Homélie pour la fête de saint Thomas d’Aquin

Image

« J’ai prié et l’intelligence m’a été donnée. J’ai supplié et l’esprit de la sagesse est venue en moi ». Cet extrait du livre de la Sagesse (Sg 7, 7) nous situe sans doute au cœur même de la vie de frère Thomas d’Aquin. Lui qui a si bien parlé du mystère de la foi tout au long de sa vie et qui pourtant, au terme de son parcours sur terre, considère ses enseignements comme de la paille. Frère Thomas se voit alors comme le plus humble des frères et il ne peut que se taire devant le mystère qu’il a tellement cherché à comprendre.

Frère Thomas était un mystique, qui donnait toute sa valeur à cette affirmation d’un Père de l’Église qui affirmait que « le théologien est quelqu’un qui prie, et celui qui prie est un théologien ». Avant d’être un théologien, frère Thomas était un simple croyant, un priant, un amant de Dieu. D’ailleurs, l’on n’est pas étonnés de voir des femmes comme Catherine de Sienne ou Thérèse de Lisieux, des femmes sans beaucoup d’instruction,  porter le même titre que ce grand intellectuel, soit celui de docteur de l’Église. Dieu se donne à tous ceux et celles qui le cherchent et il nous rend capables de le trouver.

Thomas l’affirmait : la grâce agit en nous comme une (sur) nature, comme un mouvement intérieur qui nous soutien et nous fait rechercher le bien, le vrai, l’amour, qui nous fait trouver Dieu! Cette grâce est un dynamisme qui nous rend capables d’une véritable communion avec Dieu et qui est offerte à tous, sans distinction, ou s’il fallait en faire une, il faudrait dire qu’elle est offerte aux plus petits et aux plus humbles.

Cette grâce n’est pas une question d’intelligence. Elle est avant tout affaire de volonté. Notre volonté de nous attacher à Dieu afin de mieux le connaître et ainsi mieux l’aimer. C’est cette attitude de désir qui permet à Dieu d’agir en nous et de faire de nous, des docteurs de l’Église, des saints et des saintes, de ces «priants théologiens », de ces croyants bien ordinaires, qui cheminent avec leurs doutes et leurs luttes, et dont Dieu se fait tout proche.

« J’ai prié et l’intelligence m’a été donnée. J’ai supplié et l’esprit de la sagesse est venu en moi ».  Saint Thomas, le premier, était conscient que la contemplation à laquelle il se livrait, par le biais du travail intellectuel et de la prière, avait comme principe de connaissance, l’amour de Dieu. D’ailleurs, il l’affirmait dans l’un de ses sermons : « Manifestement, tous ne peuvent passer leur temps en de laborieuses études. Aussi le Christ nous a donné une loi que sa brièveté rend accessible à tous et qu’ainsi, nul n’a le droit d’ignorer : c’est la loi de l’amour divin ». C’est de cette loi dont ont vécu les grands docteurs de l’Église, et qui est la source même de toute vie spirituelle.

L’Église nous propose comme modèle un personnage qui est très important pour l’Ordre des Prêcheurs et pour l’Église. Et bien sûr, nous sommes fiers de son génie et de son œuvre. En invoquant Thomas d’Aquin, on ne peut oublier à quel point la recherche de Dieu et de la vérité demande un travail acharné, où, sans cesse, l’intelligence doit se mettre au service de la foi. Mais l’on n’aurait rien saisi du mystère de ce docteur de l’Église, et lui même nous le reprocherait, si l’on ne voyait pas tout d’abord en lui l’homme de foi, l’humble frère qui, un jour, attacha ses pas à ceux du Christ et consacra toute sa vie à la recherche de la vérité. 

Homélie pour le 3e Dimanche du Temps Ordinaire. Année C.

> 1ère lecture : Le peuple de Dieu redécouvre la Parole (Ne 8, 1-4a.5-6.8-10)
> Psaume : Ps 18, 8, 9, 10, 15 R/ La joie du Seigneur est notre rempart
> Evangile : Prologue de Saint Luc — « Aujourd’hui, s’accomplit la Parole » (Lc 1, 1-4; 4, 14-21)

Mise en situation

Imaginez une vieille maison à la campagne. Vous êtes chez vos grands-parents. Vous montez au grenier et là il y a le vieux coffre à souvenirs. Vous l’ouvrez et vous en faites l’inventaire. Photos de mariage du grand-père et de la grand-mère, photos des enfants, une généalogie, des lettres d’amour que grand-père et grand-mère s’écrivaient secrètement pendant leurs fiançailles, le sermon de leur mariage, quelques prières composées pour les grands moments de leur vie, un ancien bail, des souvenirs de voyages, cartes postales, photos de familles, les plans de la première maison, un voile de mariée,  un poème offert par les enfants lors de leur cinquantième anniversaire, etc. Vous découvrez dans ce coffre l’histoire d’un couple, c’est le coffre à trésor d’une belle histoire d’amour qui en dépit du temps semble garder toute sa fraîcheur.

 En ce dimanche, la liturgie à sa façon nous invite à ouvrir notre propre coffre. Nous aussi en tant qu’Église nous vivons une histoire d’amour et notre coffre à souvenir c’est le livre de la Parole, c’est la Bible. C’est une bibliothèque de 73 livres qui raconte la merveilleuse histoire de nos ancêtres dans la foi : il y a là des livres d’histoires, des poèmes, les plans de construction du Temple, des paroles de Sagesse, les messages des prophètes et enfin le témoignage de ceux qui ont connu Jésus-Christ. Ces livres sacrés, qui n’en forment plus qu’un seul pour nous, doivent sans cesse être redécouverts par les chrétiens. C’est pourquoi chaque dimanche ils sont proclamés dans notre assemblée.

La Parole de Dieu est centrale dans notre vie de foi. Mais alors pourquoi nous laisse-t-elle si souvent indifférentes ? Souvent, l’on quitte l’assemblée du dimanche sans trop nous rappeler ce qui a été lu. L’habitude? Sans doute. D’où l’importance de nous rappeler de temps en temps le sens de cette Parole de Dieu que nous proclamons afin de mieux nous l’approprier, de mieux l’entendre. Il y a des conditions objectives pour l’accueillir. Il faut avoir les oreilles et le cœur bien ouvert. Savoir l’accueillir dans une attitude de respect et d’écoute. Savoir demander à Dieu que cette Parole m’atteigne au plus profond de moi-même, car c’est lui qui me parle.

Notre Dieu Parle

La Parole de Dieu est avant tout un fait d’expérience dans la Bible. Dieu parle, il parle directement à des personnes privilégiées. L’on songe ici à Abraham, à Moïse, aux divers prophètes. À la charnière de l’A.T et du N.T. il y a Marie, les Apôtres, saint Paul et si l’on fait un saut dans le temps, il y a nous tous ici rassemblés. La manière dont Dieu s’adresse à nous peut varier, elle est adaptée à chacun. Dans la Bible, l’on nous rapporte que Dieu s’est adressé à des personnes par des visions ou des songes, par une inspiration intérieure, ou encore bouche à bouche comme pour Moïse. Parfois cette parole se manifeste sous forme de préceptes, d’enseignement de sagesses. Mais une chose est certaine, tous les prophètes ont conscience que Dieu leur parle.

Notre Dieu veut se faire connaître

Ces considérations nous amènent à dégager une deuxième caractéristique de notre Dieu. Notre Dieu est un Dieu qui veut se faire connaître. Si notre Dieu parle, c’est qu’il veut se faire connaître. N’est-ce pas là l’expérience fondamentale de tout parent avec son enfant. S’il cherche à lui apprendre à parler, bien que ce soit là une nécessité de la vie, le père et la mère qui laborieusement veulent amener leur enfant chéri à balbutier ses premiers mots, souhaitent surtout entendre de la bouche de leur enfant : maman, papa. Dans cette expérience de reconnaissance de l’autre est ancrée la nature même de l’expérience de la famille qui est de se situer dans un réseau de vie où les enfants apprennent à devenir humain dans la mesure où ils reconnaissent leurs parents comme des êtres différenciés, des autres par qui passent leur croissance physique, affective et morale. Et Dieu aussi veut se faire connaître, il veut que nous l’appelions Père, car cette vie humaine qui est la nôtre s’enracine dans la sienne, elle vient de lui et elle va vers lui. Donc, Dieu parle pour se faire connaître, pour que grandissent entre lui et nous, l’amour, la communion; pour que nous atteignions notre pleine stature d’enfants de Dieu, que nous devenions des hommes et des femmes responsables!

Serviteurs de la Parole

Pour la tradition judéo-chrétienne, la Parole est action, elle est Verbe, elle fait, elle agit et cette Parole a pour centre la personne de Jésus-Christ. Jésus est le Verbe de Dieu. Et en tant que Verbe, en tant que Fils, il existe dès le commencement. C’est par Lui, Parole créatrice, que tout a été fait ; il est la lumière qui luit dans les ténèbres pour apporter la connaissance de Dieu. Il est la parole de sagesse dans l’A.T. Et ce Verbe entre ouvertement dans l’histoire humaine en prenant notre chair, en devenant l’un des nôtres.

La Parole de Dieu nous transforme, elle suscite une nouvelle relation à nous-mêmes et aux autres. Car la Parole de Dieu apporte le salut de Dieu et ce salut de Dieu, c’est la victoire sur le mal. Si la vie vous intéresse, Dieu, en Jésus-Christ, propose à l’humanité un projet de vie, un regard sur notre vie personnelle qui dépasse les espérances humaines les plus folles. C’est pourquoi il faut constamment se nourrir de la Parole de Dieu, car Dieu a beau nous parler dans notre quotidien, dans notre prière, à travers les autres, il nous parle avant tout dans ces pages qui sont une nourriture spirituelle qui vient éclairer notre quotidien, notre prière, nos engagements.

Sois un serviteur de la Parole. Le besoin croît avec l’usage. 

Pour conclure la Semaine de l’unité des chrétiens

Jésus disait à ses Apôtres : « Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi. »

Nous sommes de ceux-là. Nous sommes les héritiers de la prédication des Apôtres de Jésus. Nous croyons à cause de leurs paroles, à cause du témoignage de leurs vies, ainsi que de tous ceux qui leur ont succédé. Nous croyons surtout parce que l’Esprit de vérité a été répandu dans nos cœurs à notre baptême, et il nous a amenés à reconnaître que Jésus a vraiment les paroles de la vie éternelle.

Jésus est le parfait adorateur du Père et seul le Fils de Dieu pouvait nous montrer ce qu’est le cœur de la véritable prière, le sens profond de l’amour de Dieu et du prochain. C’est pourquoi nous proclamons sans cesse en Église, et à la face du monde, que Jésus est véritablement le « resplendissement de la gloire du Père, l’expression parfaite de son être. » Vrai homme, mais aussi vrai Dieu, son amour pour nous ne pouvait pas être un amour de demi-mesure. C’est pourquoi il demande pour nous au Père : « Que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. »

Voilà de désir profond de Jésus, et qui est le désir profond du Père. Jésus est allé au bout du don de lui-même afin que les enfants du Père soient un avec Lui et le Père, uni dans une même communion, uni dans un même amour, uni dans un même Esprit. Comme il est grand le don que Jésus nous fait de lui-même dans son obéissance au Père. Comme il est beau!

C’est pourquoi saint Augustin célèbre le Christ en disant de lui : « Il est beau, le Verbe auprès de Dieu […]. Il est beau dans le ciel, beau sur la terre […]; beau dans ses miracles, beau dans le supplice; beau quand il appelle à la vie et beau quand il ne s’inquiète pas de la mort […]; beau sur la Croix, beau dans le tombeau, beau dans le ciel […].» Oui, le Père se complaît en son Fils, lui en qui il a mis tout son amour, lui qu’il a glorifié en le ressuscitant des morts.

Cette gloire de Jésus, les Apôtres en ont été les témoins privilégiés le matin de Pâques, afin qu’ils parviennent ainsi à cette unité dans la foi et la charité, et qu’ils vivent ainsi dans cette communion qui existe entre le Père et le Fils, et ce pour l’éternité. C’est là l’héritage que Jésus vient nous léguer au nom du Père. L’unité des disciples rend témoignage à cette action puissante de Jésus sur les cœurs, et atteste ainsi qu’il est vraiment l’envoyé de Dieu. « Que leur unité soit parfaite, demande Jésus; ainsi, le monde saura que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. »

Voilà le rêve de Dieu pour nous, un rêve qui comporte bien sûr des exigences, mais surtout une grande joie, car c’est là que se trouve la véritable liberté, puisque cet amour de Dieu est la source de toutes les joies et sur cet amour nous pouvons construire nos vies avec assurance, puisque Jésus lui-même nous y invite. Il nous invite à être un reflet de sa gloire pour notre monde. Comme l’écrivait l’auteur Jacques Breault : « Vivre jusqu’au bout l’Évangile. Rien n’apparaît aujourd’hui plus généreux, et plus inventif ». 

Les chrétiens de France au service des chrétiens d’Orient

Fondée en 1856 par des laïcs, professeurs en Sorbonne, l’Œuvre d’Orient est la seule association française entièrement consacrée à l’aide aux chrétiens d’Orient. Œuvre d’Église, elle est placée sous la protection de l’Archevêque de Paris.

Image

Grâce à ses 100 000 donateurs, elle soutient l’action des évêques et des prêtres d’une douzaine d’Églises orientales catholiques et de plus de60 congrégations religieuses qui interviennent auprès de tous, sans considération d’appartenance religieuse.

L’Œuvre  se concentre sur 3 missions — éducation, soins et aide sociale, action pastorale — dans 22 pays, notamment au Moyen-Orient. Son action s’inscrit dans la durée mais son organisation et ses contacts sur le terrain lui permettent une très grande réactivité en cas d’événements dramatiques.

Faire mieux connaître les chrétiens d’Orient, témoigner de leurs difficultés auprès de tous est également au cœur de ses missions. Son rôle est essentiel dans ces régions du monde où les chrétiens sont souvent considérés comme des « citoyens de seconde classe ».

Site internet de l’Oeuvre de l’Orient

Billet du Japon : Les cloches de 2013

Image

Le frère Paul-Henri Girard, o.p., qui est au Japon depuis plus de soixante ans, nous livrera mensuellement sur ce blogue ses réflexions et ses expériences de missionnaire au pays du soleil levant.

Vous vous rendez compte: 2013. Un gros chiffre pour moi du moins qui suis arrivé en ce monde en 1928. Un monde qui a ses moments de joie et aussi d’angoisses.  Je missionne toujours à Tokyo. Et je me réjouis d’avoir entendu encore cette année les cloches qui annonçaient la nouvelle année. Vous avez peut-être la même chose au Québec avec l’émission télévisée : Bye Bye sur vos appareils. Mais je crois que la formule du Québec est passablement différente de celle de Tokyo. La première semble enveloppée de joie, de rire. La formule japonaise est sérieuse et tournée vers la méditation. Je m’explique.

Depuis plus de 30 ans, la télévision japonaise nous permet de vivre  les dernières 15 minutes de l’année dans le recueillement. La caméra se déplace vers 3 ou 4 temples bouddhistes à travers le pays pour nous faire entendre la cloche d’un temple de telle ville et nous inviter au recueillement, même à un moment de prière. Remerciements aux dieux et demandes de protection pour la nouvelle année qui va débuter. Les gens près de la grosse cloche se saluent discrètement, parlent à voix basse de ce que sera  cette nouvelle qui débutera dans quelques minutes.

Je souligne le fait suivant qui me semble intéressant. Il s’agit de la différence entre le son des cloches de l’Orient et celui des cloches de l’Occident. Je ne dis pas lequel est meilleur, je constate seulement. La cloche orientale est frappée de l’extérieur par une grosse poutre de bois, à intervalles de quelques secondes. Il faut donner le temps au cœur de saisir toutes les résonnances. Le son reste à l’intérieur de la cloche, mais il vibre assez fortement pour être entendu, d’autant qu’à ce moment-là le silence est observé. Donc, un son de cloche plutôt sourd, grave et solennel. Différent de celui de la cloche occidentale qui est frappée de l’intérieur par un marteau ou un grelot de métal. Le son est plus éclatant, plus joyeux peut-être.

Après le dernier coup de cloche,  j’ai introduit dans mon ordinateur un CD, celui de la messe du Premier de l’an. Tout commence par une volée de cloches. D’abord le bourdon puis graduellement les plus petites. Au moment des derniers tintements les moines de Solesmes entonnent l’Introît de la messe qui commence par les paroles du prophète Isaïe : Un enfant nous est né, un fils nous est donné. Son nom est Dieu de paix, Seigneur du bonheur. Paix et Bonheur :  les deux mots qui nourrirent le sujet de ma première homélie de l’année 2013.

1. Paix. J’ai débuté avec la première phrase de la lettre de Benoit 16 envoyée aux églises du monde entier quelques jours avant les Fêtes. « Réaliser la Paix c’est garder tous les échelons de notre vie de foi et en même temps la prospérité de nos travaux et de nos découvertes… » Tous, nous désirons cette paix qui, hélas, n’arrive jamais. Dieu ferait-il la sourde oreille ? Bien sûr qu’Il cherche à donner force et valeur à nos demandes. Or, la paix ne vient pas. Il semble dire : d’abord, cessez les bruits de vos fusils et des gadgets qui enterrent le cri de la conscience et du coeur. C’est juste. Si notre cœur n’est pas en paix, comment pouvons-nous travailler pour la paix du monde ? Si l’année 2013 apporte la paix, alors le bonheur suivra.

 2. Bonheur. J’ai ensuite rappelé ces petites perles que Jésus lança du haut de la  Montagne : Bienheureux les cœurs purs, bienheureux les artisans de paix, bienheureux ceux qui travaillent pour la justice, bienheureux, bienheureux, etc. Pas besoin de longs commentaires. Il suffit d‘approfondir notre désir d’être heureux et d‘accomplir ce désir aidé par la force qui nous est toujours assurée.

3. Marie, la nommée mère de Dieu, la nommée mère de tous les vivants, telle la nouvelle Ève. La messe du Premier de l’an célèbre la toute « Bienheureuse ». Marie après les paroles de l’ange Gabriel alla  visiter sa cousine Élisabeth. À la vue de Marie, Élisatbeth s’est écrié : bienheureuse celle qui a cru aux paroles de son Seigneur. » Et Marie  ajouta spontanément: « Oui, c’est vrai. Toutes les nations me diront bienheureuse, car le Seigneur a fait en moi et pour vous de grandes choses : Il nous accorde la venue du Messie.

 J’ai dit le tout en 10 minutes, d’une voix forte pour atteindre le fond de l’église. Tous ont droit à la même Parole entendue, célébrée, méditée, priée et chantée. Tel fut le début de ma première journée de l’année de grâce 2013.

La fête du Baptême du Seigneur

Image

Le baptême de Jésus marque le début de son ministère public, alors que la voix du Père se fait entendre et nous dévoile sa véritable identité : « C’est toi mon Fils bien-aimé; en toi j’ai mis tout mon amour ».

Il est important de préciser que ce baptême qu’il reçoit, ce n’est pas encore le baptême chrétien. Il s’agit d’une démarche de pénitence et de conversion, qui est propre à Jean Baptiste, et qui survient alors qu’il y a une grande effervescence dans toute la Judée. De plus en plus, des voix se font entendre pour dire que le messie va bientôt venir, que Dieu va enfin accomplir sa promesse de salut.

Alors que certains se demandent si Jean Baptiste n’est pas le Messie tant attendu, ce dernier annonce la venue d’un plus puissant que lui. Quand il le reconnaît en la personne de Jésus, il s’étonne de sa présence dans les eaux du Jourdain. Il est décontenancé par ce Messie qui prend place parmi les pécheurs, et qui vient se faire baptiser par lui. Mais pourquoi Jésus se fait-il baptiser?

Faut-il le rappeler, le Fils de Dieu, en se faisant homme, assume pleinement notre condition humaine. Il la prend sur lui avec son poids de péché et il marche avec nous. Il se fait solidaire de tous ceux qui se présentent à Jean-Baptiste en quête de pardon. Son baptême est l’expression de son amour pour nous, un amour qui se donnera jusqu’à la mort. Par ce baptême qu’il reçoit, Jésus nous prend sur ses épaules, comme il a pris sa croix, comme le berger prend sur lui la brebis blessée. Il prend sur lui nos péchés et il se fait baptiser avec tout le peuple, solidaire de lui, solidaire de nous.

L’iconographie orientale a bien saisi ce mystère du Baptême de Jésus, le représentant se faisant baptiser dans un tombeau rempli d’eau. Ces eaux symbolisent à la fois la mort et le shéol, le lieu où sont en attente tous les défunts depuis Adam et Ève, et que Jésus va aller chercher. Elles symbolisent aussi la vie, ces eaux vives que le Christ va offrir à la Samaritaine, ces eaux qu’il va transformer en vin des noces, comme à Cana.

Les icônes du baptême de Jésus sont très semblables à celles de sa résurrection des morts, et dans cette vision du Christ qui se fait baptiser, c’est déjà le Christ victorieux qui nous est présenté au début des évangiles. Plongé dans l’eau de la mort, il en ressort victorieux, et il nous entraine avec lui vers l’autre rive, où nous attend le Père. Voilà le mystère que contemple l’Église en cette fête du Baptême du Seigneur.

Par ailleurs, ce qui se produit au baptême de Jésus est une anticipation de notre propre baptême dans le Christ. Chacun et chacune de nous avons été marqué par le don de l’Esprit Saint à notre baptême et, depuis ce jour, jusqu’à notre entrée dans l’éternité de Dieu, se fait entendre cette voix intérieure qui nous dit : « Tu es ma fille bien aimée, tu es mon fils bien-aimé, en toi j’ai mis tout mon amour. »

Mais quelles sont les conséquences de ce baptême pour nous et pour ce monde où nous vivons? C’est là une question pressante et difficile, en ces jours où la violence semble se faire omniprésente autour de nous.

Il est clair que lorsque la violence est légitimée, quand elle est perçue comme la voie normale pour affirmer sa personne ou ses idées, comme à Paris ces derniers jours, nous sommes alors confrontés à un lamentable échec de notre humanité. C’est le mal qui triomphe, c’est Caïn qui tue Abel encore une fois. Par ailleurs, si les sociétés sont en droit de se protéger, elles ont aussi le devoir de s’interroger quant aux causes de ces violences, tout en évitant de diaboliser l’adversaire, car il y a là un piège.

Parfois la violence est inévitable, lors d’une guerre ou en cas de légitime défense, mais la violence qui est le fruit de la haine ou du désir de vengeance, ne peut qu’alimenter de nouvelles violences. C’est Sylvie Germain, écrivaine française catholique, qui dégage cette analyse de la pensée d’Etty Hillesum sur la haine, cette jeune juive tuée à Auschwitz en 1943 :

« La haine n’est pas seulement la voie la plus facile […]; la haine est aussi la voie la plus dangereuse, la plus trompeuse, elle est sans issue. Là où se lève la haine en réaction à une violence, à un outrage, à une injustice subie, le mal triomphe, car la victime, aussi innocente soit-elle, se laisse alors atteindre au plus intime de son être […] par la maladie du mal. »

Quand nous cédons à la haine et à la vengeance, nous devenons complices du mal, et nous alimentons à notre tour cette bête insatiable en nous. En tant que disciples du Christ, il est de notre devoir de préserver en nous notre humanité à tout prix. C’est ce que notre vie baptismale exige de nous et rend possible en nous. Etty Hillesum écrivait dans son journal :

“Si la paix s’installe un jour, elle ne pourra être authentique que si chaque individu fait d’abord la Paix en soi-même, extirpe tout sentiment de haine pour quelque race ou quelque peuple que ce soit. » (Juin 1942)

Bien sûr, c’est là un grand défi, mais il est possible de le relever, car Jésus lui-même nous y invite. Faut-il le rappeler : notre baptême nous configure au Christ, et nous rend vainqueurs du mal avec lui. Bien sûr, c’est un long travail d’enfantement qui se fait en nous, un patient travail de guérison, où nous connaitrons des échecs, mais Jésus nous a ouvert le chemin du pardon et de l’amour du prochain. Il faut accepter de nous y engager courageusement avec lui. Telle est notre foi. Et quand des frères et des soeurs deviennent nos ennemis, plutôt que de les haïr, Jésus nous apprend à pleurer avec lui sur notre pauvre monde, à pardonner avec lui, à prier avec lui, afin que l’amour ne s’éteigne pas en nous.

En cette fête du baptême du Seigneur, demandons-lui la grâce de vivre pleinement notre baptême, et ainsi rendre témoignage de l’évangile au coeur de notre monde. La paix véritable est à ce prix.

Yves Bériault o.p.

C’est cela mourir!

Je me tiens sur le rivage. Soudain, un voilier près de moi étend ses voiles blanches dans la brise du matin, et s’engage sur le bleu de l’océan. Il est un objet de beauté et de force. Et debout, je le regarde s’en aller jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un ruban de nuage blanc au-dessus de l’horizon, là où la mer et le ciel ne font plus qu’un. Alors quelqu’un à mes côtés s’écrie : « Il est parti. »

Mais parti où? Loin de mon regard – c’est tout. Il est tout aussi grand par sa coque, sa mâture et ses voiles, alors qu’il était près de moi; il est tout aussi capable de porter sa cargaison vers son lieu de destination. Sa taille diminuée est en moi, non pas en lui, et au même moment où quelqu’un à mes côtés s’écrie : « Voilà! Il est parti », il y a d’autres voix prêtes à entonner le cri joyeux, « Le voilà! Il arrive ». Et c’est cela mourir.

Henry Van Dyke