Homélie pour la fête de l’Ascension (A)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 28, 16-20

    En ce temps-là,
    les onze disciples s’en allèrent en Galilée,
à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
    Quand ils le virent, ils se prosternèrent,
mais certains eurent des doutes.
    Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles :
« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.
    Allez ! De toutes les nations faites des disciples :
baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit,
    apprenez-leur à observer
tout ce que je vous ai commandé.
Et moi, je suis avec vous
tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

COMMENTAIRE

La fête de l’Ascension a quelque chose d’énigmatique, alors que Jésus semble se dérober aux yeux de ses disciples. Cette fête est parfois vécue comme le parent pauvre du cycle pascal, alors qu’elle est sans doute celle qui exprime le mieux le sens de notre destinée humaine et la portée incroyable de la victoire du Christ pour nous. Car l’Ascension, avec le don de l’Esprit Saint, est l’achèvement du mystère de l’Incarnation, du pourquoi le Fils de Dieu est venu parmi nous.

D’ailleurs, Jésus a laissé des indices pour nous aider à comprendre l’extraordinaire mystère qui se joue sous nos yeux avec son Ascension. Rappelez-vous au matin de Pâques, Jésus ressuscité avait dit à Marie-Madeleine : « Je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va vers mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20, 17). Déjà, Jésus avait dit à ses Apôtres avant sa passion : « Je pars vous préparer une place ? Quand je serai allé vous la préparer, je reviendrai vous prendre avec moi ; et là où je suis, vous y serez aussi. » (Jn 14, 2-3).

Ce départ est donc d’une importance capitale dans la mission de Jésus. Il doit retourner vers le Père, afin d’accomplir l’inimaginable, le jamais vu auparavant : « Personne, dit Jésus, n’est jamais monté aux cieux sinon le Fils de l’Homme qui est descendu des cieux » (Jn 3, 13 ; cf. Ep 4, 8-10). Et devant les yeux de ses disciples, Jésus est « emporté au ciel ».

La fête de l’Ascension est toute chargée de l’espérance de Dieu en notre faveur et nous rappelle combien nous avons du prix aux yeux de Dieu. L’Ascension de Jésus vient nous dévoiler le grand mystère de notre destinée humaine alors que le Christ nous précède au ciel et qu’il nous y entraîne. Cette fête forme un tout avec la résurrection du Christ et elle nous parle en même temps du sérieux de son Incarnation, du fait que le Fils de Dieu ait pris chair de la Vierge Marie, chair de notre chair. La Résurrection et son pendant qu’est l’Ascension sont le couronnement de l’Incarnation du Fils de Dieu : Jésus ne rejette pas son corps ; il le transfigure, il le divinise en montant au ciel avec son corps glorifié.

Contrairement à ce que me disait un jour une amie, la fête de l’Ascension n’est pas une fête triste. Cette amie disait cela parce que Jésus était parti. Jésus est parti, me disait-elle ! Elle vivait en quelque sorte la peine des disciples. Quel grand amour de Jésus exprimait-elle ainsi en avouant son désarroi devant son départ ! Mais Jésus ne nous abandonne pas. Non seulement il nous précède dans la demeure du Père, mais il nous y prépare une place.

Dans le Christ, vrai Dieu et vrai homme, notre humanité est conduite auprès de Dieu. Jésus nous ouvre le passage, il est comme le chef de cordée lors de l’escalade d’une montagne, arrivé au sommet de sa vie il nous tire vers Lui et nous conduit vers le Père. Car tel est le maître, tels sont les disciples, tous appelés à une même destinée avec lui.

Tout comme nous sommes passés du ventre de notre mère à la vie sur terre, un jour nous passerons du ventre de la terre à la vie en plénitude auprès de Dieu. Par son Ascension, Jésus vient achever la longue histoire de notre salut, qui est de nous ramener vers Dieu. Il ne nous laisse pas seuls. Il nous emporte avec lui, premier-né d’une multitude de frères et de sœurs, alors qu’il monte au ciel avec son corps, réalisant ainsi cette folle espérance du vieux Job, un texte souvent repris lors des funérailles, où Job s’écrie du fond de son malheur : « Je sais, moi, que mon libérateur est vivant, et qu’à la fin il se dressera sur la poussière des morts ; avec mon corps, je me tiendrai debout, et de mes yeux de chair, je verrai Dieu. »

Le trappiste Christian de Chergé, prieur du monastère de Tibhirine en Algérie, assassiné avec six de ses frères en 1996, restera toute sa vie, fasciné par le mystère de l’Incarnation. Il dira à ses frères moines dans une homélie : « Le plus extraordinaire du mystère de l’Incarnation, ce n’est pas que Dieu se soit fait homme, mais c’est que l’homme soit en Dieu, c’est qu’une humanité semblable à la nôtre, se retrouve en Dieu. […] Désormais, écrit-il, il y a de la fraternité en Dieu. C’est ainsi que nous pouvons nous appeler “petits frères” et “petites sœurs. »

Et cette fraternité s’étend désormais au monde entier. C’est pourquoi la fête de l’Ascension marque aussi le début du temps de l’Église, communauté de foi des disciples du Christ, qui célèbre ce don que Dieu nous fait d’un amour infini, communauté qui est appelée à partager cette joie qui est la sienne. sûr de la promesse que Jésus fait à ses disciples : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

Voilà frères et sœurs, la bonne nouvelle qui nous rassemble en ce dimanche de l’Ascension.

YVES BÉRIAULT, O.P.
DOMINICAIN. ORDRE DES PRÊCHEURS

Homélie pour le 5e Dimanche de Pâques (A)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 14, 1-12

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
    « Que votre cœur ne soit pas bouleversé :
vous croyez en Dieu,
croyez aussi en moi.
    Dans la maison de mon Père,
il y a de nombreuses demeures ;
sinon, vous aurais-je dit :
‘Je pars vous préparer une place’ ?
    Quand je serai parti vous préparer une place,
je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi,
afin que là où je suis,
vous soyez, vous aussi.
    Pour aller où je vais,
vous savez le chemin. »
    Thomas lui dit :
« Seigneur, nous ne savons pas où tu vas.
Comment pourrions-nous savoir le chemin ? »
    Jésus lui répond :
« Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ;
personne ne va vers le Père sans passer par moi.
    Puisque vous me connaissez,
vous connaîtrez aussi mon Père.
Dès maintenant vous le connaissez,
et vous l’avez vu. »
    Philippe lui dit :
« Seigneur, montre-nous le Père ;
cela nous suffit. »
    Jésus lui répond :
« Il y a si longtemps que je suis avec vous,
et tu ne me connais pas, Philippe !
Celui qui m’a vu
a vu le Père.
Comment peux-tu dire : ‘Montre-nous le Père’ ?
    Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père
et que le Père est en moi !
Les paroles que je vous dis,
je ne les dis pas de moi-même ;
le Père qui demeure en moi
fait ses propres œuvres.
    Croyez-moi :
je suis dans le Père,
et le Père est en moi ;
si vous ne me croyez pas,
croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes.
    Amen, amen, je vous le dis :
celui qui croit en moi
fera les œuvres que je fais.
Il en fera même de plus grandes,
parce que je pars vers le Père »

Jésus ce matin interpelle la foi des disciples alors que sa passion se profile à l’horizon. Devant leurs craintes, il leur dit : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé : Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. » Qu’en est-il de nous alors que nous traversons une crise majeure qui met peut-être à l’épreuve notre foi? Voilà le contexte de la réflexion que je nous propose ce matin.

II vous est sans doute arrivé un jour de remettre Dieu en question, de douter ou même de perdre la foi. Tout cela fait partie des divers chemins qui mènent vers Dieu, même si parfois ces chemins semblent s’en écarter. La foi en Dieu, bien que capable de transformer nos vies, de changer notre regard sur le monde, cette foi demeure fragile, elle est comme une jeune pousse qui a constamment besoin d’être entretenue, arrosée, émondée.

C’est surtout lorsque l’épreuve frappe à notre porte que nous sommes tentés de questionner Dieu, tentés de le faire comparaître devant le tribunal de notre indignation afin qu’il se justifie. «  Que dis-tu de toi-même? » Secrètement, nous faisons nôtre le cri des contradicteurs de la foi d’Israël, dont le psalmiste fait entendre la voix moqueuse lorsqu’ils s’écrient devant les malheurs du juste : « Où est-il ton Dieu ? » C’est cette interrogation qui monte aux lèvres des opprimés, de ceux qui souffrent et des malheureux à travers les siècles. « Où es-tu? »

Nous le savons, le plus grand défi que la foi doit affronter c’est le silence de Dieu et son impuissance apparente quand le malheur frappe. Jésus lui-même en fait l’expérience à Gethsémani quand il s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Et pourtant, il en arrivera à une remise totale de sa personne entre les mains du Père sur la croix : « Père, non pas ma volonté, mais la tienne. » Cette prière d’abandon est certainement la plus difficile qui soit, car elle implique l’acceptation de ce que l’on ne peut changer, alors que l’on voudrait tellement que Dieu intervienne, qu’il change le cours des événements qui nous frappent de plein fouet.

Alors, qu’est-ce que Dieu attend de nous ? Et que pouvons-nous attendre de lui ? Pour illustrer mon propos, j’aimerais parler ici d’Esther Hillesum, cette jeune juive assassinée à Auschwitz en 1943 à l’âge de 29 ans. Une jeune convertie qui a des réflexions étonnantes au sujet de Dieu. Au cœur de la détresse et des persécutions qui frappent son peuple, Esther est convaincue que Dieu ne peut empêcher, comme d’un coup de baguette magique, le drame qui se déroule autour d’elle, soit l’extermination systématique de son peuple à l’échelle de l’Europe, persécutions qui feront près de six millions de victimes.

Esther en arrive à un constat qui bouleverse complètement notre représentation de Dieu. Elle affirme, au cœur de cette violence qui l’entoure, que c’est à nous d’aider Dieu, que Dieu veut avoir besoin de nous. Mais pour y parvenir, dit-elle, il faut le laisser habiter en nous. « Un peu de toi en nous mon Dieu », écrira-t-elle dans son journal. Esther Hillesum a cette vive conscience que la force intérieure qui peut nous donner le courage d’affronter la vie et ses tempêtes ne peut nous venir que de Dieu. Qu’Il est lui le véritable artisan de nos redressements, de nos recommencements et de nos luttes ! « Un peu de toi en nous mon Dieu », demande-t-elle.

Ce témoignage, ainsi que toute la tradition biblique, nous dévoile une condition indispensable pour bien assumer notre foi en Dieu : c’est de l’enraciner dans la fidélité. C’est s’attacher à Dieu pour le meilleur et pour le pire, sachant que cela n’a pas pour but de nous mettre à l’abri des épreuves, même si c’est là notre désir le plus profond et qu’il est légitime demander qu’il soit exaucé. Mais la foi en Dieu, vécue dans une fidélité tenace et têtue, nous aide avant tout à accepter avec courage nos vies de femmes et d’hommes, de pères et de mères, et ainsi affronter la vie et ses tempêtes avec la force de Dieu.

Est-ce que cela veut dire qu’on ne souffre pas quand on met sa foi en Dieu? Que nous ne sommes pas saisis de vertige devant la peine et la douleur ? Bien sûr que non ! Mais Dieu sera toujours l’appui le plus sûr, l’ami le plus fidèle que nous ayons pour affronter l’épreuve.

fr . Yves Bériault, o.p. Dominicain

Le petit reste

Appelé à beaucoup voyager, me déplaçant de communauté en communauté, d’église en église, je suis un témoin privilégié si l’on peut dire de cette réalité qui saute aux yeux dans ce pays qui est le mien. Inutile d’énumérer ici les réalités que je côtoie et que vous connaissez tout aussi bien que moi. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir. Mais aveugles aussi pour ne pas voir qu’au-delà de ces murs décrépits, de ces clochers qui chancellent, la réalité profonde qui continue de soutenir cet édifice de la foi qu’est l’Église et qui ne se réduit ni à un patrimoine immobilier ni au nombre de têtes chauves ou grises dans une assemblée. 

Car il y a bel et bien le petit reste, un petit reste de tous âges étonnamment, des passionnés de l’Évangile, de l’Eucharistie, de la vie en communauté, du partage fraternel, de la présence attentive et généreuse auprès des plus pauvres. Petite armée de rien du tout qui avance vers l’avenir avec tellement peu de moyens qu’elle en est émouvante, et pourtant rien ne semble pouvoir la décourager ou l’arrêter. C’est ce petit reste que Dieu a aimé par le passé en Israël; c’est pourquoi il demeure redoutable, puisque c’est Dieu lui-même qui continue de l’accompagner et de veiller sur lui. Je ne puis que nous souhaiter d’appartenir à ce petit reste, mais cela demande un certain courage, ce que certains appelleraient même une grâce d’aveuglement. Mais pourquoi pas? Nous n’avons rien à perdre mais tout à gagner.

Comme l’écrivait avec justesse le pape François dans sa première encyclique Lumen fidei :

« La foi n’est pas un refuge pour ceux qui sont sans courage, mais un épanouissement de la vie. Elle fait découvrir un grand appel, qui est la vocation à l’amour, et elle assure que cet amour est fiable, qu’il vaut la peine de se livrer à lui, parce que son fondement se trouve dans la fidélité de Dieu, fidélité qui est plus forte que notre fragilité.»

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain.