Homélie pour le 2e Dimanche de Pâques (C)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 20,19-31.
C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! »
Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur.
Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »
Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint.
À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »
Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu.
Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »
Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! »
Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. »
Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! »
Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre.
Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.

COMMENTAIRE

Dans les récits d’apparitions de Jésus, les évangélistes nous décrivent à la fois la nouvelle réalité corporelle de Jésus, tout en nous laissant entrevoir sa profonde humanité. Même au-delà de la mort, Jésus ressuscité est plus vrai que jamais. Il apparait de façon si réellement incarnée à ses disciples, que ces derniers n’ont d’autre choix que de s’incliner et de le reconnaître. « Quand leurs yeux et leurs oreilles ne suffisent pas, ils doivent encore le toucher ; quand le toucher ne suffit pas pour réveiller leur foi, ils doivent présenter à Jésus nourriture et boisson qu’il consomme devant leurs yeux.[1] » Jésus est bel et bien vivant après sa crucifixion, plus vivant que jamais !

D’ailleurs, Jésus apparait à ses disciples dès le premier jour de sa résurrection, comme si les liens noués ici-bas étaient de la plus grande importance pour lui. Malgré le fait que ses amis l’aient abandonné, renié et trahi, Jésus ne se détourne pas d’eux. Au contraire, il vient vers eux avec empressement, et il traverse les murs de leurs peurs et de leurs doutes, afin de les ramener vers lui, et de les établir fermement dans cet amour sans limites qu’il a pour eux. À travers ses apparitions, Jésus nous révèle combien nous avons du prix pour lui. C’est cet amour qui l’a conduit à sa passion et dont il porte encore les marques dans son corps glorifié.

Benoît XVI a exprimé cela de manière magnifique dans une homélie pour le deuxième dimanche de Pâques : « Le Seigneur, dit-il, a apporté avec lui ses blessures dans l’éternité. C’est un Dieu blessé ; il s’est laissé blesser par l’amour pour nous. »

Ces blessures c’est la marque de notre péché. Car si le péché nous blesse dans nos vies personnelles, Jésus nous fait découvrir que le péché s’adresse avant tout à Dieu.

Les plus anciens parmi nous se souviennent sans doute de la pédagogie de nos parents quand nous étions enfants, et qu’ils nous disaient, après un mauvais mot ou une colère : « Tu fais de la peine au Bon Dieu », ou encore « au petit Jésus ». Je m’en souviens très bien. Cette remarque avait pour effet de calmer instantanément l’ardeur des enfants querelleurs que nous étions parfois.

Mais dans cette pédagogie, un peu douteuse, il y avait néanmoins une profonde intuition spirituelle, qu’un théologien contemporain exprime de la manière suivante : « C’est la mort du Christ en croix, dit-il, qui nous renvoie l’image de notre péché.[2] » Jésus est mort pour nos péchés, et il en porte les blessures jusque dans sa résurrection.

Le péché, ce sont toutes ces actions, ces paroles, ces pensées et ces omissions, où nous perdons le sens de nous-mêmes et de notre dignité d’enfants de Dieu. Le péché, c’est le cœur qui s’éteint, c’est la source de l’amour qui se tarit en nous.

Nous le savons, nous portons notre mission de disciples du Christ dans des vases d’argile, car nous sommes fragiles, mais nous avons le Christ désormais pour nous relever de nos péchés, pour nous pardonner, pour nous donner sa force, car il est Lui, la clef de l’Histoire, la réponse définitive à toutes les quêtes de sens de l’humanité.

Il est Celui qui ouvre le chemin vers Dieu et qui, depuis sa résurrection, poursuit sa route avec nous, dans un mode de présence tout nouveau, mais encore plus vrai, plus intime. Désormais, il vient transformer nos vies de l’intérieur, lui le grand Vainqueur de la mort, « l’Homme fort », comme me le confiait ces jours-ci un paroissien. Il nous confie sa paix et ainsi il nous invite à entrer avec lui dans le combat de Dieu, à nous faire solidaires de ses blessures tout il invite l’apôtre Thomas à le faire.

C’est le pape Benoît XVI qui dira à son sujet : « Il est accordé à l’apôtre Thomas de toucher les blessures du ressuscité et ainsi, il le reconnaît — il le reconnaît, au-delà de l’identité humaine de Jésus de Nazareth, dans son identité véritable et plus profonde : “Mon Seigneur et mon Dieu !” (Jn 20,28).

Nous avons là la plus belle expression de foi de tous les évangiles : “Mon Seigneur et mon Dieu !” Et c’est l’Apôtre Thomas qui nous en fait cadeau. Tout comme les autres Apôtres, Thomas est tiré de sa nuit, et il lui est donné de voir son Seigneur, malgré ses doutes et ses faiblesses.

Il est important de souligner que le verbe “voir” dans l’évangile de saint Jean ne désigne pas une vision sensible, mais une nouvelle manière de voir, tout intérieure, grâce à l’action de l’Esprit Saint. C’est la grâce qui est proposée en tant que disciples du Christ.

Tout comme pour les apôtres, le Christ ressuscité vient jusqu’à nous avec ses blessures, ces blessures qu’il porte jusqu’à la fin des temps. Et si elles sont la conséquence du mal et du péché en notre monde, il est important de se rappeler, comme le soulignait le théologien Yves Congar, que “ce n’est pas la souffrance de Jésus qui nous sauve ; c’est l’amour avec lequel il a vécu cette souffrance ; c’est tout autre chose.” Ces blessures témoignent de cet amour. Elles nous rappellent combien est grande la passion du Christ pour notre monde.

Et ceux et celles qui veulent le voir, comme l’apôtre Thomas, ne peuvent le rencontrer qu’à travers ce passage obligé où nos frères et sœurs en humanité souffrent et peinent, à travers tous ceux et celles qui ont besoin de notre compassion et de notre amour, qui ont besoin que nous nous levions en leur nom, marchant ainsi avec le Christ dans son combat, affrontant le mal avec lui. C’est là que nous pouvons avancer la main et toucher ses blessures, lui qui est “notre Seigneur et notre Dieu !”

Yves Bériault, o.p.

[1] Urs von Balthasar. La gloire et la croix. p.263

[2] Sesboüé, Bernard. L’homme, merveille de Dieu. Salvator, 2015. p. 216

Homélie pour le matin de Pâques

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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean   (Jn 20, 1-9)
Le premier jour de la semaine,
Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ;
c’était encore les ténèbres.
Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.
Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple,
celui que Jésus aimait,
et elle leur dit :
« On a enlevé le Seigneur de son tombeau,
et nous ne savons pas où on l’a déposé. »
Pierre partit donc avec l’autre disciple
pour se rendre au tombeau.
Ils couraient tous les deux ensemble,
mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre
et arriva le premier au tombeau.
En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ;
cependant il n’entre pas.
Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour.
Il entre dans le tombeau ;
il aperçoit les linges, posés à plat,
ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus,
non pas posé avec les linges,
mais roulé à part à sa place.
C’est alors qu’entra l’autre disciple,
lui qui était arrivé le premier au tombeau.
Il vit, et il crut.
Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris
que, selon l’Écriture,
il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

COMMENTAIRE

En entendant le récit de la course passionnée de Simon-Pierre et du disciple bien-aimé, comment ne pas voir dans leur sillage les souvenirs enchevêtrés de ces trois années d’itinérance passées avec Jésus ?

Comme il était grand leur espoir ! Trois années nourries des rêves les plus fous… et puis la mort tragique, la fin brutale de celui qu’ils aimaient. Et quoi maintenant ? Quelle est cette nouvelle ? Ils n’osent y croire. À bout de souffle, le regard inquiet, les voici au tombeau, le plus jeune devançant le plus vieux. Le commentaire de l’évangéliste à son sujet est stupéfiant par sa brièveté : « Il vit et il crut ! ».

La résurrection de Jésus est la réalisation d’une promesse longtemps attendue, où Dieu affirme que le Vivant n’a pas sa place dans les tombeaux de ce monde. Pourtant, l’expérience du tombeau vide n’explique en rien la foi des disciples du Christ. Ce serait là un bien faible appui sur lequel miser nos vies. Le tombeau vide n’est que le signe annonciateur préparant les disciples à une rencontre décisive avec le Ressuscité.

« Il vit et il crut ! », nous dit l’évangéliste. Nous avons là une clé d’interprétation fondamentale pour comprendre ce que veut dire la foi en Jésus Christ. Ceci peut sembler contradictoire, mais avant de croire, il faut avoir vu. Je m’explique. La foi au Dieu de Jésus Christ ne se fonde pas sur des raisonnements intellectuels irréfutables, bien que l’intelligence soit au service de la foi. Je serais un bien mauvais dominicain si j’osais affirmer le contraire. Mais je garde cette conviction fondamentale que le cœur de la foi chrétienne est avant tout la reconnaissance d’une présence intérieure, d’un appel au plus profond de nous, une présence d’amour infinie devant laquelle la foi se prosterne et adore. « Il vit et il crut ! »

En fait, c’est l’amour qui fait croire ici ! Comme si l’apôtre bien-aimé se disait en regardant le tombeau vide : « Je le savais ! » Cette brise légère au cœur de notre vie de foi, c’est la rencontre du regard aimant de Jésus posé sur nous qui nous attire vers lui et qui nous fait entendre cet appel intérieur, au plus profond de nous-mêmes, tout comme les deux disciples devant le tombeau vide, à qui le Ressuscité semble dire : « Voyez ! Vous pensiez avoir enterré tous vos espoirs. Mais regardez ce tombeau vide, c’est plein de vie dedans. »

Tout comme pour Pierre et le disciple bien-aimé, c’est la bonne nouvelle de la résurrection du Christ qui nous fait accourir ici en ce matin de Pâques. C’est une recherche commune qui nous unit en Église, où nous ne cessons d’approfondir le don que Dieu nous fait en Jésus Christ, et où nous ne cessons de nous en émerveiller ensemble.

C’est tout le sens de cette grande Semaine Sainte qui nous a conduits jusqu’à ce matin de la résurrection, où nous nous tenons éblouis nous aussi devant ce tombeau vide. Un tombeau à la porte grande ouverte, irradiant la lumière de Pâques. « Il vit et il crut ! » C’est à ce regard de foi et d’amour que nous sommes conviés ce matin.

Par ailleurs, la joie pascale ne doit pas nous faire oublier combien est exigeante notre foi au Christ. Nous le savons, notre espérance est sans cesse mise à l’épreuve devant les convulsions que subissent nos vies et notre monde, aux prises avec le mal et la violence. Les horribles attentats contre les communautés chrétiennes du Sri Lanka en ce matin de Pâques nous le rappellent avec force encore une fois. Nous ne sommes ni naïfs ni aveugles. Et c’est pourquoi il importe plus que jamais de célébrer la Pâque du Seigneur, quand les forces du mal se déchainent autour de nous et au cœur même de nos vies. Les scandales récents qui affligent l’Église ne font que renforcer cette certitude.

Notre époque n’est pas unique en ce sens, toutes les générations depuis la nuit des temps ont connu la violence, Caïn s’en prenant le premier à Abel. Mais ce qui est caractéristique de notre époque, c’est le refus de Dieu ; c’est de croire que nos vies soient sans direction et sans lendemain. C’est de croire que notre monde puisse se construire par lui-même et prétendre à la sagesse. « Insensés », leur dirait Jésus.

En ce matin de Pâques, nous tenant debout avec le Christ ressuscité, nous affirmons que ce monde est voulu et aimé par Dieu. Nous affirmons que Dieu s’est révélé à travers notre histoire, à la fois par sa création et par ses prophètes, et qu’en ces temps qui sont les derniers, Dieu a confié au monde sa dernière parole, la plus belle et la plus profonde en son Fils fait chair, qui nous dit en ce matin de sa résurrection :

« Je t’aime ô monde, homme et femme. Je suis là. Je pleure vos larmes. Je suis votre joie. N’ayez pas peur. Quand vous ne savez pas comment allez plus loin, je suis avec vous. Je suis dans vos angoisses, parce que je les aie souffertes moi aussi. Je suis dans vos besoins et dans votre mort, parce qu’aujourd’hui j’ai commencé à vivre et à mourir avec vous. Je suis votre vie. Et je vous le promets : la vie vous attend vous aussi. Pour vous aussi, les portes vont s’ouvrir. » (Karl Rahner).

En cette fête de Pâques, debout devant la croix glorieuse du Christ, nous affirmons qu’elle porte toutes nos douleurs, toutes nos peines, toutes nos morts, et toutes nos violences. Nous affirmons que seul le Ressuscité est capable de transfigurer nos blessures, capable de nous prendre avec lui et de nous rendre vainqueurs, malgré nos défaites apparentes, malgré la mort elle-même.

Un philosophe de l’Antiquité a dit un jour : « Si tu ne sais pas espérer, tu ne pourras jamais accueillir l’inespéré. » (Héraclite, Fragment 18). En cette fête de Pâques, qui est la mère de toutes les fêtes, de toutes les attentes au cœur de la vie des hommes et des femmes de ce monde, nous proclamons que l’inespéré s’est fait chair, que le Fils du Père a habité parmi nous, et qu’il est le grand vainqueur de la mort.

La pierre qui retenait la vie a été roulée sur le côté. La vie qui était captive de la mort a été libérée de ses entraves, et Jésus est devenu notre éternel printemps.

Voilà, sœurs bien-aimées et frères bien-aimés, ce qui fait notre joie ce matin ! Réjouissons-nous ! Célébrons ! Rendons grâce à Dieu en ce jour de Pâques ! Car Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité !

 

fr. Yves Bériault, o.p.

 

Le lion qui dort

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Dans un texte très ancien, Éphrem le Syrien, diacre, qui écrivait dans son deuxième nocturne du Vendredi Saint :

« Dans une grande douceur, Jésus est conduit à sa Passion, bénissant ses douleurs à toute heure. Il est conduit au jugement de Pilate qui siège au prétoire, à la sixième heure on le raille, jusqu’à la neuvième heure Il supporte la douleur des clous, puis sa mort met fin à sa passion, à la douzième heure. Il est déposé de la croix : on dirait un lion qui dort. »

On dirait un lion qui dort! Comme cette image est puissante et évocatrice dans cette représentation du Seigneur Jésus face à sa mort. Elle nous aide à entrer dans le secret du silence qui enveloppe le cœur de l’Église en ce samedi saint.
Cette image du « lion qui dort » ne se retrouve pas dans les évangiles, bien sûr, et pourtant n’est-ce pas cette tranquille assurance, cette imperturbable confiance qu’évoque la scène de la tempête apaisée où l’on nous présente Jésus qui dort au milieu d’une mer déchaînée (Marc 4, 35 et ss.).

« Le lion qui dort » c’est à la fois le Fils de Dieu dans sa toute-puissance invincible, et c’est aussi le Fils de l’Homme, Jésus, qui s’en remet complètement au Père et qui nous invite à cette même confiance.

Comment ne pas entendre ici le psaume 131, où la figure du psalmiste évoque celle de Jésus dans sa parfaite obéissance au Père:

« Seigneur je n’ai pas le cœur fier…
Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse;
mon âme est en moi comme un enfant,
l’enfant sevré contre sa mère. »

« Pourquoi avez-vous si peur? Vous n’avez pas encore de foi? », dit Jésus à ses disciples apeurés dans la barque. Encore aujourd’hui, en cette veille de Pâques, la question nous est posée à nous aussi. Trop souvent nous avons peur en tant que chrétiens. Nous sommes inquiets, incapables de vivre notre foi dans cette assurance tranquille qui était celle du Christ. En ce Samedi Saint laissons donc monter cette prière vers lui:

« Seigneur, viens au secours de notre manque de foi. En cette veille de la fête de ta glorieuse résurrection, regarde non pas notre foi, mais la foi de ton Église, et accorde-nous cette grâce pascale d’en vivre toujours, avec l’assurance du lion qui dort! »

Yves Bériault, o.p.

 

Mourir avec le Christ

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 » Je suis gêné pour respirer. Je ne pensais pas que ça viendrait si vite. Sans doute que je n’arriverai plus à dormir aucune nuit.

Jésus, dans la nuit du Jeudi au Vendredi Saint, je te contemple. Tu sais que ce sera fini pour 15 heures. Tu sais par quoi il te faudra encore passer avant d’arriver ver à la fin et au but. Moi, je ne sais ni l’heure ni ce par quoi il me faudra encore passer.

J’ai peur. Et, tout à l’heure, en essayant encore de me rendormir, j’étais dans l’angoisse, et des rêves d’étouffement hantaient mon imagination. Veux-tu m’aider. Donne-moi la main.

Permets que je m’unisse aux derniers moments de ta vie, que les derniers moments de mon existence unis aux tiens servent à réparer mes péchés et les péchés de ton église; qu’ils soient source de salut pour tous mes frères et qu’ils permettent à tous de te mieux connaître et mieux aimer.

Donne-moi ta paix. Que l’angoisse et la souffrance n’empêchent pas la joie. Que ma solitude éclairée par la solitude de ta nuit du Jeudi au Vendredi Saint, soit remplie de ta présence et de ton amour.  »

Un prêtre (anonyme)

 

Les sept paroles du Christ

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Les textes suivants sont tirés de la Traduction œcuménique de la Bible:

1Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font (Luc 23:34) prononcée immédiatement après son crucifiement entre deux malfaiteurs. Jésus demande ce pardon pour ceux qui ont participé à sa condamnation et exécution.

2En vérité, je te le dis aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis (Luc 23:43) adressée à un des deux malfaiteurs, en réponse à sa demande souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton royaume. La tradition se souvient de lui comme du bon larron, reconnu par l’Église comme Saint Dismas.

3Femme, voici ton fils. Et à Jean : Voici ta mère (Jean 19:26-27) adressées à sa mère et à Jean. Au-delà du devoir filial ainsi accompli, la tradition a perçu ceci comme la maternité spirituelle de Marie vis-à-vis des croyants représentés par le « disciple qu’il aimait ».

4Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? (Marc 15:34 et Matthieu 27:46) crié « à voix forte » en araméen Eloï, Eloï, lama sabbaqthani ? (Ps 22:2) Souffrance suprême du sentiment d’abandon : la nuit obscure de l’homme Jésus.

5J’ai soif (Jean 19:28) prononcée « pour que l’Écriture soit accomplie jusqu’au bout », commente l’évangéliste. Jésus cite le psaume 69:22 : ils m’ont donné du poison à manger, et pour boire, du vinaigre lorsque j’avais soif.

6Tout est achevé (Jean 19:30) prononcée après qu’il eut pris le vinaigre. Mission accomplie et paix retrouvée.

7Jésus poussa un grand cri : Père, entre tes mains je remets mon esprit (Luc 23:46). Et sur ces mots il expira. C’est au Père que se rapporte la dernière parole de Jésus comme le fut sa première : Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? (Luc 2:49).

Homélie pour le Dimanche des rameaux

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C’est la Semaine Sainte qui commence et la liturgie d’aujourd’hui peut nous paraître paradoxale, sinon contradictoire. La preuve en est que nous avons deux noms pour désigner ce dimanche : le dimanche des Rameaux, qui rappelle l’entrée messianique de Jésus à Jérusalem, et le dimanche de la Passion du Seigneur.

Dans la procession d’entrée, solennellement, rameaux à la main, nous avons acclamé le Christ en tant que Roi triomphant, mais dans la préface eucharistique, nous dirons qu’il a été jugé comme un criminel. En entrant dans l’église nous avons chanté : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », mais lors du récit de la Passion nous avons crié « crucifie-le! » avec la foule.

Le dimanche des Rameaux est un rappel brutal de la fin tragique de Jésus, qui met en lumière nos propres contradictions, nos compromissions avec le mal. Ce dimanche vient nous rappeler que nous ne pouvons séparer la gloire et la divinité de notre Sauveur, de l’offrande qu’il fait de lui-même en son humanité. Alors que nous avançons ensemble vers l’aube de Pâques, où nous serons illuminés de la joie pascale, il nous faut aussi nous engager sur le chemin qui y conduit : la passion et la mort de Jésus, afin de nous rappeler qu’il a donné sa vie afin de nous la partager et ainsi nous sauver. Ce ne sont pas les clous qui retiennent le Christ sur la croix, comme l’écrivait Catherine de Sienne, mais l’amour.

C’est la Semaine Sainte, et celle-ci ne consiste pas en un retour nostalgique sur des événements du passé, ni en des fabulations dont sont faits les contes pour enfants. La croix du Christ est trop rude et trop lourde pour nos épaules pour qu’un auteur en mal d’imagination l’ait inventée. Tout dans ce récit était de nature à décourager d’éventuels disciples. En somme, les évangélistes rapportaient ce qui aurait dû empêcher la naissance et l’expansion du christianisme (Fernand Ouellette). Et pourtant, deux mille ans plus tard, nous prêchons toujours un Messie crucifié.

Paradoxalement, c’est là notre honte, parce que cette Croix est l’expression même de notre péché, mais elle est aussi notre fierté, parce qu’elle est le lieu de notre relèvement. C’est pourquoi la Semaine Sainte ne saurait prendre tout son sens qu’à la lumière de la Résurrection. Elle nous parle à la fois du présent et de l’avenir, de notre présent et de notre avenir. Elle nous parle d’une histoire dramatique entre Dieu et notre humanité, où le Fils de Dieu « s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix » (Phil 2, 8).

Écoutons le témoignage émouvant d’une philosophe juive, Simone Weil, qui s’est approchée de la croix du Christ :

« Le don le plus précieux pour moi… c’est la croix. S’il ne m’est pas donné de mériter de participer à la croix du Christ, j’espère au moins de pouvoir y participer en tant que larron repentant. Après le Christ, de toutes les personnes dont il est fait mention dans l’Évangile, le bon larron est celui que j’envie le plus. D’être avec le Christ pendant la crucifixion, à ses côtés et dans la même position que lui, me semble être un privilège encore plus grand et plus enviable que d’être assis à sa droite dans la gloire. » (Lettre du 16 avril 1942).

Frères et sœurs, c’est la Semaine Sainte. Marchons avec le Christ vers sa croix. Ouvrons nos cœurs au mystère du plus grand amour qui soit. Amen.

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le 5e dimanche du Carême (C)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 8,1-11.
En ce temps-là, Jésus s’en alla au mont des Oliviers.
Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner.
Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu,
et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère.
Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? »
Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre.
Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. »
Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre.
Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu.
Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? »
Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »

COMMENTAIRE

Malgré la sobriété du récit, la violence est palpable dans cette rencontre entre Jésus et la femme adultère, et c’est ce qui en fait sans doute l’une des scènes les plus dramatiques des évangiles. Jésus met sa vie en jeu ici et il le fait pour une personne dont la faute entraîne la lapidation selon la Loi. En entendant cette histoire, une personne me disait que si un jour elle avait à vivre une telle mise en accusation, elle voudrait bien avoir Jésus comme défenseur. Difficile en effet de ne pas aimer Jésus dans ce récit qui est en quelque sorte un prélude à la Semaine sainte.

Après une nuit sur le Mont des Oliviers nous voyons Jésus descendre à Jérusalem et enseigner dans le Temple, alors que ses opposants l’encerclent et le provoquent. C’est l’affrontement, le piège tendu à Jésus. On veut sa perte. Son procès est déjà commencé en quelque sorte et Jésus garde le silence, tout comme il le fera devant Pilate, et devant le Sanhédrin.

Le récit de la femme adultère fait suite à un épisode de l’évangile de Jean où les grands prêtres et les pharisiens, après une première tentative d’arrestation, s’exclament au sujet de la foule qui admire Jésus : « Cette foule qui ne connaît pas la loi, ce sont des maudits ». Ce commentaire cinglant décrit bien la hargne des adversaires que Jésus et cette femme que l’on a jetée devant lui doivent affronter.

Remarquez que Jésus ne condamne personne dans ce récit. Il garde longuement le silence, il écoute, pour ensuite inviter ses opposants à regarder en eux-mêmes. Alors que ces derniers tentent de s’imposer par le nombre et par la force, Jésus s’adresse à chacun d’eux individuellement : « Regarde dans ton cœur », leur dit-il. Que celui qui est sans péché, lui lance la première pierre ». C’est à dire : « Rappelle-toi avant tout que tu as tes propres faiblesses. Est-ce que tu voudrais que Dieu te juge aussi sévèrement toi aussi ? Qu’il n’ait pas pitié de toi ? Comment alors peux-tu ne pas avoir pitié de ta sœur qui est ici devant toi ? »

Mais le plus étonnant dans ce récit, c’est l’attitude non verbale de Jésus. Alors que cette femme est livrée à une foule en furie qui la traine devant lui afin de la lapider et ainsi faire de Jésus un complice de leur meurtre, ce dernier baisse la tête et regarde vers le sol.

Peut-être Jésus ne veut-il pas humilier davantage cette femme en la regardant, ou encore, baisse-t-il la tête pour réprimer sa honte et sa colère devant les agissements de cette foule.

Bien qu’on le provoque et qu’on exige de lui une réponse immédiate, qui le compromettrait aux yeux de ses disciples, Jésus se tait. Et il a cette réaction encore plus étonnante : il se penche vers le sol et se met à écrire dans le sable.

Bien des théologiens et des exégètes se sont interrogés sur ce que Jésus pouvait bien avoir écrit. Cette action de Jésus restera toujours énigmatique en dépit des interprétations avancées, mais une chose est certaine, en Jésus se réalise la prophétie d’Isaïe entendue dans notre première lecture, où Dieu affirme : « Voici que je fais un monde nouveau, il germe déjà, ne le voyez-vous pas ? »

J’aime bien penser que Jésus écrit dans le sable avec un langage nouveau, qui devient intelligible à la lumière de son intervention en faveur de cette femme violentée. Jésus écrit dans le sable avec un langage nouveau quand il dit à cette femme des paroles que son cœur n’espérait certainement pas entendre dans sa situation désespérée : « “Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus.” Jésus ne la condamne pas. Il l’invite tout simplement avec beaucoup de tendresse à reprendre sa vie en main en étant fidèle dans l’amour.

Par la parole qu’il prononce en sortant de son silence, Jésus n’abroge pas la loi relative à l’adultère ni ne condamne la femme accusée ; il l’invite simplement à ne plus pécher en lui dévoilant par son action le grand amour de Dieu pour elle.

Saint Augustin a magnifiquement interprété ce tête-à-tête entre Jésus et la femme adultère. Une fois la foule dispersée, écrit Augustin, “ils ne restent plus que deux : Miseria et Misericordia”, c’est-à-dire la misère humaine et la miséricorde divine. En Jésus, le Dieu de toute miséricorde se penche vers nous afin de nous guérir et ainsi nous relever de nos blessures. C’est Henri Nouwen, dans son livre Le retour de l’enfant prodigue, qui décrit bien cette attitude de Dieu à l’égard de ses enfants :

« Son seul désir, écrit-il, est de bénir ses enfants… Il n’a aucun désir de les punir. Ils ont déjà été punis de façons excessives par leur propre errance, intérieure et extérieure. Le Père veut simplement leur faire savoir que l’amour qu’ils ont cherché dans des chemins tortueux, que cet amour a été, est et sera toujours là, pour eux… mais il ne peut les forcer à l’aimer sans perdre sa véritable paternité.[1] »

L’évangile de ce dimanche et celui de l’enfant prodigue de dimanche dernier constituent en quelque sorte une mise en route en cette fin de Carême, une invitation à accueillir la miséricorde de Dieu. Je vais peut-être vous surprendre, mais le sacrement du pardon dans la vie de l’Église est en quelque sorte une actualisation de ces récits évangéliques, une rencontre en tête-à-tête avec le Christ où nous nous présentons avec notre péché et nos pauvretés, et où Dieu pose son doigt sur nos cœurs, afin de nous guérir de nos manques d’amour.

Chaque fois que nous avons recours à ce sacrement, c’est le Christ lui-même qui pose son regard sur nous, et qui nous dit : « Va, personne ne te condamne. Tu es libre. Tout est pardonné. Va et ne pèche plus. » Ne devrait-on pas courir vers une telle rencontre avec le Christ ? C’est la grâce que je nous souhaite à l’approche de la grande fête de Pâques. Amen.

Yves Bériault, O.P.

[1] Henri Nouwen. Le retour de l’enfant prodigue. Bellarmin, 1995. p. 119