Homélie pour le 4e Dimanche de Pâques (B)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 10,11-18. 
En ce temps-là, Jésus déclara : « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis.
Le berger mercenaire n’est pas le pasteur, les brebis ne sont pas à lui : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse.
Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui.
Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent,
comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis.
J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur.
Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau.
Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilà le commandement que j’ai reçu de mon Père. »

COMMENTAIRE

Dans les évangiles, Jésus a cette préoccupation constante d’amener ses auditeurs à croire en lui, mais il le fait sans jamais dévoiler pleinement son identité. Ainsi, il ne dit jamais : « Je suis le Verbe » ou encore « Je suis le Fils de Dieu ». Au contraire, Jésus procède par analogies, avec des paraboles et des miracles, qui deviennent des clefs d’interprétation afin de nous ouvrir à son mystère.

Jésus emploie aussi beaucoup d’images afin d’expliquer sa personne et sa mission. Il dit de lui-même qu’il est la lumière du monde, le pain vivant, la vraie vigne, le chemin, la vérité, la résurrection et la vie. Mais il y a deux autres attributs que Jésus fait siens et que l’on retrouve dans l’Ancien Testament pour représenter Dieu, soit les titres d’époux et de pasteur. Comme l’époux aime l’épouse, Jésus nous révèle dans l’évangile de ce dimanche qu’il est le Bon pasteur qui aime ses brebis au point de donner sa vie pour elles.

Cette image du Bon pasteur est l’une des plus anciennes dans l’iconographie chrétienne, et les premiers chrétiens peignaient cette image sur les murs de leurs catacombes. On peut y voir Jésus vêtu en simple berger, un bâton à la main, portant une brebis sur ses épaules. « Voilà notre Dieu! disaient les premiers chrétiens. Il est le Bon pasteur, le vrai chef des brebis. »

Faut-il se surprendre si Jésus emploie l’image du berger afin d’exprimer jusqu’où va son amour pour nous? Nous le savons, il ne s’est pas présenté en roi triomphant, imposant son autorité au monde. Pour se dire à nous et nous décrire sa mission, Jésus s’est identifié à l’un des métiers les plus humbles de son époque, soit celui de berger, dont la seule richesse était ses brebis, et pour lesquelles il était prêt à affronter le loup et à donner sa vie pour elles. Jésus agit de même en notre faveur. Il est le le Bon pasteur qui connaît ses brebis.

Ce qui est extraordinaire dans la façon dont Jésus décrit cette intimité qu’il vit avec ses brebis, c’est que ces dernières le connaissent elles aussi. Elles reconnaissent sa voix, elles sont dociles à son appel. Elles se tiennent toujours près de lui, et lui les prend sur son coeur, tellement elles lui sont chères et il veille sur elles et les protège.

Il y a entre Jésus et ses brebis une connaissance réciproque, qui est fondée sur cette intimité qui unit Jésus à son Père. « Qui m’a vu a vu le Père », dit Jésus. Voilà l’intimité dans laquelle le Seigneur nous entraîne quand nous mettons notre foi en lui. Il nous donne de le connaître ainsi que son Père qui est le nôtre.

Ce dimanche est une invitation à entrer plus avant dans cette relation d’amour que le Seigneur veut vivre avec nous. D’où ces quelques questions que j’aimerais proposer à notre réflexion.

Jésus nous dit qu’il est le Bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis. Est-ce que cette réalité du don que Jésus fait de lui-même nous rejoint personnellement? Est-ce que nous mesurons à quel point Dieu nous aime et veut nous avoir avec lui, tout près de lui?

Quand Jésus nous dit que ses brebis entendent sa voix et le reconnaissent, est-ce que nous cherchons à entendre cette voix quand nous sommes confrontés à des épreuves ou lorsqu‘il nous faut prendre des décisions importantes, ou tout simplement quand la vie éclate en bonheurs de toutes sortes autour de nous? Jésus est-il le confident de nos nuits, de nos peines et de nos joies? Le complice de nos rêves?

Par ailleurs, les paroles de Jésus aujourd’hui sont l’occasion pour nous de réfléchir à cette bergerie que nous sommes appelés à former avec lui, et qui s’appelle l’Église. Certains chrétiens vivent leur foi sans l’Église, sans souci ni attachement pour elle. Ils se décrivent comme des personnes spirituelles, mais non pas religieuses, sans appartenance à l’Église. Pourtant, Jésus définit bien son rapport à nous comme celui du berger avec ses brebis qui veut nous rassembler en une seule bergerie.

Un poète a énoncé une grande vérité au sujet de l’Église : « Nul ne va au ciel tout seul ». En tant que chrétiens, nous sommes appelés à aller dans ces verts pâturages où Jésus nous conduits, là où se retrouve l’assemblée chrétienne, à l’écoute de la Parole de Dieu, se ressourçant aux sources vives des sacrements, construisant la fraternité au nom du Christ, y apprenant notre métier d’hommes et de femmes en ce monde, tel que rêvé par Dieu. C’est là le beau et grand mystère de la vie en Église, cette verte prairie où naissent et grandissent les enfants de Dieu.

C’est Christian de Chergé, le prieur du monastère de Tibhirine en Algérie, assassiné avec six de ses frères trappistes, qui disait lors d’une retraite : « Le plus grand de l’Incarnation, ce n’est pas que Dieu se soit fait homme, mais c’est que l’homme soit en Dieu, c’est qu’une humanité semblable à la nôtre se retrouve en Dieu (par l’Incarnation du Fils de Dieu et son ascension au ciel)… Désormais, dit Christian de Chergé, il y a de la fraternité en Dieu. » Et c’est ce témoignage que l’Église porte au plus profond d’elle-même. Jésus, le Bon pasteur, en prenant notre humanité s’est fait FRÈRE, le frère de tous, nous entraînant à vivre cette fraternité à sa suite en Église.

Car l’Église, c’est le sacrement du salut, le signe de l’action miséricordieuse de Dieu en notre monde. Aussi différents que nous soyons les uns des autres, nous portons tous les mêmes peines, les mêmes aspirations, le même besoin d’aimer et d’être aimés. C’est cette humanité, avec ses grandeurs et ses misères, que le Bon pasteur prend sur ses épaules, nous invitant à le suivre et à nous faire à la fois brebis et pasteurs du troupeau avec lui. Pour y parvenir il nous confie son Église.

C’est le cardinal Christoph Schönborn, dominicain et archevêque de Vienne, dans son livre intitulé Qui a besoin de Dieu, qui écrit : « Même après soixante-deux ans, je ne connais rien de mieux (que l’Église). Je n’ai rien trouvé de plus beau que cette Église. Et c’est une grande chance pour moi qu’elle soit imparfaite parce que j’y ai ainsi ma place. »

Frères et soeurs, le Seigneur nous appelle tous dans sa bergerie. Il n’exclut personne. Et aujourd’hui encore, il dresse la table pour nous et il nous invite dans les verts pâturages de son eucharistie, afin que grâce et bonheur nous accompagnent tous les jours de notre vie. Amen.

Yves Bériault, o.p.

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1.  Christian de Chergé. Retraite sur le Cantique des cantiques. Nouvelle Cité, 2013. p. 149

2.  Christoph Schönborn. Qui a besoin de Dieu. Entretiens avec Barbara Stöckl. Éditions Parole et Silence, 2008, p. 200-201

Homélie pour le 3e Dimanche de Pâques (B)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 24,35-48. 
En ce temps-là, les disciples qui rentraient d’Emmaüs racontaient aux onze Apôtres et à leurs compagnons ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.
Comme ils en parlaient encore, lui-même fut présent au milieu d’eux, et leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Saisis de frayeur et de crainte, ils croyaient voir un esprit.
Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous bouleversés ? Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ?
Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai. »
Après cette parole, il leur montra ses mains et ses pieds.
Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire, et restaient saisis d’étonnement. Jésus leur dit : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? »
Ils lui présentèrent une part de poisson grillé
qu’il prit et mangea devant eux.
Puis il leur déclara : « Voici les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. »
Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures.
Il leur dit : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour,
et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem.
À vous d’en être les témoins.

COMMENTAIRE

Ce récit d’apparition de Jésus à ses disciples est sans doute le récit le plus détaillé que nous ayons, où l’évangéliste Luc nous décrit à la fois la nouvelle réalité corporelle de Jésus, tout en nous laissant entrevoir sa profonde humanité. Même au-delà de la mort, Jésus ressuscité est plus vrai que jamais.

Il apparaît de façon si réellement incarnée à ses disciples, que ces derniers n’ont d’autre choix que de s’incliner et de le reconnaître. « Quand leurs yeux et leurs oreilles ne suffisent pas, ils doivent encore le toucher; quand le toucher ne suffit pas pour réveiller leur foi, ils doivent présenter à Jésus nourriture et boisson qu’il consomme devant leurs yeux. 1 » Décidément, ils n’ont pas affaire à un fantôme. Jésus est bel et bien vivant, plus vivant que jamais!

D’ailleurs, Jésus apparaît à ses disciples dès le premier jour de sa résurrection, comme si les liens noués ici-bas étaient de la plus grande importance pour lui. Malgré qu’ils l’aient abandonné, renié et trahi, Jésus ne se détourne pas de ses disciples. Au contraire, il vient vers eux avec empressement, et il traverse les murs de leurs peurs, et de leurs doutes afin de les ramener vers lui, et de les établir fermement dans cet amour sans limites qu’il a pour eux. À travers ses apparitions, Jésus nous révèle combien nous avons du prix aux yeux de Dieu. C’est cet amour qui l’a conduit à sa passion et dont il porte encore les marques dans son corps glorifié.

Benoît XVI a exprimé cela de manière magnifique dans une homélie pour le deuxième dimanche de Pâques : « Le Seigneur a apporté avec lui ses blessures dans l’éternité, dit-il. C’est un Dieu blessé; il s’est laissé blesser par l’amour pour nous. » Dans ses blessures, Jésus porte la marque de notre péché. Car si le péché nous blesse dans nos vies personnelles, dans nos relations avec les autres et avec nous-mêmes, Jésus nous fait découvrir que le péché s’adresse avant tout à Dieu. « C’est la mort du Christ en croix qui nous renvoie l’image de notre péché. 2 » Il est mort pour nos péchés. Il s’est fait péché pour nous, comme l’affirme saint Paul, et il en porte les blessures jusque dans sa résurrection.

Mais toujours, et plus que jamais, Jésus poursuit sa route avec nous, dans un mode de présence tout nouveau, mais encore plus vrai, plus intime. Désormais, il vient transformer nos vies de l’intérieur, lui le grand Vainqueur de la mort, le Chef des vivants, comme l’affirme saint Pierre.

C’est à cette réalisation incroyable que s’ouvrent les disciples quand le Ressuscité leur apparaît  et leur ouvre l’esprit à l’intelligence des Écritures. « C’est vous qui en êtes les témoins », leur dit-il, et cette parole de Jésus se répercute jusqu’à nous aujourd’hui.

Bien sûr, nous savons que nous portons cette mission dans des vases d’argile, car nous sommes fragiles, mais nous avons le Christ pour nous relever de nos péchés, pour nous pardonner, pour nous donner sa force, car il est Lui, la clef de l’Histoire humaine, la réponse définitive à toutes les quêtes de sens de l’humanité. Il est Celui qui ouvre le chemin vers Dieu, vers le véritable bonheur.

Nous sommes faits pour être heureux, mais sans Dieu le bonheur est impossible, tout comme il est impossible de lutter contre le péché sans Dieu, car le péché est avant tout un refus de Dieu. Le péché ce sont toutes ces actions, ces paroles, ces pensées et ces omissions, où nous perdons le sens de nous-mêmes et de notre dignité. Le péché, c’est le coeur qui s’éteint, c’est la source de l’amour qui se tarit en nous. Le péché, c’est quand nous cessons d’être cette merveille, tel que voulu par Dieu, puisque nous sommes créés à son image.

C’est cette image que le Christ est venu restaurer en nous, en nous pardonnant nos péchés, et en nous partageant sa vie. C’est à cette conversion que le monde est appelé et nous sommes les porteurs de cette bonne nouvelle : « C’est vous qui en êtes les témoins », nous dit Jésus.

Toute la Bible, tout l’enseignement de Jésus ne cessent de nous rappeler le rêve de Dieu pour nous. Il veut notre bonheur total et définitif. Le Concile Vatican II l’a réaffirmé : « L’aspect le plus sublime de la dignité humaine se trouve dans cette vocation de l’homme à communier avec Dieu. 3 » Au-delà de l’existence de Dieu, la Bible veut surtout nous dire que nous existons pour Dieu, que Dieu veut notre bonheur et notre salut. C’est pourquoi il nous faut sans cesse entrer dans ce pardon qui vient de Dieu, et qui est capable de nous relever et de nous libérer du péché.

Saint Jean affirme que Jésus est la victime offerte non seulement pour nos péchés, mais encore pour ceux du monde entier. Voilà jusqu’où doivent s’étendre notre souci et notre compassion.

Nous ne pouvons faire comme si le péché n’existait pas, comme si le mal n’était pas à l’oeuvre. Trop souvent, l’actualité vient nous rappeler douloureusement les échecs de notre humanité, les crimes abominables, les haines, les divisions. Nous vivons dans un monde blessé par le péché de l’homme, et chaque fois qu’il se manifeste, c’est Jésus qui est crucifié à nouveau.

Mais nous ne sommes pas démunis comme l’étaient les disciples devant le scandale de la croix. Tout comme pour les Apôtres, le Christ ressuscité vient jusqu’à nous et il nous offre sa paix. Il nous invite à porter avec lui les blessures du monde et à nous laisser blesser à notre tour pour lui; à faire oeuvre de miséricorde, de paix et de justice avec lui, et ainsi devenir des témoins de sa résurrection.

Et si parfois nous sommes tentés par le découragement, dépassés par le mal dont nous sommes témoins, à perte de moyens et de solutions, n’oublions jamais Celui en qui nous avons mis notre foi, car c’est lui le Sauveur du monde, le Chef des vivants ! Amen.

Yves Bériault, o.p.

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1. Urs von Balthasar. La gloire et la croix. p.263

2. Sesboüé, Bernard. L’homme, merveille de Dieu. Salvator, 2015. p. 216

3. Gaudium et Spes, 19, 1.

Homélie pour le 2e Dimanche de Pâques

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc

En ce temps-là,
les disciples qui rentraient d’Emmaüs
racontaient aux onze Apôtres et à leurs compagnons
ce qui s’était passé sur la route,
et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux
à la fraction du pain.
Comme ils en parlaient encore,
lui-même fut présent au milieu d’eux, et leur dit :
« La paix soit avec vous ! »
Saisis de frayeur et de crainte,
ils croyaient voir un esprit.
Jésus leur dit :
« Pourquoi êtes-vous bouleversés ?
Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ?
Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi !
Touchez-moi, regardez :
un esprit n’a pas de chair ni d’os
comme vous constatez que j’en ai. »
Après cette parole,
il leur montra ses mains et ses pieds.
Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire,
et restaient saisis d’étonnement.
Jésus leur dit :
« Avez-vous ici quelque chose à manger ? »
Ils lui présentèrent une part de poisson grillé
qu’il prit et mangea devant eux.
Puis il leur déclara :
« Voici les paroles que je vous ai dites
quand j’étais encore avec vous :
“Il faut que s’accomplisse
tout ce qui a été écrit à mon sujet
dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.” »
Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures.
Il leur dit :
« Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait,
qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour,
et que la conversion serait proclamée en son nom,
pour le pardon des péchés, à toutes les nations,
en commençant par Jérusalem.
À vous d’en être les témoins. »

COMMENTAIRE

Les Églises orientales, catholiques et orthodoxes appellent ce dimanche, le dimanche de Thomas. Elles veulent ainsi souligner que l’attitude de l’apôtre incrédule est parfois la nôtre. Ce qui n’empêcha pas cet apôtre de grandir dans sa foi, avec l’aide du Christ, car c’est ce même Thomas qui donnera à Jésus le titre le plus éloquent de tout l’évangile : « Mon Seigneur et mon Dieu. »

Voilà qui est encourageant pour nous! Malgré les doutes et les difficultés que nous pouvons parfois éprouver dans notre vie de foi, Dieu est toujours avec nous et il nous aide sans cesse dans notre découverte de qui il est et de sa présence au coeur de nos vies. C’est ce que Jésus fait avec ses disciples après sa résurrection. Bien qu’ils l’aient abandonné, il n’a pas eu honte de ses apôtres. Au contraire, il se manifesta à eux, les appelant à passer des ténèbres de la peur à son admirable lumière, les invitant à entrer dans sa Pâque!

Chaque année, à l’occasion du Triduum pascal, nos couvents dominicains un peu partout dans le monde, célèbrent l’Office des ténèbres, le Jeudi, Vendredi et Samedi saint. Il s’agit de la prière des psaumes, entrecoupés de lectures bibliques et spirituelles, célébrée le matin, et qui a pour but de nous associer à la passion du Christ. Après l’un de nos offices, j’ai fait la rencontre d’une jeune femme. Elle tenait à nous exprimer son bonheur d’avoir pu prier avec nous. Elle m’avouait avoir même pleuré pendant le beau Cantique de Zacharie, quand nous chantons au sujet du Christ, qu’il est venu illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin de la paix.

Elle était belle à voir cette jeune mère de six enfants, convertis depuis maintenant quatorze années. Elle s’exclama tout à coup, emportée par son enthousiasme : « Je ne comprends pas que des gens ne croient pas en Dieu ». Et elle se ravisa, se rappelant qu’elle-même avait jadis été loin de Dieu, et elle ajouta : « Pourquoi moi? Pourquoi nous? Je ne comprends pas. C’est une grâce, dit-elle, c’est un don. Jamais je ne voudrais perdre ce don et comme j’aimerais le partager. » Elle était là avec son conjoint, rayonnante, comme un ange m’annonçant la bonne nouvelle de Pâques. C’est à cette joie toute pascale que nous invite la Parole de Dieu en ce dimanche, alors que le Christ ressuscité se tient au milieu de ses apôtres, au milieu de notre assemblée, et qu’il nous offre sa paix.

Par ailleurs, il est important de rappeler que ce deuxième dimanche de Pâques est aussi le dimanche de la Divine Miséricorde. Cette fête a tout d’abord été célébrée en 1985, dans l’Archidiocèse de Cracovie, pour ensuite se répandre partout en Pologne. Jean Paul II, qui a été évêque de Cracovie, institua cette fête pour l’Église universelle, le 30 avril de l’an 2000, jour de la canonisation de sainte Faustine, religieuse polonaise qui a vécu de 1905 à 1938.

43296167Le Christ lui avait confié dans une révélation : « La Fête de la Miséricorde est issue de mes entrailles, je désire qu’elle soit fêtée solennellement le premier dimanche après Pâques. » Dans le journal de soeur Faustine se trouve aussi cette parole de Jésus : « L’humanité ne connaîtra pas la paix tant qu’elle ne se tournera pas vers la source de ma Miséricorde. »

Comme en écho à cette invitation pressante du Seigneur, en ce dimanche au Vatican, le pape François va décréter la tenue d’une Année Sainte extraordinaire consacrée à la miséricorde. La miséricorde est l’un des axes majeurs de son pontificat, et le pape François a surpris tout le monde en prenant cette initiative.

Ce thème était cher aussi au saint Pape Jean-Paul II. Il disait de la miséricorde qu’elle était la réponse chrétienne face au mal, qu’elle était la limite imposée au mal par Dieu. Jean-Paul II a écrit que l’histoire de l’humanité « est le théâtre de la coexistence du bien et du mal », où la limite au mal sera toujours « constituée par le bien, le bien divin et le bien humain. » Nous et Dieu, comme acteurs de premier plan dans ce drame universel.

Ce bien face au mal, c’est la miséricorde qui a sa source en Dieu, et qui se déploie à travers le mystère pascal où l’homme est arraché au péché et à la mort par le Christ. « Il pourrait sembler que le mal fût plus puissant que tout bien », dit Jean-Paul II, lui qui a connu cette époque terrible où l’humanité était aux prises avec les deux idéologies et les deux oppressions, nazie et communiste. Mais il affirme qu’il y a une limite divine qui est imposée au mal, c’est le salut que nous apporte le Christ. En lui, « le mal est radicalement vaincu par le bien, la haine par l’amour, la mort par la résurrection. »

Ce qui nous est demandé, en tant que disciples du Christ, c’est de correspondre à ce bien et à cette miséricorde. C’est de nous plonger dans la bonté de Dieu, comme nous y invite sainte Faustine, et ainsi être vainqueurs du mal, malgré les défaites apparentes, en nous laissant saisir par la victoire du Christ ressuscité.

C’est à cette conversion que nous sommes appelés avec l’apôtre Thomas, alors que Jésus l’invite à toucher les plaies de sa passion dans son corps glorifié. Benoît XVI exprime cela de manière magnifique dans une homélie pour le deuxième dimanche de Pâques :

« Le Seigneur a apporté avec lui ses blessures dans l’éternité, dit-il. C’est un Dieu blessé; il s’est laissé blesser par l’amour pour nous. Et comme Thomas, nous pouvons nous aussi toucher ses blessures dans l’histoire de notre temps! […] Et ses blessures constituent pour nous un devoir de nous laisser blesser à notre tour pour lui! » C’est-à-dire en devenant des témoins de sa Divine Miséricorde. En donnant nos vies comme lui, en aimant comme lui.

Benoît XVI achevait son homélie en citant cette prière de Jean-Paul II que je vous propose en ce Dimanche de la Miséricorde :

Dieu, Père miséricordieux,
qui as révélé Ton amour dans ton Fils Jésus Christ,
et l’as répandu sur nous dans l’Esprit Saint Consolateur,
nous Te confions aujourd’hui
le destin du monde et de chaque homme, chaque femme.

Penche-toi sur nos péchés, guéris notre faiblesse, vaincs tout mal,
fais que tous les habitants de la terre fassent l’expérience de ta miséricorde,
afin qu’en Toi, Dieu Un et Trine, ils trouvent toujours la source de l’espérance.

Père éternel,
par la douloureuse Passion et la Résurrection de ton Fils,
accorde-nous ta miséricorde, ainsi qu’au monde entier! Amen.

Yves Bériault, o.p.

 » Il vit et il crut !  » Homélie pour le dimanche de Pâques

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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Le premier jour de la semaine,
Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ;
c’était encore les ténèbres.
Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.
Elle court donc trouver Simon-Pierre
et l’autre disciple,
celui que Jésus aimait,
et elle leur dit :
« On a enlevé le Seigneur de son tombeau,
et nous ne savons pas où on l’a déposé. »
Pierre partit donc avec l’autre disciple
pour se rendre au tombeau.
Ils couraient tous les deux ensemble,
mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre
et arriva le premier au tombeau.
En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ;
cependant il n’entre pas.
Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour.
Il entre dans le tombeau ;
il aperçoit les linges, posés à plat,
ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus,
non pas posé avec les linges,
mais roulé à part à sa place.
C’est alors qu’entra l’autre disciple,
lui qui était arrivé le premier au tombeau.
Il vit, et il crut.
Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris
que, selon l’Écriture,
il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

COMMENTAIRE

En entendant le récit de la course passionnée de Pierre et de Jean vers le tombeau vide, comment ne pas voir dans leur sillage, les souvenirs enchevêtrés de ces trois années d’itinérance passées avec Jésus ? Comme il était grand leur espoir! Trois années nourries des rêves les plus fous… et puis la mort tragique, la fin brutale de celui qu’ils aimaient. Hé quoi maintenant? Quelle est cette nouvelle? Ils n’osent y croire. À bout de souffle, le regard inquiet, les voici au tombeau, le plus jeune devançant le plus vieux. Le commentaire de l’évangéliste est stupéfiant par sa brièveté : « Il vit et il crut! »

La résurrection de Jésus est la réalisation d’une promesse longtemps attendue, où Dieu affirme que le vivant n’a pas sa place dans les tombeaux de ce monde.

Pourtant, l’expérience du tombeau vide n’explique en rien la foi des disciples du Christ. Ce serait là un bien faible appui sur lequel miser sa vie. Le tombeau vide n’est que le signe annonciateur préparant les disciples à une rencontre décisive avec le Ressuscité.

« Il vit et il crut! » Nous avons là une clé d’interprétation fondamentale pour comprendre ce que veut dire la foi en Jésus Christ. Avant de croire, il faut avoir vu! Je m’explique.

La foi au Dieu de Jésus Christ ne se fonde pas sur des raisonnements intellectuels irréfutables. Le coeur de la foi chrétienne, c’est avant tout la reconnaissance d’une présence intérieure, une présence d’amour infinie devant laquelle la foi se prosterne et adore.

« Il vit et il crut! » C’est l’amour qui fait croire ici! C’est la rencontre du regard aimant de Jésus, posé sur nous depuis sa résurrection, qui nous attire vers lui et qui nous fait entendre cet appel intérieur, du plus profond de nous-mêmes, comme les deux disciples devant le tombeau vide, comme si le ressuscité leur disait au sujet de ce tombeau: « Voyez! Vous pensiez avoir enterré tous vos espoirs. Mais regardez, c’est plein de vie dedans. »

Tout comme Pierre et Jean, c’est la bonne nouvelle de la résurrection du Christ qui nous a fait accourir ici ce matin. Chacun et chacune de nous, nous sommes venus au Christ par des chemins tout aussi différents que nous le sommes les uns des autres. Pourtant, c’est une recherche commune qui nous unit, ensemble en Église, où nous ne cessons d’approfondir le don que Dieu nous fait en Jésus Christ, et où nous ne cessons de nous en émerveiller.

C’est tout le sens de cette grande Semaine sainte qui nous a conduits jusqu’à ce matin de la résurrection, où nous nous tenons éblouis devant ce tombeau vide. Un tombeau à la porte grande ouverte, irradiant la lumière de Pâques. « Il vit et il crut! » C’est à ce regard de foi que nous sommes conviés ce matin.

Mais il y a bien des manières de s’attacher au Christ, et si chacun de nous pouvaient prendre la parole ce matin, nous serions émerveillés par la diversité de nos cheminements, de nos raisons de croire, de la foi qui est la nôtre. Voici quelques témoignages que l’on pourrait entendre. Vous allez sans doute vous reconnaître!

« Si je suis ici ce matin, c’est que j’ai trouvé en Jésus un homme qui a vécu et parlé de la vie comme nul autre. Il se dégage une telle force dans sa manière de me montrer le chemin qui mène à Dieu, que je crois en sa parole. »

« Si je crois au Christ, c’est que le témoignage de sa vie s’est imposé à moi. Si la vie a un sens, si elle vaut la peine d’être vécue, c’est de donner sa vie comme Jésus l’a fait. Voilà ce qui me fait vivre, et, pour moi, il n’y a pas de plus grand maître sur cette route que le Seigneur Jésus. »

« Si je suis ici ce matin, c’est peut-être qu’à force de méditer les évangiles, et de tenter de les vivre dans mon quotidien, je me suis attaché à cet homme Jésus. Comme si tout à coup, cet inconnu de la Galilée m’était devenu proche. À travers son message d’amour et de pardon, la vie de cet homme s’est mise à compter pour moi. Je me suis surprise à l’aimer, à être touchée par son combat, comme si sa lutte était devenue la mienne. »

« Si je crois au Christ, c’est qu’en cheminant avec des chrétiennes et des chrétiens, en approfondissant ma vie de prière, en me nourrissant des sacrements, Jésus est devenu une présence vivante en moi, dont je ne pourrais plus me passer. Comme si la foi en Jésus et en sa parole me faisait vivre à mon tour ce qu’ont vécu tous ceux et celles qui l’ont suivi avant moi : ce sentiment d’être aimé par lui, accueilli avec mes rêves et le poids de mes faiblesses. »

« Si je suis ici ce matin, c’est qu’au cœur de l’épreuve et de la maladie, il était le seul en dernier lieu, vers qui je pouvais me tourner dans mon impuissance ; et je n’ai pas été déçu. Mystérieusement, le Dieu de Jésus Christ était au rendez-vous et dans ma prière j’ai trouvé la paix. En dépit de ma souffrance, j’ai trouvé le courage de porter ma croix avec lui. C’est pourquoi je crois en lui. »

Un philosophe grec (Héraclite) disait, il y a déjà 2, 500 ans : « Si tu ne sais pas espérer, tu ne pourras jamais accueillir l’inespéré. » En cette fête de Pâques, qui est la mère de toutes les fêtes, de toutes les attentes au cœur de la vie des hommes et des femmes de ce monde, nous proclamons que l’inespéré s’est fait chair, que le Fils du Père a habité parmi nous, qu’il est le grand vainqueur de la mort.

La pierre qui retenait la vie a été roulée sur le côté. La vie qui était captive de la mort a été libérée de ses entraves, et Jésus est devenu notre éternel printemps.

Réjouissons-nous frères et sœurs ! Célébrons ! Rendons grâce à Dieu en ce jour de Pâques ! Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! Amen !

Yves Bériault, o.p.

 

La Vie a pris la clé des champs !

Resurrection

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean

Le premier jour de la semaine,
Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ;
c’était encore les ténèbres.
Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.
Elle court donc trouver Simon-Pierre
et l’autre disciple,
celui que Jésus aimait,
et elle leur dit :
« On a enlevé le Seigneur de son tombeau,
et nous ne savons pas où on l’a déposé. »
Pierre partit donc avec l’autre disciple
pour se rendre au tombeau.
Ils couraient tous les deux ensemble,
mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre
et arriva le premier au tombeau.
En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ;
cependant il n’entre pas.
Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour.
Il entre dans le tombeau ;
il aperçoit les linges, posés à plat,
ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus,
non pas posé avec les linges,
mais roulé à part à sa place.
C’est alors qu’entra l’autre disciple,
lui qui était arrivé le premier au tombeau.
Il vit, et il crut.
Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris
que, selon l’Écriture,
il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

– Acclamons la Parole de Dieu.

COMMENTAIRE

En lisant le récit de la course passionnée de Pierre et de Jean vers le tombeau vide, comment ne pas voir dans leur sillage les souvenirs enchevêtrés de ces trois années d’itinérance passées avec Jésus. Comme il était grand leur espoir ! Trois années nourries des rêves les plus fous… et puis la mort tragique, la fin brutale de celui qu’ils aimaient. Et quoi maintenant? Quelle est cette nouvelle? Le souffle se fait haletant, mais le pied, lui, reste ferme. Et si c’était vrai? Ils n’osent y croire. À bout de souffle, le regard inquiet, les voici au tombeau, le plus jeune devançant le plus vieux. Le commentaire de l’évangéliste au sujet de l’apôtre Jean est stupéfiant par sa brièveté : « Il vit et il crut! »

Le souvenir de Pierre et de Jean courant vers le tombeau de Jésus le matin de Pâques est une belle métaphore de notre vie de foi, qui continue d’habiter la mémoire de tous ceux et celles qui, un soir ou un matin, se sont retrouvés, étonnés, devant un tombeau vide. Le tombeau vide de leurs doutes et de leurs craintes; le tombeau vide de leur impuissance, de leur manque de foi. Un tombeau à la porte ouverte, irradiant la lumière matinale, sa béance pleine d’une présence, le regard intérieur s’allumant, tout d’un coup, à l’expérience de foi : « Il vit et il crut! »

Pourtant, l’expérience du tombeau vide n’explique en rien la foi des disciples du Christ. Ce serait là un bien faible appui sur lequel miser sa vie. L’événement est d’un autre ordre. Le tombeau vide n’est qu’un signe avant-coureur qui prépare les Apôtres à une rencontre avec le Ressuscité où la foi seule est sollicitée. La résurrection du Seigneur Jésus est la réalisation d’une promesse longtemps attendue, où Dieu affirme que la vie est plus forte que la mort, que le vivant, en commençant par le Christ, n’a pas sa place dans les tombeaux de ce monde.

Chacun et chacune de nous, nous sommes venus au Christ par des chemins tout aussi différents que nous le sommes les uns des autres. C’est une recherche commune qui nous unit et parce que nous croyons ensemble en Église, nous ne cessons d’approfondir le don que Dieu nous fait en Jésus Christ et nous ne cessons de nous en émerveiller. C’est tout le sens de cette grande fête de Pâques.

Mais il y a bien des manières de s’attacher au Christ et si chacun et chacune de nous pouvaient prendre la parole ce matin, nous serions émerveillés par la diversité de nos cheminements et de nos raisons de croire. Écoutons quelques témoignages :

« Si je suis ici ce matin, c’est que j’ai trouvé en Jésus un homme qui a vécu et parlé de la vie comme nul autre. Il se dégage une telle force dans sa manière de me montrer le chemin qui mène à Dieu, que je crois en sa parole. »

« Si je crois au Christ, c’est que le témoignage de sa vie s’est imposé à moi. Si la vie a un sens, si elle vaut la peine d’être vécue, c’est de donner sa vie comme Jésus l’a fait. Voilà ce qui me fait vivre, et, pour moi, il n’y a pas de plus grand maître sur cette route que le Seigneur Jésus. »

« Si je suis ici ce matin, c’est peut-être parce qu’à force de méditer les évangiles, et de tenter de les vivre dans mon quotidien, je me suis attaché à cet homme Jésus. Comme si tout à coup, cet inconnu de la Galilée m’était devenu proche. À travers son message d’amour et de pardon, la vie de cet homme s’est mise à compter pour moi. Je me suis surprise à l’aimer, à être touchée par son combat, comme si sa lutte était devenue la mienne. »

« Si je crois au Christ, c’est qu’en cheminant avec des chrétiennes et des chrétiens, en approfondissant ma vie de prière, en me nourrissant des sacrements, Jésus est devenu une présence vivante en moi, dont je ne pourrais plus me passer. Comme si la foi en Jésus et en sa parole me faisait vivre à mon tour ce qu’ont vécu tous ceux et celles qui l’ont suivi avant moi : ce sentiment d’être aimé par lui, accueilli avec mes rêves et le poids de mes faiblesses. »

« Si je suis ici ce matin, c’est qu’au cœur de l’épreuve et de la maladie, il était le seul en dernier lieu, vers qui je pouvais me tourner dans mon impuissance ; et je n’ai pas été déçu. Mystérieusement, le Dieu de Jésus-Christ était au rendez-vous et dans ma prière j’ai trouvé la paix. En dépit de ma souffrance, j’ai trouvé le courage de porter ma croix avec lui. C’est pourquoi je crois en lui. »

Un philosophe grec (Héraclite) disait, il y a déjà 2, 500 ans : « Si tu ne sais pas espérer, tu ne pourras jamais accueillir l’inespéré. » En cette sainte Vigile, qui est la mère de toutes les vigiles, de toutes les attentes au cœur de la vie des hommes et des femmes de ce monde, nous proclamons que l’inespéré s’est fait chair, que le Fils du Père a habité parmi nous et qu’il a vaincu la mort. La pierre qui retenait la vie a été roulée sur le côté. La vie qui était captive de la mort a été libérée de ses entraves, et Jésus Christ est devenu notre éternel printemps.

Voilà la foi qui nous rassemble en cette fête de Pâques, à la suite de tous ceux et celles qui nous ont précédés dans la foi. La Vie a pris la clé des champs ! Elle va d’ici, de là, se donnant à quiconque veut marcher librement à la suite de cet homme de Galilée, Jésus, Christ et Seigneur, le premier des vivants !

Yves Bériault, o.p.

Le lion qui dort

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Veuillez excuser la longue introduction avant d’en arriver au but de cet article, mais je crois humblement que la démarche proposée en vaut la peine.

Il y a quelques années les studios Walt Disney on produit un film intitulé : Les Chroniques de Narnia: L’Armoire Magique, tiré du roman de C.S. Lewis, célèbre auteur anglican du XXe siècle.

Voici une brève description de ce conte fantastique. Le commentaire qui suit dévoile un aspect important du film (avis aux cinéphiles):

Il s’agit « des exploits de quatre enfants de la famille Pevensie -Lucy, Edmund, Susan et Peter – qui, à l’époque de la Seconde guerre mondiale en Angleterre, entrent dans le royaume de Narnia par une armoire magique en jouant à cache-cache dans une maison de campagne appartenant à un vieux professeur. Là, ils découvrent un royaume enchanteur et paisible habité par des bêtes parlantes, des nains, des faunes, des centaures et des géants condamnés à vivre dans ce monde où règne l’hiver depuis longtemps depuis que Jadis, la Sorcière Blanche, a pris le pouvoir. Sous les conseils du lion Aslan, un dirigeant noble et mystique, les enfants s’engageront dans une lutte spectaculaire pour tenter de libérer Narnia de l’emprise de la Sorcière Blanche. »

e75dc0e5ce848fc196a7b4d4a5200edaUn point tournant du film est celui où le lion Aslan donne librement sa vie afin de sauver le jeune Edmund qui avait trahi les siens. La Sorcière Blanche avait le droit de réclamer la vie de Edmund, mais Aslan s’offre à sa place. Aslan sera donc immolé par la Sorcière Blanche, mais comme l’offrande du lion Aslan est un acte d’amour parfait, il va ressusciter et mener son royaume à la victoire.

C.S. Lewis a voulu présenter une allégorie de la foi chrétienne dans ses contes de Narnia, rédigés surtout à l’intention des enfants. À n’en pas douter, le lion Aslan est sûrement inspiré de ce très vieux texte d’Éphrem le Syrien, diacre, qui écrivait dans son deuxième nocturne du Vendredi Saint :

« Dans une grande douceur, Jésus est conduit à sa Passion, bénissant ses douleurs à toute heure. Il est conduit au jugement de Pilate qui siège au prétoire, à la sixième heure on le raille, jusqu’à la neuvième heure Il supporte la douleur des clous, puis sa mort met fin à sa passion, à la douzième heure. Il est déposé de la croix : on dirait un lion qui dort. »

On dirait un lion qui dort! Comme cette image est puissante et évocatrice dans cette représentation du Seigneur Jésus face à sa mort. Elle nous aide à entrer dans le secret du silence qui enveloppe le coeur de l’Église en ce samedi saint.

Cette image du « lion qui dort » ne se retrouve pas dans les évangiles, bien sûr, et pourtant n’est-ce pas cette tranquille assurance, cette imperturbable confiance qu’évoque la scène de la tempête apaisée où l’on nous présente Jésus qui dort au milieu d’une mer déchaînée (Marc 4, 35 et ss.).

« Le lion qui dort » c’est à la fois le Fils de Dieu dans sa toute-puissance invincible, et c’est aussi le Fils de l’Homme, Jésus, qui s’en remet complètement au Père et qui nous invite à cette même confiance.

Comment ne pas entendre ici le psaume 131 où la figure du psalmiste évoque celle de Jésus dans sa parfaite obéissance au Père:

« Seigneur je n’ai pas le coeur fier…
Non, mais je tiens mon âme
égale et silencieuse;
mon âme est en moi comme un enfant,
l’enfant sevré contre sa mère. »

« Pourquoi avez-vous si peur? Vous n’avez pas encore de foi? », dit Jésus à ses disciples apeurés dans la barque. Encore aujourd’hui, en cette veille de Pâques, la question nous est posée à nous aussi. Trop souvent nous avons peur en tant que chrétiens. Nous sommes inquiets, incapables de vivre notre foi dans cette assurance tranquille qui était celle du Christ. En ce Samedi saint, laissons donc monter cette prière vers lui:

« Seigneur, viens au secours de notre manque de foi. En cette veille de la fête de ta glorieuse résurrection, regarde non pas notre foi mais la foi de ton Église, et accorde-nous cette grâce pascale d’en vivre toujours, avec l’assurance du lion qui dort! »

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le Jeudi Saint

Dernière Cène. Duccio

À quelques heures du rappel de la mort de Jésus, alors que nous célébrons son dernier repas avec ses apôtres, le mystère demeure entier et il bouleverse tout chrétien, toute chrétienne qui prend au sérieux sa foi. Pourquoi Jésus devait-il mourir ainsi?

Bien sûr, nous savons qu’il devait mourir parce qu’il l’avait affirmé lui-même : « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne ». Nous sommes familiers avec ce passage de l’évangile, et nous savons que la mort de Jésus annonçait non seulement sa résurrection, mais aussi notre rédemption, notre salut, mais le pourquoi fondamental de tout cela demeure caché dans le cœur du Père et nous sera révélé que lors du grand face à face dans l’éternité de Dieu.

Ce que nous savons c’est qu’il y a là un mystère d’amour et c’est ce mystère que nous sommes invités à contempler ce soir en cette célébration de la Cène du Seigneur. Contempler sans tout comprendre, accueillant dans la foi, et nous faisant le plus proche possible du cœur de Jésus, comme le disciple bien-aimé reposant sur sa poitrine.

La liturgie du Jeudi Saint nous invite à contempler le geste que Jésus a posé à l’endroit de ses disciples la veille de sa passion. Car comment évoquer ce qui est au cœur de la vie de Jésus, sinon en rappelant cette image gravée à jamais dans la mémoire de l’Église : Jésus à genoux aux pieds de ses disciples.

L’enseignement de Jésus est simple au fond. Il se résume dans l’accueil de Dieu, et dans l’accueil du prochain. Jamais l’un sans l’autre. Ce prochain, cet autre : l’ennemi, le mal-aimé, le pauvre, l’étranger, Jésus nous invite à le regarder avec ses yeux à lui, à poser sur l’autre un regard digne de la compassion de Dieu, vraiment porteur de son amour. Jésus nous dit ce soir, à genoux à nos pieds : « Viens à moi avec ton cœur, et tu verras avec mes yeux ».

C’est le théologien Jean Galot qui disait : « Le Christ est venu sur la terre pour provoquer un attachement à sa personne, pour attirer à lui l’humanité et l’univers. Mais avant de réclamer cette adhésion et pour l’obtenir, il s’attache lui-même aux hommes ». Et, je dirais, qu’il s’attache aussi à des hommes et des femmes qui deviennent solidaires du mystère qui l’habite et qui, à leur tour, s’attachent à leurs frères et à leurs sœurs les humains, comme le Christ.

L’autre, le tout proche, comme la personne la plus éloignée, est tellement important dans l’enseignement de Jésus qu’il devient un chemin privilégié vers Dieu, un passage inévitable, incontournable. Avec Jésus nous apprenons qu’il faut savoir nous approcher de tous ceux et celles que Dieu met sur notre route en revêtant le tablier du serviteur.

Le royaume de Dieu, nous dit Jésus, passe par une charité effective, celle de la tenue de service qui nous amène à nous laver les pieds les uns aux autres; à laver les offenses, les indifférences, les pauvretés et les blessures dont l’autre est porteur, afin de découvrir en elle, en lui, une sœur, un frère aimé de Dieu, digne de son amour et donc digne de notre attention et de notre affection.

Jésus nous révèle qu’en toute personne Dieu se fait connaître. « Je suis pour toi un lieu où Dieu se fait connaître à toi, et tu es un lieu où Dieu se fait connaître à moi ». N’en doutons pas, nous sommes semblables à des icônes qui révèlent mystérieusement quelque chose du mystère ineffable de Dieu. Voilà une bonne nouvelle et nous sommes au cœur de l’Évangile!

C’est le génie de l’évangéliste Jean de nous présenter le dernier repas de Jésus avec les siens, non pas en mettant l’accent sur le pain et le vin, mais en mettant l’accent sur la portée de ce pain et de ce vin offerts par Jésus. Le pain et le vin sont signe par excellence de son offrande, de sa vie donnée, lui qui se fait nourriture pour nous. Mais ils nous révèlent aussi le sens de la mission de Jésus : le pain et le vin, c’est Jésus à nos pieds, corps et sang livrés pour nous, « parce qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime », nous dit Jésus. Et Jésus a suivi cette logique jusqu’au bout de lui-même…

Pourquoi le Fils de Dieu devait-il mourir ainsi? Il y a là quelque chose de la folie de Dieu qui nous dépasse. Mais il y a dans la mort de Jésus un acte d’amour tellement absolu qu’il questionnera notre humanité jusqu’à la fin des temps. Et désormais, à cause de lui, mystérieusement, les hommes et les femmes qui le suivent, se surprennent à vouloir aimer et servir comme lui, en dépit de leurs manques, de leurs faiblesses, ou de leur histoire personnelle.

Et Jésus leur dit : « Viens, suis-moi et tu auras la vie ».  C’est à ce don de nous-mêmes qu’il nous invite lorsqu’il nous dit, en offrant le pain et le vin à la dernière Cène : « Vous ferez cela en mémoire de moi ». Nous sommes invités, nous aussi, à revêtir le tablier du serviteur, à devenir son corps et son sang pour le salut du monde, à devenir une éternelle offrande à la gloire du Père avec lui.

C’est dans cette offrande que nous entrons maintenant au moment de célébrer la Cène du Seigneur en ce Jeudi Saint. Comme le soulignait le pape Jean-Paul II  dans son encyclique sur l’Eucharistie : « L’Eucharistie, présence salvifique de Jésus dans la communauté des fidèles et nourriture spirituelle pour elle, est ce que l’Église peut avoir de plus précieux dans sa marche au long de l’histoire […] C’est le don par excellence, poursuit Jean-Paul II, parce que c’est le don de lui-même ». Le don qui nous rend semblables à lui, qui nous fait vivre et agir comme lui. Et il n’y a pas de plus grand bonheur.

Lors des congrégations générales qui ont précédé le conclave qui l’a élu pape, le cardinal Jorge Mario Bergoglio a fait une intervention remarquée devant ses confrères cardinaux. Voici un extrait :

« Dans l’Apocalypse, Jésus dit qu’il est à la porte et qu’il frappe à la porte. Évidemment, le texte se réfère au fait qu’il frappe depuis l’extérieur pour pouvoir entrer… Mais je pense aux moments où Jésus frappe de l’intérieur pour que nous le laissions sortir […] Évangéliser suppose que l’Église ait la liberté de sortir d’elle-même. L’Église est appelée à sortir d’elle-même pour aller jusqu’aux périphéries, pas seulement les périphéries géographiques, mais aussi les périphéries existentielles : là où réside le mystère du péché, de la douleur, des injustices, de l’ignorance et du mépris du religieux et de la pensée, là où résident toutes les misères ».

« Vous m’appelez le Maître et le Seigneur, dit Jésus,  vous dites bien, car je le suis. Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres; car c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi les uns aux autres. » Amen.

Yves Bériault, o.p.

La trahison de Judas

Trahison de Judas

Judas. Un membre de la famille dont on aime mieux taire le souvenir. Celui qui est associé à la nuit, à la domination des ténèbres. Celui qui va livrer le Fils de l’homme. Pourtant quand Judas est mentionné dans les Évangiles, je ne veux pas penser au traître ou au voleur, ou encore à celui dont Jésus a dit qu’il aurait mieux valu qu’il ne vienne pas au monde.

Ce qui retient surtout mon attention dans l’histoire de cet Apôtre, c’est le fait incroyable que Jésus l’ait choisi. Comme la plupart des Apôtres, le récit de sa vocation nous est inconnu, mais la question qui vient aux lèvres de quiconque prend connaissance de l’histoire de Judas est de demander comment Jésus a pu choisir un tel Apôtre, lui qui savait si bien lire le fonds des coeurs ?

Car en dépit d’une volonté évidente chez les évangélistes Jean et Matthieu de dévoiler les côtés négatifs de cet Apôtre (le voleur, le traître, celui qui laisse entrer Satan en lui), jamais Jésus n’accuse Judas ouvertement devant les autres Apôtres. Bien sûr, il évoque la trahison à venir, mais de telle manière que les disciples ne connaîtront vraiment son identité qu’au Jardin des Oliviers.

En évoquant la trahison au cours de son dernier repas avec ses Apôtres, Jésus cherche surtout à interpeller Judas. Ce dernier va se reconnaître en lui demandant : « Rabbi, serait-ce moi ? » Cet aveu à peine déguisé ne l’empêchera pas d’aller au bout de son projet, ni Jésus d’aller au bout du sien. Jésus connaît son destin. Il connaît celui qui va le livrer et pourtant il avance vers sa passion en homme libre. Et puisqu’il est vraiment libre, sa liberté ne peut contraindre celle de Judas. Il ne peut que l’interpeller, l’inviter à aller plus loin.

Mais Judas devait porter une grande déception pour trahir celui auquel il avait dû beaucoup s’attacher. L’incident de Béthanie, où il se plaint de l’argent gaspillé par la soeur de Lazare, qui verse du parfum sur les pieds de Jésus, en est un exemple. Car comment expliquer son suicide ? En détruisant Jésus, Judas se détruit lui-même. Le reste de l’histoire appartient à Dieu seul et on ne peut juger Judas.

Par ailleurs, le choix qu’a fait Jésus de Judas comme apôtre ne peut être que le signe d’un grand amour, un amour qui ne cherche pas à posséder, qui laisse libre et qui appelle. C’est de cet amour-là que Dieu nous aime, et si Judas s’est enlevé la vie, c’est qu’il a sans doute réalisé, dans un moment de lucidité terrifiante, à quel point Jésus l’aimait.

Le drame de Judas, au-delà de sa trahison, est de croire que sa faute soit irréparable, sans rémission. Sans doute n’avait-il jamais bien compris son Maître, qui par ses paroles et ses gestes, affirmait sans cesse que l’on n’est jamais humilié devant Dieu, que le pardon est toujours offert. Jésus n’a jamais cessé de le répéter, de mille et une manières, tout au long de son ministère : avec Dieu il est toujours possible de reprendre la route, puisque c’est lui qui nous a choisis et qui nous choisit sans cesse, qu’il n’y a pas de péchés, aussi graves soient-ils, dont on ne peut être pardonné.

Yves Bériault, o.p.