Homélie pour la Vigile pascale

Icône de la Résurrection

Elles étaient trois nous rapporte l’évangéliste Luc. Trois femmes dont l’histoire a retenu le nom : Marie de Magdala, Jeanne, et Marie, la mère de l’apôtre Jacques. Elles étaient trois à l’aube de ce matin qui ressemblait à tous les autres matins, dans la ville sainte ensommeillée. Trois ombres craintives, accablées par la mort de celui qu’elles avaient suivi jusqu’au Calvaire. Mais surtout trois femmes déconcertées par la disparition du corps de celui qu’elles venaient voir une dernière fois afin de l’embaumer.

En soumettant ces faits au jugement de l’histoire ou à l’enquête judiciaire, une conclusion s’impose d’elle-même : le corps ne fut jamais retrouvé, il fut sans doute enlevé par ses partisans. Le dossier est clos ! Pourtant, la suite de l’histoire a de quoi étonner et c’est sans doute ce qui permet d’affirmer que nous sommes devant la disparition la plus spectaculaire de tous les temps.

Alors que Jérusalem cherchait à oublier les événements de la veille, et qui pourtant marqueront à jamais sa destinée; alors que les Apôtres eux-mêmes croyaient que ces femmes radotaient, un constat s’impose : la nouvelle incroyable se répandra avec la vitesse de l’éclair et, bientôt, elle embrasera tout le bassin de la Méditerranée. Il n’y a plus place ici pour l’observateur impartial, le journaliste ou l’historien. De ce matin semblable à tous les autres matins, jaillit l’extraordinaire nouvelle du matin de Pâques.

Pourtant, l’expérience du tombeau vide n’explique en rien la foi des disciples du Christ. Ce serait là un bien faible appui sur lequel miser sa vie. L’événement est d’un autre ordre. Le tombeau vide n’est qu’un signe avant-coureur qui prépare les Apôtres à une rencontre avec le Ressuscité où la foi seule est sollicitée. La résurrection du Seigneur Jésus, qu’annoncent les anges, est la réalisation d’une promesse longtemps attendue, où Dieu affirme que la vie est plus forte que la mort, que le vivant, en commençant par le Christ, n’a pas sa place dans les tombeaux de ce monde, dans le tombeau de la mort.

Chacun et chacune de nous, nous sommes venus au Christ par des chemins tout aussi différents que nous le sommes les uns des autres. C’est une recherche commune qui nous unit et parce que nous croyons ensemble en Église, nous ne cessons d’approfondir le don que Dieu nous fait en Jésus Christ et nous ne cessons de nous en émerveiller. C’est tout le sens de cette grande veillée pascale.

Mais il y a bien des manières de s’attacher au Christ et si chacun et chacune de nous pouvait prendre la parole ce soir, nous serions émerveillés par la diversité de nos cheminements et de nos raisons de croire. Écoutons quelques témoignages .

« Si je suis ici ce soir, c’est que j’ai trouvé en Jésus un homme qui a vécu et parlé de la vie comme nul autre. Il se dégage une telle force dans sa manière de me montrer le chemin qui mène à Dieu, que je crois en sa parole. »

« Si je crois au Christ, c’est que le témoignage de sa vie s’est imposé à moi. Si la vie a un sens, si elle vaut la peine d’être vécue, c’est de donner sa vie comme Jésus l’a fait. Voilà ce qui me fait vivre, et, pour moi, il n’y a pas de plus grand maître sur cette route que le Seigneur Jésus. »

« Si je suis ici ce soir, c’est peut-être parce qu’à force de méditer les évangiles, et de tenter de les vivre dans mon quotidien, je me suis attaché à cet homme Jésus. Comme si tout à coup, cet inconnu de la Galilée, m’était devenu proche. À travers son message d’amour et de pardon, la vie de cet homme s’est mise à compter pour moi. Je me suis surprise à l’aimer, à être touchée par son combat, comme si sa lutte était devenue la mienne. »

« Si je crois au Christ, c’est qu’en cheminant avec des chrétiennes et des chrétiens, en approfondissant ma vie de prière, en me nourrissant des sacrements, Jésus est devenu une présence vivante en moi, dont je ne pourrais plus me passer. Comme si la foi en Jésus et en sa parole, me faisait vivre à mon tour ce qu’ont vécu tous ceux et celles qui l’ont suivi avant moi : ce sentiment d’être aimé par lui, accueilli avec mes rêves et le poids de mes faiblesses. »

« Si je suis ici ce soir, c’est qu’au cœur de l’épreuve et de la maladie, il était le seul en dernier lieu, vers qui je pouvais me tourner dans mon impuissance; et je n’ai pas été déçu. Mystérieusement, le Dieu de Jésus-Christ était au rendez-vous et dans ma prière j’ai trouvé la paix. En dépit de ma souffrance, j’ai trouvé le courage de porter ma croix avec lui. C’est pourquoi je crois en lui. »

Un philosophe grec (Héraclite) disait, il y a déjà 2, 500 ans : « Si tu ne sais pas espérer, tu ne pourras jamais accueillir l’inespéré. » En cette Sainte Vigile, qui est la mère de toutes les vigiles, de toutes les attentes au cœur de la vie des hommes, nous proclamons que l’inespéré s’est fait chair, que le Fils du Père a habité parmi nous et qu’il a vaincu la mort. La pierre qui retenait la vie a été roulée sur le côté. La vie qui était captive de la mort a été libérée de ses entraves. Et Jésus Christ est devenu notre éternel printemps.

Voilà la foi qui nous rassemble en cette nuit. À la suite de tous ceux et celles qui nous ont précédés dans la foi, nous faisons mémoire de ces trois femmes, à l’aube de ce matin de ce matin de Pâques à Jérusalem, où chantaient tous les matins du monde :

« Pourquoi cherchez vous le vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité ! »

La Vie a pris la clé des champs ! Elle va d’ici, de là, se donnant à quiconque veut marcher librement à la suite de cet homme de Galilée, Jésus, Christ et Seigneur, le premier des vivants !

Réjouissons-nous frères et sœurs ! Célébrons ! Rendons grâce à Dieu en cette nuit sainte! Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! Amen !

Yves Bériault, o.p.

Stabat Mater

« Près de la croix de Jésus se tenait debout sa mère. » (Jn 19, 25)

« Près de la croix de Jésus se tenait debout sa mère. » C’est avec Marie que je vous propose de contempler la croix du Seigneur en ce Vendredi Saint. À travers la figure de Marie, la Mère du Seigneur, l’évangéliste Jean nous introduit dans le sens profond du mystère de la croix et de notre mystère en tant que disciples du Christ.

Il est vrai que les évangiles ne nous parlent pas beaucoup de la Mère du Seigneur, et pourtant elle est la seule personne dans les évangiles dont on mentionne la présence à toutes les étapes importantes de la vie de Jésus.

Elle est présente à son incarnation, elle en est même l’objet privilégié; elle est là pendant la mission de Jésus, pensons ici aux noces de Cana; elle est présente à Jérusalem, lors de la passion et de la mort de Jésus; et, après la résurrection, elle est sera présente à la Pentecôte avec les apôtres. Malgré leur discrétion, Marie occupe une place unique dans les évangiles, parce qu’elle occupe une place unique dans l’histoire du salut.

Celui que Marie a contemplé tout petit, couché dans une mangeoire, emmailloté, le voici maintenant couché sur la croix. Marie se tient debout devant lui, en silence, mère courageuse et en attente, comme la femme enceinte qui attend l’heure de sa délivrance. Marie, devant la croix, vit une pauvreté spirituelle qui la dépouille de tout privilège, de toute promesse. Il n’y a plus que cette nuit obscure, nuit de la passion, dans laquelle est entré son fils Jésus et dans laquelle elle entre avec lui. Et Marie se tient debout au pied de la croix…

L’évangéliste Jean est le seul qui présente cette scène, et pour bien la comprendre, il faut savoir ce que représente le Calvaire chez Jean. Le Calvaire représente l’ « Heure » de Jésus. Jean mentionne cette « Heure » à plusieurs reprises dans son évangile. Ainsi Jésus dira : « Père, l’heure est venue, glorifie ton Fils » (Jn 17, 1), « c’est pour cette Heure que je suis venu dans le monde » (Jn 12, 27). Et voilà que tout est consommé. Jésus est suspendu entre ciel et terre, et Marie se tient debout au pied de la croix.

Pour l’évangéliste Jean, le Calvaire est le lieu privilégié où se révèle la gloire du Christ. C’est l’« Heure » par excellence. Jésus ne disait-il pas : « lorsque vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous connaîtrez que Je Suis. » (Jn 8, 28).

Et en plaçant Marie au pied de la croix, Jean la situe au coeur du mystère pascal. Elle est témoin non seulement de la mort de son fils, mais de sa victoire sur la mort. Jésus après sa résurrection dira : « Bienheureux ceux qui croient sans avoir vu! » Marie sa mère est de ceux-là.

De Marie au pied de la croix, on ne nous rapporte ni cri, ni lamentation. Seulement son silence et sa position : Marie se tait, elle est debout, « donnant à l’immolation de la victime, née de sa chair, le consentement de son amour » (Vatican II : Lumen gentium, 58). Elle entre avec Jésus dans sa Pâque. C’est l’« Heure » de Jésus, mais c’est aussi l’« Heure » de Marie. Son oui la conduisait à cette « Heure », et c’est aussi le lieu de notre « Heure » à nous, parce que la croix est le lieu du disciple du Christ, et, comme Marie, le disciple est appelé à entrer dans l’offrande de Jésus faite au Père en notre nom.

Est-il surprenant alors que Marie se tienne debout au pied de la croix? Le Calvaire, où le cœur de Marie est transpercé par le glaive qu’annonçait la prophétie du vieux Syméon (« toi-même un glaive te transpercera l’âme »), nous donne de contempler la Mère du Seigneur qui avance dans la foi à la rencontre de la passion et de la mort de son fils. En Marie, nous contemplons déjà l’Église qui va à la rencontre de son Seigneur et qui se tient debout avec lui. C’est cette grâce qui est à l’œuvre en Marie et qui fait d’elle le véritable modèle du disciple du Christ. Avec elle, en ce Vendredi Saint, nous nous tenons debout près de la croix.

Marie se tient debout dans un sens physique bien sûr, mais avant tout, dans un sens spirituel. Au pied de la croix, Marie se tient debout et victorieuse avec le Christ. La passion est achevée, le long périple dans la nuit de la foi s’ouvre déjà sur l’Heure de Jésus, sur sa victoire sur la mort.

Quant à nous, nous savons combien il est difficile parfois de rester avec Jésus. C’est pourquoi il nous invite à prendre avec nous sa mère : « Voici ta mère » dit-il à chacun et chacune de nous. Avec elle, nous pouvons apprendre à nous tenir debout, là où dans la nuit de nos épreuves la résurrection de notre Seigneur est déjà à l’œuvre. Telle est notre foi et nous la proclamons fièrement en ce Vendredi Saint en nous tenant debout tout près de la croix. Amen.

Yves Bériault, o.p.

Jésus et Judas

Judas. Un membre de la famille dont on aime mieux taire le souvenir. Judas, celui qui est associé à la nuit, à la domination des ténèbres. Celui qui va livrer le Fils de l’homme. Pourtant quand j’entends parler de Judas, je ne veux pas penser au traître ou au voleur, ou encore à celui dont Jésus a dit qu’il aurait mieux valu qu’il ne vienne pas au monde. Ce qui retient surtout mon attention dans l’histoire de cet Apôtre, c’est tout d’abord le fait incroyable que Jésus l’ait choisi.

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Comme la plupart des Apôtres, le récit de sa vocation nous est inconnu. Mais la question qui vient aux lèvres de quelqu’un qui prend connaissance de l’histoire de Judas pour la première fois est de demander comment Jésus a pu choisir un Apôtre tel que Judas. Non seulement il n’y a pas là une erreur de jugement de la part de Jésus, mais Jésus a voulu Judas comme Apôtre, alors qu’il savait si bien lire le fond des cœurs.

Tout d’abord, ce qu’il faut souligner dans la relation entre Jésus et Judas, c’est qu’en dépit d’une volonté évidente chez les évangélistes Jean et Matthieu, de révéler au grand jour les côtés négatifs de cet Apôtre en disant de lui qu’il est un « voleur », un « traître », celui qui laisse entrer Satan en lui, jamais Jésus n’accuse Judas ouvertement devant les autres Apôtres. Bien sûr, Jésus évoque la trahison à venir, mais par un jeu de nuances, comme lui seul sait le faire, de telle manière que les disciples ne sauront pas vraiment qui va le trahir avant la scène du Jardin des Oliviers. Comme si en évoquant la trahison au cours du dernier repas, Jésus cherchait surtout à interpeller Judas.

D’ailleurs, ce dernier va se reconnaître quand Jésus va évoquer la trahison à venir et il va l’interroger en lui demandant : « Rabbi, serait-ce moi? » Cet aveu à peine déguisé ne l’empêchera pas d’aller au bout de son projet, ni Jésus d’aller au bout du sien. Jésus connaît son destin. Il connaît qui va le livrer et pourtant il avance vers sa passion en homme libre. Et puisqu’il est vraiment libre, sa liberté ne peut contraindre celle de Judas. Il ne peut qu’interpeller, inviter à aller plus loin.

Judas est sans doute déçu de Jésus, comme nous le sommes parfois dans nos attentes vis-à-vis à Dieu. L’incident de Béthanie, où Judas se plaint de l’argent gaspillé par cette femme qui verse du parfum sur les pieds de Jésus, est peut-être l’incident qui le fait basculer dans le camp adverse. Mais toujours est-il que Judas devait porter une déception énorme pour détruire celui auquel il avait dû beaucoup s’attacher. Car comment expliquer son suicide? En détruisant Jésus, Judas se détruit lui-même. Le reste de l’histoire appartient à Dieu seul et on ne peut juger Judas.

Ce que l’on sait c’est que Jésus a choisi Judas et le drame de ce dernier en dit long sur la difficile suite du Christ, surtout lorsque les déceptions l’emportent sur notre espérance en Dieu, sur nos choix de vie, sur nos projets. Mais ce choix de Judas par Jésus nous rappelle aussi que sans cesse, Dieu en son Fils, nous choisit nous aussi. Nous le croyons. À tous les jours, le Christ, désormais ressuscité, prend parti pour nous. Il nous chérit comme ses enfants. Il nous partage ses rêves les plus fous par le don de l’Esprit Saint. Nous croyons qu’il fait de nous ses compagnons de route, ses disciples, comme il l’avait fait pour Judas, toujours en nous laissant l’entière liberté de nos choix. Alors, pourquoi avoir choisi Judas?

Le choix qu’a fait Jésus de Judas ne peut être que le signe d’un grand amour, du plus grand amour qui soit, de l’amour vrai et inconditionnel qui ne cherche pas à posséder. C’est de cet amour que Jésus a aimé Judas. Il l’a laissé libre, au risque d’y laisser sa vie, tout comme il continue à le faire avec nous aujourd’hui. C’est de cet amour-là que Dieu nous aime. Peut-être Judas a-t-il entendu ces paroles de Jésus après qu’il l’eût livré : « Père, pardonne-leurs, ils ne savent ce qu’ils font. » Et s’il s’est enlevé la vie, c’est peut-être qu’il a réalisé, dans un moment de lucidité sans doute terrifiant, à quel point Jésus l’aimait.

Le drame de Judas, au-delà de sa trahison, c’est qu’il ait cru que sa faute soit irréparable, sans rémission. Sans doute n’avait-il jamais bien compris son Maître, qui par ses paroles et ses gestes, disait tout simplement que l’on n’est jamais humilié devant Dieu, que le pardon est toujours offert. Jésus n’a jamais cessé de le répéter de mille et une manières tout au long de son ministère : avec Dieu il est toujours possible de reprendre la route, puisque c’est lui qui nous a choisis et qu’il nous choisit sans cesse.

Yves Bériault, o.p.

Enquête sur le passé du pape François sous la junte argentine

Article du Journal La Croix

Dès le soir de l’élection du pape François, le 13 mars, plusieurs accusations contre le cardinal Jorge Mario Bergoglio ont commencé à circuler, à propos de son rôle pendant la dictature argentine de 1976 à 1983. Il est notamment accusé d’avoir facilité l’arrestation et la séquestration de deux jésuites dont il était alors le supérieur provincial.

La Croix a enquêté en Argentine sur ces accusations, qui se sont révélées fausses, et proviennent pour l’essentiel du gouvernement Kirchner, qui a toujours considéré l’archevêque de Buenos Aires comme un opposant politique.

Les principaux représentants des droits de l’homme en Argentine ont démenti catégoriquement que le pape François ait été en quoi que ce soit complice de la dictature dans son pays.

 Le P. Bergoglio a-t-il joué un rôle dans l’arrestation des jésuites Orlando Yorio et Francisco Jalics ? 

La principale accusation portée contre le P. Bergoglio, à l’époque où il était supérieur de la province jésuite d’Argentine et Uruguay, concerne sa responsabilité indirecte dans l’arrestation et la séquestration pendant cinq mois des deux jésuites Orlando Yorio (décédé en 2000) et Francisco Jalics. Le P. Bergoglio avait demandé à ces jésuites, qui vivaient dans un quartier pauvre de Buenos Aires, de quitter la Compagnie de Jésus, ce qui, affirment ses détracteurs, aurait implicitement donné le feu vert aux militaires pour enlever les deux prêtres. Les mêmes lui reprochent de n’avoir pas « fait assez » pour faire sortir plus rapidement ces deux jésuites de la sinistre École de mécanique de la marine (Esma), centre de détention secret où les opposants au régime étaient torturés.

Revenant sur le contexte de l’époque devant le Tribunal oral fédéral de Buenos Aires, en 2010, le cardinal Bergoglio avait expliqué qu’il avait« une bonne relation » avec Yorio et Jalics, ses anciens étudiants au Colegio Maximo, et qu’il n’avait rien à leur reprocher d’un point de vue pastoral ou politique. En février 1976, il leur avait écrit pour leur demander de quitter leur quartier, où ils vivaient avec un troisième jésuite, Luis Dourron. Orlando, Francisco et Luis refusèrent, et durent donc quitter la Compagnie de Jésus : la démission d’Orlando et de Luis – qui n’avaient pas prononcé de vœux définitifs – fut acceptée par le général à Rome le 19 mars 1976 ; celle de Francisco fut acceptée par le Saint-Siège. Luis Dourron demanda alors, avec succès, son incardination dans le diocèse de Moron, mais pas les deux autres, l’évêque n’ayant accepté qu’un seul jésuite. Toutefois, malgré leur exclusion, ils pouvaient venir, s’ils le souhaitaient, se réfugier à la curie jésuite de Buenos Aires. « Mais ils ont refusé », poursuit l’ancien provincial, qui souligne que « Yorio et Jalics avaient formellement quitté la Compagnie avant le coup d’État » du 24 mars 1976.

Deux mois après, « un dimanche vers le 20 mai », Orlando et Francisco ont été enlevés. Très vite informé, le P. Bergoglio a prévenu l’archevêché« dès le lundi ou le mardi ». Puis, par deux fois, il a rencontré le général Videla, président de la junte, et, deux autre fois, l’amiral Massera, chef de la marine, avec qui les rencontres furent tendues, voire « violentes ». Il leur a demandé des informations sur les jésuites et tous deux promirent de chercher…

 « Je témoigne que Bergoglio a tout fait pour savoir où ils étaient détenus et pour les faire libérer », affirme à La Croix le jésuite Juan Carlos Scannone, professeur émérite du Colegio Maximo, qui était très proche d’Orlando Yorio. « Tous les jours, il appelait pour savoir qui les détenaient, entre la police, l’armée de terre, la marine ou l’aviation… Finalement, c’est par des aumôniers militaires qu’il a su qu’ils étaient à l’Esma. » Les témoins de l’époque rappellent en outre qu’il était extrêmement dangereux de rechercher des personnes séquestrées. « C’est d’ailleurs pour cela queles deux religieuses françaises  ainsi que bon nombre des premières Mères de la place de Mai ont été assassinées », relève Leandro Despouy, président de l’équivalent argentin de la Cour des comptes et ancien rapporteur de l’ONU pour les droits de l’homme.

 « Le P. Bergoglio a choisi la voie politique et ce fut la bonne voie », souligne de son côté Horacio Mendez Carreras, l’avocat argentin des familles des deux religieuses françaises assassinées par la junte, rappelant que « la supérieure des Sœurs Léonie et Alice, avec un courage formidable, s’est présentée à la police, au consulat, à l’ambassade et a vraiment cherché partout… mais en vain. Les deux sœurs ont été assassinées, tandis que les deux jésuites ont été relâchés vivants. » 

Au bout de cinq mois de détention à l’Esma, les PP. Jalics et Yorio ont finalement été déposés, de nuit, par les militaires dans un champ à 135 km de la capitale. Après avoir relaté les tortures, insultes et privations dont ils avaient été victimes, le P. Bergoglio leur a demandé de ne pas communiquer, afin de ne pas se mettre en danger, et s’est chargé d’informer la Conférence épiscopale, l’archevêque de Buenos Aires et la nonciature. Mais il ne sait pas quelles suites ont été données à ce signalement, « les réponses reçues à l’époque étant restées très évasives ». Il s’est aussi chargé d’organiser leur sortie du pays. Le P. Yorio est d’abord parti pour Rome et c’est là, semble-t-il, qu’il a appris, par un jésuite colombien mal renseigné par l’ambassadeur argentin près le Saint-Siège, que lui et Francisco auraient été arrêtés « à la suite d’une plainte de leurs supérieurs qui les présentaient comme des guérilleros ».

De son côté, le P. Jalics s’est rendu aux États-Unis, puis dans le sud de l’Allemagne où il est toujours jésuite (il avait réintégré la Compagnie deJésus par la suite). Sur le site Internet de la province, il a affirmé le 20 mars, après l’élection du pape, qu’« il est faux de prétendre que notre mise en détention a été provoquée par le P. Bergoglio » : longtemps, il crut que lui et Orlando Yorio avaient « été victimes d’une dénonciation. Mais à la fin des années 1990, après différentes discussions, il est devenu clair pour moi que ce soupçon était injustifié. » Il précise aussi que l’officier chargé de l’interroger l’avait pris pour un espion russe en voyant sur ses papiers d’identité qu’il était né à Budapest, en Hongrie.

 Le P. Bergoglio a-t-il empêché le P. Jalics de renouveler son passeport en 1979 ? 

Fin 1979, Francisco Jalics, devenu membre de la province jésuite d’Allemagne, a demandé à son ancien supérieur de l’aider à renouveler son passeport argentin sans revenir en Argentine. En effet, ayant quitté son pays en 1976 avec un passeport valable deux ans, il avait pu le faire renouveler une première fois à Munich en février 1978, mais il ne pouvait le renouveler une seconde fois hors d’Argentine. Pour lui éviter « un voyage si coûteux », le P. Bergoglio a donc adressé un courrier au ministre du culte en date du 4 décembre 1979, demandant un renouvellement à distance.

Mais selon le journaliste Horacio Verbitsky, qui s’appuie sur la photocopie de deux formulaires de la direction générale des informations du 20 décembre 1979 adressés à Anselmo Orcoyen, ministre du culte, le P. Bergoglio aurait « joué double jeu ». Car le fonctionnaire en charge du dossier du P. Jalics a joint une note défavorable à son sujet, recommandant de ne pas renouveler le passeport d’un « agitateur qui a été détenu six mois à l’Esma pour suspicion de contacts avec les guérilleros, a vécu dans une petite communauté dissoute par son supérieur, a quitté la Compagnie, a été expulsé et qu’aucun évêque du Grand Buenos Aires ne veut recevoir ». Pour Horacio Verbitsky, ce serait le P. Bergoglio qui aurait soufflé ces motifs au fonctionnaire.

 « C’est absurde !, s’insurge Leandro Despouy. La direction des renseignements avait des fiches sur tous et c’était son travail de déconseiller une réponse favorable pour ceux qui, comme Jalics, avaient des antécédents. » Il s’étonne que certains « accordent du crédit à de tels fonctionnaires qui furent des criminels et qui n’étaient pas à un mensonge près » et souligne qu’« en 1979, un ancien séquestré de l’Esma n’aurait pu poser un pied sur le sol argentin sans se faire aussitôt arrêter ». Pour lui, il est logique que le P. Bergoglio « qui s’était donné tant de mal et avait couru tant de risques pour faire libérer Jalics, ne veuille surtout pas qu’il soit à nouveau arrêté et souhaite donc lui éviter à tout prix de devoir revenir ici ! » 

 Que savait   le cardinal Bergoglio  de l’existence  des bébés volés ? 

Le P. Bergoglio est également accusé par Estela de la Cuadra, fille d’Alicia, une des fondatrices des Grands-Mères de la place de Mai (morte en 2008, à 93 ans), d’avoir été au courant, « dès 1977 », de la confiscation par la junte des bébés des femmes disparues. Et non pas « en 2001, comme toute l’Argentine », comme l’archevêque de Buenos Aires l’a affirmé en 2010 en tant que témoin dans le procès de ces vols de bébés.

Lorsque Elena de la Cuadra, la sœur d’Estela, a été enlevée le 23 février 1977, elle était enceinte de cinq mois. Son bébé, né en détention, fait partie des 500 enfants enlevés avec leurs parents ou nés en captivités que les Grands-Mères de la place de mai recherchent depuis trente-sept ans, affichant à ce jour 108 cas résolus. Dans leur désespoir, les parents d’Elena avaient frappé à toutes les portes, dont celle du provincial des jésuites. C’est en tout cas ce qu’affirme la sœur d’Elena, qui poursuit les recherches depuis la mort de sa mère en 2008. C’est elle qui a demandé que le cardinal Bergoglio soit entendu comme témoin lors du procès en 2010, scandalisée par le fait qu’il soutenait ne pas avoir entendu parler de la grossesse de sa sœur Elena.

 Dans son témoignage envoyé à la justice, le cardinal a reconnu avoir reçu la visite du père d’Elena « inquiet de la disparition d’une de ses filles, (mais) je ne me souviens pas du tout qu’il m’a précisé que sa fille était enceinte », a-t-il assuré. Il a également apporté au tribunal une copie d’une lettre écrite le 28 octobre 1977 à l’archevêque de La Plata, Mgr Mario Picchi, « pour vous présenter M. Roberto Luis de la Cuadra, avec qui j’ai eu une conversation… Il vous expliquera de quoi il s’agit. » Au cours de cette rencontre avec la famille de la Cuadra, Mgr Picchi, proche des militaires, a informé qu’Elena avait accouché d’une fille et qu’elle l’avait prénommée Ana Libertad. « La fillette est élevée par une famille bien, quand au sort d’Elena il est irréversible », aurait dit Mgr Picchi, selon les Grands-Mères de la place de mai.

Rien ne prouve que Mgr Picchi a informé par la suite le P. Bergoglio de l’affaire. « C’est lors du procès contre les juntes militaires (NDLR : en 1985) et avec plus de précisions après 1990, (que) j’ai commencé à prendre connaissance de l’existence de ce qu’aujourd’hui on connaît comme les Grands-Mères de la place de Mai », a encore affirmé le cardinal Bergoglio. Ce qui, selon divers témoins de l’époque, est fort probable. Ainsi, Françoise Erize, 84 ans, dont la fille Marie-Anne (1) a disparu en octobre 1976, ne se souvient pas d’avoir entendu parler des vols de bébés avant « les années 1990 ».

 Quelle est l’origine  de ces accusations ? 

Horacio Mendez Carreras, l’avocat argentin des familles des Français assassinés par la junte, « n’a aucun doute » : selon lui, toutes ces rumeurs accusant le cardinal Bergoglio ont été orchestrées par le gouvernement de Cristina Fernandez de Kirchner, « CFK », qui a succédé en décembre 2007 à son mari Nestor Kirchner (président depuis 2003, décédé en 2010). « Pour discréditer ses opposants, CFK les accuse de complicité ou de silence pendant la dictature », poursuit l’avocat.

Ces accusations sont fournies, pour l’essentiel, par Horacio Verbitsky, spécialiste de l’Église en Argentine pendant la dictature (2) et directeur du quotidien pro-­Kirchner Pagina 12. Elles sont ensuite relayées par des associations des droits de l’homme, très importantes en Argentine et généralement critiques à l’égard de la hiérarchie ecclésiale. C’est le cas d’un des deux mouvements des Mères de la place de mai, présidé par Hebe Bonafini et financé par le gouvernement – l’autre mouvement étant surnommé la Linea Fundadora –, ainsi que du mouvement des Grands-Mères de la place de Mai, présidé par Estela de Carlotto. Curieusement, cette dernière, qui a régulièrement critiqué le cardinal Bergoglio, a publié une tribune élogieuse à son égard, au lendemain des deux rencontres de Cristina Kirchner avec le pape au Vatican.

Il faut dire que les relations entre le cardinal Bergoglio et les époux Kirchner, issus du péronisme, ont été très tendues . L’archevêque, qui multipliait les visites dans les bidonvilles, clamant que « la pauvreté est une violation des droits de l’homme », ne manquait pas de dénoncer certaines dérives du gouvernement. En 2004, lors du traditionnel Te Deum du 25 Mai (la fête nationale argentine), il avait épinglé « nos tentations de corruption et d’enrichissement ». Depuis, les Kirchner s’abstenaient d’aller à la cathédrale de Buenos Aires ce jour-là. Le cardinal s’est aussi opposé aux récentes lois sur le mariage homosexuel, le changement d’identité sexuelle et l’euthanasie. Une opposition qui lui a valu d’être taxé de« moyenâgeux » par CFK.

Ces derniers temps, les relations s’étaient apaisées entre le Palais présidentiel et l’archevêque. Et bon nombre d’Argentins pensent que le gouvernement Kirchner « va désormais chercher à récupérer le pape, en le faisant passer pour un péroniste, voire pour un kirchnériste », résume Brenda Struminger, journaliste politique du site Web du quotidien d’opposition La Nacion. D’autant que les élections législatives d’octobre prochain s’annoncent serrées pour le parti de la présidente.

Face à ces différentes accusations, deux des principaux défenseurs des droits de l’homme en Argentine ont démenti catégoriquement que le P. Bergoglio ait été complice de la dictature militaire. « Il y a eu des évêques complices, mais pas Bergoglio », a précisé la semaine dernière le prix Nobel de la paix Adolfo Pérez Esquivel à la chaîne britannique BBC. Quant à l’ancienne médiatrice du pays et amie de plus de quarante ans du pape, Alicia Oliveira, qui était juge en 1973 et fut persécutée en 1976, elle fut péremptoire dans les colonnes du quotidien Clarin : « Lorsque quelqu’un était contraint de fuir le pays, le P. Bergoglio était toujours à ses côtés. » 

(1) Un livre a été consacré à La Disparue de San Juan, par Philippe Broussard, Stock, 2011.

(2) Ses quatre volumes de La Mano izquierda de Dios ne sont pas traduits en français.

CLAIRE LESEGRETAIN (avec ÉRIC DOMERGUE), à Buenos Aires.

Persécution des chrétiens – Un témoignage

Jésus et la femme adultère. 5e Dimanche du Carême. Année C

Ce récit est une des scènes les plus dramatiques des évangiles. Sans doute à cause de la sobriété du récit où la violence est palpable, et où Jésus met sa vie en jeu comme jamais auparavant dans les évangiles. Il le fait pour une personne prise en flagrant délit d’adultère, une coupable selon la Loi, dont la faute entraîne la lapidation. Une personne, en entendant ce récit, me disait que si un jour elle avait à vivre une situation semblable de mise en accusation, elle voudrait bien avoir Jésus comme défenseur. Difficile de ne pas aimer Jésus dans ce récit.

En fait, cet épisode propre à l’évangile de Jean, est en quelque sorte un prélude à la Semaine Sainte. La nuit sur le Mont des Oliviers y est évoquée. Au matin, Jésus descend à Jérusalem et enseigne dans le Temple, alors que ses opposants se manifestent. C’est l’affrontement, les accusations contre la femme, le piège tendu à Jésus. On cherche à le prendre en défaut, on veut sa perte. Son procès est déjà commencé et Jésus garde le silence, tout comme il le fera devant Pilate, et devant le Sanhédrin.

Le récit de la femme adultère fait suite à un épisode de l’évangile de Jean, où les grands prêtres et les pharisiens, après à une première tentative d’arrestation de Jésus, s’exclament au sujet de la foule qui admire Jésus : « cette foule qui ne connaît pas la loi, ce sont des maudits ». Ce commentaire décrit bien les adversaires de Jésus et de cette femme que l’on a jetée devant lui.

Difficile de ne pas penser ici à tous ces radicalismes qu’ils soient religieux ou politiques, où l’idéal visé, qui devient idéologie, fait fi des personnes. On l’a vu dans de multiples guerres et révolutions. Nous le voyons aujourd’hui dans de multiples formes de militantismes, qu’ils soient religieux ou politiques. Il n’y a que la cause qui compte. On la défend avec fanatisme. La personne ne compte plus. Elle devient une quantité négligeable qui n’a droit à aucune compassion. Que l’on pense à ces régimes totalitaires qui tiennent leurs populations en esclavage ou encore à ces dictateurs, comme Staline, qui disait avec cynisme, afin de justifier ses massacres, que la mort d’un homme est bien sûr une tragédie, mais que la mort d’un million d’hommes n’est qu’une statistique.

À la suite de l’élection du Pape François, qui est reconnu pour son action en faveur des démunis en Argentine, les pourfendeurs de l’Église se sont empressés de minimiser ce souci pour les pauvres, en remettant en question la notion de charité chrétienne, l’accusant de ne pas s’attaquer aux véritables causes des inégalités, qui seraient avant tout politiques. On reproche à l’Église de se donner bonne conscience en n’aidant que de manière marginale et épisodique ceux et celles qui souffrent, alors qu’ils auraient besoin d’une révolution. L’attaque récente contre mère Térésa en est un exemple frappant.

Bien qu’il faille s’attaquer aux structures injustes dans notre monde, aux systèmes économiques et politiques qui exploitent, des luttes faut-il le dire dans lesquelles nombre de chrétiens et de chrétiennes sont engagés, nous croyons aussi, comme nous le révèle l’Évangile, que la transformation du monde passe nécessairement par la conversion des cœurs, un cœur à la fois. Sinon, aucune transformation sociale, aussi noble soit-elle, ne saurait tenir. C’est ainsi qu’il faut comprendre ce passage du livre d’Isaïe entendu dans la première lecture : « Voici que je fais un monde nouveau il germe déjà, ne le voyez-vous pas? »

Cette attention à la personne, Jésus nous en donne l’exemple dans cette rencontre de la femme adultère et de ses accusateurs. Remarquez que Jésus ne condamne personne dans ce récit. Il garde longuement le silence. Il écoute. Il prie. Pour ensuite suggérer à ses opposants de regarder en eux-mêmes. Alors que ces derniers tentent de s’imposer par le nombre et par la force de la Loi, Jésus s’adresse en fait à chacun d’eux. « Regarde dans ton cœur », leur dit-il. Que celui qui est sans péché, lui lance la première pierre ». C’est à dire : « Rappelle-toi que tu es avant tout une personne avec tes propres faiblesses et tes fragilités. Est-ce que tu voudrais que Dieu te condamne? Qu’il n’ait pas pitié de toi? Comment alors peux-tu ne pas avoir pitié de ta sœur qui est ici? Et tu voudrais la tuer? »

Voyez l’attitude de Jésus. Alors que cette femme est livrée à une foule déchaînée qui la traine devant Jésus avant de la lapider, ce dernier baisse la tête et regarde vers le sol. Comme s’il ne voulait pas humilier cette femme davantage en la regardant ou encore pour réprimer sa honte et sa colère devant les agissements de cette foule. Jésus a alors cette réaction tout à fait étonnante : il se penche vers le sol et il se met à écrire.

Depuis les débuts de l’Église, bien des théologiens se sont interrogés sur ce que Jésus pouvait bien avoir écrit. Cette action de Jésus restera toujours énigmatique en dépit des interprétations avancées.

Ce que l’on peut affirmer toutefois sans se tromper, c’est que Jésus écrit dans le sable avec un langage nouveau, qui s’exprime dans son action de libérer la femme adultère et de lui rendre sa dignité ; en lui disant des paroles que son cœur n’espérait certainement pas entendre dans cette situation de violence et de mépris : « Moi non plus, je ne te condamne pas ».

Jésus ne condamne pas. Il invite tout simplement : « Va ma fille, ne pèche plus ». Par la parole qu’il prononce en sortant de son silence, Jésus n’abroge pas la loi relative à l’adultère, ni ne condamne la femme coupable; il lui demande simplement de ne plus pécher.

Saint Augustin a magnifiquement interprété ce tête-à-tête entre Jésus et cette femme. Une fois que la foule s’est dispersée, écrit-il, « ils ne restent plus que deux : Miseria et Misericordia », c’est-à-dire la misère humaine et la miséricorde divine. En Jésus, Dieu se révèle comme le Dieu de toute miséricorde. Et c’est cette miséricorde, cette pédagogie de la conversion, que l’Église doit faire entendre au monde si elle veut toucher les cœurs. Comme le rappelait il y a quelques heures à peine le pape François : « L’Église c’est le peuple de Dieu, le saint peuple de Dieu, qui marche vers la rencontre avec Jésus Christ ».

Henri Nouwen décrit ainsi l’attitude de Dieu vis-à-vis ses enfants :

« Son seul désir est de bénir… Il n’a aucun désir de les punir. Ils ont déjà été punis de façons excessives par leur propre errance, intérieure et extérieure. Le Père veut simplement leur faire savoir que l’amour qu’ils ont cherché dans des chemins tortueux a été, est et sera toujours là, pour eux… mais il ne peut les forcer à l’aimer sans perdre sa véritable paternité. » (Henri Nouwen. Le retour de l’enfant prodigue. Bellarmin, 1995. p. 119)

L’évangile de dimanche dernier, celui du retour de l’enfant prodigue, et l’évangile de ce dimanche constituent en quelque sorte une mise en route en cette fin de Carême, afin de nous préparer à la fête de Pâques, en nous invitant à reconnaître que nous avons tous et toutes besoin du pardon de Dieu.

En Église, le sacrement du pardon est en quelque sorte une actualisation de ces récits évangéliques, le lieu par excellence où nous nous présentons devant le Christ avec notre péché et nos pauvretés. Chaque fois que nous avons recours à ce sacrement, c’est le Christ lui-même qui pose son regard sur nous, qui nous relève, et qui nous dit : « Va, personne ne te condamne. Tu es libre. Va et ne pèche plus. » Ne devrait-on pas courir vers cette rencontre avec le Christ? C’est la grâce que je nous souhaite à l’approche de la grande fête de Pâques. Amen.

Yves Bériault, O.P.

Prière pour le Pape François

Dieu notre Père, nous te rendons 
grâce pour le pape François que 
tu donnes à ton Église comme serviteur 
et berger suprême. Soutiens-le avec ta force 
et ta vigueur afin qu’il soit un bon pasteur 
pour l’Église qui avance au cœur 
de notre monde.

Jésus, Bon Pasteur, accompagne 
le nouveau successeur de Pierre 
dans sa tâche pastorale. 
Qu’il soit, comme toi, attentif à 
chaque personne, prophétique 
par ses paroles et ses gestes, 
fidèle et généreux dans 
son service à l’Église.

Esprit Saint, déverse en lui 
ton eau vive de sagesse, 
de courage et de discernement 
afin qu’il guide la barque de Pierre 
durant ce printemps de nouvelle évangélisation. 
Qu’il trouve en toi son appui et son inspiration 
pour chaque décision qu’il aura à prendre.

Vierge Marie, mère de l’Église, 
accompagne ton fils François
avec ta présence maternelle. 
Donne-lui de toujours garder les yeux 
fixés sur Jésus, ton Fils bien-aimé, 
afin qu’il puisse nous conduire sur 
les chemins de la mission, 
aujourd’hui et toujours. 

Amen

Habemus Papam

Habemus Papam

Selon une information, jamais confirmée ni démentie par l’intéressé, le cardinal Jorge Maria Bergoglio aurait recueilli une quarantaine de voix lors du conclave de 2005, suffisamment pour bloquer l’élection de Joseph Ratzinger, avant de finalement laisser entendre qu’il ne voulait pas être élu. Huit ans plus tard, tout est différent : Jorge Mario Bergoglio est devenu le premier pape latino-américain et le premier jésuite. Et c’est tout naturellement que sa proximité avec les pauvres lui a fait choisir le nom de François Ier.

Né en 1936 à Buenos Aires dans une famille modeste d’immigrés italiens venus du Piémont dont le père était employé de chemins de fer, Jorge Mario a grandi à l’école publique avant d’entamer des études de techniciens chimiste puis de se tourner vers la prêtrise, mûrissant sa vocation dans le laboratoire où il travaille. Le séminaire diocésain de Buenos Aires puis le noviciat jésuite où il entre en 1958.

Après son ordination en 1969, ses études le conduisent au Chili et en Espagne où il prononce sa profession perpétuelle en 1973, avant de revenir en Argentine comme maître des novices puis comme provincial. Des années difficiles, marquées par la dictature où la Compagnie est profondément divisée sur la question de la théologie de la libération et souffre d’une baisse des vocations. Six ans plus tard, soucieux de maintenir la non-politisation des jésuites, il laisse une province apaisée et de nouvelles vocations.

UN « HOMME DISCRET ET TRÈS EFFICACE, FIDÈLE À L’ÉGLISE »

Recteur du grand Collège, les facultés jésuites de théologie et de philosophie de Buenos Aires, et curé dans la capitale argentine à partir de 1980, il part en Allemagne en 1986, achever sa thèse de théologie à Fribourg, puis revient comme curé en Argentine : à Cordoba, à 700 km à l’ouest de la capitale, au pied de la sierra, puis à Mendoza, près de la frontière chilienne.

En 1992, Jean-Paul II nomme ce « wojtylien pur jus », selon les mots de Sergio Rubin, chroniqueur religieux du grand quotidien argentin Clarin, évêque auxiliaire de Buenos Aires, puis coadjuteur en 1997. L’année suivante, il succède au cardinal Antonio Quarracino qui, quelques jours avant sa mort, évoquait « cette bonne nouvelle pour son diocèse », dressant le portrait d’un « homme discret et très efficace, fidèle à l’Église et très proche des prêtres et des catholiques ». Ascète et austère, le nouvel archevêque délaisse alors la pompeuse résidence des archevêques de la capitale argentine pour vivre seul dans un petit appartement près de la cathédrale et refuse voiture avec chauffeur pour préférer le bus et le métro.

Malgré sa santé fragile – on lui a ôté une partie du poumon droit à 20 ans –, il mène une vie ascétique et se lève à 4 h 30 du matin pour une journée de travail assidu qu’il commence toujours par une longue lecture d’une presse à laquelle il n’a accordé qu’une seule interview. L’homme est en effet connu pour parler peu mais écouter beaucoup. « Il écoute deux fois plus qu’il ne parle et perçoit bien plus que ce qu’il écoute », confiait un proche à La Croix en 2005. Grand lecteur (notamment les romans russes, Dostoïevsky en tête, et son compatriote Borges), il est aussi un amateur d’opéra, et un fervent supporteur de San Lorenzo, l’un des grands clubs de la capitale argentine, fondé en en 1908 par un prêtre.

UN SENS PASTORAL AFFIRMÉ

De ses années de curé à Buenos Aires et dans la sierra, il a gardé un sens pastoral affirmé, ne répugnant pas à confesser régulièrement dans sa cathédrale et faisant tout pour rester proche de ses prêtres pour lesquels il a ouvert une ligne téléphonique directe. On le voit d’ailleurs souvent déjeuner d’un sandwich dans un restaurant avec un de ses curés et il n’a pas hésité, en 2009, à venir loger dans un bidonville chez un de ses prêtres menacé de mort par des narcotrafiquants.

Créé cardinal en 2001 par Jean-Paul II, il conserve son éternel pardessus noir de préférence à l’habit pourpre et, pour Rome, se contente de faire retailler la soutane de son prédécesseur, le cardinal Quarracino. La même année, son humilité avait frappé lors du synode de 2001 sur le rôle de l’évêque, où il fut rapporteur adjoint remplaçant le cardinal Egan, archevêque de New York rappelé dans sa ville par les attentats du 11 septembre.

Ayant fait de la pauvreté un de ses combats – « une violation des droits de l’homme », affirmait-il en 2009 – ce pourfendeur du néolibéralisme et de la mondialisation est ainsi devenu une autorité morale incontestable en Argentine et au-delà. Au point où il apparaît aujourd’hui, dans un pays où l’opposition est quasi inexistante, la seule véritable force à s’opposer au couple Kirchner dont il ne cesse de dénoncer l’autoritarisme.

Il leur semble suffisamment dangereux pour que la presse pro-Kirchner ressorte en 2005 une vieille affaire accusant le P. Bergoglio, provincial des jésuites d’Argentine pendant la dictature, d’avoir dénoncé deux de ses confrères qui furent enlevés et torturés dans la sinistre École mécanique de la marine. D’autres témoignages, au contraire, rappellent l’énergie qu’il a dépensée pour obtenir leur libération.

Et tandis que, l’ancienne médiatrice argentine, Alicia de Oliveira, qu’il a sauvée des militaires, évoque sa grande richesse affective, la plupart des jésuites argentins gardent de lui l’image d’un homme qui a su apaiser une province divisée et qui sait gouverner en situation de crise. Autant de qualités dont aura besoin François Ier face à une Curie traumatisée par l’affaire des Vatileaks.

Source : Journal La Croix

Ces chrétiens qu’on assassine de René Guitton

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En Orient, les persécutions croissantes poussent les Chrétiens à fuir les pays où est né le christianisme. Au Maghreb, en Afrique subsaharienne et jusqu’en Extrême-Orient, parce que chrétiens, ils sont contraints au silence et parfois assassinés par centaines. Des églises, des habitations sont saccagées, des cimetières profanés. À nos portes, des fatwas sont édictées, des Chrétiens condamnés. Et ces agressions insoutenables se heurtent au silence de la communauté internationale, oublieuse de ce que « la liberté de pensée, de conscience et de religion » est inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme.

Juifs et Musulmans sont aussi persécutés. Mais la reconnaissance de leurs souffrances ne doit pas se faire au prix de la négation de celle des Chrétiens. Y aurait-il de bonnes et de mauvaises victimes? Des victimes dont on doit parler et d’autres qu’il faut passer sous silence?

Avec Ces Chrétiens qu’on assassine, René Guitton dresse le « livre noir de la christianophobie « , cri de révolte, appel à la mobilisation de tous et leçon de fraternité: qu’il soit juif, chrétien ou musulman, quand un groupe est menacé, c’est le signal que d’autres pourront l’être à leur tour.

Taire les douleurs du présent, c’est s’exposer à les banaliser quand elles doivent interpeller l’humanité tout entière. Ce livre nous oblige à rompre avec l’indifférence qui comble d’aise les bourreaux et tue une seconde fois leurs victimes.

Biographie de l’auteur

Passeur infatigable entre l’Orient et l’Occident, René Guitton milite pour le dialogue des cultures et des civilisations, contre le racisme et l’antisémitisme. Il est l’auteur, entre autres livres, de Si nous nous taisons, le martyre des moines de Tibhirine qui a obtenu plusieurs prix. Il est membre du réseau d’experts de l’Alliance des civilisations des Nations Unies.

Homélie pour le quatrième dimanche du Carême. Le retour du fils prodigue

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Aujourd’hui, Jésus nous raconte une histoire. Une de ses plus belles histoires dont lui seul a le secret. Une histoire comme bien des histoires que l’on raconte aux enfants : « Il était une fois un homme… »

Mais pourquoi Jésus raconte-t-il cette histoire? L’évangéliste Luc nous en donne l’explication suivante : « Les collecteurs d’impôts et les pécheurs s’approchaient tous de Jésus pour l’écouter. Et les pharisiens et les scribes murmuraient; ils disaient : “Cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux !”  La parabole de l’enfant prodigue est donc une réplique à la critique des opposants de Jésus.

Comme une pièce de théâtre, elle met en scène différents personnages, mais l’acteur principal, c’est le Père. Cette parabole aurait pu s’intituler “la parabole de la miséricorde du Père”, tellement le visage que Jésus nous dépeint de lui est étonnant, surprenant même. Est-ce que Dieu peut nous aimer à ce point? Les pharisiens et les scribes semblent en douter.

Jésus nous raconte l’histoire d’un jeune homme qui dépouille littéralement le père de son bien quand il quitte la maison avec sa part d‘héritage. Mais le Père le laisse aller. L’agir du fils cadet va aller à l’encontre de toutes les valeurs de sa famille : il s’établit dans un pays païen, il devient le gardien d’un troupeau de porcs, un animal impur pour les Juifs. Il mène une vie dissolue et, d’après son frère, il aurait dépensé tout son argent avec les files. Ici, l’on sent la méchanceté de l’aîné, mais nous y reviendrons.

Le Père lui ne cesse d’attendre son fils devant la maison. Il l’attend sans doute depuis son départ, et quand il le voit revenir, il se jette à son cou. Le fils cadet n’a même pas le temps de dire à son père toute la formule de regret qu’il avait préparé. Le Père le prend dans ses bras, il l’embrasse et il ordonne aux serviteurs de préparer la salle pour la fête.

Le fils cadet n’est pas dépouillé de sa dignité aux yeux du Père parce qu’il a péché. Au contraire, le Père s’écrie : “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller. Mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds.”

Le père revêt son fils des habits de l’élection, de la bénédiction. Le fils est choisi à nouveau par son père. Il est revêtu des sandales de l’homme libre, de la bague des fiançailles, et il est invité au banquet des noces. “Allez chercher le veau gras, tuez-le; mangeons et festoyons. Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie; il était perdu, et il est retrouvé.”

Par cette parabole Jésus veut nous révéler ce visage trop souvent méconnu de Dieu, pour qui il n’y a pas de pays, aussi lointains soient-ils, de situations, aussi désespérées soient-elles, dont on ne peut revenir. Jésus raconte cette parabole parce qu’on l’accuse de faire bon accueil aux pécheurs. Elle met en scène un fils aîné qui représente ces pharisiens et ces scribes qui critiquent Jésus. Le fils cadet lui représente les pécheurs qui ont besoin de guérison, et qui, dans leur exil, ont entendu la Bonne Nouvelle du Christ, et ont repris le chemin vers la maison du Père.

Maintenant, il est important de souligner l’attitude du Père à l’endroit du fils aîné, lui qui refuse d’entrer dans la salle du festin. Le père va même sortir pour aller lui parler. Une invitation lui est faite à prendre part au grand pardon de Dieu. “Mon enfant, lui dit-il, toi tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi.”

Voyez comme le père l’aime lui aussi, alors que le fils aîné semble tout ignorer de cet amour du Père pour lui. Le Père prend même la peine de s’expliquer : “Mais il fallait festoyer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé.” Remarquez que le père ne dit pas “mon fils que voici était perdu…”, mais plutôt “ton frère que voici”. Le fils cadet n’est pas seulement un fils pour son Père, mais il est aussi un frère pour le frère aîné et tous les deux sont aimés tout autant.

Jésus nous enseigne aujourd’hui que notre Père du ciel est un Dieu d’amour et de miséricorde, et que dans son pardon nous trouvons la guérison. Les paroles du Père pour le fils aîné sont tout aussi empreintes de tendresse que pour le fils cadet, car Dieu aime tous ses enfants. Dans nos vies, l’on peut être tour à tour fils cadet et fils aîné, fille cadette et fille aînée, mais Jésus dans cette parabole nous invite à aller plus loin. Il nous invite à devenir comme le Père.

Vous connaissez l’expression “tel père, tel fils”, “telle mère, telle fille”. La parabole de l’enfant prodigue nous est racontée pour nous dévoiler le vrai visage de Dieu, et pour nous inviter à devenir comme Lui, à porter avec Lui le souci du monde, à aimer avec Lui tous nos frères et sœurs où qu’ils soient, quelles que soient leurs situations.

Tous ensemble, nous avons la charge de tous les humains, d’ici et d’ailleurs, chacun et chacune de nous, selon nos possibilités, nos talents, nos ressources. Nous avons tous un rôle à jouer dans ce ministère de la réconciliation qui nous est confié en Église. Comme nous le rappelle saint Paul, nous sommes tous des ambassadeurs du Christ, et le premier pas qui mène vers l’autre, est tout d’abord de porter le souci de cet autre, de ne pas vivre dans l’indifférence, dans l’ignorance de l’autre, surtout les plus pauvres. Nous devenons des reflets du visage du Père quand nous avons le souci des plus malheureux. Voilà ce à quoi Jésus nous invite dans la parabole de l’enfant prodigue.

Je me souviens de cette jeune infirmière qui revenait d’Haïti et qui pleurait en me racontant la misère qu’elle avait vue là-bas, et qui m’avait dit : “Il me semble, que le bon Dieu doit avoir honte de nous.” En dépit du propos, je la trouvais belle dans son indignation et dans sa tristesse. Je me disais : “voilà vraiment la fille de son père, son Père du ciel. Comme il doit se reconnaître en elle”.

Vivre les valeurs évangéliques, refléter le visage de Dieu, est un long et patient travail sur nous-mêmes, et qui est rendu possible si nous marchons avec Jésus. Ce matin, il vient nous rappeler que Dieu nous aime d’un amour fou, déraisonnable, parce que nous sommes ses enfants bien-aimés et qu’Il nous attend au festin du Royaume. Il guette notre arrivée. N’est-ce pas là un motif suffisant pour nous inciter à participer à la grande fête de Dieu avec l’humanité?

D’ailleurs, cette fête est déjà commencée. Nous la célébrons en chacune de nos eucharisties en attendant la grande fête du ciel. Amen.

Yves Bériault, O.P.