« J’étais étranger et vous m’avez accueilli. »

Le frère qui s’occupe du bulletin de liaison de notre province dominicaine du Canada m’a fait la demande suivante :

« Dans ton expérience pastorale, te souviens-tu avec joie d’un événement intéressant qui illustre que la Parole de Dieu est Bonne Nouvelle de Dieu pour les hommes d’aujourd’hui? »

Pendant des semaines je me suis creusé les méninges, me demandant ce que je pouvais bien raconter afin de répondre à cette demande un peu inusitée. Non pas qu’il soit difficile de parler de la manière dont des vies sont transformées par la foi en Dieu, mais de faire le lien entre un événement et une parole biblique spécifique… Je me trouvais fort embêté lorsqu’un bon matin m’est revenu ce souvenir. J’avais trouvé! Voici donc l’article que j’ai fait parvenir à ce frère.

Alors que j’étais responsable d’une troupe de théâtre chrétienne à l’Université de Montréal, notre troupe, composée d’une cinquantaine d’étudiants, avait monté une pièce portant sur la problématique des réfugiés illégaux au Canada. La pièce mettait en scène un groupe de jeunes en excursion qui faisait la rencontre en forêt d’un jeune couple d’Amérique centrale, en fuite, cherchant refuge dans notre pays. La préparation de cette pièce nous avait amenés à méditer l’enseignement de Jésus où il dit à ses disciples : « J’étais étranger et vous m’avez accueilli ». Nous ne nous doutions pas alors jusqu’où cette parole nous conduirait.

Au même moment, les médias parlaient abondamment du cas d’une famille de réfugiés somaliens qui avait été refoulée par notre gouvernement fédéral vers Plattsburgh, et qui était menacée par le gouvernement des États-Unis de déportation vers la Somalie en guerre. Notre spectacle rejoignait ainsi l’actualité et il connut un bon succès. Tous les membres de la troupe semblaient satisfaits, sauf une comédienne qui demanda à me voir à mon bureau. Elle s’appelait Esther; c’était une jeune Juive se disant « sans foi ni loi ». Elle se planta bien droit devant moi et me dit d’un ton assuré : « C’est bien de présenter une pièce sur le drame des réfugiés, mais la famille Guelhes est menacée de déportation. Tout le monde en parle. Est-ce que notre troupe a l’intention de faire quelque chose? » Une Somalienne de 21 ans et ses deux petits frères de quatorze ans et douze ans se trouvaient complètement abandonnés par nos gouvernements. Esther avait raison : il fallait faire quelque chose. Nous nous sommes donc entendus pour mobiliser nos membres, et la troupe accepta avec enthousiasme le défi qu’Esther nous proposait.

La suite est bien connue si vous avez suivi l’actualité de cette époque (printemps 1991). Nous avons entrepris une campagne en faveur des Guelhes en sensibilisant familles et amis, en approchant des politiciens et les médias. Nous avons organisé des manifestations, sensibilisé les communautés chrétiennes, nous avons même fait circuler une pétition à l’université. Deux mois plus tard, le gouvernement provincial donnait enfin son accord d’accepter les Guelhes en tant qu’immigrants reçus!

Je partis aussitôt pour Plattsburgh afin d’aller chercher les Guelhes et les amener au consulat canadien de New York. Nos sœurs dominicaines de la Congrégation romaine à New York nous accueillirent, le temps d’effectuer les démarches nécessaires afin de mettre en règle les papiers de nos réfugiés. Trois jours plus tard, les visas étant entre nos mains, nous repartions vers la frontière canadienne où nous attendaient Esther, une meute de journalistes, ainsi que plusieurs membres de la troupe. Ce soir-là, nous avons fêté cette victoire inespérée, à travers laquelle notre pièce de théâtre trouvait en quelque sorte son véritable dénouement; une victoire où l’évangile nous avait entraînés beaucoup plus loin que nous ne l’aurions imaginé au moment de monter cette pièce de théâtre : « J’étais étranger et vous m’avez accueilli. »