Jésus, après avoir choisi ses apôtres, les envoie en mission comme des brebis au milieu des loups, évoquant les dangers qui les guettent. Pourtant, à trois reprises dans cet évangile, il dit à ses disciples d’être « sans crainte ». C’est dire l’importance de cette injonction qui s’adresse non seulement aux apôtres, mais aussi à nos vies d’hommes et de femmes en ce monde, confrontées à des réalités quotidiennes qui parfois nous assaillent comme des loups, au point de menacer nos vies mêmes. Pourtant Jésus nous le répète : « Soyez sans crainte ! »
Mais pourquoi ne devrions-nous pas avoir peur ? Il ne faudrait pas avoir peur quand la maladie frappe à notre porte ou soumet une personne qui nous est chère à sa terrible pesanteur ? Il ne faudrait pas avoir peur quand la guerre éclate de tous côtés, quand l’avenir semble nous échapper ou que l’injustice fait la loi autour de nous ?
Bien sûr, ce n’est pas là ce que Jésus nous demande, car nous le savons trop bien : la foi en Dieu ne nous tire pas en dehors de la réalité et ne nous met pas à l’abri de l’angoisse, de la souffrance ou du deuil. D’ailleurs, qui d’entre nous n’a jamais souffert ? Alors, que veut nous dire Jésus quand il nous invite à être sans crainte ?
En cette fête des Pères, il me revient le souvenir de mon propre père qui après le décès de sa fille cadette, âgée seulement de 18 ans, avait vécu une longue période de révolte et d’inimitié avec Dieu, pour ensuite, plusieurs années après, retrouver la foi, mais d’une manière encore plus vraie et plus profonde. Une transformation s’était opérée en lui malgré ses épreuves, et il m’avait confié un jour en me parlant de sa foi en Dieu : « Avec Lui, disait-il, je sais que ça va bien aller. Ma vie d’homme, c’est mon affaire, ma responsabilité. Tout ce que je demande à Dieu, disait-il, c’est d’être bon afin de mieux vivre ma vie et aimer ceux qui m’entourent. »
« Avec Lui ça va bien aller ! » Combien de fois au cours de cette pandémie avons-nous entendu cette phrase passe-partout avec son arc-en-ciel ? Une affirmation qui se voulait un encouragement au personnel soignant, aux malades, aux personnes âgées en résidence, mais confrontée trop souvent à un démenti quotidien de la dure réalité.
« Ça va bien aller. N’ayez pas peur. » Que peuvent signifier de tels slogans quand les décès s’accumulent jour après jour, que les soignants sont à bout de souffle, que des personnes meurent dans la solitude la plus absolue ?
Toutefois, ces paroles prennent une nouvelle signification dans la bouche de Jésus. Tous ceux et celles qui ont mis leur foi en lui sont appelés à entendre bien plus que des mots d’encouragement de sa part, mais plutôt un cri d’espérance dont rien ne saurait empêcher l’accomplissement.
Cette phrase, « n’ayez pas peur », elle court comme un refrain tout au long de la Bible. À Abraham, Dieu dira : « N’aie pas peur, je suis ton bouclier. » Aux prophètes, « n’ayez pas peur, je suis avec vous. » À Marie, l’ange Gabriel lui dira : « N’aie pas peur Marie, tu as trouvé grâce auprès de Dieu. » Aux apôtres, après la résurrection, lorsque Jésus leur apparaîtra pour la première fois, il leur dira : « N’ayez crainte. C’est bien moi. » À saint Paul qui va au-devant de son martyr, un ange du Seigneur vient le réconforter et lui dit : « Sois sans crainte ». Et à tous les disciples, dont nous sommes, Jésus ne dit-il pas : « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. »
L’Évangile aujourd’hui nous offre un soutien bien plus substantiel que toutes les formulations de pensées positives en notre monde. Jésus ne dit pas : « N’ayez pas peur, cela n’arrivera pas. » Il nous dit plutôt : « N’ayez pas peur même si le malheur frappe à votre porte, car vos vies sont précieuses et reposent entre les mains du Père. Même quand il fait nuit autour de vous, ne désespérez pas, car moi je suis là avec vous. »
Les paroles de Jésus à ses amis font toute la différence entre un optimisme béat et l’espérance qui ne saurait nous décevoir, car il est lui le Maître de la vie, et il nous assure que nous valons bien plus que tous les oiseaux du ciel ! C’est là la comparaison toute simple que prend Jésus pour nous dire combien nos vies ont du prix aux yeux de Dieu.
Et s’il nous dit de ne pas craindre quand le mal se déchaîne autour de nous, c’est qu’il est venu en notre monde afin de nous dévoiler l’extraordinaire destinée qui est la nôtre, destinée qui est intimement liée à sa vie et au don qu’il en fait pour nous. Et c’est ainsi que pour ceux et celles qui mettent leur foi en lui, cette foi change alors notre regard sur le monde, elle fonde nos valeurs, nous enracine dans l’amour, elle donne sens à tous nos efforts, à toutes nos épreuves et à toutes nos joies.
Comme l’écrivait avec justesse le pape François dans sa première encyclique Lumen fidei :
« La foi n’est pas un refuge pour ceux qui sont sans courage, mais un épanouissement de la vie. Elle fait découvrir un grand appel, qui est la vocation à l’amour, et elle assure que cet amour est fiable, qu’il vaut la peine de se livrer à lui, parce que son fondement se trouve dans la fidélité de Dieu, fidélité qui est plus forte que notre fragilité.
Fidélité plus forte que toutes nos morts ! Car n’est-il pas Lui le grand vainqueur de la mort en son fils Jésus Christ ! C’est pourquoi nous osons l’affirmer, même au cœur de cette pandémie : Soyons sans crainte, avec Lui ça va bien aller.
Yves Bériault, o.p.
Filed under: moineruminant |
Et puis la crainte empoisonne.