Homélie pour le 31e dimanche. Année C

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 19,1-10.
En ce temps-là, entré dans la ville de Jéricho, Jésus la traversait.
Or, il y avait un homme du nom de Zachée ; il était le chef des collecteurs d’impôts, et c’était quelqu’un de riche.
Il cherchait à voir qui était Jésus, mais il ne le pouvait pas à cause de la foule, car il était de petite taille.
Il courut donc en avant et grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui allait passer par là.
Arrivé à cet endroit, Jésus leva les yeux et lui dit : « Zachée, descends vite : aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison. »
Vite, il descendit et reçut Jésus avec joie.
Voyant cela, tous récriminaient : « Il est allé loger chez un homme qui est un pécheur. »
Zachée, debout, s’adressa au Seigneur : « Voici, Seigneur : je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus. »
Alors Jésus dit à son sujet : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham.
En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »

COMMENTAIRE

Ce récit pose avec acuité la question de la conversion. Dans l’évangile nous voyons un homme du nom de Zachée qui s’interroge au sujet de Jésus, et une chose semble évidente, il ne cherche pas simplement à voir Jésus, tel un spectateur qui contemplerait un défilé traversant la ville.

Si Zachée monte dans le sycomore, c’est qu’il veut en connaître davantage au sujet de ce Jésus. À n’en pas douter, il est fasciné par sa personne. La réputation de Jésus l’a sûrement précédé dans cette petite ville de Jéricho et, à n’en pas douter, il a la réputation d’un homme de Dieu, d’un prophète. Voyez la foule qui l’acclame ! De plus, Zachée a sûrement entendu parler du bon accueil que Jésus fait aux pécheurs et aux publicains, lui qui en est un. Un profond désir de changement semble l’animer, et Zachée semble se dire : « Et si c’était vrai qu’il fait bon accueil aux gens comme moi ! » Et le voilà qui monte dans le sycomore.

Nous, chrétiens et chrétiennes, quand nous parlons d’évangélisation, nous souhaitons avant tout faire connaître Jésus, donner le goût à tous ceux et celles qui ne le connaissent pas encore de monter dans le sycomore afin de mieux le voir et ainsi l’accueillir dans leur maison. Car nous le voyons bien dans notre récit, qui que nous soyons, Jésus n’éprouve aucune gêne, aucune aversion à entrer chez qui que ce soit, même chez les pécheurs les plus endurcis. Il s’invite surtout chez eux, car Jésus nous révèle que Dieu sait voir au-delà de nos péchés, et qu’il nous donne son Fils afin, qu’avec lui, nous menions le bon combat contre le mal. C’est pourquoi dans notre première lecture, il est dit au livre de la Sagesse : « Tu fermes les yeux sur leurs péchés pour qu’ils se convertissent. »

Au cœur de ce récit de la conversion de Zachée, il est bien sûr question du péché. Sûrement que les passages de nos eucharisties où il est question du péché ne vous laissent pas indifférents. Parfois, n’avons-nous pas l’impression que l’on parle trop du péché en Église, comme une obsession qui nous caractériserait ? Et il est juste de dire que ce danger existe et qu’il est souvent lié à une conception d’un Dieu juge et sévère. Que l’on pense aux personnes qui vivent constamment dans le scrupule, ayant toujours peur d’offenser Dieu.

Par ailleurs, on ne peut minimiser la présence du mal en notre monde. Il faudrait être aveugle pour ne pas le voir. En ce moment, l’attention des médias est surtout dirigée vers le Moyen-Orient et les atrocités que l’on y commet. Demain, ce sera l’Afrique, l’Europe, l’Asie, ou dans les Amériques. La présence du mal est universelle et c’est pourquoi nos prières eucharistiques insistent autant sur le mal et le péché, car le Christ est venu combattre à nos côtés, nous appelant tout d’abord à éradiquer ce mal en nous-mêmes. C’est ainsi que l’on retrouve les formules suivantes bien connues dans nos eucharisties :

Ainsi, il est dit au moment de la consécration : « Prenez, et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. »

Dans la prière du Notre Père, nous disons à la fin : « Délivre du mal », et le prêtre enchaine en disant : « Délivre-nous de tout mal, Seigneur, et donne la paix à notre temps ; par ta miséricorde, libère-nous du péché. » Pourquoi insister autant : c’est que le mal est intimement lié à nos péchés, à nos manquements, à nos violences, à nos injustices et nous avons besoin d’en être libérés pour être fidèles à notre vocation de fils et de filles de Dieu.

C’est pourquoi lors de la prière pour la paix, nous disons au Seigneur Jésus Christ, « ne regarde pas nos péchés, mais la foi de ton Église. » Et nous insistons au moment de l’Agneau de Dieu en disant : « Seigneur Jésus toi qui enlèves le péché du monde, prends pitié de nous. » Et enfin, au moment de communier, en réponse à la proclamation du prêtre qui nous dit, montrant le pain consacré : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », nous répondons : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dit seulement une parole et je serai guéri. » Et le Christ vient alors prendre son repas avec nous. C’est la communion !

Comme nous pouvons le constater, les notions de mal et de péché occupent une place importante dans nos eucharisties, et l’histoire de Zachée peut nous aider à comprendre pourquoi, parce que cette histoire illustre à merveille ce que la rencontre du Christ peut provoquer dans une vie.

Tout d’abord, Zachée se met en route, il grimpe dans le sycomore, il veut mieux voir Jésus, mieux le connaître, et Jésus ne le déçoit pas, bien au contraire, il répond à son attente en s’invitant chez lui. Mais pour cela, il faut redescendre du sycomore, comme le fait Zachée, et répondre à la demande insistante de Jésus qui veut prendre son repas avec nous, et nous introduire ainsi dans l’intimité de son amour. L’on assiste alors à un revirement inattendu chez ce publicain, cet homme détesté de ses concitoyens. À la surprise générale, il reconnaît ses fautes, il prend conscience de son péché en présence de Jésus, et il s’engage à réparer tous les torts commis.

Remarquez que la liste de ces torts se rapporte uniquement au prochain : « Je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens, dit Zachée, et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus. » Sa générosité au contact de Jésus semble tout à coup sans borne !

C’est que la conversion nous tourne non seulement vers Dieu, mais elle est aussi de l’ordre d’une grâce fraternelle, où le prochain est enfin reconnu pour qui il est. Nous le voyons alors avec les yeux mêmes de Jésus quand il dit de Zachée qu’il est lui aussi un fils d’Abraham. Cette amitié avec le Christ, comme Zachée en fait l’expérience, nous amène alors à poser ce même regard de bienveillance et de miséricorde sur les autres. C’est là la grâce de la conversion. C’est se tourner vers celui à qui nous disons dans l’eucharistie : « Toi qui enlèves le péché du monde, prends pitié de nous. »

Frères et sœurs, se convertir, c’est prendre une autre direction, c’est se laisser déraciner pour être mieux ré-enraciné dans l’amour. Et elle est de tous les jours la conversion. C’est ce qui fait dire à Jésus, chaque fois que nous nous approchons de lui et que nous entrons dans cette dynamique du pardon et de la réconciliation : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour ta (cette) maison ! Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » Que ce soit là notre joie et notre consolation.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 29e dimanche. Année C

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 18,1-8.
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager :
« Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes.
Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : “Rends-moi justice contre mon adversaire.”
Longtemps il refusa ; puis il se dit : “Même si je ne crains pas Dieu et ne respecte personne,
comme cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.” »
Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice !
Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre ?
Je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice. Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

COMMENTAIRE

La parabole de la veuve et du juge, que la tradition appelle le juge inique, se retrouve entre deux affirmations de Jésus sur la foi et la prière. Le récit se termine avec cette question de Jésus : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » C’est là un enjeu qui nous concerne en tout premier lieu, et c’est une mise en garde qui nous est faite, alors que le début de l’évangile apporte déjà une réponse à cette question de Jésus quand il dit : « qu’il faut toujours prier sans se décourager », sans baisser les bras comme le fait Moïse dans notre première lecture, sans nous laisser entraîner par le doute, par les maîtres du soupçon. La parabole de la veuve nous est donc présentée comme le modèle du priant dans sa persévérance, dans son entêtement à demander sans relâche, sans se décourager.

Bien sûr, cela soulève toute la question de l’exaucement, de la manière dont Dieu répond à nos prières, prières qui ressemblent souvent à des bouteilles jetées à la mer et dont la réponse se fait attendre. Mais il est bon de se rappeler que la prière comporte une composante fondamentale qui dépasse infiniment cette question de l’exaucement à tout prix.

C’est pourquoi, à la lumière de cet évangile, j’aimerais vous proposer une méditation sur la prière que j’ai intitulée Le temps que l’on prend pour prier, m’inspirant d’une chanson de notre poète national Gilles Vigneault, qui a ces vers magnifiques dans sa chanson Gens du pays :

Le temps que l’on prend pour dire : « Je t’aime »
C’est le seul qui reste au bout de nos jours
Les vœux que l’on fait, les fleurs que l’on sème
Chacun les récolte en soi-même
Aux beaux jardins du temps qui court.

J’aurais pu aussi donner comme titre à cette homélie : « Le temps que l’on prend pour dire je t’aime ». N’est-ce pas là le sens profond de toute prière chrétienne, et c’est une grâce qu’il faut sans cesse demander que de faire l’expérience de la prière sous ce mode de l’amour, de se savoir aimé de Dieu, et d’entrer mystérieusement dans cet amour par la prière.

Je me permets une référence personnelle ici. Quand j’ai rencontré le comité d’admission pour faire mon noviciat dans l’Ordre des Prêcheurs, j’avais alors 35 ans, un frère m’a demandé pourquoi je voulais devenir religieux et je n’ai pu que lui répondre : « Parce que j’aime Dieu. » C’est la réponse qui me semblait la plus vraie, la plus sincère. Et elle le demeure aujourd’hui. Oui, j’aime Dieu, j’aime sa création, et j’aime l’extraordinaire destinée qui est la nôtre. Est-ce là une originalité ou quelque chose qui semble incroyable ? Écoutons un passage du Shema Israël, la profession de foi de tout israélite :

« Écoute Israël, l’Éternel est notre Dieu. L’Éternel est Un. Béni soit à jamais le nom de son règne glorieux ! Tu aimeras l’Éternel ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes facultés. Que ces paroles que je te prescris aujourd’hui restent gravées dans ton cœur. »

Je ne voudrais pas que vous vous imaginiez que je vis sur les hauts sommets de la prière. J’aime la prière, j’aime Dieu, mais je sais d’expérience que le but de la prière ce ne sont pas les consolations. La prière est souvent de l’ordre de la nuit, de l’absence de sentiments ou de consolations, et pourtant Dieu n’y est pas moins présent. Il faut accueillir ces « nuits » avec une fidélité têtue et quotidienne, car c’est alors que nous touchons le sommet de la prière. Dieu, qui n’est pas chiche, donne à son heure, avec surabondance, selon nos besoins, selon nos saisons.

Mais quelle que soit la manière dont nous vivons notre vie de prière, il y a une réalité sous-jacente qui est pour tous : nous sommes tous appelés à aimer Dieu et à nous laisser aimer de lui. Ce n’est pas là une grâce pour quelques mystiques avertis. L’amour de Dieu est le cœur de la prière et toute action liturgique, toute prière personnelle, nous fait entrer dans cet amour, dans une proximité avec Dieu, qui est de l’ordre d’une relation personnelle, d’une relation bien vivante, et qui engage toutes les fibres de notre être, de notre intimité la plus secrète. C’est un amour infini qui nous appelle et « c’est parce que Dieu est infini, dira saint Augustin, que l’on doit continuer à le chercher après l’avoir trouvé. »

La prière est le défi de toute une vie et le temps que l’on prend pour dire je t’aime est le seul qui reste au bout de nos jours, comme le dit si bien Gilles Vigneault. Quand tout aura été dit de nos vies, quand nous serons parvenus au terme de la mission et de l’état de vie que le Seigneur nous aura confiés, il ne restera que cette petite flamme d’amour et de fidélité qui brillera dans nos cœurs et que Dieu reconnaîtra. La prière est l’huile précieuse de cette flamme qui doit briller dans la nuit, cette flamme qui est notre foi en Dieu et en son Fils unique Jésus Christ.

Tout au long de notre vie, la prière sera notre guide, notre pain pour la route, la lampe sur nos pas, notre consolation dans l’épreuve, et notre joie quotidienne.

Sainte Thérèse d’Avila disait: « Prier veut dire frayer avec Dieu en ami. » Charles de Foucauld lui, disait : « Prier c’est penser à Dieu en l’aimant. » C’est pourquoi il nous faut prier sans cesse, sans jamais nous décourager, sans jamais baisser les bras, car Dieu le premier nous a aimés. Et c’est pourquoi Jésus nous fait cette promesse solennelle dans l’évangile quand il nous dit : « Dieu ne fera-t-il pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit. »

C’est avec cette conviction que nous célébrons l’eucharistie, levant les bras ensemble vers le Seigneur. Amen.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs.

Homélie pour le 28e dimanche. Année C

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 17,11-19.
En ce temps-là, Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la région située entre la Samarie et la Galilée.
Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à distance
et lui crièrent : « Jésus, maître, prends pitié de nous. »
À cette vue, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. » En cours de route, ils furent purifiés.
L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix.
Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c’était un Samaritain.
Alors Jésus prit la parole en disant : « Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Les neuf autres, où sont-ils ?
Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! »
Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. »

COMMENTAIRE

La liturgie de la Parole est tout particulièrement adaptée à cette fête de lAction de grâce. Mais rendre grâce cest bien plus que se réjouir ou dire un simple merci. Cest aussi reconnaître lauteur de la vie à travers ses bienfaits et entrer dans cette dynamique de louange et dadoration dont un Samaritain nous donne lexemple dans l’évangile.

Dans ce récit, nous voyons Jésus marcher vers Jérusalem, cette ville où lon tue les prophètes. Sur sa route, dix lépreux savancent vers lui, tout en se tenant à distance, car leur maladie les rend impurs. Ils implorent la pitié de Jésus afin d’être guéris. On le sait bien par les évangiles, Jésus est le témoin de la compassion de Dieu. Il guérit, il pardonne, il ramène à la vie, et devant ces lépreux qui crient leur misère, Jésus est saisi de pitié. Il les envoie donc se montrer aux prêtres du Temple sans avoir même posé un seul geste, cest chemin faisant que les dix lépreux seront guéris.

Mais pourquoi se montrer aux prêtres ? Cest que seuls ces derniers pouvaient attester de la guérison d’un lépreux et ainsi confirmer sa réadmission dans la société dont il était banni à cause de sa lèpre. Le premier souci de Jésus est donc que ces lépreux puissent vivre en hommes libres au cœur de la cité.

C’est dans la foi et animés d’une folle espérance que ces hommes se dirigent vers Jérusalem, mais alors qu’ils sont guéris en route, un seul dentre eux revient vers Jésus. Il sagit dun Samaritain que tout sépare des Juifs et de leur religion. Pourtant, il est le seul à se prosterner devant Jésus en glorifiant Dieu à pleine voix. Sa foi en Jésus devient l’occasion de l’affirmation d’une grande nouveauté en Israël. Désormais, pour rendre gloire à Dieu, ce nest plus vers le Temple de Jérusalem quil faudra se tourner, mais vers Jésus lui-même.

Il est difficile de juger les autres lépreux, mais Jésus semble déçu de leur attitude. Cest comme sils avaient accueilli leur guérison sans aller au cœur de cette expérience, comme s’ils étaient restés en surface. Lheure de Dieu est passée et ils nont pas véritablement accueilli celui qui les visitait. Ils se sont attachés davantage à ses dons, quau sens de lappel qui leur était fait à travers cet évènement de leur guérison. Et c’est là un danger qui nous guette nous aussi.

Mais il y a un aspect de ce récit qui est quand même intrigant. Ce Samaritain fait partie d’un groupe de lépreux où il y a neuf Juifs. Comme si le malheur avait fait de ces dix hommes des compagnons dinfortune, solidaires dans leur malheur, alors que le plus lointain d’entre eux va devenir un modèle de foi pour les autres. Frères et soeurs, il y a de ces solidarités imprévues dans la vies qui préparent le terrain à des découvertes merveilleuses, des rencontres qui vont changer nos vies.

Plus que jamais nos sociétés sont devenues des carrefours où se rencontrent des personnes dhorizons des plus divers. Elles viennent à nous avec un regard différent sur le monde, un regard capable de nous aider à voir notre monde avec des yeux neufs. Ces personnes nous apportent leur musique, leurs coutumes, leur cuisine, leur art, leur foi en Dieu, leur joie de vivre, lamour de leurs proches, sans oublier leur contribution à leffort commun de bâtir ensemble une société meilleure.

Le pape François soulignait au tout début de son pontificat le danger dune Église repliée sur elle-même, atteinte du syndrome quil appelle « lauto-référencement », c’est-à-dire une attitude par laquelle certains chrétiens vivraient en vase clos, où le pur et limpur du pharisaïsme reprendrait ses lettres de noblesse, en excluant ceux et celles qui ne sont pas des nôtres. Les dix lépreux de notre évangile représentent en quelque sorte tous les exclus du monde, alors que Jésus nhésite pas à se faire proche deux, à les guérir et à les réintroduire dans la cité. Qu’en est-il de nous ?

Elle est loin l’époque où nous formions une société tricotée-serrée où l’étranger était une bête rarissime, et où lexclusion « des autres », si différents de nous, allait de soi. Même si cette méfiance n’a pas complètement disparu, notre démographie connaît une véritable révolution alors quun pourcentage de plus en plus grand de familles québécoises, une sur dix selon les dernières statistiques, compte au moins un membre qui provient dun autre pays.

Nous connaissons tous des couples où lun des conjoints vient dailleurs. Combien denfants adoptés à l’étranger qui grandissent dans nos familles, de vrais petits Québécois, sans oublier le phénomène de limmigration et des réfugiés que nous accueillons chaque année!

Pour reprendre l’image évocatrice de l’évangile et nous l’appliquer à nous aujourd’hui, je dirais qu’à lentrée du village global où nous marchons avec Jésus, une foule bigarrée et de toutes provenances nous attend. Et quand le prêtre ou le diacre, à la fin de nos eucharisties, nous dit : « Allez dans la paix du Christ ! », cela signifie que les portes de nos églises ne sont pas faites uniquement pour quon y entre, ou pire encore, pour qu’on les ferme, mais qu’elles sont surtout faites pour quon en sorte avec le Christ, porteurs de sa paix et de sa miséricorde. Nos célébrations n’ont pas d’autres finalités que celle-là !

Frères et sœurs, la bonne nouvelle de ce dimanche nous redit que la suite du Christ est un appel à vivre comme des hommes et des femmes éveillés, à l’écoute des moindres signes du Seigneur dans nos vies comme le Samaritain de l’évangile. Cest cette foi qui purifie véritablement et qui sauve, et qui fait ainsi monter en nos cœurs cette louange qui nous fait dire à Dieu combien nous laimons, qui nous fait ladorer, qui se fait action de grâce pour cette vie de Dieu qui nous est donnée en partage. Tel est le sens de notre action de grâce en ce dimanche. Amen.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 27e dimanche T.O. Année C

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 17,5-10.
En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! »
Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous aurait obéi.
« Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : “Viens vite prendre place à table” ?
Ne lui dira-t-il pas plutôt : “Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour” ?
Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ?
De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir.” »

COMMENTAIRE

Il vous est sans doute arrivé un jour de remettre Dieu en question, de douter ou même de perdre la foi. Tout cela fait partie des chemins qui nous mènent vers Dieu, même si parfois ils s’en écartent. La foi en Dieu tout en étant capable de transformer nos vies, de changer complètement notre regard sur le monde, cette foi demeure fragile, elle est comme une jeune pousse qui a constamment besoin d’être entretenue, arrosée, émondée.

C’est lorsque l’épreuve frappe à notre porte que nous sommes tentés de questionner Dieu, tentés de le faire comparaître devant le tribunal de notre indignation afin qu’il se justifie. Secrètement, nous faisons notre le cri des contradicteurs de la foi d’Israël, que reprend le psalmiste dans l’un de ses psaumes, quand il écrit : « Où est-il ton Dieu ? » C’est ce cri qui trouve son écho chez le prophète Habacuc dans notre première lecture. C’est la même détresse, la même supplication qui monte aux lèvres des opprimés, des souffrants, des malheureux à travers les siècles. Habacuc reprend la plainte d’Israël dont la survie est menacée par des rois ennemis : « Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? »

Nous le savons, le plus grand des défis que la foi en Dieu doit affronter, c’est le silence de Dieu quand le malheur frappe. Jésus lui-même en a fait l’expérience à Gethsémani quand il s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » En fait, Jésus reprend ici le cri d’un psaume qui a comme conclusion une remise totale de sa personne entre les mains du Père : « Père, non pas ma volonté, mais la tienne. » Cette prière d’abandon est la plus difficile qui soit, car elle implique l’acceptation de ce que l’on ne peut changer, alors que l’on voudrait que Dieu intervienne, qu’il change le cours des événements qui nous frappent de plein fouet.

Alors, qu’est-ce que Dieu attend de nous ? Et que pouvons-nous attendre de lui ? Pour illustrer mon propos, j’aimerais parler ici d’Etty Hillesum, cette jeune juive assassinée à Auschwitz en 1943. Une jeune convertie qui a des réflexions renversantes au sujet de Dieu. Au cœur de sa détresse et des persécutions qui frappent son peuple, Etty est convaincue que Dieu ne peut intervenir et empêcher comme d’un coup de baguette magique le drame qui se déroule autour d’elle, soit l’extermination systématique de tout un peuple à l’échelle de l’Europe.

Etty, à la lumière de sa foi toute jeune, mais combien lumineuse, est convaincue que c’est à nous d’aider Dieu, que Dieu veut avoir besoin de nous. Mais pour y parvenir, dit-elle, il faut le laisser habiter en nous. « Un peu de toi en nous mon Dieu », écrira-t-elle dans son journal. Etty a cette vive conscience que la force intérieure qui peut nous donner le courage d’affronter la vie et ses tempêtes ne peut que nous venir de Dieu. Qu’il est lui le véritable artisan de nos courages, de nos redressements, de nos recommencements ! « Un peu de toi en nous mon Dieu »

On est tout proche ici de ce qu’affirme le prophète Habacuc quand il dit que le juste vivra par sa fidélité. C’est là une condition indispensable pour bien vivre sa foi, qui est de s’attacher à Dieu envers et contre tout, de mettre toute sa confiance en lui, tout en sachant que cela n’a pas pour but de nous mettre à l’abri des épreuves, même si c’est là notre désir le plus profond. La foi en Dieu nous aide surtout à mieux assumer nos vies d’hommes et de femmes, et ainsi affronter la vie et ses tempêtes avec la force de Dieu, tout en sachant aussi gouter les plages ensoleillées de l’existence avec une vive reconnaissance pour celui qui en est l’auteur.

À la demande des apôtres d’augmenter leur foi, Jésus répond : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer, et il vous aurait obéi. »

La mer dans la bible est un lieu dangereux, symbole du doute, du péché et de la mort. C’est ainsi que Jésus dans les évangiles va marcher en vainqueur sur les eaux de la mer déchaînée. Jésus parle donc de planter un arbre dans cette mer. L’image de l’arbre est parfois employée dans la Bible pour signifier le fidèle qui met sa confiance en Dieu. Le psalmiste nous dit qu’il ressemble à un arbre verdoyant planté près d’un cours d’eau, et qui porte du fruit en sa saison.

L’analogie surréaliste de Jésus prend alors tout son sens : si nous avons vraiment la foi, pas une foi qui calcule, ni une foi qui cherche son intérêt, mais simplement la foi qui nous fait nous donner à Dieu, qui fait confiance, et bien cette foi, nous dit Jésus, elle est capable de nous donner la force de nous planter comme un mât de bateau dans la mer au cœur de la tempête.

Malgré toutes ces considérations, est-ce que cela veut dire qu’on ne souffre pas quand on est chrétien ? Qu’on n’est pas saisi de vertige devant la peine et la douleur ? Bien sûr que non ! Mais Dieu sera toujours l’appui le plus sûr, l’ami le plus fidèle que nous ayons pour affronter l’épreuve.

En guise de témoignage, voici ce que m’écrivait une correspondante un jour, en me parlant de son quotidien vécu à la lumière de sa foi en Dieu :

« La foi, m’écrivait-elle, c’est Jésus toujours à mes côtés pour me soutenir et me redonner courage quand j’ai envie de baisser les bras. La charité : c’est elle qui me permet de servir et accompagner la fin de vie de mon époux de 86 ans atteint de la maladie d’Alzheimer, avec amour après plus de 56 ans de vie commune. L’espérance ! Elle me fait espérer l’accueil miséricordieux de ce Dieu plein d’amour, auquel je crois, où nous serons définitivement réunis dans la paix. »

Frère et sœurs, lorsque nous laissons la foi prendre racine en nous, comme cette petite graine de moutarde dont parle Jésus, elle a ce pouvoir de nous conduire à l’amour, et l’amour nous conduit à la source de tout amour qui est Dieu. Comme le dit saint Paul à Timothée, « ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force et d’amour », qui nous rends vainqueurs avec Christ, et ce, à tous les âges de la vie.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs