Homélie pour la fête de la Saint-Famille (A)

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L’on a toujours proposé la Sainte Famille comme un modèle pour les familles chrétiennes. Toutefois, à notre époque, la notion même de famille traverse une crise sans précédent, ou à tout le moins elle connaît des bouleversements qui en inquiètent plusieurs. Nous connaissons les bébés éprouvettes, les mères porteuses, demain l’on nous promet le clonage, les bébés sur mesures, à notre image et ressemblance, tandis que nous connaissons tous des familles où les parents sont divorcés, des familles reconstituées, des familles monoparentales, où des pères et des mères seules font preuve d’un courage extraordinaire pour éduquer leurs enfants, et nous connaissons aussi des familles où les parents sont du même sexe. 

Par ailleurs, plusieurs couples ne pouvant avoir d’enfants ou encore par souci d’aider les enfants les plus démunis de ce monde, se tournent vers l’adoption internationale, et ainsi des grands-parents se retrouvent avec un petit-fils coréen ou une petite fille haïtienne.  Ces changements font que le visage traditionnel de la famille s’est complètement transformé. Ces changements sont parfois porteurs de soucis et de souffrances, mais ils demandent surtout beaucoup d’amour. Est-ce que la traditionnelle Sainte Famille est encore en mesure de nous inspirer dans un ce nouveau contexte de société ?

Une chose est certaine, cette famille n’est pas conventionnelle. Tout d’abord, Joseph a dû cacher la grossesse de Marie avant le mariage en la prenant chez lui comme épouse. Ensuite, même si l’on a souvent évoqué la Sainte Famille pour encourager la natalité, il faut se rappeler qu’il s’agit d’une famille avec un enfant unique, ce qui est très proche de notre moyenne nationale au Québec. De plus, Joseph, le père de Jésus, n’est pas le géniteur de l’enfant, il est son père adoptif, tandis que Marie, la mère biologique, est encore vierge, puisque l’enfant est né d’une action miraculeuse de Dieu. Voilà la Sainte Famille ! 

L’on peut à la fois retrouver en elle les valeurs familiales les plus traditionnelles, à cause de la sainteté même de Jésus et de ses parents, et en même temps l’originalité de cette famille a de quoi étonner les familles les plus diversifiées que nous connaissions. C’est pourquoi le point de convergence le plus significatif entre ces parents inquiets, que sont Joseph et Marie, et nous-mêmes en tant que parents ou membres d’une famille, est que notre histoire personnelle et familiale est aussi une histoire sainte. Chacun des membres de nos familles, qu’ils soient croyants ou non, est engagé dans une recherche de bonheur et d’absolu. 

Parfois ces recherches nous inquiètent et nous blessent. Elles sont parfois même destructrices, mais dans chacune de nos histoires, quelle qu’elle soit, Dieu y est présent, et sans cesse il nous invite à nous approcher du mystère de la crèche, afin qu’il devienne notre propre mystère, c.-à-d. que nous acceptions nous aussi, comme Marie et Joseph, d’accueillir le Messie dans nos vies, afin qu’il trouve un accueil chez nous, et ainsi qu’il puisse nous transformer et nous enrichir, nous aidant à devenir ce que nous sommes, des enfants de Dieu ! C’est tout cela le mystère de Noël.

Marie et Joseph ont dû cheminer péniblement afin de se rapprocher du mystère de leur fils Jésus. Ils n’ont pas toujours compris ni toujours cherché au bon endroit. Ils n’ont pas saisi tout de suite ce que Jésus voulait leur dire quand il disait qu’il devait être dans la maison de son Père.

On connaît peu de choses de Joseph, mais sans doute, comme Marie, gardait-il dans son cœur tout ce qui pouvait lui échapper quant à la destinée de son fils Jésus. Et en ce sens, Marie et Joseph sont des modèles de foi confiante, des cœurs dociles, s’en remettant entièrement à Dieu, même devant l’inexplicable, même devant les menaces d’un Hérode sanguinaire, ou encore l’exil forcé en Égypte, souffrant parfois de ne pas comprendre où les entraînait cet enfant qui leur avait été miraculeusement confié. Ne devait-il pas se dire parfois, tout comme nous : « Mon Dieu, qu’attends-tu de nous ? »

Frères et sœurs, c’est à nous maintenant de prendre chez nous cet enfant et de le laisser grandir « en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes. » 

C’est pourquoi, en ce temps de Noël, la Sainte Famille se présente à nous et nous invite à franchir le seuil de sa maison, à nous laisser saisir par son mystère qui nous renvoie à notre propre mystère, et qui est d’accueillir Jésus dans nos vies et dans nos familles, au cœur même de nos pauvretés, de nos doutes et de nos épreuves, car n’en doutons pas, notre histoire personnelle est aussi une histoire sacrée que l’Emmanuel vient habiter de sa présence. Et c’est ainsi que cette histoire d’amour de la Sainte Famille, l’histoire la plus extraordinaire que la terre ait jamais connue, se poursuit tout au long du temps de l’Église. Amen.

Yves Bériault, o.p.

La famille chrétienne devant la crèche

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Ce qui vient immédiatement à l’esprit lorsque l’on aborde le thème de Noël et de la famille, c’est évidemment celui de la Sainte Famille. Comment cette scène de la crèche de Noël n’évoquerait-elle pas chez les familles chrétiennes une résonance certaine quant à l’expérience de foi qu’elles vivent et son lien avec ce qu’a vécu la Sainte Famille.Spontanément, ce sont les aspects suivants qui me viennent à l’esprit pour alimenter une réflexion chrétienne sur ce thème :

1- la famille comme oeuvre de création
2- la famille comme lieu d’accueil
3- la famille comme lieu de mission

Quand on considère le mystère de l’Incarnation, on contemple tout d’abord l’oeuvre de Dieu. Dieu aime et il est source de tout amour. Par définition, l’amour est fécond puisqu’il vient de Dieu. L’amour est plein de vie et engendre la vie chez ceux et celles qu’il touche. Dieu croit en la vie, puisqu’il est vie, et en nous envoyant son Fils, il vient racheter cette vie afin de la mener à sa plénitude et à sa destination originelle, soit la communion pleine et entière de l’humanité avec son Dieu.

De toute éternité, l’humanité est appelée à la divinisation, et la famille participe éminemment à cette oeuvre, car c’est par elle que naissent les enfants de Dieu. En ce sens, le couple est créateur, mais son oeuvre de création il la tient de Dieu. Il suffit de contempler Marie et Joseph pour mieux saisir le sens de cette affirmation. Leur vocation, vient de Dieu, elle est avant tout un oui à Dieu. Sans ce oui, Dieu ne peut agir, mais c’est l’initiative de Dieu qui fait de ce couple un participant à son oeuvre qui vient parfaire sa création et la mener à son accomplissement.

La famille est aussi une oeuvre d’accueil, car la vie humaine est le lieu privilégié où Dieu se manifeste. Comme le dit la Lettre aux Hébreux:  » N’oubliez pas l’hospitalité, car, grâce à elle, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges «  (Hé. 13, 1-2). Marie et Joseph ne connaissaient sans doute pas toute la grandeur du mystère qui se déroulait dans leur vie. Ne les voit-on pas s’inquiéter quand Jésus disparaît au Temple ou lorsqu’il commence à prêcher. Et pourtant, Marie porte tout cela dans son coeur et médite sur ces choses. Ce n’est qu’après la résurrection que tout deviendra clair. Il y a un mystère d’accueil dans la vie de foi, accueil des personnes et des événements. Ce mystère est tout particulièrement à l’oeuvre dans la famille, qui est une communauté d’accueil pour les vies qui lui sont confiées. Des vies livrées à l’amour de Dieu ayant chacune son appel propre, son mystère, chacune étant un reflet de l’amour de Dieu pour les hommes et les femmes de ce monde.

C’est autour des deux pôles mentionnés précédemment, que la famille va se définir comme lieu de mission pour le chrétien et la chrétienne qui s’y engagent. Car la participation à la mission créatrice de Dieu et l’accueil de la vie ne sont pas que des attitudes passives, mais elles entraînent aussi un agir qui va entraîner toute la famille. La famille va devenir ce lieu où doit grandir l’enfant de la crèche afin de devenir cette présence du Christ Ressuscité au monde. Le mystère de la présence de l’enfant de la crèche dans une famille doit nécessairement ouvrir sur le mystère pascal et ce mystère est un mystère de don de soi.

C’est dans la famille que les vertus chrétiennes seront nourries et entretenues par l’exemple des parents, par une vie de prière soutenue, et par une vie en Église réelle et engagée. Le terreau familial deviendra ainsi le lieu de croissance des vertus évangéliques, dont se nourriront les enfants, car elles leur auront été communiquées par les parents, tout comme les enfants sont allaités par le lait maternel. La famille deviendra ainsi une Église familiale ayant en son centre Jésus ressuscité.

La famille qui se rassemble autour de la crèche exprime déjà sa volonté d’entrer dans ce mystère, puisque l’enfant de la crèche est l’expression achevée du  » Dieu avec nous « , Dieu qui se remet entre nos mains,  » Dieu avec nous  » en se faisant l’un des nôtres, en prenant sur lui nos joies et nos peines. L’enfant de la crèche nous ramène à l’aurore de ce mystère de l’amour de Dieu pour nous, et en même temps la crèche est une fenêtre grande ouverte sur l’avenir. Elle nous entraîne au coeur du mystère pascal où brillent les premières lueurs de l’éternité.

Puisse ce Noël vous rapprocher les uns des autres, et de celui qui s’est fait le plus petit des tout petits enfants pour nous.

frère Yves Bériault, o.p.

 

Homélie pour le jour de Noël

Noël est l’un de ces temps de l’année où le mystère frappe à notre porte. Les textes bibliques que nous proclamons en ce jour sont tellement évocateur en ce sens : « Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu », nous dit le prophète Isaïe ; et dans la lettre aux Hébreux : « En ces jours où nous sommes, Dieu nous a parlé par son Fils »; et que dire de cette déclaration inoubliable de l’évangéliste Jean : « et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous. »

Aujourd’hui, sur tous les continents, l’événement est souligné. La fête de Noël fait maintenant partie du patrimoine de l’humanité. Aucune fête chrétienne n’a connu une telle popularité, bien que la fête de Pâques soit la plus grande des fêtes pour nous. Mais un enfant dans un berceau c’est toujours plus séduisant qu’un homme cloué sur une croix! C’est pourquoi ce temps de l’année marque une convergence de traditions et de représentations qui ne semblent pas toujours faire bon ménage les unes avec les autres ; où la bonne nouvelle qui est célébrée en ce jour semble complètement perdue de vue.

Ainsi, pour certains, Noël évoque surtout les souvenirs féeriques, réels ou imaginaires, des Noëls de l’enfance. Ces souvenirs évoquent souvent la nostalgie d’une fête dont on n’arrive plus à retrouver le sens. Les gens de cette catégorie ont souvent le Noël triste comme l’on dit de quelqu’un qu’il a « le vin triste ».

Il y a bien sûr le Noël des chrétiens, fête de la Nativité, qui n’a de sens que pour ceux et celles qui croient en l’Enfant-Dieu, un Dieu qui prend sur lui notre humanité afin de la conduire à son plein épanouissement. Mais même dans ce Noël, il y en a aussi qui ont perdu le sens de la fête. Ils jugent trop superficiel tout ce qui entoure Noël et ils ont parfois le sentiment de s’être fait voler leur fête!

Ce Noël, quoiqu’on en dise, c’est un peu le Noël pour tous, le Noël démocratisé, le Noël des centres d’achats qui remporte la faveur populaire et qui conjugue sans difficulté la dinde de Noël, la course effrénée aux cadeaux, et à l’occasion, une messe de minuit.

Pourtant, même ce Noël, que certains appellent le Noël des marchands, est porteur de sens et rejoint quand même l’être humain dans ses aspirations les plus profondes. Il ne faudrait pas oublier que le Noël des marchands, dernier-né des manifestations de la fête de Noël, est néanmoins marqué profondément par la naissance de Jésus à Bethléem. Il ne faudrait pas renier trop facilement ce Noël et l’envoyer coucher dans l’étable. Ce Noël sécularisé que nous connaissons trop bien, reste néanmoins dans les familles et entre amis, un moment privilégié pour les réconciliations, l’accueil de l’autre, le don de soi.

Quoiqu’il en semble, le Noël des marchands est souvent un Noël de générosité toute simple, sans calcul, sans prétention, par lequel les gens cherchent à se donner un temps de bonheur ensemble, à faire sens du temps qui passe en s’ouvrant à l’autre. Et ce bonheur, notre société, bien qu’elle se veuille laïcisée, elle le trouve sans le savoir près de la crèche et de son irrésistible message de paix et de fraternité.

Le Noël des marchands est une fête qui éveille le goût de donner chez les gens, surtout le goût de se donner, ce qui explique sans doute pourquoi Noël est l’un des temps de l’année où les bénévoles se font les plus nombreux aux portes des organismes caritatifs de toutes sortes. En dépit de ses dérives, n’est-ce pas là la preuve que le Noël des marchands est une fête qui est toute proche de ses racines évangéliques et qui, lorsque bien vécue, peut devenir un prolongement tout naturel de la célébration liturgique que nous en faisons en Église aujourd’hui ?

Quant à nous, frères et soeurs, nous proclamons qu’un Sauveur nous est né et qu’il confie son message de paix et de salut à tous ceux et celles qui veulent donner une véritable direction à leur vie, qui cherche une espérance dans les nuits de ce monde. Car le secret de Noël le voici : c’est celui d’un Dieu qui se confie à nous tel un nouveau-né fragile, blotti entre nos mains, et dont on a désormais la garde et la responsabilité. Tout ce qu’il nous demande, c’est qu’on le laisse grandir et s’épanouir au coeur même de nos vies, nous entraînant à faire de sa fête, un Noël de marchands de bonheur, accueillant dans nos maisons ceux et celles qui sont seuls, partageant nos tables avec ceux qui ont faim, faim véritable, faim d’amitié, faim de reconnaissance ; ouvrant nos cœurs à la justice, à la réconciliation et au partage.

Car n’est-ce pas là une des conséquences inévitables de la fête de Noël ? Ceux et celles qui se mettent à la suite de l’Enfant-Dieu ne doivent-ils pas se laisser habiter de sa générosité à Lui et se laisser revêtir de son amour, car Noël c’est la fête de la générosité surabondante de Dieu ! C’est Dieu qui se donne à nous et qui donne tout de lui-même : l’Emmanuel ! Dieu fait chair ! Dieu parmi nous !

fr. Yves Bériault, o.p.

 

Voici la demeure de Dieu parmi les hommes

La prière de Chœur dans la ville est une action de grâce avec l’ange Gabriel et un éblouissement d’admiration pour la jeune mère de Dieu. Les mots et l’harmonisation du frère André Gouzes, dominicain, porte jusqu’au ciel notre reconnaissance pour Marie, la terre de la Promesse, la mère de l’Emmanuel. C’est un magnifique poème de foi et d’espérance qui retentit dans l’église des dominicains de Lille, près de la crèche et dans notre cœur : « Tu es Marie, le paradis nouveau ! En toi le soleil a établi sa demeure. » Pour recevoir les chants et les méditations de Avent dans la ville, inscrivez-vous gratuitement: http://bit.ly/2Y6A0Xk

Homélie pour le 4e Dimanche de l’Avent (A)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 1,18-24.
Voici comment fut engendré Jésus Christ : Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph ; avant qu’ils aient habité ensemble, elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint.
Joseph, son époux, qui était un homme juste, et ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la renvoyer en secret.
Comme il avait formé ce projet, voici que l’ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ;
elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète :
‘Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel’, qui se traduit : « Dieu-avec-nous »
Quand Joseph se réveilla, il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit : il prit chez lui son épouse.

COMMENTAIRE

Au livre d’Isaïe, celui que la longue tradition de l’Église appelle le cinquième évangéliste, nous avons entendu cette promesse extraordinaire faite au roi Achaz qui règne dans Jérusalem menacée par l’ennemi : « Le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici que la jeune femme est enceinte, elle enfantera un fils, et on l’appellera Emmanuel, (c’est-à-dire : Dieu-avec-nous). »

Ce passage énigmatique du premier Testament a fait couler beaucoup d’encre. Est-il possible que près de huit cents ans avant Jésus-Christ on ait déjà annoncé sa mystérieuse naissance, alors même que la notion de Messie n’était pas encore apparue dans la tradition d’Israël? Aucune explication historique de ce passage n’est tout à fait satisfaisante pour les exégètes quant à sa signification à l’époque d’Isaïe. Mais les premières générations chrétiennes ont vite fait d’en saisir le sens à la lumière de l’avènement du Christ. Benoît XVI écrit : « Ce signe de Dieu chez Isaïe n’est pas offert pour une situation politique déterminée, mais concerne l’humanité et son histoire dans son ensemble[1] ». Et c’est ainsi qu’une Parole de l’an 733 avant Jésus-Christ, dévoile tout son sens et sa richesse avec la venue du Messie. Dieu est venu parmi nous et il a pris chair de la Vierge Marie.

C’est ce grand mystère qui est annoncé en songe à Joseph, l’époux de Marie. L’Ange du Seigneur lui annonce que « l’enfant qui est engendré en Marie vient de l’Esprit Saint », et qu’il vient sauver son peuple de ses péchés.

L’évangéliste Matthieu nous fait contempler le mystère d’un couple humble et caché qui a pourtant changé le cours de l’histoire. À travers son récit, Dieu nous redit que l’avenir appartient aux pauvres de Dieu, c’est-à-dire à ceux et celles qui se laissent façonner par Lui, qui l’accueillent dans le secret de leur coeur, et qui en font leur plus grande richesse, leur plus beau trésor. Dans le premier Testament on les appelait les justes ; dans le Nouveau Testament ils ont pour nom les fidèles.

Joseph, l’époux promis à Marie, n’a pas d’âge et il a tous les âges. Aucun indice dans les évangiles ne nous permet de lui en donner un. Quant à Marie, puisqu’elle est promise en mariage, on sait qu’habituellement cet engagement était pris par les parents de la mariée, alors que la jeune fille avait environ quinze ans. Donc, une toute jeune fille que cette Marie de Nazareth, et l’on est encore fragile à quinze ans.

Bien qu’engagés l’un à l’autre, ils ne vivent pas encore ensemble et pourtant la voilà enceinte. Comment peut-elle affirmer que l’enfant qu’elle porte vient de Dieu et, de plus, que cet enfant va sauver son peuple ? C’est insensé. Mieux vaut la répudier en secret, se dit Joseph, car il est un homme bon, il cherche néanmoins à lui épargner la honte. Mais un songe vient changer le cours de sa vie. Nous connaissons tous cette belle histoire qui se transmet siècle après siècle, de génération en génération dans une foule d’écrits, de poèmes et de chansons.

En voici un exemple. J’entendais ces jours-ci un cantique de Noël traditionnel du XVe siècle, appelé le cantique du cerisier (The Cherry Tree Carol). Voici la belle histoire qui est racontée. Marie et Joseph sont en route pour le recensement à Bethléem. Marie, voyant un cerisier, demande à Joseph d’aller lui chercher des cerises. Joseph, qui n’a pas encore accepté ni compris ce qui se passe en Marie, lui répond en colère : « Pourquoi ne demandes-tu pas au père de ton enfant de te donner des cerises ? » Soudain, la voix de l’enfant se fait entendre dans le sein de Marie et commande à l’arbre de donner de ses fruits à sa mère. Le cerisier se penche alors vers elle et lui touche la main pour lui offrir de ses fruits. Et Joseph, conclut le cantique, épousa la Vierge Marie, la Reine de Galilée !

C’est le mystère de Noël qui se joue sous nos yeux chaque année ; un mystère enrobé de merveilleux, comme un conte trop beau pour être vrai. Et pourtant… chaque année, nous avons besoin de réentendre la belle histoire de Marie et de Joseph, de nous laisser toucher au cœur à nouveau, tellement cette histoire est incroyable. C’est l’histoire de notre foi, où nous est dévoilé le mystère de l’Église.

En Joseph, nous avons l’image du croyant. Comme lui, chacun et chacune de nous est appelé à accueillir la promesse de Dieu dans sa vie.

La jeune Marie symbolise l’Église, la jeune fiancée, en qui habite un grand mystère d’amour et à travers lequel Dieu veut se donne sans cesse au monde.

L’Ange du Seigneur, c’est Dieu lui-même, qui invite le croyant à prendre l’Église chez lui, à l’aimer de tout son coeur, sans nécessairement tout comprendre. « Fais confiance », nous dit l’Ange. « Sois une femme de foi ; sois un homme de foi. N’aie pas peur de prendre chez toi cette Église pour laquelle l’enfant de la crèche donnera sa vie. »

Car voici la Bonne Nouvelle : l’Église est grosse de Dieu ! Elle est enceinte de Dieu. Elle le porte en elle et, en même temps, elle le propose sans cesse à travers la Parole de Dieu, à travers les sacrements, sa vie de prière, sa vie missionnaire, son engagement pour les plus pauvres, son souci quotidien pour le monde. Et tout cela ne peut se réaliser qu’à travers vous et moi. L’amour qui sera annoncé et chanté par les anges la nuit de Noël, c’est à nous qu’il est confié, comme il fut confié à Marie et à Joseph.

Au début, Joseph ne comprend pas ce que vit sa jeune épouse. Comment est-ce possible ? Mais il avance dans la foi, car l’Ange l’y invite, et Joseph fait confiance. C’est à cette confiance que nous sommes invités à quelques jours de la fête de Noël. Sommes-nous prêts à faire confiance à Dieu dans nos vies ? À tout lui remettre ? À jouer notre vie sur lui ? N’est-ce pas là la plus belle et la plus grande des aventures où Dieu ne saurait nous décevoir. C’est ce qu’ont fait Joseph et Marie. Ils ont joué leur vie sur une promesse de Dieu.

Comme pour Joseph, la voix de l’Ange nous invite à avancer dans la foi. « N’aie pas peur d’accueillir chez toi ce mystère. » Parce que nous sommes tous appelés à être porteurs de Dieu. Nous portons enfoui au cœur de nos vies, la vie même du Fils de Dieu incarné, qui veut se donner au monde à travers nous.

Comme l’écrit saint Paul aux chrétiens de Rome, « nous les fidèles qui sommes, par appel de Dieu, le peuple saint », nous sommes invités à veiller sur le mystère de Noël, comme sur un trésor des plus précieux, comme on veille sur un enfant dans son berceau. Que ce soit notre joie !

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs


 

[1] Ratzinger, Joseph (Benoît XVI). L’enfance de Jésus, Flammarion, 2012, p. 76. 189 p.

Homélie pour le 2e Dimanche de l’Avent (A)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 3,1-12.
En ces jours-là, paraît Jean le Baptiste, qui proclame dans le désert de Judée :
« Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. »
Jean est celui que désignait la parole prononcée par le prophète Isaïe : ‘Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.’
Lui, Jean, portait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins ; il avait pour nourriture des sauterelles et du miel sauvage.
Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui,
et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain en reconnaissant leurs péchés.
Voyant beaucoup de pharisiens et de sadducéens se présenter à son baptême, il leur dit : « Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ?
Produisez donc un fruit digne de la conversion.
N’allez pas dire en vous-mêmes : “Nous avons Abraham pour père” ; car, je vous le dis : des pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham.
Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu.
Moi, je vous baptise dans l’eau, en vue de la conversion. Mais celui qui vient derrière moi est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu.
Il tient dans sa main la pelle à vanner, il va nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera son grain dans le grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. »

COMMENTAIRE

Quand Jean Baptiste fait son apparition dans le désert de Judée, cela fait plus de quatre-cents ans que la voix des prophètes s’est éteinte en Israël et l’on attend toujours le Messie. Cette attente est surtout présente chez ceux et celles qu’on appelle «les pauvres de Yahvé», qui à l’image de la Vierge Marie sont fidèles et confiants dans leur attente. Et leur persévérance n’a pas été déçue, car les temps sont accomplis alors que survient Jean Baptiste, celui dont Isaïe avait prophétisé la venue et dont la mission serait d’annoncer les temps nouveaux : la venue du Messie.

Jean Baptiste est la voix de celui qui crie dans le désert, ce désert de la condition humaine que Dieu lui-même vient habiter en son Fils Jésus, qui annonce un règne de justice et de paix, qui répand son Esprit sur toute chair, et qui nous presse de vivre de sa vie et de nous engager à ses côtés, afin d’être porteurs de sa passion pour le monde.

Le prophète Isaïe, contemplant cet avenir où doit se manifester le Messie, nous parle avec des images bucoliques d’une création restaurée dans sa paix et son harmonie initiales, telle qu’elle était au début du monde. C’est le paradis retrouvé où le loup habite avec l’agneau, le léopard se couche près du chevreau, le veau et le lionceau sont nourris ensemble! Elles sont belles et évocatrices ces images du prophète, et pourtant, il y a loin de la coupe aux lèvres quand on contemple l’état de notre monde et les défis qui sont les nôtres..

Le moine Christian de Chergé, prieur d’un monastère trappiste en Algérie, assassiné avec six de ses frères, rapporte l’anecdote suivante alors qu’il était en pèlerinage à Jérusalem, et qu’il se trouvait près du mur des Lamentations. Un Juif orthodoxe en le voyant voulut le provoquer en lui lançant cette boutade : «Et puis, lui demanda-t-il, est-ce que le lion mange de l’herbe?» Il aurait pu tout aussi bien lui demander : «Et est-ce que le loup habite avec l’agneau?»

Vous aurez compris que cet homme voulait contredire l’affirmation des chrétiens selon laquelle Jésus est le Messie. Car s’il l’était vraiment, selon ce Juif orthodoxe, les prophéties d’Isaïe se seraient réalisées depuis longtemps, et l’on verrait le lion manger de l’herbe avec le bœuf, le loup habiter avec l’agneau.

Il y a là, bien sûr, un certain fondamentalisme qui s’exprime, mais la question mérite d’être posée, car sans cesse notre espérance et notre foi sont mises à l’épreuve, contredites par les conflits et les violences qui affligent notre monde. Tant de guerres et tant d’injustices qui nous laissent désemparés devant les déserts de l’aventure humaine, où l’amour n’est pas toujours aimé, où la justice et la paix se font douloureusement attendre, alors que nous aimerions tellement que le Christ, le Prince de la Paix, affirme sa royauté et sa toute-puissance.

Il est donc légitime d’entendre les sarcasmes de nos contemporains et de se demander avec eux si le monde a vraiment changé depuis cette nuit de Bethléem. Est-ce que la venue du Christ a véritablement transformé la face de notre terre?

Nous ne savons pas comment aurait évolué notre monde si Jésus n’était pas venu, mais une chose est indéniable, la suite du Christ a transformé radicalement la vie d’une multitude de femmes et d’hommes depuis la venue du Christ. Ils ont pris sur eux-mêmes, au nom de l’évangile et de leur foi, de transformer cette terre, d’inaugurer des relations de paix, de justice et de miséricorde, partout où ils vivaient, et souvent jusqu’à donner leur vie.

On pourrait nommer ici les grandes figures de l’Église, ces saints et ces saintes qui nous sont si chers, mais je pense aussi à tous ces chrétiens anonymes qui se consacrent tous les jours au service des plus pauvres et des malades, qui luttent pour la justice et la dignité humaine. Je pense à toutes ces mères et à tous ces pères qui initient leurs enfants aux valeurs de l’évangile, leur apprenant la grandeur du don de soi et du partage, l’importance d’être bon, d’être juste, d’être droit. Je pense à tous ces consacrés, à tous ces prêtres, à tous ces religieux et religieuses qui ont voué leur vie au Christ, et qui, souvent, bien humblement, se mettent au service des plus pauvres dans les lieux les plus reculés de la terre.

Des germes de paix et de justice sont nés dans le sillage de ces millions de témoins à travers les siècles, et ce, jusqu’à ce jour. Ils ont cru à la venue du Fils de Dieu en notre monde, ils ont accueilli son Esprit de sainteté et, par leur vie engagée, ils ont préparé la route du Seigneur, comme nous y invite Jean Baptiste aujourd’hui. Ils n’ont pas eu peur des jours sombres et des lendemains qui déchantent, car ils savaient bien qu’ils n’étaient pas seuls dans leur combat. C’est à cette espérance que le temps de l’Avent nous convie.

«Convertissez-vous!», nous dit Jean Baptiste. Conformez votre vie à cette espérance qui est capable de soulever le monde, et qui a pour nom Jésus Christ. Car le Christ, par le don de son esprit, vient établir son Royaume de paix et de justice, en suscitant des relations nouvelles entre les personnes, transformant les cœurs les plus endurcis en cœurs aimants et miséricordieux. Jésus est ce Messie et ce roi pacifique qu’annonçaient les prophètes, et chaque fois qu’un cœur s’ouvre à lui et tend la main au prochain, on peut alors voir le loup habiter avec l’agneau, le léopard coucher près du chevreau, et le lion manger de l’herbe avec le bœuf. Et c’est ainsi que se réalise la prophétie d’Isaïe.

Frères et sœurs, la Parole de Dieu ne nous propose pas une espérance à la petite semaine, une espérance facile et béate. Elle est profonde comme la mer cette espérance, à l’image de la connaissance du Seigneur qui nous est promise par le prophète Isaïe. Cette espérance est de tous les combats, de toutes les luttes, et c’est elle qui nous rend capables de nous engager, de nous aimer les uns les autres, de changer nos cœurs, de recommencer quand tout s’écroule.

C’est cette espérance têtue et obstinée que nous demandons au Seigneur de renouveler en nous en ce temps de l’Avent, afin qu’il nous trouve fidèles et en tenues de service quand il viendra. Amen.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs