Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 5,1-12a.
En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui.
Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait :
« Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.
Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! »
COMMENTAIRE
C’est Gandhi, guide spirituel hindou et homme politique des Indes au siècle dernier, qui écrivait au sujet des béatitudes : « À mesure qu’augmentait mon contact avec les vrais chrétiens, je vis que le Sermon sur la montagne était tout le christianisme pour qui veut vivre la vie chrétienne. C’est ce sermon qui m’a fait aimer Jésus, disait-il. » Les béatitudes sont l’un des textes les plus commentés des évangiles. Il s’agit de huit souhaits de Jésus à ses disciples, qui sont des chemins de bonheur qui mènent à la fois vers Dieu et le prochain, et qui sont sans doute les paroles de Jésus qui décrivent le mieux ce qu’est une vie transformée par l’Esprit Saint. Ces béatitudes, Jésus va les incarner tout au long de sa vie publique, et c’est pourquoi l’on peut dire des béatitudes qu’elles nous entraînent dans une « imitation de Jésus Christ ! »
Naturellement, les béatitudes sont un vaste sujet pour une homélie de quelques minutes, alors que Jésus nous présente des chemins inédits pour être heureux. Ce bonheur, Jésus l’énonce en huit sentences dans l’évangile de Matthieu. J’ai donc pensé les regrouper en trois catégories afin de nous aider à mieux comprendre l’esprit qui les anime. Trois préoccupations majeures sont au cœur des béatitudes : soit l’amour de Dieu, l’amour du prochain, et notre présence au monde à cause de cet amour.
Commençons par les béatitudes de l’amour de Dieu. Il y en a deux, et elles sont le fondement des six autres : Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux et heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Ces deux béatitudes nous parlent avant tout de la vertu d’humilité, qui est de savoir que tout nous vient de Dieu et où l’âme s ‘offre à Dieu comme une terre d’accueil. À la source de cette humilité et de cet abandon, il y a une grande soif de Dieu. Ces deux béatitudes nous donnent de vivre dans la confiance et dans la paix, habités d’une joie que Dieu seul peut nous donner.
L’humilité est une grâce, une vertu qu’il faut sans cesse demander à Dieu, car elle est la porte de l’âme qui s’offre à Dieu. Elle correspond à ce désir de l’âme pour Dieu qui fait l’expérience qu’elle ne l’approchera jamais suffisamment, qu’Il lui échappera toujours, et qui devient ainsi d’autant plus consciente de sa condition pécheresse, de ce refus inné en elle de se donner totalement à Dieu.
L’humilité, c’est la béatitude de ceux et celles qui se savent pauvres, pauvres de Dieu, et c’est là une condition fondamentale pour s’ouvrir à la grâce, à l’amour de Dieu qu’on n’a jamais fini de chercher. Comment peut-il en être autrement quand il est question de Dieu ? C’est sainte Catherine de Sienne qui écrivait : « O Trinité éternelle ! vous êtes une mer sans fond où plus je me plonge, plus je vous trouve, et plus je vous trouve, plus je vous cherche encore. De vous, jamais on ne peut dire : c’est assez ! » (Oraisons 22, 10)
Le coeur pur lui désigne l’être profond de la personne qui s’offre entièrement à Dieu, et qui se veut totalement réceptive à son action. Il ne s’agit pas ici d’une perfection morale où l’on serait sans tache et sans défaut. Il s’agit plutôt d’une volonté d’accueil en notre coeur, puisque c’est en notre coeur que nous pouvons voir Dieu. « Heureux les coeurs purs ils verront Dieu. » Comment ne pas penser ici à la Vierge Marie, elle qui était d’une humilité transparente, seule capable d’accueillir le Fils de Dieu et de le laisser briller en elle. Marie est comme le vitrail de la présence de Dieu en notre monde et Jésus nous invite à aspirer à cette pureté, qui est un don et qu’il faut sans cesse demander.
Deuxièmement, il y a les béatitudes du prochain et de la miséricorde. Heureux ceux qui pleurent, heureux les doux, heureux les miséricordieux. Ces trois béatitudes décrivent comment le coeur du disciple est marqué par l’esprit de Jésus, soit la douceur, la miséricorde et les larmes.
Je me souviens de ce vieux moine à la trappe, tout courbé sous le poids des années. C’était lui « le frère clochard », le moine qui tous les jours sonnait la cloche pour appeler ses frères à la prière. À l’occasion de la fête du dominicain saint Thomas d’Aquin, le père abbé m’avait demandé de prêcher à la messe du jour, et j’avais commencé mon homélie, sourire en coin, en rappelant à ces moines ce que Thomas d’Aquin avait dit au sujet des moines et des dominicains.
Il avait dit que les prédicateurs étaient faits pour prêcher et que les moines étaient faits pour pleurer ! Ce vieux moine, me croisant près de sa cloche quelques heures plus tard, m’attira à l’écart et me confia avec beaucoup d’émotions : « Vous avez bien raison mon père, il nous faut pleurer sur notre pauvre monde. »
« Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés. » Ce moine avait touché là à l’esprit de cette béatitude, car ceux et celles qui pleurent ne peuvent regarder leurs frères et soeurs du monde avec indifférence, sans se soucier de leurs souffrances, ni les approcher sans être porteurs d’un grand amour pour eux, et ce, avec beaucoup de douceur et de compréhension. « Heureux les doux », nous dit Jésus, « heureux les miséricordieux », car vous portez avec moi mon amour pour le monde. Nous sommes ici dans l’ordre de la miséricorde.
Enfin, il y a les béatitudes au service de la paix et de la justice. Les béatitudes sont aussi une invitation à nous mobiliser, elles poussent à l’action, on ne peut rester passif quand le monde subit la violence, l’injustice, quand des barrières s’élèvent pour exclure ou opprimer, comme nous en sommes témoins ces jours-ci dans l’actualité politique. Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice. Heureux les artisans de paix. Heureux êtes-vous si l’on vous persécute à cause de votre engagement en mon nom, car le Royaume de cieux est à vous, n’en doutez pas. Dieu est avec vous !
Frères et sœurs, les béatitudes sont une invitation au bonheur. Un bonheur dès maintenant, et aussi la promesse d’un bonheur à venir, lorsque nous déposerons ultimement nos vies entre les mains de Dieu. D’ici là, les béatitudes sont une invitation à agir, à nous compromettre, à donner des ailes à l’évangile, et à lui faire ainsi parcourir le monde. C’est cet esprit qui ressort de la traduction des béatitudes faite par André Chouraqui, écrivain et poète juif, qui a traduit la Bible à partir de sa culture juive. Écoutez bien comment il traduit le discours de Jésus sur les béatitudes :
EN MARCHE … LES HUMILIÉS DU SOUFFLE (pauvres de cœur)
EN MARCHE … LES AFFAMÉS ET ASSOIFFÉS DE JUSTICE ;
EN MARCHE … LES CŒURS PURS ;
EN MARCHE … LES HUMBLES (les doux) ;
EN MARCHE … LES MATRICIELS ; (les miséricordieux)
EN MARCHE… LES FAISEURS DE PAIX ;
EN MARCHE … LES ENDEUILLÉS ;
EN MARCHE… LES PERSÉCUTÉS POUR LA JUSTICE.
En fait, l’esprit des béatitudes, c’est vouloir laisser s’imprimer en nous le visage du Christ, et accepter d’être les saints et les saintes que Jésus nous appelle à devenir dans le quotidien qui est le nôtre. Serons-nous des grands saints ? Cela importe peu. Ce qui importe, c’est de confier toute notre vie à Dieu, jour après jour, et ainsi nous laisser transformer par la vie de Jésus en nous. C’est ainsi que nous trouverons notre place dans l’une et l’autre de ces béatitudes qui, comme l’écrit le moine Christian de Chergé, « forment le toit du monde » et sont les conditions mêmes de son bonheur !
Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs.
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J’aime bien Chouraqui. Sa traduction des Béatitudes m’a toujours fasciné…
A reblogué ceci sur BLOGUL UNEI BUNICI.