à vivre notre vie en profondeur.

Si Dieu est amour, c’est qu’il y a en Lui communion d’amour, communion de personnes. Dieu n’est pas une solitude. En Dieu ils sont trois et ne font qu’un. C’est le mystère de la Trinité. Il y a le Père qui aime le Fils et qui sans cesse, de toute éternité, lui donne sa vie; il y a le Fils qui aime le Père, par qui tout a été fait, qui est sa Parole, son Verbe, et qui a pour mission de nous le faire connaître; et il y a l’Esprit Saint qui est l’amour même qui existe entre le Père et le Fils, qui va du Père au Fils et du Fils au Père, et qui nous donne de participer à cet amour et d’en vivre.

Bien sûr un mystère demeure un mystère et on ne peut l’approcher que par des images. Les Pères de l’Église employaient cette analogie pour parler de la Trinité : « Le Père est la source, son Verbe est le fleuve, l’Esprit est le courant du fleuve ». (Saint Grégoire de Nazianze)

Parce que nous mettons notre foi en Jésus-Christ, nous croyons et nous affirmons que Dieu n’est pas une invention, mais une découverte; nous croyons que Dieu est une rencontre que chacun doit faire en soi; nous croyons que Jésus-Christ est le chemin de cette rencontre, que le Père est celui qui nous appelle à la vie, et que cette vie habite en nous par le don de l’Esprit Saint.

Chaque dimanche, quand nous nous rassemblons, chrétiens et chrétiennes, nous ne célébrons pas une idée abstraite, mais la vivante réalité de notre Dieu, qui est Père, Fils et Esprit.

Dieu en question

Un prêtre lors d’un repas lance ceci à propos de Dieu : « parfois on se demande ce que fait le type d’en haut! » Ce prêtre voulait ainsi exprimer sa déception devant l’état du monde, tout en blâmant Dieu pour cette situation. Combien de chrétiens et de chrétiennes réagissent ainsi. Et la question qui me vient spontanément à l’esprit est la suivante : mais en quel Dieu croyez-vous au juste?

Le déficit d’incompréhension à l’endroit de la providence de Dieu est directement proportionnel à notre incompréhension vis-à-vis l’état précaire de notre condition humaine. Ce que nous ne parvenons pas à assimiler c’est à la fois la tragédie de notre condition mortelle, avec tout son cortège de souffrances et de calamités, et la toute-puissance de Dieu. Pourquoi sa force ne vient-elle pas contrebalancer notre état de faiblesse, nous demandons-nous?

Le combat de Dieu en notre faveur se situe à un autre niveau. Nous sommes enfermés par le péché dans un cycle infernal que notre condition humaine nous oblige à assumer jusqu’à notre dernier souffle. C’est le mystère du Mal. Nous sommes dans la dèche, mais Dieu vient nous sauver. Il nous appelle à entrer dans son éternité, dans son amour insondable, et pour y arriver il nous envoie son Fils.

Jésus est venu nous apprendre à vivre pleinement notre condition humaine, bien que cela ne nous dispense pas de la souffrance et de la mort. Il y a là un passage obligé qui n’est pas voulu par Dieu, mais dont il veut nous sauver. Grâce au Christ notre vie est marquée à jamais de l’empreinte divine, du don de l’Esprit Saint. Avec lui nous apprenons à durer et à grandir dans ces combats quotidiens où la mort cherche à l’emporter sur la vie. Avec lui nous sommes vainqueurs, même si les épreuves de la vie demeurent entières et ne s’évanouissent pas comme par enchantement de notre horizon terrestre.

Grâce au Christ nous savons que la vie triomphera. C’est cette victoire que nous revendiquons à Pâques et à chaque eucharistie, victoire qui nous sera donnée définitivement lors du retour du Christ. Telle est notre foi. Avec le Christ nous apprenons à obéir au Père, à dire avec lui: « Père, que ta volonté soit faite », et nous devenons peu à peu des intimes de la vie trinitaire, des intimes de l’amour qui bat en son cœur. Elle est là l’action de Dieu en notre faveur, le miracle de Dieu dans nos vies, et non dans la suspension des lois de la nature.

Le chrétien ne croit pas en un Dieu magicien, un « deus ex machina« . Il croit en un Dieu Père, dont il ne devrait jamais douter de la sagesse dans la conduite du monde, du moins s’il a foi en lui. C’est le simple bon sens.

Visite chez mon dentiste

Tout est prêt. Le ronron discret et menaçant de la technologie, la musique d’ambiance et le patient résigné que je suis. Contre mauvaise fortune bon coeur!

L’on incline ma chaise au point où je suis pratiquement couché à l’horizontale. Au plafond, astuce de dentiste me dis-je, il y a un grand poster sur lequel on aperçoit une flotte de petites embarcations entourant un grand voilier magnifique. Le tout vu à vol d’oiseau. Tous les petits voiliers et les hors-bords convergent vers le grand voilier, sur fond de mer bleu corail. Me voilà fasciné! Je vois dans cette photo comme une allégorie de la vie, de la quête de l’absolu…

Entre alors dans mon champ de vision le regard attentif de mon dentiste. Un regard intelligent, soucieux et bienveillant penché sur moi. Un regard tout entier consacré à cette dent qu’il faut sauver.

Et si Dieu se penchait ainsi sur nous? Une présence qui se manifesterait à travers l’autre. Et voilà qui me relance sur cette grande question de la proximité à l’autre qu’évoque Jésus dans son Évangile.

L’autre est marqué de l’empreinte de Dieu. Non pas qu’il soit Dieu, mais il possède en partage ce qui marque l’être même de Dieu : l’intelligence, l’amour, la compassion. Ces qualités Dieu en fait don à l’Homme, au point où elles deviennent liées intimement à son être. En l’autre, je puis contempler quelque chose de Dieu.
L’autre me devient précieux à cause de ce qu’il est, aimable pour ce qu’il est, car Dieu le rend digne d’amour, sujet de mon émerveillement. Tout comme l’on se saisit d’admiration devant la plus belle des fleurs. Comment l’expliquer? Sinon que la fleur est investie de beauté et que la beauté est la nourriture même de l’âme. Oui, je sais, les fleurs ne sont pas toutes belles, et pourtant dans toutes les fleurs s’exprime le génie du Créateur. Elles sont toutes une pensée de Dieu, du pissenlit au cactus!

C’est Maurice Zundel qui écrit dans une homélie pour le premier dimanche de l’Avent: « Dans les autres, il y a l’Autre et c’est parce que dans les autres le destin de Dieu est engagé, c’est parce qu’il est mis en question par chaque décision de la volonté, c’est à cause de cela que le prochain nous est confié, c’est à cause de cela que nous avons la charge des autres, parce qu’en eux nous avons la charge de l’Autre ». Mystérieusement je me sens l’objet de ce mystère assis sur la chaise de mon dentiste.

Je quitte la clinique un peu plus léger. Je n’ai vraiment rien ressenti cette fois-ci.

Dieu caché

Parce que tu as aimé cette terre Seigneur,
voilà qui me donne d’espérer
quand je sens ma foi vaciller.

À voir vivre tes enfants rieurs,
comment ne pas sentir
la tendresse de ton regard
posé tout doucement sur chacun ‘eux.

Tu es là ! Je le crois.

Et je devine ta joie, car c’est ma joie.
Et je connais ta peine lorsqu’ils souffrent,
car c’est la mienne
et elle ne peut venir que de Toi.

Et du plus profond de mon impuissance
monte en moi cet appel à les consoler avec Toi !
À prendre avec Toi ce poids de douleur
qui accable notre terre jusqu’à plus soif.

Mais je te découvre plus pauvre que moi.
Plus pauvre que moi dans ta toute-puissance.
Et ton amour n’en finit plus d’attendre
les deux mains clouées sur le bois.

Qui donc prendra sur lui le poids de ta croix?
Faut-il être entré dans ta gloire
pour mesurer le poids infini de ta souffrance
et trouver la force de l’assumer avec Toi?

Pourquoi te cacher derrière ce silence
qui enveloppe l’univers,
comme si, sur le point de parler,
tu retenais ton souffle, l’espace d’un instant.

Un instant d’éternité où l’Homme attend
les yeux tournés vers le ciel…

Pourtant, tout dans l’univers ne s’écrie-t-il pas: Gloire!
Des astres créés, aux rires des enfants:
« Contemplez Celui qui vient!
Celui qui Est! Contemplez!
Il est là, aux portes du monde,
et vous êtes chez Lui.

L’univers est son jardin et l’Homme,
un promeneur solitaire
qui cherche son chemin.
N’entendez-vous pas sa voix? »
Et l’Homme, reste-là, hébété,
au coeur du jardin,
soûlé par le poids de sa vie,
ne sachant plus où regarder,
quand tout autour de lui l’appelle vers Toi.

Nous aurais-tu donc créés aveugles ?

Yves Bériault, o.p.

Qui a jamais vu Dieu?

La grandeur de Dieu, ce qui le rend fascinant, c’est qu’il est un Dieu qui veut se faire connaître de nous et qui prend l’initiative. Comme si Dieu avait besoin de se faire connaître! Est-ce possible? Il nous est difficile de parler de Dieu comme d’un être de besoin, et sans doute le terme n’est-il pas juste, mais en même temps Dieu ne joue pas à « avoir besoin de nous ». Il ne fait pas semblant. Dieu ne triche pas. Ce que la Révélation nous apprend, du livre de la Genèse jusqu’au dernier livre de la Bible, c’est qu’il est dans la nature même de Dieu de créer et d’appeler sa création à participer à sa gloire. Quand Dieu donne, il ne donne pas à moitié. Quand Dieu appelle à la vie, c’est à une vie en plénitude qu’il appelle. C’est tout lui-même que Dieu donne quand il crée.

C’est Saint-Exupéry, dans son Petit Prince, qui fait dire au renard : l’on est responsable de ce que l’on apprivoise. Que dire alors lorsque l’on crée, lorsque l’on donne la vie à des créatures. Dieu s’intéresse passionnément à notre réalité. Il vient s’y insérer avec tout le respect et la tendresse de celui qui aime. Il nous invite, il n’impose pas, il invite avec une infinie discrétion à le connaître et à l’aimer. Et ceci va déterminer de manière bien singulière l’expérience du croire en Dieu et le sens de la promesse de mettre en nous son Esprit. Car la véritable expérience de foi est celle où l’on ne croit pas simplement en Dieu, où l’on ne fait pas que professer ou même défendre un Credo. La véritable expérience de foi que propose le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, est une invitation à l’aimer et à faire l’expérience de son amour.

Christ Pantocrathore

C’est pourquoi au coeur de notre histoire humaine survient l’événement Jésus-Christ et son achèvement, qui est le don de l’Esprit Saint. Dieu nous anime d’un mouvement et d’un désir qui sont en nous l’écho de son propre désir. L’Esprit Saint vient rendre possible en nous le rêve fou de Dieu pour nous, qui est de le connaître d’une manière nouvelle, telle que l’a connu Jésus, tel que le connaît le Fils de Dieu.

« Qui m’a vu a vu le Père », nous dit Jésus dans l’évangile d’aujourd’hui. La foi chrétienne a ceci de particulier lorsqu’elle aborde la question de l’Absolu, pour elle « l’Absolu s’est incarné et porte un visage, le visage de Jésus-Christ ! » (Jacques de Bourbon-Busset). Dieu s’est fait voir. En Jésus, nous dit saint Jean, « nous avons contemplé sa gloire! »

Un chrétien ne croit pas en n’importe quel Dieu

Jacques Couture, prêtre et ancien ministre du travail pour le gouvernement du Québec, exprime ainsi sa foi en Dieu :

« Je ne connais pas ce Dieu qui trône dans les cieux, au milieu des archanges, des chérubins et des puissances… Le Dieu que je connais est impuissant, silencieux et terriblement gênant. Il m’empêche de dormir tranquille. Il hante mes nuits paisibles. Il dit qu’il a faim, qu’il a soif, qu’il est nu, qu’il est étranger, qu’il est prisonnier. Il crie sur le bord de la route. Il gémit abandonné, rejeté, il étale sans pudeur ses os décharnés, son corps meurtri.. Le Dieu que je connais s’appelle Jésus-Christ. Il se tient à l’ombre de chez moi… »

(Extrait de Aux frontières de la foi. Entre l’athéisme et le mystère, de Jean-Guy Saint-Arnaud. Médiaspaul, Montréal, 2007, 200 pages.)

Dieu avec nous

On s’imagine un Dieu en quelque part sur les montagnes les plus hautes, inaccessible. Tandis que la foi dont je vis m’annonce qu’un beau jour, il a mis ses godasses et qu’il est descendu dans la plaine, parmi nous, tout simplement. C’est là qu’on peut le rencontrer. À la fois dans cette plaine intérieure de nos vies, où il a fait sa demeure à tout jamais, et dans la plaine du quotidien, au fil des jours et des gens, des joies et des peines.