Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 5, 1-11)
En ce temps-là,
la foule se pressait autour de Jésus
pour écouter la parole de Dieu,
tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth.
Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ;
les pêcheurs en étaient descendus
et lavaient leurs filets.
Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon,
et lui demanda de s’écarter un peu du rivage.
Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules.
Quand il eut fini de parler,
il dit à Simon :
« Avance au large,
et jetez vos filets pour la pêche. »
Simon lui répondit :
« Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ;
mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. »
Et l’ayant fait,
ils capturèrent une telle quantité de poissons
que leurs filets allaient se déchirer.
Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque
de venir les aider.
Ceux-ci vinrent,
et ils remplirent les deux barques,
à tel point qu’elles enfonçaient.
à cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus,
en disant :
« Éloigne-toi de moi, Seigneur,
car je suis un homme pécheur. »
En effet, un grand effroi l’avait saisi,
lui et tous ceux qui étaient avec lui,
devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ;
et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée,
les associés de Simon.
Jésus dit à Simon :
« Sois sans crainte,
désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
Alors ils ramenèrent les barques au rivage
et, laissant tout, ils le suivirent.
COMMENTAIRE
Frères et sœurs, j’aimerais vous raconter une histoire de pêche. Cela se passe au Rwanda, où j’ai habité en 2009 pendant près d’une année. Alors que je me promenais avec des frères au bord du lac Kivu, un lac qui fait un peu plus de cent kilomètres de long par cinquante de large, je vis une flottille de bateaux de pêche se diriger vers le large à la queue leu leu. Il s’agissait de petits chalutiers artisanaux, des pirogues à deux coques, propulsées par une bonne demi-douzaine de pêcheurs, maniant des pagaies au rythme d’un chant à la fois profond et cadencé, quasi-religieux.
C’était à la brunante et la petite flottille composée de quinze bateaux environ appareillait pour la nuit. Chacune des pirogues avait une lampe allumée à sa proue et toutes les dix ou quinze minutes, une nouvelle pirogue quittait le petit port de pêche sous l’acclamation de la foule venue les saluer. Comme dans un ballet bien synchronisé, les petits bateaux s’en allaient tous dans la même direction afin d’y tendre leurs filets. Un spectacle vraiment impressionnant me parlant de ces hommes partant de nuit afin de gagner leur vie. C’est là que j’appris que la pêche au filet devait se faire de nuit pour être fructueuse.
Dans le récit évangélique de ce dimanche, nous retrouvons Simon Pierre et ses compagnons qui eux rentrent bredouilles de leur nuit de pêche. L’évangéliste Luc nous décrit la scène. Pierre et ses compagnons sont là sur la plage au petit matin nettoyant leurs filets, sûrement déçus. Et voilà que Jésus se tient sur le rivage, entouré par la foule qui le suit. Nous sommes près de Capharnaüm, là où Jésus a expulsé un démon d’un possédé à la synagogue, là où il a guéri la belle-mère de Pierre, ainsi qu’un grand nombre de malades. Le texte précise que la foule est là pour écouter Jésus commenter la Parole de Dieu. Et c’est là un élément clé du récit de l’évangéliste qui veut nous fait voir combien Jésus lui-même est Parole de Dieu, puisque la création elle-même lui obéit.
Toujours est-il qu’une fois sa prédication terminée, Jésus invite Pierre à s’avancer au large et à lancer les filets malgré l’échec de la nuit. Bien qu’il fasse jour, Pierre obéit à Jésus : « Puisque tu me le demandes, dit-il, je vais lancer les filets ». Le résultat ne se fait pas attendre. C’est la pêche miraculeuse ! Les filets sont pleins à tout rompre et le sens du miracle est dévoilé quand Jésus affirme à Simon-Pierre : « Désormais, ce sont des hommes que tu prendras ».
Frères et sœurs, ces paroles s’adressent tout autant à Simon-Pierre qu’à nous. Une mission est confiée, bien sûr, mais il faut y voir aussi une promesse qui nous est faite : « Désormais, ce sont des hommes que tu prendras. » Comme si Jésus disait à Simon-Pierre et à nous-mêmes : « N’en doute pas, je saurai rendre efficace tes paroles et tes actions, car je serai avec toi ».
La mission de l’Église trouve son fondement dans ce récit et, sans cesse, elle est invitée à lancer les filets afin de conduire les hommes et les femmes de ce monde à la pleine lumière de qui est Jésus Christ. Que nous soyons missionnaires, catéchètes, théologiens, parents, ou tout simplement disciples, nous sommes tous et toutes appelés à proclamer que Jésus Christ est Seigneur, qu’il est vivant, que le Père l’a ressuscité d’entre les morts.
Mais nous savons aussi qu’il n’est pas toujours facile ou opportun de partager notre foi, car il n’y a pas pire sourd que celui ou celle qui ne veut pas nous entendre. C’est pourquoi l’expression « lancer les filets » nous engage en tout premier lieu dans une présence au monde faite de respect et de douceur, de patience et d’amour, présence qui a source dans les gestes, les enseignements et la vie même de Jésus Christ. Et cette présence au monde s’articule autour de deux pôles majeurs: la prière et le don de soi.
Je me souviens, après un séjour d’un mois chez les Trappistes à Oka, j’avais fait le constat suivant : me retrouvant à l’église pour la prière de la nuit, qu’on appelle les vigiles, et qui sont célébrées vers 4 h du matin, j’avais alors eu cette intuition que l’église abbatiale était leur véritable demeure. Non pas leur chambre, ni le réfectoire ou les lieux de travail, mais l’église, la chambre n’étant qu’une sorte de salle de repos, en attendant de se retrouver dans le seul lieu qui compte vraiment pour les moines : leur église où ils se retrouvent plusieurs fois par jour. Cette nef m’apparut alors comme le navire du moine, ce marin de la vie spirituelle, dont tout le quotidien est tendu vers ce lieu de la prière communautaire où, ensemble, les moines prennent la mer afin d’aller y tendre leurs filets au nom de Dieu, priant, intercédant pour l’Église ainsi que l’humanité toute entière. Sans être aussi intense et centrale, cette vie de prière est aussi à notre portée.
Maintenant, si les moines vivent leur mission dans leur monastère, notre mission à nous se vit dans la cité, là où nous levons les voiles chaque matin et prenons la mer nous aussi. C’est là que la réponse confiante de Simon-Pierre devient l’expression la plus achevée de toute remise de soi entre les mains de Dieu: « Maître, sur ton ordre, je vais jeter les filets encore aujourd’hui ». Chaque parole bienveillante, chaque mot d’encouragement, chaque marque de tendresse et de réconfort, le moindre petit service, le travail quotidien fait consciencieusement, le temps donné gratuitement, l’écoute généreuse et attentive de celui ou celle qui souffre, ce sont là mille et une manières de signifier ce trop-plein d’amour que l’esprit du Christ déverse en nos cœurs, et c’est cela aussi lancer les filets.
Frères et sœurs, l’Évangile de ce jour nous invite donc à avancer vers le large avec Jésus, acceptant de partir de nuit comme de jour, avec nos lampes bien allumées, la prière chevillée au cœur, assumant avec courage chacune des journées qui nous sont confiées, nous donnant à ceux et celles qui en ont le plus besoin, à cause du Christ. Et c’est cela aussi évangéliser.
Voilà frères et sœurs. À nous maintenant après une semaine en mer depuis notre dernier rassemblement dominical, de tirer nos filets vers le rivage de notre eucharistie, là où le Christ nous attend. Amen.
Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs
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