Tout est prêt. Le ronron discret et menaçant de la technologie, la musique d’ambiance et le patient résigné que je suis. Contre mauvaise fortune bon coeur!
L’on incline ma chaise au point où je suis pratiquement couché à l’horizontale. Au plafond, astuce de dentiste me dis-je, il y a un grand poster sur lequel on aperçoit une flotte de petites embarcations entourant un grand voilier magnifique. Le tout vu à vol d’oiseau. Tous les petits voiliers et les hors-bords convergent vers le grand voilier, sur fond de mer bleu corail. Me voilà fasciné! Je vois dans cette photo comme une allégorie de la vie, de la quête de l’absolu…
Entre alors dans mon champ de vision le regard attentif de mon dentiste. Un regard intelligent, soucieux et bienveillant penché sur moi. Un regard tout entier consacré à cette dent qu’il faut sauver.
Et si Dieu se penchait ainsi sur nous? Une présence qui se manifesterait à travers l’autre. Et voilà qui me relance sur cette grande question de la proximité à l’autre qu’évoque Jésus dans son Évangile.
L’autre est marqué de l’empreinte de Dieu. Non pas qu’il soit Dieu, mais il possède en partage ce qui marque l’être même de Dieu : l’intelligence, l’amour, la compassion. Ces qualités Dieu en fait don à l’Homme, au point où elles deviennent liées intimement à son être. En l’autre, je puis contempler quelque chose de Dieu.
L’autre me devient précieux à cause de ce qu’il est, aimable pour ce qu’il est, car Dieu le rend digne d’amour, sujet de mon émerveillement. Tout comme l’on se saisit d’admiration devant la plus belle des fleurs. Comment l’expliquer? Sinon que la fleur est investie de beauté et que la beauté est la nourriture même de l’âme. Oui, je sais, les fleurs ne sont pas toutes belles, et pourtant dans toutes les fleurs s’exprime le génie du Créateur. Elles sont toutes une pensée de Dieu, du pissenlit au cactus!
C’est Maurice Zundel qui écrit dans une homélie pour le premier dimanche de l’Avent: « Dans les autres, il y a l’Autre et c’est parce que dans les autres le destin de Dieu est engagé, c’est parce qu’il est mis en question par chaque décision de la volonté, c’est à cause de cela que le prochain nous est confié, c’est à cause de cela que nous avons la charge des autres, parce qu’en eux nous avons la charge de l’Autre ». Mystérieusement je me sens l’objet de ce mystère assis sur la chaise de mon dentiste.
Je quitte la clinique un peu plus léger. Je n’ai vraiment rien ressenti cette fois-ci.
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