Retour de voyage – Sur les pas d’Etty Hillesum (3)

8 octobre. Journée de répit et de planification. Magdalena m’amène voir les lieux les plus intéressants de Cracovie, sa ville natale, et nous terminons la journée au sanctuaire de sœur Faustina, canonisée par le pape Jean-Paul II.

Il s’agit du sanctuaire de la Miséricorde, énorme complexe moderne où affluent sans cesse les pèlerins. Nous sommes dans le fief de Jean-Paul II, puisque Cracovie faisait partie de son diocèse avant son élection comme pape.

Cracovie était sa ville et partout des photos, des statues, des vitraux même, viennent nous le rappeler. L’amour des Polonais pour ce pape ne m’a jamais apparu aussi impressionnant maintenant que je sillonne les rues de sa ville, et où son influence semble encore si palpable.

La ferveur des Polonais est impressionnante. Dans cette ville de 800, 000 habitant, dont cent milles sont des étudiants universitaires, les églises semblent toujours prises d’assaut, tant par les jeunes que les moins jeunes.

La veille, j’ai voulu participer à la messe des jeunes à l’église des dominicains de Cracovie, une église construite en 1257, et où l’on trouve le tombeau du dominicain saint Hyacinthe. Impossible d’y entrer tellement l’assistance y était dense, et ce, jusqu’à l’extérieur de l’église.

Intérieur de l'église des dominicains

Intérieur de l’église de la Sainte-Trinité

Mais toutes ces visites ne me font pas oublier le côté plus tragique et sérieux de ce voyage, notre destination première, qui est le camp d’extermination d’Auschwitz, là où Etty a été assassinée.

À SUIVRE…

Retour de voyage – Sur les pas d’Etty Hillesum (2)

Sans le vouloir, histoire d’horaires d’avions et d’économie, ce voyage se fait à rebours, en commençant par la Pologne, par cette destination dont Etty ne se faisait aucune illusion et dont elle écrivait :

1 juillet 1942 : « En ce vingtième siècle, on peut très bien croire encore aux miracles. Et je crois en Dieu, même si avant peu, en Pologne, je dois être dévorée par les poux. » (p. 141)

29 juin 1942 : « Aux dernières nouvelles, tous les Juifs de Hollande vont être déportés en Pologne, en transitant par la Drenthe. La radio anglaise a révélé que depuis avril de l’année dernière, sept cent mille juifs ont été tués en Allemagne et dans les territoires occupés. » (p. 139)

7 octobre. Après un vol de deux heures quinze de Paris, nous arrivons à Cracovie, cité millénaire aux mille éclats, et à l’architecture incomparable. Une vraie découverte pour moi, sans parler de ce contact avec une langue slave où les points de recoupement avec le français ou l’anglais sont quasi inexistants. Un dépaysement total. Ci-dessous, « la Place du marché », le plus grand square public d’Europe.

Cracovie - La place du marché

Cracovie – La place du marché

Église Sainte-Marie sur la Place du marché

Église Sainte-Marie sur la Place du marché

C’est mon premier contact avec l’Europe de l’Est, avec cette Pologne bien des fois martyre au cours de sa longue histoire, et où les nazis, inspirés par leur idéologie meurtrière, avaient décidé d’y établir leur réseau d’extermination, afin d’y accomplir leurs massacres et leur génocide loin des regards du monde.

Magdalena et son conjoint Filip, des amis polonais, nous attendent à l’aéroport. Nous passons la journée avec eux et prenons ensemble deux succulents repas polonais qu’ils ont préparés spécialement pour nous. C’est dimanche et nous restons longuement à table, passant d’un repas à l’autre… Nous parlons de leur travail, de leur pays et de leurs ambitions en tant que jeune famille polonaise. Nous faisons la connaissance de Kuba, leur petit garçon de 18 mois. Un temps de retrouvailles et d’amitié qui déjà nous rend cette Pologne un peu plus familière.

À la fin de cette première journée, déjà bien remplie, l’on vient me conduire chez les frères dominicains du couvent d’études de Cracovie, qui vont m’héberger pendant mon court séjour dans leur ville. Quatre-vingt-dix frères y habitent, dont près d’une cinquantaine de frères-étudiants. Tous assez jeunes et qui, à mon étonnement, parlent presque tous l’anglais. C’est une ruche bourdonnante d’activités et, tout au long de notre séjour, j’y vois des groupes de jeunes, des couples et des familles y entrer et en sortir sans cesse. Les frères font beaucoup de ministères. Dans ce couvent on se lève tôt et on se couche tard! En semaine, neuf messes quotidiennes sont célébrées dans l’église, alors que le dimanche on en célèbre dix!

Église de la Sainte-Trinité

Église de la Sainte-Trinité

À SUIVRE…

Retour de voyage – Sur les pas d’Etty Hillesum (1)

Comme promis, me voici avec ce compte-rendu de voyage que j’aurais bien aimé publier comme un carnet de voyage, au jour le jour, photo à l’appui. Mais cela n’était pas possible.

Je vous présente plutôt mes réflexions, suite à ce périple européen, où j’ai voulu retracer l’itinéraire d’Etty Hillesum, en visitant les lieux où elle a vécue et où elle est morte, victime de la Shoah.

Ce voyage a commencé par une retraite que j’ai prêchée aux moniales dominicaines de Beaufort, une communauté jeune et dynamique établie depuis près de 50 ans dans un cadre champêtre de Bretagne.

On y trouve aussi une liturgie originale et d’une grande beauté. Les sœurs ont déjà quatre albums à leur actif. Un monastère à découvrir!

Monastère Notre-Dame-de-Beaufort (France)

Monastère Notre-Dame-de-Beaufort (France)

Pendant ce voyage, j’ai aussi revu plusieurs couples connus à l’université alors que j’étais aumônier. Des rencontres extraordinaires dans l’ordinaire de leur vie, avec leurs enfants, leurs préoccupations, et cette amitié qui s’approfondie d’année en année. Un grand ressourcement!

Etty Hillesum - 1938

Etty Hillesum – 1938

La deuxième partie du voyage, soit neuf jours en tout, a été consacrée à la recherche d’Etty Hillesum, recherche dans laquelle m’accompagnait une journaliste japonaise, une amie, fascinée elle aussi par le message et la vie d’Etty Hillesum, qui sont consignés dans son journal et ses lettres (Hillesum, Etty. Une vie bouleversée suivi de Lettres de Westerbork. Seuil, 1995), elle qui voulait être le témoin des valeurs ultimes, au milieu de l’angoisse et de l’horreur où, à partir de 1941, la nombreuse communauté juive des Pays-Bas se trouva plongée par la mise en œuvre systématique de ce que les nazis appelaient la « solution finale ».

4 juillet 1941 : « Il y a de l’agitation en moi, une agitation bizarre et diabolique, qui serait productive si je savais qu’en faire. Une agitation « créatrice ». Ce n’est pas celle du corps, une douzaine de nuits d’amour torrides ne suffiraient pas à l’apaiser. C’est une agitation presque « sacrée ». Ô Dieu, prends-moi dans ta grande main et fais de moi ton instrument, fais-moi écrire. » (p. 41)

À SUIVRE…

Sur les traces de Etty Hillesum

Etty Hillesum 1943

Etty Hillesum 1943

Aux lecteurs et lectrices du Moine ruminant. 

Pendant cette période des vacances je vous propose une relecture de cette chronique que j’avais publiée en 2008 lors d’un voyage sur les traces de Etty Hillesum. Bonne lecture!

Dans une recension du journal et des lettres de Etty Hillesum, Elizabeth O’Connor (professeure et écrivaine américaine, décédée en 1998) affirme que l’œuvre d’Etty Hillesum est « le document spirituel le plus signifiant de notre époque ». L’Écrivain néerlandais Abe Herzberg, qui a contribué à la publication de l’œuvre d’Etty, affirme quant à lui : « Je n’hésite pas à dire qu’à mon sens, nous nous trouvons ici en présence d’un des sommets de la littérature néerlandaise. » Paul Lebeau parle du Journal d’Etty comme l’un des « événements spirituels et littéraires les plus marquants du milieu du XXe siècle ».

J’aimerais bien la faire connaître aux lecteurs et lectrices de ce blogue. Dans quelques heures je m’envolerai vers la France, où je dois donner une retraite d’une semaine à des moniales dominicaines. Par la suite. je compte me rendre en Hollande, où est né Etty Hillesum et, ensuite à Auschwitz, en Pologne, là où elle a été assassinée. J’espère pouvoir vouis donner un compte-rendu de ce voyage à mon retour. D’ici là, je vous posterai quelques extraits de son journal.

Excellente biographie d’Etty Hillesum par Anne Ducrocq