Homélie pour le 4e dimanche T.O. Année A

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 5,1-12a. 
En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.
Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait :
« Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.
Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! »

COMMENTAIRE

C’est Gandhi, guide spirituel hindou et homme politique des Indes au siècle dernier, qui écrivait au sujet des béatitudes : « À mesure qu’augmentait mon contact avec les vrais chrétiens, je vis que le Sermon sur la montagne était tout le christianisme pour qui veut vivre la vie chrétienne. C’est ce sermon qui m’a fait aimer Jésus, disait-il. » Les béatitudes sont l’un des textes les plus commentés des évangiles. Il s’agit de huit souhaits de Jésus à ses disciples, qui sont des chemins de bonheur qui mènent à la fois vers Dieu et le prochain, et qui sont sans doute les paroles de Jésus qui décrivent le mieux ce qu’est une vie transformée par l’Esprit Saint. Ces béatitudes, Jésus va les incarner tout au long de sa vie publique, et c’est pourquoi l’on peut dire des béatitudes qu’elles nous entraînent dans une « imitation de Jésus Christ ! »

Naturellement, les béatitudes sont un vaste sujet pour une homélie de quelques minutes, alors que Jésus nous présente des chemins inédits pour être heureux. Ce bonheur, Jésus l’énonce en huit sentences dans l’évangile de Matthieu. J’ai donc pensé les regrouper en trois catégories afin de nous aider à mieux comprendre l’esprit qui les anime. Trois préoccupations majeures sont au cœur des béatitudes : soit l’amour de Dieu, l’amour du prochain, et notre présence au monde à cause de cet amour.

Commençons par les béatitudes de l’amour de Dieu. Il y en a deux, et elles sont le fondement des six autres : Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux et heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Ces deux béatitudes nous parlent avant tout de la vertu d’humilité, qui est de savoir que tout nous vient de Dieu et où l’âme s ‘offre à Dieu comme une terre d’accueil. À la source de cette humilité et de cet abandon, il y a une grande soif de Dieu. Ces deux béatitudes nous donnent de vivre dans la confiance et dans la paix, habités d’une joie que Dieu seul peut nous donner.

L’humilité est une grâce, une vertu qu’il faut sans cesse demander à Dieu, car elle est la porte de l’âme qui s’offre à Dieu. Elle correspond à ce désir de l’âme pour Dieu qui fait l’expérience qu’elle ne l’approchera jamais suffisamment, qu’Il lui échappera toujours, et qui devient ainsi d’autant plus consciente de sa condition pécheresse, de ce refus inné en elle de se donner totalement à Dieu.

L’humilité, c’est la béatitude de ceux et celles qui se savent pauvres, pauvres de Dieu, et c’est là une condition fondamentale pour s’ouvrir à la grâce, à l’amour de Dieu qu’on n’a jamais fini de chercher. Comment peut-il en être autrement quand il est question de Dieu ? C’est sainte Catherine de Sienne qui écrivait : « O Trinité éternelle ! vous êtes une mer sans fond où plus je me plonge, plus je vous trouve, et plus je vous trouve, plus je vous cherche encore. De vous, jamais on ne peut dire : c’est assez ! » (Oraisons 22, 10)

Le coeur pur lui désigne l’être profond de la personne qui s’offre entièrement à Dieu, et qui se veut totalement réceptive à son action. Il ne s’agit pas ici d’une perfection morale où l’on serait sans tache et sans défaut. Il s’agit plutôt d’une volonté d’accueil en notre coeur, puisque c’est en notre coeur que nous pouvons voir Dieu. « Heureux les coeurs purs ils verront Dieu. » Comment ne pas penser ici à la Vierge Marie, elle qui était d’une humilité transparente, seule capable d’accueillir le Fils de Dieu et de le laisser briller en elle. Marie est comme le vitrail de la présence de Dieu en notre monde et Jésus nous invite à aspirer à cette pureté, qui est un don et qu’il faut sans cesse demander.

Deuxièmement, il y a les béatitudes du prochain et de la miséricorde. Heureux ceux qui pleurent, heureux les doux, heureux les miséricordieux. Ces trois béatitudes décrivent comment le coeur du disciple est marqué par l’esprit de Jésus, soit la douceur, la miséricorde et les larmes.

Je me souviens de ce vieux moine à la trappe, tout courbé sous le poids des années. C’était lui « le frère clochard », le moine qui tous les jours sonnait la cloche pour appeler ses frères à la prière. À l’occasion de la fête du dominicain saint Thomas d’Aquin, le père abbé m’avait demandé de prêcher à la messe du jour, et j’avais commencé mon homélie, sourire en coin, en rappelant à ces moines ce que Thomas d’Aquin avait dit au sujet des moines et des dominicains.

Il avait dit que les prédicateurs étaient faits pour prêcher et que les moines étaient faits pour pleurer ! Ce vieux moine, me croisant près de sa cloche quelques heures plus tard, m’attira à l’écart et me confia avec beaucoup d’émotions : « Vous avez bien raison mon père, il nous faut pleurer sur notre pauvre monde. »

« Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés. » Ce moine avait touché là à l’esprit de cette béatitude, car ceux et celles qui pleurent ne peuvent regarder leurs frères et soeurs du monde avec indifférence, sans se soucier de leurs souffrances, ni les approcher sans être porteurs d’un grand amour pour eux, et ce, avec beaucoup de douceur et de compréhension. « Heureux les doux », nous dit Jésus, « heureux les miséricordieux », car vous portez avec moi mon amour pour le monde. Nous sommes ici dans l’ordre de la miséricorde.

Enfin, il y a les béatitudes au service de la paix et de la justice. Les béatitudes sont aussi une invitation à nous mobiliser, elles poussent à l’action, on ne peut rester passif quand le monde subit la violence, l’injustice, quand des barrières s’élèvent pour exclure ou opprimer, comme nous en sommes témoins ces jours-ci dans l’actualité politique. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice. Heureux les artisans de paix. Heureux êtes-vous si l’on vous persécute à cause de votre engagement en mon nom, car le Royaume de cieux est à vous, n’en doutez pas. Dieu est avec vous !

Frères et sœurs, les béatitudes sont une invitation au bonheur. Un bonheur dès maintenant, et aussi la promesse d’un bonheur à venir, lorsque nous déposerons ultimement nos vies entre les mains de Dieu. D’ici là, les béatitudes sont une invitation à agir, à nous compromettre, à donner des ailes à l’évangile, et à lui faire ainsi parcourir le monde. C’est cet esprit qui ressort de la traduction des béatitudes faite par André Chouraqui, écrivain et poète juif, qui a traduit la Bible à partir de sa culture juive. Écoutez bien comment il traduit le discours de Jésus sur les béatitudes :

EN MARCHE … LES HUMILIÉS DU SOUFFLE (pauvres de cœur)

EN MARCHE … LES AFFAMÉS ET ASSOIFFÉS DE JUSTICE ;

EN MARCHE … LES CŒURS PURS ;

EN MARCHE … LES HUMBLES (les doux) ;

EN MARCHE … LES MATRICIELS ; (les miséricordieux)

EN MARCHE… LES FAISEURS DE PAIX ;

EN MARCHE … LES ENDEUILLÉS ;

EN MARCHE…  LES PERSÉCUTÉS POUR LA JUSTICE.

En fait, l’esprit des béatitudes, c’est vouloir laisser s’imprimer en nous le visage du Christ, et accepter d’être les saints et les saintes que Jésus nous appelle à devenir dans le quotidien qui est le nôtre. Serons-nous des grands saints ? Cela importe peu. Ce qui importe, c’est de confier toute notre vie à Dieu, jour après jour, et ainsi nous laisser transformer par la vie de Jésus en nous. C’est ainsi que nous trouverons notre place dans l’une et l’autre de ces béatitudes qui, comme l’écrit le moine Christian de Chergé, « forment le toit du monde » et sont les conditions mêmes de son bonheur !

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs.

Homélie pour le 3e dimanche. Année A

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 4,12-23.
Quand Jésus apprit l’arrestation de Jean le Baptiste, il se retira en Galilée.
Il quitta Nazareth et vint habiter à Capharnaüm, ville située au bord de la mer de Galilée, dans les territoires de Zabulon et de Nephtali.
C’était pour que soit accomplie la parole prononcée par le prophète Isaïe :
‘Pays de Zabulon et pays de Nephtali, route de la mer et pays au-delà du Jourdain, Galilée des nations !
Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort, une lumière s’est levée.’
À partir de ce moment, Jésus commença à proclamer : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. »
Comme il marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et son frère André, qui jetaient leurs filets dans la mer ; car c’étaient des pêcheurs.
Jésus leur dit : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. »
Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent.
De là, il avança et il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean, qui étaient dans la barque avec leur père, en train de réparer leurs filets. Il les appela.
Aussitôt, laissant la barque et leur père, ils le suivirent.
Jésus parcourait toute la Galilée ; il enseignait dans leurs synagogues, proclamait l’Évangile du Royaume, guérissait toute maladie et toute infirmité dans le peuple.

COMMENTAIRE

Chaque année, dans notre église, un événement unique est célébré le 24 décembre, soit la Crèche vivante, la messe familiale de Noël. Plusieurs parmi vous, connaissez déjà cette tradition, soit par votre participation à cette messe, ou encore parce que vous collaborez à l’organisation. Chaque année, ce sont près de cinq cents personnes qui y viennent, et les enfants bien sûr y sont très nombreux. Par ailleurs, un grand nombre de ces personnes nous sont inconnues, elles nous rendent visite une fois par année, et à leur manière ils font partie de nos fidèles réguliers !

Ils sont fidèles ! Ils sont là tous les ans et on peut vraiment voir leurs yeux briller de bonheur à l’occasion de cette messe de Noël. Ils sont « endimanchés », ils applaudissent à tout rompre dès qu’une occasion se présente. C’est un public bon enfant, qui aime bien rire avec les enfants, et qui se laisse séduire par le mystère que nous célébrons à travers notre mise en scène bien modeste du mystère de Noël. Tout comme les bergers, année après année, ils suivent l’étoile de Bethléem, et se retrouvent tout près de la crèche.

Pourquoi vous raconter tout cela ? C’est que je vois dans cette célébration, plus qu’à aucun autre moment de notre année liturgique, l’accomplissement de ce que nous dit la Parole de Dieu aujourd’hui, en écho à la prophétie d’Isaïe :   

Pays de Zabulon et pays de Nephtali, route de la mer et pays au-delà du Jourdain, Galilée des nations ! Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort, une lumière s’est levée.

Pour bien comprendre cette prophétie d’Isaïe, permettez-moi de présenter ici son contexte historique. Quand Isaïe fait cette prophétie, près de huit cents ans avant Jésus-Christ, le Royaume d’Israël est divisé en deux. Il y a eu rupture, guerres, et deux entités politiques s’affrontent : tout d’abord le Royaume d’Israël, au nord du pays, qui a la ville de Samarie comme capitale, et le Royaume de Juda, au sud qui a Jérusalem comme capitale. C’est Juda qui est le royaume légitime puisque ses rois sont de la descendance du roi David.

La prophétie d’Isaïe a pour objet le Royaume du Nord, cette région où habitent deux des douze tribus d’Israël, soit Zabulon et Nephtali, et cette région est appelée la Galilée des nations. Quand Isaïe annonce qu’une grande lumière va se lever sur le Royaume du nord, il reprend une formule qui était utilisée lors de l’intronisation d’un roi en Israël. L’on proclamait alors qu’une grande lumière s’était levée sur le pays. En reprenant cette formule dans sa prophétie pour le pays de Zabulon et de Nephtali, Isaïe annonce la venue d’un grand roi qui apportera la paix et qui réunifiera Juda et d’Israël, pour n’en faire qu’un seul pays. Voilà pour le contexte historique de notre prophétie.

Maintenant, l’évangéliste Matthieu va reprendre cette même prophétie d’Isaïe, mais pour désigner la venue du Messie en la personne de Jésus. Pour les premiers chrétiens, et pour nous aujourd’hui, Jésus est cette grande lumière qui s’est levée sur le monde !

Il est important de se rappeler que la Parole de Dieu dans la Bible est souvent comparée à une lumière. On dit d’elle qu’elle est une lumière sur notre route, une lampe sur nos pas, car nos vies sont faites d’ombre et de lumière, tant nos vies personnelles, qu’à cause de ce monde où nous vivons, sans cesse aux prises avec des conflits, des violences, et des bouleversements. Nous avons tous besoin de lumière pour nous guider dans ces nuits que nous traversons, et quand je contemple cette foule à Noël, j’ai le sentiment de toucher à cette soif de bonheur qui nous anime tous. Cette foule devient en quelque sorte comme un révélateur de qui nous sommes, de nos aspirations, de notre quête de sens.

Cette assemblée réunie autour de la crèche vivante, nous fait voir combien les parents aiment leurs enfants. Cette messe est comme une fête des familles et ces dernières sont touchées par le mystère de Noël, puisqu’elles reviennent année après année, alors que pour beaucoup d’entre elles ce sera peut-être leur seule présence à l’église pendant l’année.

Je revois cette maman avec qui j’échangeais avant Noël, et dont les enfants participaient pour la troisième année à la Crèche vivante, et qui me confiait qu’elle en avait eu les larmes aux yeux la première fois qu’elle était venue à cette messe. À sa manière, elle témoignait qu’elle était touchée par cette lumière du Christ qui se lève sur le monde et que nous célébrons à Noël. Et c’est une conviction chez moi : ils sont beaucoup plus nombreux que nous le croyons ceux et celles qui aspirent à cette lumière, à cette joie.

À travers mon ministère, lors de la préparation de baptêmes, de mariages et de funérailles, je suis sans cesse émerveillé par la bonté des personnes que je rencontre, des rêves qu’elles portent, de l’amour qui les anime, faisant preuve parfois d’une générosité qui m’épate. Je rencontre des personnes que l’on juge parfois comme étant loin de nous, parce qu’elles ne sont pas présentes à nos célébrations, des personnes qui pourtant nous ressemblent tellement. Vous-mêmes, tout comme moi, vous faites cette expérience. Pensez simplement à vos enfants, à certains de vos amis, à un voisin…

Frères et sœurs, n’en doutons pas, le Christ poursuit sa route en cette Galilée des nations qui s’étend maintenant aux dimensions du monde, et où il envoie ses disciples porter la bonne nouvelle que Jésus Christ, comme le chantait Zacharie, le père de Jean Baptiste, il est le soleil levant, l’astre d’en haut, qui vient illuminer de sa présence tous ceux et celles qui le cherchent et conduire leurs pas au chemin de la paix.

Alors, prions aujourd’hui pour tous les chercheurs de Dieu, pour ces familles qui nous visitent à tous les ans, prions aussi pour tous ces chrétiens et ces chrétiennes avec lesquels l’unité n’est pas encore accomplie, mais qui avec nous sont disciples du Christ.

Yves Bériault, o.p.

Épiphanie du Seigneur

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 2,1-12.
Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem
et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus nous prosterner devant lui. »
En apprenant cela, le roi Hérode fut bouleversé, et tout Jérusalem avec lui.
Il réunit tous les grands prêtres et les scribes du peuple, pour leur demander où devait naître le Christ.
Ils lui répondirent : « À Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète :
‘Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Juda, car de toi sortira un chef, qui sera le berger de mon peuple Israël.’ »
Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ;
puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. »
Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient les précédait, jusqu’à ce qu’elle vienne s’arrêter au-dessus de l’endroit où se trouvait l’enfant.
Quand ils virent l’étoile, ils se réjouirent d’une très grande joie.
Ils entrèrent dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à ses pieds, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
Mais, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

COMMENTAIRE

Je me souviens, alors que j’étais encore enfant, la fête de l’Épiphanie était le moment tant attendu où l’on pouvait enfin placer sous le sapin les personnages des trois Rois Mages dans la crèche, tout près du berceau de Jésus. On trouvait toujours que c’était un peu tard nous les enfants. Le sapin avait donné le meilleur de lui-même et il ne lui restait plus que quelques jours à orner le salon familial. La préparation de la crèche de Noël ressemblait à s’y méprendre à la préparation d’une pièce de théâtre, où nous placions nos différents personnages. Nous étions des enfants et les personnages des Rois Mages étaient sans doute les plus fascinants et les plus énigmatiques de la crèche avec leurs vêtements somptueux, avec leurs chameaux et leurs présents d’or, d’encens et de myrrhe. À travers eux, c’est la merveilleuse histoire de Noël qui se déroulait sous nos yeux et, imperceptiblement, notre foi d’enfant prenait peu à peu son envol à travers cette mise en scène annuelle de notre crèche familiale.

Toutefois, nous n’étions pas du tout conscients de l’intrigue qui se jouait autour de nos trois Rois Mages et de l’enfant Jésus. Que savions-nous en fait de la peur qui s’était emparée de Jérusalem quand les trois rois annoncèrent à Hérode la naissance du Messie; de l’inquiétude des élites religieuses, ou des sombres intentions du roi Hérode au sujet de ce nouveau-né? « Le roi Hérode fut pris d’inquiétude, et tout Jérusalem avec lui », nous dit l’évangéliste.

L’histoire des mages, que nous appelons aussi des rois, est comme une parabole où le sens de leur histoire est beaucoup plus riche de sens qu’il ne semble à première vue. Derrière la joie extraordinaire qui est proclamée solennellement au monde à Noël, une terrible tragédie se met déjà en branle, et qui n’est pas représenté lorsque nous montons nos crèches de Noël à la maison ou dans nos églises.

Aussitôt que Jésus naît, sa vie est en danger, car, comme le chantait sa Marie sa mère dans son Magnificat, le Messie qui vient va disperser les superbes et renverser les puissants de leurs trônes. Pas étonnant qu’Hérode et tous les pouvoirs cruels et malveillants de ce monde s’opposent à lui et à son message de paix et de justice. Cet enfant est l’envoyé du Père qui vient nous aider à changer nos mentalités, nos façons de faire, en guérissant nos cœurs blessés. Il vient nous aider à remplacer l’égoïsme par l’amour, à surmonter le péché par la grâce et ainsi participer à sa victoire sur le mal. Aujourd’hui, nous célébrons la manifestation de cet amour de Dieu pour notre monde. C’est la fête de l’Épiphanie!

Épiphanie! Ce mot signifie pour nous la révélation de la gloire de Dieu sous une forme humaine. « Le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous », nous dit l’évangéliste Jean. Son Incarnation est manifestée au monde par la venue de ces trois Rois Mages qui viennent des confins de l’Orient. Avec eux nous contemplons le mystère qui a été dévoilé à Bethléem, celui du Sauveur qui est né parmi nous. Les Rois Mages représentent toutes les nations de la terre qui cherchent dans la nuit une lumière pour les guider et qui la trouvent chez cet enfant couché dans une mangeoire. La venue des Mages à la crèche est comme l’accomplissement de la prophétie d’Isaïe qui proclamait : « Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. »

Épiphanie! Une histoire qui fascine jeunes et vieux, mais qui n’est pas sans conséquence pour ceux et celles qui mettent leur foi en ce jeune enfant. Le récit évangélique que nous avons entendu aujourd’hui se termine ainsi : « Tombant à genoux, (les Rois Mages) ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Mais ensuite, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin. »

« Par un autre chemin », nous dit le récit. Suivre le Christ signifie s’engager dans une nouvelle direction, sur des chemins contraires aux Hérode de ce monde; il s’agit d’une suite marquée par l’Esprit de Jésus où l’on marche sur ses traces, dans ses pas à lui, où l’on devient comme lui.

Mais qu’ont fait les trois Rois Mages avant de partir par un autre chemin? Ils ont ouvert leurs trésors et les ont offerts à Jésus en hommage. Si nous tentons d’interpréter ce passage de manière spirituelle et symbolique, il signifie que si nous acceptons de nous laisser conduire sur des chemins nouveaux par l’Esprit du Seigneur, il nous faut tout d’abord offrir à Dieu notre trésor, ce que nous possédons de plus précieux.

Et quel est ce trésor que nous pouvons offrir à Dieu? La réponse est bien simple : c’est notre désir. Notre désir de faire le bien, de goûter le vrai bonheur; c’est notre désir de nous faire proches de Dieu et du prochain afin de devenir une personne meilleure. C’est là le plus beau trésor que nous puissions offrir à Dieu. En d’autres mots, ce désir c’est faire notre cette prière silencieuse du prêtre juste avant la communion où il demande à Dieu : « Fais que je demeure fidèle à tes commandements et que jamais je ne sois séparé de toi. » Voilà une belle résolution pour la nouvelle année!

Plusieurs d’entre vous ont sans doute reçu des cadeaux en ce temps des fêtes de la part de vos enfants et de vos petits enfants. Un cadeau est toujours quelque chose de très touchant, surtout lorsqu’il nous est donné par un enfant, parce que ce dernier, nous le savons, y met tout son coeur et toute son énergie. Il n’y alors rien de plus important pour lui. Et quand vous le recevez ce cadeau, il vous va droit au cœur, quelle que soit sa valeur matérielle, car c’est une manifestation de pure gratuité, d’amour vrai.

C’est ce que Dieu fait en nous donnant son Fils unique, afin que nous puissions réaliser à quel point Il nous aime et combien Il est prêt à tout nous donner. Rappelez-vous les paroles du Père au fils aîné dans la parabole de l’enfant prodigue : « Tout ce qui est à moi est à toi. » Ces paroles sont pour chacun et chacune de nous, et c’est cette promesse incroyable qui trouve son accomplissement avec la naissance du Messie, et qui est proclamée au monde entier lors de la venue des Rois Mages. C’est cela l’Épiphanie! La promesse de Dieu qui se fait chair, qui se fait l’un de nous et qui se donne à nous comme le plus incroyable des cadeaux.

Alors, comme les Rois Mages, adorons nous aussi l’enfant de la crèche. Il s’offre à nous désormais dans l’eucharistie, ce lieu privilégié de la manifestation du Fils de Dieu au monde. Offrons-nous à lui en cette fête de l’Épiphanie, offrons-Lui le meilleur de nous-mêmes, afin qu’Il puisse faire de nous, comme il est dit dans notre prière eucharistique, une éternelle offrande au Père. Ainsi, nous pourrons nous engager sans crainte sur les chemins imprévus de la vie avec cette assurance que l’Emmanuel marche avec nous et qu’avec lui nous serons vainqueurs. Amen.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs