Homélie pour le 8e Dimanche T.O. Année C

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Prendre soin de soi

 

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 6, 39-45)

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples en parabole :
« Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ?
Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ?
Le disciple n’est pas au-dessus du maître ;
mais une fois bien formé,
chacun sera comme son maître.

Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère,
alors que la poutre qui est dans ton œil à toi,
tu ne la remarques pas ?
Comment peux-tu dire à ton frère :
‘Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil’,
alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ?
Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ;
alors tu verras clair
pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.

Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ;
jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit.
Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit :
on ne cueille pas des figues sur des épines ;
on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces.
L’homme bon tire le bien
du trésor de son cœur qui est bon ;
et l’homme mauvais tire le mal
de son cœur qui est mauvais :
car ce que dit la bouche,
c’est ce qui déborde du cœur. »

 

COMMENTAIRE

« L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon. »

Nous sommes chanceux, cette année, que le Carême vienne plus tard, avec Pâques le 21 avril. Cela nous vaut quelques dimanches de plus, dans le Temps Ordinaire, avec l’Évangile de Luc qui nous plonge dans le concret de notre vie de disciples du Christ.

Et c’est la sagesse du Christ qui encore nous interpelle. Une sagesse liée à son mystère de salut pour l’homme et la femme de tous les temps. La sagesse du Christ reliée à son mystère pascal, mystère de restauration, de rédemption pour nous tous.

Et ce dont il nous est parlé aujourd’hui, c’est d’intériorité, de ces ressources intérieures, inépuisables qui alimentent, dirigent, soutiennent notre action, qu’elle soit paroles, écritures, gestes physiques ou spirituels. Tout ce qui vient de nous prend la couleur de ce que nous sommes. Nous parlons de ce que nous sommes. L’agir suit l’être. Nous agissons comme nous sommes. De là notre originalité foncière. Chacun de nous est unique au monde. Chacun, chacune a le droit et même le devoir d’être soi-même.

C’est pourquoi on peut dire que nous sommes pareils à nous-même en tout ce que nous faisons. Et si nous changeons vraiment quelque part, nous changeons partout. C’est alors quelque chose comme une vrai conversion qui passe d’abord par le dedans.

Et qui est notre maître à penser, à exister, à agir, si ce n’est le Christ Seigneur. Il est notre modèle. Le Père,lui, est le potier qui nous façonne avec amour, dans l’esprit, à l’image de son Fils. Laissons-nous donc travailler au-dedans par cette influence « trinitaire ». Mettons en pratique ce qu’elle nous inspire et nous communique.

De fait, nous sommes tous un peu sur les traces de quelqu’un. Nous imitons volontiers nos parents, notre grand frère, notre grande sœur, un ami, un professeur. Nous avons tous, peut-être en secret, un héros qui nous fascine. Ce rapport avec notre modèle nous façonne tranquillement au-dedans.

Dans la dynamique familiale, il y a aussi le jeu des gènes et des autres transmissions biologiques qui déjà nous configurent pour des traits qui nous font nous ressembler tant au plan psychologique que physique. Et c’est aussi un fait que nous nous conformons ou nous résistons à l’exemple, au modeling suggéré par les gens de la famille ou de notre entourage.

La Parole de Dieu nous invite aujourd’hui à nous conformer surtout au maître intérieur qui nous inspire pour une œuvre à produire d’abord en notre intérieur. Un travail de libération, de purification. Pour que soit dégagée en nous la source toujours nouvelle qui s’alimente à l’infini de Dieu.

Il ne s’agit pas là d’une prise de contrôle de Dieu qui serait comme une force extérieure qui pèserait sur nous. Dieu le premier nous laisse libres. Il est honoré par toute liberté bien assumée. Nous ne sommes donc pas des robots, comme si notre avion était pilotée à partir d’un autre avion ou d’une base quelconque éloignée de nous. Non, le rapport personnel à Dieu dont il est ici question fait que nous sommes encore plus libres et à notre meilleur quand nous entrons sous cette influence divine qui souffle au-dedans de nous. Dieu est à l’aise avec nous. Ce qu’il fait essentiellement, c’est de nous rétablir à notre meilleur pour que nous devenions plus nous-mêmes comme si nous en revenions au plan originel qu’il avait d’abord voulu pour nous.

fr. Jacques Marcotte, o.p.

 

Message important aux fidèles lecteurs et lectrices de Spiritualité 2000

Chers amis,

Le site Spiritualité 2000 est hors-ligne depuis samedi dernier. Il semblerait que les frais d’hébergement n’aie pas été payés. La compagnie qui gère ce dossier pour nous a été vendue sans donner les informations concernant notre site à la nouvelle compagnie. Ce qui fait que je n’ai pas les informations qui me permettraient de payer les frais d’hébergement (mot de passe, numéro de carte de crédit, PIN, numéro de facture, etc).

J’ai fait beaucoup de démarches depuis samedi et j’attends des réponses à ce sujet. Prions…

Yves Bériault, o.p.

Homélie pour le 7e Dimanche T.O. Année C

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Risquer l’amour : une vie généreuse!

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 6, 27-38)

En ce temps-là,
Jésus déclarait à ses disciples :
« Je vous le dis, à vous qui m’écoutez :
Aimez vos ennemis,
faites du bien à ceux qui vous haïssent.
Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent,
priez pour ceux qui vous calomnient.
À celui qui te frappe sur une joue,
présente l’autre joue.
À celui qui te prend ton manteau,
ne refuse pas ta tunique.
Donne à quiconque te demande,
et à qui prend ton bien, ne le réclame pas.
Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous,
faites-le aussi pour eux.
Si vous aimez ceux qui vous aiment,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
Si vous faites du bien à ceux qui vous en font,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs en font autant.
Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs prêtent aux pécheurs
pour qu’on leur rende l’équivalent.
Au contraire, aimez vos ennemis,
faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour.
Alors votre récompense sera grande,
et vous serez les fils du Très-Haut,
car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants.

Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.
Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ;
ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés.
Pardonnez, et vous serez pardonnés.
Donnez, et l’on vous donnera :
c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante,
qui sera versée dans le pan de votre vêtement ;
car la mesure dont vous vous servez pour les autres
servira de mesure aussi pour vous. »

COMMENTAIRE

Nous en sommes, pour quelques dimanches encore, à réfléchir sur le genre de vie que nous devons mener si nous voulons demeurer dans l’esprit de l’Évangile. Quelle est la proposition du Christ à ses disciples?

Nous sommes peut-être étonnés du ton et de la netteté avec lesquels Jésus nous parle des attitudes que nous devons mettre en place dans nos vies. Ce n’est pas pour mettre une pression indue sur nous. Il s’agit d’une invitation, d’un appel qu’il nous fait. Il voudrait tellement que nous ayons les mœurs de Dieu, les attitudes divines, celles qui sont aussi les siennes.

Notre monde est souvent un lieu de luttes et d’affrontements. Nous sommes tous en quête de possession et d’autorité. Nous cherchons à nous imposer aux autres, à les dominer, à posséder au-delà de ce dont nous avons besoin. Cette tendance ne concerne pas seulement les autres, nos gouvernants municipaux, provinciaux et fédéraux. C’est une affaire éminemment personnelle que de prendre option pour la douceur, la miséricorde, le pardon, les valeurs de paix et d’amour.

Bien sûr, il y a en chacun de nous un instinct de vengeance. « Nous sommes vite sur la gâchette » Nous avons tous une réaction vive devant les affronts et la douleur. Comment résister à l’envie de riposter et de rendre à la pareille à qui nous fait du mal et du tort? Et pourtant, comment désamorcer autrement la violence, l’escalade de la violence? Une vengeance immédiate ne risque-t-elle pas de nous engager dans quelque guerre interminable?

« À cochon, cochon et demi », disons-nous. Et nous sommes dès lors convaincus que notre guerre est juste, que c’est là la meilleure façon de prendre notre place dans la vie et de nous faire respecter. Mais où est donc la vraie grandeur? N’est-elle pas dans l’humilité et le service? N’y a-t-il pas de la petitesse à vouloir absolument être meilleur que les autres, à chercher la grandeur comme si elle n’était pas déjà cachée en dedans de nous? Grandeur de l’humilité, du service, de l’amour fraternel… Il y a là quelque chose de divin, de béni et de sanctifié par Jésus lui-même qui a voulu vivre au milieu de nous comme un pauvre, un petit, le serviteur de tous. Comme une graine jetée en terre dans un champ.

Savons-nous bien que nous sommes riches et comblés en dedans de nous? Nous n’avons pas à envier les autres, à être jaloux, prétentieux, en compétition et rivalité avec tous et chacun. C’est que d’abord nous devons prendre conscience de notre monde intérieur et de sa richesse, de la vie qui palpite en nous; de cette force divine qui nous habite, qui nous est prêtée.

Nous sommes faits à l’image et à la ressemblance de Dieu. Cette ressemblance, nous l’avons hélas abimée et perdue. N’ayons donc de cesse que d’accepter d’être restaurés par le Christ en cette image. Et misons sur cette restauration spirituelle en nous pour croire davantage en notre jardin intérieur. Dieu est amour. Le premier, il nous a aimés.

Nous avons en nous tout ce qu’il faut pour avoir confiance, pour aller vers les autres avec assurance. Prenons donc l’initiative de donner, d’être en service, de respecter les autres. Comment ne pas les voir, eux aussi, comme aimés de Dieu, voulus par lui. Ils me sont confiés pour que je les aime et les aide au nom de notre Dieu et Père.

Résistons donc absolument à la tentation de la méfiance envers les autres, du jugement à leur égard, de la condamnation qui les stigmatise. Soyons plutôt proactifs en travaillant pour construire un monde meilleur, de justice et de paix pour autant qu’il dépende de nous. Nous ferons alors advenir le Royaume de Dieu. Toute cette bonté, cet amour, cette miséricorde investie par nous pour les autres débordera sur nous en retour à la fin. Dieu nous l’a promis en son Fils bien-aimé Jésus. Que son mystère pascal nous en soi la preuve et nous en rappelle la promesse infaillible!

fr. Jacques Marcotte, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 5e Dimanche T.O. Année C

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Évangile de Jésus Christ selon saint Luc  (Lc 5, 1-11)

En ce temps-là,
la foule se pressait autour de Jésus
pour écouter la parole de Dieu,
tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth.
Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ;
les pêcheurs en étaient descendus
et lavaient leurs filets.
Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon,
et lui demanda de s’écarter un peu du rivage.
Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules.
Quand il eut fini de parler,
il dit à Simon :
« Avance au large,
et jetez vos filets pour la pêche. »
Simon lui répondit :
« Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ;
mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. »
Et l’ayant fait,
ils capturèrent une telle quantité de poissons
que leurs filets allaient se déchirer.
Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque
de venir les aider.
Ceux-ci vinrent,
et ils remplirent les deux barques,
à tel point qu’elles enfonçaient.
à cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus,
en disant :
« Éloigne-toi de moi, Seigneur,
car je suis un homme pécheur. »
En effet, un grand effroi l’avait saisi,
lui et tous ceux qui étaient avec lui,
devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ;
et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée,
les associés de Simon.
Jésus dit à Simon :
« Sois sans crainte,
désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
Alors ils ramenèrent les barques au rivage
et, laissant tout, ils le suivirent.

COMMENTAIRE

Frères et sœurs, j’aimerais vous raconter une histoire de pêche. Cela se passe au Rwanda, où j’ai habité en 2009 pendant près d’une année. Alors que je me promenais avec des frères au bord du lac Kivu, un lac qui fait un peu plus de cent kilomètres de long par cinquante de large, je vis une flottille de bateaux de pêche se diriger vers le large à la queue leu leu. Il s’agissait de petits chalutiers artisanaux, des pirogues à deux coques, propulsées par une bonne demi-douzaine de pêcheurs, maniant des pagaies au rythme d’un chant à la fois profond et cadencé, quasi-religieux.

C’était à la brunante et la petite flottille composée de quinze bateaux environ appareillait pour la nuit. Chacune des pirogues avait une lampe allumée à sa proue et toutes les dix ou quinze minutes, une nouvelle pirogue quittait le petit port de pêche sous l’acclamation de la foule venue les saluer. Comme dans un ballet bien synchronisé, les petits bateaux s’en allaient tous dans la même direction afin d’y tendre leurs filets. Un spectacle vraiment impressionnant me parlant de ces hommes partant de nuit afin de gagner leur vie. C’est là que j’appris que la pêche au filet devait se faire de nuit pour être fructueuse.

Dans le récit évangélique de ce dimanche, nous retrouvons Simon Pierre et ses compagnons qui eux rentrent bredouilles de leur nuit de pêche. L’évangéliste Luc nous décrit la scène. Pierre et ses compagnons sont là sur la plage au petit matin nettoyant leurs filets, sûrement déçus. Et voilà que Jésus se tient sur le rivage, entouré par la foule qui le suit. Nous sommes près de Capharnaüm, là où Jésus a expulsé un démon d’un possédé à la synagogue, là où il a guéri la belle-mère de Pierre, ainsi qu’un grand nombre de malades. Le texte précise que la foule est là pour écouter Jésus commenter la Parole de Dieu. Et c’est là un élément clé du récit de l’évangéliste qui veut nous fait voir combien Jésus lui-même est Parole de Dieu, puisque la création elle-même lui obéit.

Toujours est-il qu’une fois sa prédication terminée, Jésus invite Pierre à s’avancer au large et à lancer les filets malgré l’échec de la nuit. Bien qu’il fasse jour, Pierre obéit à Jésus : « Puisque tu me le demandes, dit-il, je vais lancer les filets ». Le résultat ne se fait pas attendre. C’est la pêche miraculeuse ! Les filets sont pleins à tout rompre et le sens du miracle est dévoilé quand Jésus affirme à Simon-Pierre : « Désormais, ce sont des hommes que tu prendras ».

Frères et sœurs, ces paroles s’adressent tout autant à Simon-Pierre qu’à nous. Une mission est confiée, bien sûr, mais il faut y voir aussi une promesse qui nous est faite : « Désormais, ce sont des hommes que tu prendras. » Comme si Jésus disait à Simon-Pierre et à nous-mêmes : « N’en doute pas, je saurai rendre efficace tes paroles et tes actions, car je serai avec toi ».

La mission de l’Église trouve son fondement dans ce récit et, sans cesse, elle est invitée à lancer les filets afin de conduire les hommes et les femmes de ce monde à la pleine lumière de qui est Jésus Christ. Que nous soyons missionnaires, catéchètes, théologiens, parents, ou tout simplement disciples, nous sommes tous et toutes appelés à proclamer que Jésus Christ est Seigneur, qu’il est vivant, que le Père l’a ressuscité d’entre les morts.

Mais nous savons aussi qu’il n’est pas toujours facile ou opportun de partager notre foi, car il n’y a pas pire sourd que celui ou celle qui ne veut pas nous entendre. C’est pourquoi l’expression « lancer les filets » nous engage en tout premier lieu dans une présence au monde faite de respect et de douceur, de patience et d’amour, présence qui a source dans les gestes, les enseignements et la vie même de Jésus Christ. Et cette présence au monde s’articule autour de deux pôles majeurs: la prière et le don de soi.

Je me souviens, après un séjour d’un mois chez les Trappistes à Oka, j’avais fait le constat suivant : me retrouvant à l’église pour la prière de la nuit, qu’on appelle les vigiles, et qui sont célébrées vers 4 h du matin, j’avais alors eu cette intuition que l’église abbatiale était leur véritable demeure. Non pas leur chambre, ni le réfectoire ou les lieux de travail, mais l’église, la chambre n’étant qu’une sorte de salle de repos, en attendant de se retrouver dans le seul lieu qui compte vraiment pour les moines : leur église où ils se retrouvent plusieurs fois par jour. Cette nef m’apparut alors comme le navire du moine, ce marin de la vie spirituelle, dont tout le quotidien est tendu vers ce lieu de la prière communautaire où, ensemble, les moines prennent la mer afin d’aller y tendre leurs filets au nom de Dieu, priant, intercédant pour l’Église ainsi que l’humanité toute entière. Sans être aussi intense et centrale, cette vie de prière est aussi à notre portée.

Maintenant, si les moines vivent leur mission dans leur monastère, notre mission à nous se vit dans la cité, là où nous levons les voiles chaque matin et prenons la mer nous aussi. C’est là que la réponse confiante de Simon-Pierre devient l’expression la plus achevée de toute remise de soi entre les mains de Dieu: « Maître, sur ton ordre, je vais jeter les filets encore aujourd’hui ». Chaque parole bienveillante, chaque mot d’encouragement, chaque marque de tendresse et de réconfort, le moindre petit service, le travail quotidien fait consciencieusement, le temps donné gratuitement, l’écoute généreuse et attentive de celui ou celle qui souffre, ce sont là mille et une manières de signifier ce trop-plein d’amour que l’esprit du Christ déverse en nos cœurs, et c’est cela aussi lancer les filets.

Frères et sœurs, l’Évangile de ce jour nous invite donc à avancer vers le large avec Jésus, acceptant de partir de nuit comme de jour, avec nos lampes bien allumées, la prière chevillée au cœur, assumant avec courage chacune des journées qui nous sont confiées, nous donnant à ceux et celles qui en ont le plus besoin, à cause du Christ. Et c’est cela aussi évangéliser.

Voilà frères et sœurs. À nous maintenant après une semaine en mer depuis notre dernier rassemblement dominical, de tirer nos filets vers le rivage de notre eucharistie, là où le Christ nous attend. Amen.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 4e Dimanche. T.O. Année C

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 4,21-30. 
En ce temps-là, dans la synagogue de Nazareth, après la lecture du livre d’Isaïe, Jésus déclara : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »
Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Ils se disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? »
Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : “Médecin, guéris-toi toi-même”, et me dire : “Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm ; fais donc de même ici dans ton lieu d’origine !” »
Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays.
En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ;
pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère.
Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman le Syrien. »
À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux.Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas.
Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin.

COMMENTAIRE

Une question m’habite souvent lorsque j’entends les textes de la Parole de Dieu : que voulons-nous dire quand nous affirmons avoir la foi en Dieu ? Il est important de répondre à cette question, car c’est la question qui habite tous ceux et celles que notre foi questionne. Je répondrais donc, au-delà des affirmations dogmatiques, que la foi en Jésus Christ implique l’expérience d’une proximité avec Dieu que l’on pourrait qualifier d’amitié, d’intimité, d’amour avec Dieu. Il est lui le Créateur de toutes choses, le Maître de la vie, en qui nous mettons toute notre confiance. Il est notre roc, comme l’affirme le psalmiste. « Ma forteresse et mon roc, c’est toi », dit-il !

Quand on n’a pas cette expérience de Dieu, qui est bien plus qu’une connaissance intellectuelle, Dieu est souvent perçu par l’Homme comme un rival, un empêcheur de tourner en rond, un rabat-joie, une contrainte à notre liberté. Mais nous le savons, cette représentation de Dieu est une caricature, une idole, un Dieu fabriqué de main d’homme. Parfois ce sont les chrétiens eux-mêmes qui ont contribué à cette image déformée de Dieu.

Tout comme il y a eu dans le judaïsme des mouvements ou des écoles spirituelles qui ont défiguré la représentation de Dieu, et que Jésus a vivement condamnés, il en est de même dans le christianisme. D’ailleurs, notre Église au Québec n’y a pas échappé au siècle dernier, suite à cette influence du jansénisme avec sa morale austère, qui voyait le péché partout et qui trop souvent a recouvert notre société d’une chape de plomb spirituelle qui marque encore certaines mentalités, et qui est certainement l’un des facteurs ayant contribué à une désaffection importante à l’endroit de l’Église.

Mais en rester à ce passé et à cette vision des choses, c’est oublier combien d’hommes et de femmes de grand courage ont assumé le défi de l’évangile avec un grand esprit de liberté et de miséricorde. Nous leur sommes redevables si nous sommes ici aujourd’hui, et c’est à nous maintenant de relever le défi de l’évangile pour ce temps qui est le nôtre.

Mais comment allons-nous témoigner de Dieu à nos contemporains quand si peu veulent entendre ? À chacun et chacune de nous de trouver les occasions pour le faire, mais une conviction m’habite. Il nous faut tout d’abord apprendre à engager ce dialogue entre nous, les croyants, afin de nous dire en quoi Dieu compte vraiment pour nous. Car c’est là un exercice transformateur qui ne peut que nous aider à approfondir notre foi, à nous l’approprier et à nous émerveiller de ce que Dieu fait chez l’autre. Quand on aime, il n’y a pas de plus grande joie que de partager cet amour avec d’autres.

Les textes de la Parole de Dieu pour ce dimanche sont porteurs de grandes vérités sur Dieu. Il y a tout d’abord cette affirmation extraordinaire au livre de Jérémie où Dieu lui dit : « Avant même de te façonner dans le sein de ta mère je te connaissais ». Il nous faut entendre cette affirmation comme si elle nous était adressée, car elle l’est. De toute éternité, Dieu nous a aimés et il nous a voulus. Pensons ici au couple qui attend un enfant, un enfant longtemps désiré, et qui enfin s’annonce lorsque la femme est enceinte. Cet enfant est déjà aimé par ses parents. Il est l’expression la plus parfaite de leur amour. L’on pourrait dire qu’à travers cet enfant leur amour se fait chair !

Voyez la belle prière du psalmiste quand il dit à Dieu : « Toi mon soutien dès avant ma naissance, tu m’as choisi dès le ventre de ma mère ». Voilà la réalité spirituelle qui est la nôtre et la grandeur de notre relation à Dieu. Nous sommes faits pour Dieu, de toute éternité voulus par lui, aimés par lui du plus grand amour qui soit.

Par ailleurs, la foi en Jésus Christ comporte aussi un autre versant. Elle implique aussi l’expérience d’une proximité renouvelée avec le prochain. C’est Jean-Paul Sartre, philosophe athée, qui disait de l’Homme qu’il était une passion inutile. Mais pour nous, l’Homme est la plus grande passion de Dieu, sa vie a une direction, un but, une finalité. Nous sommes faits par amour, et comme le souligne saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens, « l’amour ne passera jamais ». Paul nous rappelle que l’amour dans nos vies doit l’emporter sur tout, même sur une certaine foi en Dieu qui parfois devient idéologie, doctrine, rigidité, au mépris de la miséricorde et du souci du prochain. Comme ces paroles sont fortes quand Paul affirme : « j’aurais beau avoir toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien ».

L’amour avec lequel Dieu nous a fait porte en lui-même un appel à la réciprocité, à la ressemblance. C’est un amour qui nous configure au Christ, et c’est avec ce même amour que nous devons retourner vers Dieu, entrainant à notre suite nos frères et sœurs du monde entier, solidaires de leurs misères, de leurs peines et de leurs joies. Car nul ne va au ciel tout seul, nul ne peut faire bande à part, au risque de se retrouver infiniment seul devant Dieu. Le prochain est un chemin vers Dieu, il est le seul chemin et Jésus Christ nous en a ouvert la voie.

C’est saint Alphonse de Liguori qui disait au sujet de notre foi en Dieu : « Si on devait se tromper de Dieu, vaudrait mieux le faire en exagérant sa bonté qu’en durcissant sa justice. » Un autre saint disait que si le Christ lors du jugement lui reprochait d’avoir été trop miséricordieux, il ne pourrait que lui répondre : « Et vous Seigneur, ne l’avez-vous pas été ? »

Pour relever ce défi de la miséricorde et de la solidarité, Jésus nous laisse sa Parole, il nous donne son esprit, il nous demande de faire Église, et il nous invite à vivre l’aujourd’hui de Dieu. C’est ainsi que l’on peut comprendre l’affirmation de Jésus à la synagogue quand il dit : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »

La bonne nouvelle du Christ est toujours pour aujourd’hui. Et à cause de cela, elle agira toujours comme une contestation des valeurs de notre monde où les faibles sont rejetées, les pauvres sont méprisés, les droits des petits sont bafoués. Comme l’affirme le pape François, être chrétien signifie avoir « les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus » (Ph 2, 5), sentiments d’humilité et de don de soi, de détachement et de générosité.

Alors, pourquoi ne pas prendre le temps en couple, en famille, entre amis, ente disciples, de nous dire quels sont ces sentiments du Christ qui nous habitent, de nous dire cette foi en Dieu qui se fraie son chemin au cœur de nos vies. Car ces partages ne peuvent que réveiller en nous la présence de Celui qui se tient à la porte de notre monde et qui frappe. Et si nous savons reconnaître cette présence et en parler, nous pourrons alors mieux témoigner de Lui.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs