Homélie pour le 13e Dimanche T.O. (A)

Homélie revue et corrigée qui est déjà paru sur ce site.

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 10,37-42.
En ce temps-là, Jésus disait à ses Apôtres : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi ;
celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi.
Qui a trouvé sa vie la perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la gardera.
Qui vous accueille m’accueille ; et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé.
Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète ; qui accueille un homme juste en sa qualité de juste recevra une récompense de juste.
Et celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis : non, il ne perdra pas sa récompense. »

COMMENTAIRE

L’Évangile de ce dimanche fait partie de ces passages difficiles que nous propose le Nouveau Testament quand Jésus dit : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. » Comment concilier la tendresse de Dieu et la dureté apparente de cet évangile et que nous avons acclamé comme bonne nouvelle ?

Jésus n’est-il pas le porte-parole et l’expression même du souci de Dieu pour les petits, les pauvres ? N’est-ce pas lui qui souligne l’importance ailleurs dans les évangiles de venir en aide à ses parents, qui affirme qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ? Comment concilier cette bonté de Jésus avec un texte qui semble évoquer un certain sectarisme, où nous serions invités à nous couper du monde ? C’est là bien sûr un premier niveau de lecture que pourrait faire une personne qui ne connaît pas bien les évangiles.

Pour concilier ces contradictions apparentes, nous avons besoin de comprendre ce que cela veut dire marcher à la suite du Christ. En dépit des paroles-chocs de Jésus, nous le savons, cette suite est libératrice et le passage d’aujourd’hui est extrêmement révélateur en ce qu’il nous dit au sujet de notre vie chrétienne. Elle implique des choix, des renoncements, et un attachement indéfectible à la personne de Jésus et son évangile.

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Un jour, j’ai vu dans un magazine une photo extraordinaire qui date de 1936. Elle a été prise à Berlin à la veille de la dernière guerre mondiale. On y voit une grande foule qui accueille Adolph Hitler et qui fait le salut nazi, le salut au chef ! Au milieu de cette foule, il y a un homme qui se tient debout les bras croisés. C’est le seul que l’on voit ainsi, alors que tout autour de lui les bras sont tous levés bien haut pour acclamer Hitler. Cet homme seul dans la foule a une mine très résolue, le visage défiant, et l’on devine qu’il s’agit d’une personne courageuse, prenant un risque énorme par sa non-conformité. J’ai vu dans l’image de cet homme une belle analogie avec notre suite du Christ.

Le disciple du Christ est appelé à marcher sur les mêmes routes que son Maître. Son engagement en ce monde au nom de l’évangile est fait de risques, d’audaces et de courage. Son combat est souvent solitaire, et il doit être prêt à y engager toute sa vie comme son maître. Même seuls au cœur de la masse humaine, nous sommes appelés à nous ouvrir sans cesse au désir de Dieu sur nous, comme Jésus lui-même en a donné l’exemple. Le véritable bonheur est à ce prix, mais il est souvent fait de luttes, de renoncements et de refus, même lorsque des proches, des intimes cherchent à nous entraîner sur d’autres chemins que celui de l’évangile. D’où la première place qu’il nous faut accorder au Christ dans nos vies,

Jésus aujourd’hui nous parle de radicalisme, et pourtant il était loin d’être un révolutionnaire violent et anarchiste. Certains l’appelaient un prophète, ce qu’il était certainement. Mais pour nous chrétiens, il est avant tout le Fils de Dieu, lui qui connait si bien le cœur de l’Homme. Et il est venu nous dire que le plus grand combat qui se livre en ce monde est un combat pour l’amour. Il est venu s’engager au cœur de cette lutte que nous menons, nous invitant à le suivre et à aimer comme lui.

Alors, comment concilier cet amour de Jésus avec l’amour de nos proches ? Tout d’abord, il est important de souligner qu’il n’y a aucune contradiction entre ces deux amours, puisqu’ils n’en forment qu’un seul, mais l’un de ces deux amours a préséance sur l’autre, car c’est en demeurant dans l’amour de Dieu que nous apprenons à aimer le prochain en vérité. Et cette vérité de l’amour nous oblige parfois à reprendre le prochain quand ses paroles ou ses actions sont en contradiction avec l’évangile. C’est en ce sens que l’amour de Dieu l’emporte sur l’autre. N’est-ce pas cette logique que vivent les parents lorsqu’ils corrigent leurs enfants qui se montrent égoïstes, violents ou rancuniers. Leur amour pour leurs enfants n’a de sens que s’ils leur apprennent à devenir de véritables adultes. Et il en serait autrement dans notre rapport les uns avec les autres, alors que nous sommes tous et toutes appelés à grandir et à nous épanouir en tant qu’enfants de Dieu ?

Frères et soeurs, l’évangile de ce dimanche nous rappelle que c’est en aimant Jésus le premier que l’amour sera toujours le premier servi dans nos vies, et qu’il pourra alors se déployer tout autour de nous en nous mettant au service les uns des autres, nous donnant d’aimer davantage, mais en vérité, père, mère, fils et fille, époux et épouse, au nom même de cet amour qui a sa source en Dieu.

Yves Bériault, O.P.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 12e Dimanche T.O. (A)

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Jésus, après avoir choisi ses apôtres, les envoie en mission comme des brebis au milieu des loups, évoquant les dangers qui les guettent. Pourtant, à trois reprises dans cet évangile, il dit à ses disciples d’être « sans crainte ». C’est dire l’importance de cette injonction qui s’adresse non seulement aux apôtres, mais aussi à nos vies d’hommes et de femmes en ce monde, confrontées à des réalités quotidiennes qui parfois nous assaillent comme des loups, au point de menacer nos vies mêmes. Pourtant Jésus nous le répète : « Soyez sans crainte ! »

Mais pourquoi ne devrions-nous pas avoir peur ? Il ne faudrait pas avoir peur quand la maladie frappe à notre porte ou soumet une personne qui nous est chère à sa terrible pesanteur ? Il ne faudrait pas avoir peur quand la guerre éclate de tous côtés, quand l’avenir semble nous échapper ou que l’injustice fait la loi autour de nous ?

Bien sûr, ce n’est pas là ce que Jésus nous demande, car nous le savons trop bien : la foi en Dieu ne nous tire pas en dehors de la réalité et ne nous met pas à l’abri de l’angoisse, de la souffrance ou du deuil. D’ailleurs, qui d’entre nous n’a jamais souffert ? Alors, que veut nous dire Jésus quand il nous invite à être sans crainte ?

En cette fête des Pères, il me revient le souvenir de mon propre père qui après le décès de sa fille cadette, âgée seulement de 18 ans, avait vécu une longue période de révolte et d’inimitié avec Dieu, pour ensuite, plusieurs années après, retrouver la foi, mais d’une manière encore plus vraie et plus profonde. Une transformation s’était opérée en lui malgré ses épreuves, et il m’avait confié un jour en me parlant de sa foi en Dieu : « Avec Lui, disait-il, je sais que ça va bien aller. Ma vie d’homme, c’est mon affaire, ma responsabilité. Tout ce que je demande à Dieu, disait-il, c’est d’être bon afin de mieux vivre ma vie et aimer ceux qui m’entourent. »

« Avec Lui ça va bien aller ! » Combien de fois au cours de cette pandémie avons-nous entendu cette phrase passe-partout avec son arc-en-ciel ? Une affirmation qui se voulait un encouragement au personnel soignant, aux malades, aux personnes âgées en résidence, mais confrontée trop souvent à un démenti quotidien de la dure réalité.

« Ça va bien aller. N’ayez pas peur. » Que peuvent signifier de tels slogans quand les décès s’accumulent jour après jour, que les soignants sont à bout de souffle, que des personnes meurent dans la solitude la plus absolue ?

Toutefois, ces paroles prennent une nouvelle signification dans la bouche de Jésus. Tous ceux et celles qui ont mis leur foi en lui sont appelés à entendre bien plus que des mots d’encouragement de sa part, mais plutôt un cri d’espérance dont rien ne saurait empêcher l’accomplissement.

Cette phrase, « n’ayez pas peur », elle court comme un refrain tout au long de la Bible. À Abraham, Dieu dira : « N’aie pas peur, je suis ton bouclier. » Aux prophètes, « n’ayez pas peur, je suis avec vous. » À Marie, l’ange Gabriel lui dira : « N’aie pas peur Marie, tu as trouvé grâce auprès de Dieu. » Aux apôtres, après la résurrection, lorsque Jésus leur apparaîtra pour la première fois, il leur dira : « N’ayez crainte. C’est bien moi. » À saint Paul qui va au-devant de son martyr, un ange du Seigneur vient le réconforter et lui dit : « Sois sans crainte ». Et à tous les disciples, dont nous sommes, Jésus ne dit-il pas : « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. »

L’Évangile aujourd’hui nous offre un soutien bien plus substantiel que toutes les formulations de pensées positives en notre monde. Jésus ne dit pas : « N’ayez pas peur, cela n’arrivera pas. » Il nous dit plutôt : « N’ayez pas peur même si le malheur frappe à votre porte, car vos vies sont précieuses et reposent entre les mains du Père. Même quand il fait nuit autour de vous, ne désespérez pas, car moi je suis là avec vous. »

Les paroles de Jésus à ses amis font toute la différence entre un optimisme béat et l’espérance qui ne saurait nous décevoir, car il est lui le Maître de la vie, et il nous assure que nous valons bien plus que tous les oiseaux du ciel ! C’est là la comparaison toute simple que prend Jésus pour nous dire combien nos vies ont du prix aux yeux de Dieu.

Et s’il nous dit de ne pas craindre quand le mal se déchaîne autour de nous, c’est qu’il est venu en notre monde afin de nous dévoiler l’extraordinaire destinée qui est la nôtre, destinée qui est intimement liée à sa vie et au don qu’il en fait pour nous. Et c’est ainsi que pour ceux et celles qui mettent leur foi en lui, cette foi change alors notre regard sur le monde, elle fonde nos valeurs, nous enracine dans l’amour, elle donne sens à tous nos efforts, à toutes nos épreuves et à toutes nos joies.

Comme l’écrivait avec justesse le pape François dans sa première encyclique Lumen fidei :

« La foi n’est pas un refuge pour ceux qui sont sans courage, mais un épanouissement de la vie. Elle fait découvrir un grand appel, qui est la vocation à l’amour, et elle assure que cet amour est fiable, qu’il vaut la peine de se livrer à lui, parce que son fondement se trouve dans la fidélité de Dieu, fidélité qui est plus forte que notre fragilité.

Fidélité plus forte que toutes nos morts ! Car n’est-il pas Lui le grand vainqueur de la mort en son fils Jésus Christ ! C’est pourquoi nous osons l’affirmer, même au cœur de cette pandémie : Soyons sans crainte, avec Lui ça va bien aller.

Yves Bériault, o.p.

 

Psaume 16 (15) : C’est toi mon bonheur

par Michel Gourgues, o.p.

PSAUME 15

01 Garde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge.

02 J’ai dit au Seigneur : « Tu es mon Dieu ! Je n’ai pas d’autre bonheur que toi. »

03 Toutes les idoles du pays, ces dieux que j’aimais, + ne cessent d’étendre leurs ravages, * et l’on se rue à leur suite.

04 Je n’irai pas leur offrir le sang des sacrifices ; * leur nom ne viendra pas sur mes lèvres !

05 Seigneur, mon partage et ma coupe : de toi dépend mon sort.

06 La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage !

07 Je bénis le Seigneur qui me conseille : même la nuit mon coeur m’avertit.

08 Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ; il est à ma droite : je suis inébranlable.

09 Mon coeur exulte, mon âme est en fête, ma chair elle-même repose en confiance :

10 tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption.

11 Tu m’apprends le chemin de la vie : + devant ta face, débordement de joie ! A ta droite, éternité de délices !


Pitié pour moi, Yahvé, vois mon malheur (Ps 9,14)
Seigneur, vois mon malheur et ma peine (Ps 25,18)
Je me plains et frémis (Ps 55,18)
Mon œil est usé par le malheur (Ps 88,10)
Je déverse devant lui ma plainte (Ps 142,3)

Ils sont nombreux les psaumes où des croyants crient leur malheur. Souffrance., maladie, échec, incompréhension, angoisse, insécurité, péché : tout y passe du visage multiforme de la misère et de l’épreuve humaines.

Cependant, il ne faut pas l’oublier, le psautier s’ouvre par une proclamation de bonheur : Heureux est l’homme, celui-là… (Ps 1,1). Et il est au moins un psaume dans lequel, d’un bout à l’autre, un croyant ne fait que chanter son bonheur, ne parlant que de joie , de plaisir ou de délices , pour lesquels il bénit son Dieu.

Garde-moi, ô Dieu, mon refuge est en toi : le psaume 16 (15, dans la numérotation liturgique) est tout entier concentré dans cette formule initiale, car la suite ne fait qu’en expliciter en ordre inverse les deux membres.

Mon refuge est en toi

Cette part de l’affirmation est développée dans la première partie du psaume (versets 2-6). Là, il est question de l’engagement du croyant à l’égard de Yahvé.

Cet engagement s’est traduit à travers une option ferme et durable : J’ai dit au Seigneur : ‘C’est toi mon bonheur’ (v. 2). Et cette option l’a emporté sur d’autres qui se présentaient et qui continuent d’ailleurs d’en séduire plus d’un dans l’environnement du croyant. Au lieu de céder à des cultes étrangers, au lieu d’accrocher sa vie à des idoles multiples et changeantes (vv. 3-4), voici quelqu’un qui, dans un idéal de totalité et de permanence, a mis tous ses œufs dans le même panier, ouvrant sa vie au Dieu unique et faisant de la référence à lui une valeur absolue.

Et c’est dans cette option durable, précisément, qu’il trouve le bonheur. Sa relation à Dieu s’est approfondie et lui est devenue précieuse comme un domaine dont on a hérité, comme une bonne terre que la corde de l’arpenteur a délimitée pour soi, où l’on aime à se réfugier et où l’on se sent en sécurité (vv. 5-6). On croit déjà entendre la sérénité confiante de Paul : Je sais en qui j’ai mis ma foi (2 Tim 1,12).

Garde-moi, ô Dieu

Après l’engagement du croyant envers Dieu, voilà que la deuxième partie du psaume (vv. 7-11) parle de l’engagement de Dieu envers le croyant. A l’option posée par ce dernier, répondra la protection de Dieu. Et, de même que son option se veut durable, la protection de son Dieu, il en est assuré, le sera aussi.

Cette présence durable de Dieu, le priant du psaume est sûr d’en bénéficier dès maintenant : Je garde le Seigneur devant moi sans relâche. Puisqu’il est à ma droite, je ne puis chanceler (v. 8). Mais sa certitude ne s’arrête pas là. Il compte encore sur la protection de Dieu pour l’avenir : Tu n’abandonneras pas mon âme au shéol, tu ne laissera pas ton ami voir la tombe . (v. 10). Que veut-il dire exactement? Sans doute, dans la perspective plus primitive de la foi d’Israël, exprime-t-il l’espoir que Dieu lui accordera santé et longue vie, qu’il le préservera d’une mort prématurée.

Il n’est pas un Dieu des morts mais des vivants

Si telle était originellement l’attente du psalmiste, d’autres croyants ne tarderont pas à emprunter sa prière en y coulant une espérance plus ample.

Il faut dire que le psaume lui-même y prêtait. Tout se passe en effet comme si, déjà, en finale, la perspective s’y élargissait et comme si le croyant envisageait les horizons d’une vie vécue pour de bon dans la communion à Dieu : Tu m’apprendras le chemin de vie, devant ta face plénitude de joie, à ta droite délices sans fin (v. 11).

Toujours est-il que, lorsque viendra pour elle le temps de traduire le psaume en grec, la communauté juive témoignera d’une lecture approfondie . Et c’est ainsi qu’au verset 10, on rendra tu ne laisseras pas ton ami voir la fosse par tu ne laisseras pas ton ami voir la corruption . La protection de Dieu, dès lors, ne consistait plus seulement à préserver d’une mort prématurée, mais à tirer quelqu’un de la corruption du tombeau. Et c’est ainsi compris que, tout naturellement, après Pâques, les premiers chrétiens appliqueront à la résurrection de Jésus le passage du psaume, comme en témoignent le discours de Pierre à la Pentecôte (Ac 2,31) et celui de Paul à la synagogue d’Antioche de Pisidie (Ac 13,35). Tiré de la corruption du tombeau et exalté à la droite de Dieu, le Ressuscité partageait désormais la plénitude de la communion à lui.

Puisque j’ai mis en Dieu mon refuge, Dieu me protégera : telle était, pour l’essentiel, la certitude exprimée dans le psaume 16. Il me protégera, à la vie à la mort , comprendront plus tard des croyants juifs, puis chrétiens. Car si Dieu est le Dieu de quelqu’un, se dira-t-on, il ne peut l’être que pour de bon, la mort elle-même ne saurait briser la relation à lui.

Cette vision-là paraît avoir été celle de Jésus lui-même, comme en témoigne la réponse qu’il fit un jour à un groupe de sadducéens mettant en doute l’espérance de la résurrection des morts (Mc 12,26-27). Dieu, protestera-t-il, n’est pas un Dieu des morts mais un Dieu des vivants . Le psaume , dès lors, avait trouvé sa pleine portée : C’est toi mon bonheur. Tu m’apprendras le chemin de vie…

Dimanche de la Sainte Trinité

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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 3,16-18.
En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle.
Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »
Celui qui croit en lui échappe au Jugement ; celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.

COMMENTAIRE

Un jour, un évêque exprima le souhait de rencontrer un groupe d’enfants qui se préparait pour la première communion. Il les recevait l’un après l’autre et les questionnait sur ce qu’ils avaient appris dans leurs cours de catéchèse. Il demanda à une fillette : « Peux-tu me parler de la Sainte Trinité ? » L’enfant commença son boniment, mais après une minute, l’évêque étant un peu sourd se pencha vers elle, et tendant l’oreille, il lui dit : « Je m’excuse mon enfant, mais je ne comprends pas ». La petite fille lui répondit en chuchotant, sur le ton de la confidence : « Moi non plus, monseigneur, je ne comprends pas. C’est un mystère ! »

Un mystère ! C’est ainsi habituellement que l’on nous présente ce qui est le coeur de notre foi, la Sainte Trinité. Ce mystère d’un Dieu en trois personnes, bien des pères de l’Église et des mystiques ont tenté de l’expliquer en usant de métaphores de toutes sortes afin de le rendre intelligible.

Saint Grégoire de Nazianze, disait de la Trinité : « Le Père est la Source, son Verbe est le fleuve, l’Esprit Saint est le courant du fleuve. » Catherine de Sienne, elle, prenait l’analogie du Buisson ardent, le Père étant le feu, le Fils étant la lumière qui se dégage du feu, et l’Esprit Saint la chaleur du feu.

Mais l’exemple dont je garde le souvenir le plus frappant est celui de cette soirée chez mes parents. Nous étions assis au salon ensemble sur un divan. Ma mère était assise entre moi et mon père, heureuse de nous avoir tout près d’elle. Soudain, comme si elle venait de faire une grande découverte, elle s’exclama, en indiquant mon père : « Le père »; ensuite elle se tourna vers moi et dit : « le fils », et, se pointant du doigt, elle eût un moment d’hésitation, et elle dit avec un grand sourire : « et le Saint Esprit ». Ma mère ne parlait jamais de sa foi, et je me demande encore aujourd’hui comment lui est venue une telle idée ? C’était tout à fait spontané, et je garde le souvenir que ma mère venait d’exprimer là une profonde intuition du mystère de la Trinité, qui m’interpelle encore aujourd’hui.

Il n’est pas simple de parler de la Sainte Trinité, et pourtant, cette vérité de notre foi est fondamentale. Elle structure notre Credo, ainsi que toutes nos liturgies. Lorsque nous prions et célébrons ensemble, nous prions toujours le Père, par le Fils, dans le Saint Esprit. Notre foi est décidément trinitaire.

Pourtant, vous conviendrez avec moi qu’il serait tellement plus facile d’affirmer que nous croyons tout simplement en un Dieu, comme toutes les autres grandes religions. On éviterait ainsi beaucoup de querelles et de désaccords. Alors, pourquoi tenons-nous tellement à affirmer cette foi en la Sainte Trinité ?

Poser la question, c’est y répondre. Nous croyons au Dieu trinitaire parce que c’est Dieu lui-même qui nous a donné de le connaître. C’est lui qui s’est révélé à nous. Ce serait tellement plus simple s’il ne nous avait pas légué cet héritage en Jésus Christ. Mais voilà, Jésus est venu, et il nous a dévoilé le vrai visage de Dieu, nous donnant de comprendre que si Dieu est amour, c’est parce qu’il est Trinité.

De la même manière que les astrophysiciens ne cessent de s’émerveiller devant l’infinie grandeur d’un univers, qui ne cesse de se complexifier et de s’étendre au fur et à mesure qu’ils le découvrent, la foi chrétienne est le résultat de cette découverte progressive du Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Moïse et de tous les prophètes, et qui a atteint son point culminant, il y a deux mille ans, alors que Dieu est venu parmi nous, qu’il a pris un visage, et qu’il s’est fait connaître de nous comme un être de communion, en qui se vit une profonde intimité, un mystère d’amour inouï entre le Dieu Père qui envoie son Fils, le Dieu Fils qui est tout donné à son Père, qui vient pour nous ramener vers lui, et le Dieu Saint Esprit, qui est cet amour éternel qui uni le Père et le Fils. Ils sont trois, mais ils ne forment qu’un seul Dieu en trois personnes. On l’appelle la Sainte Trinité et c’est un mystère !

Frères et soeurs, parce que nous mettons notre foi en Jésus-Christ, nous croyons et nous affirmons que Dieu n’est pas une invention, mais une découverte. Nous croyons que Dieu est une rencontre que chacun doit faire en soi-même. Nous croyons que Jésus-Christ est le chemin de cette rencontre, que le Père est celui qui nous appelle à la vie, et que cette vie habite en nous par le don de l’Esprit Saint. Chaque dimanche, quand nous nous rassemblons, nous ne célébrons pas une idée abstraite, mais la vivante réalité de notre Dieu, qui est Père, Fils et Esprit Saint. Amen.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs