FAUT-IL AIMER L’ÉGLISE…
PSAUME
(136 (137), 1-2, 3, 4-5, 6)
R/ Que ma langue s’attache à mon palais
si je perds ton souvenir ! (cf. 136, 6a)
Au bord des fleuves de Babylone
nous étions assis et nous pleurions,
nous souvenant de Sion ;
aux saules des alentours
nous avions pendu nos harpes.
C’est là que nos vainqueurs
nous demandèrent des chansons,
et nos bourreaux, des airs joyeux :
« Chantez-nous, disaient-ils,
quelque chant de Sion. »
Comment chanterions-nous un chant du Seigneur
sur une terre étrangère ?
Si je t’oublie, Jérusalem,
que ma main droite m’oublie !
Je veux que ma langue s’attache à mon palais
si je perds ton souvenir,
si je n’élève Jérusalem
au sommet de ma joie.
MÉDITATION
Permettez-moi, en ce dimanche de la joie, de faire digression de l’évangile, et de m’inspirer seulement de quelques mots du psaume qui sont tellement évocateur pour moi. Il s’agit du refrain que nous venons d’entendre :
Que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir !
Ce cri du psalmiste fait référence au drame d’Israël lors de son exil, près de six siècles avant Jésus-Christ, qui se lamente d’être séparé de son Temple et de son Dieu. Le Temple a été détruit par le roi Nabuchodonosor et son armée, et la population est déportée à Babylone. Ce n’est que 80 ans plus tard, qu’un nouveau roi permettra aux descendants de ces exilés de retourner à Jérusalem et de reconstruire leur Temple. Voilà pour le contexte historique.
Que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir !
En réentendant ces paroles du psaume, paroles qui affirment l’attachement radical du peuple d’Israël à la ville sainte et à son Temple, je les fais miennes en ce qui concerne mon attachement à l’Église et au mystère qu’elle porte, oui, vous avez bien entendu, à l’Église. Je les fais miennes afin de réagir à tout ce qui la défigure et qui en fait un objet de moquerie. N’est-ce pas le pape Paul VI qui disait que l’on ne peut vraiment aimer le Christ sans aimer l’Église.
Frères et sœurs, mon homélie se veut en quelque sorte un acte de résistance et d’encouragement, en même temps qu’un acte de foi. C’est pourquoi je voudrais faire entendre en ce dimanche de la joie, un appel pressant à redécouvrir la grande richesse de notre héritage chrétien et, plus encore, l’immense bonheur de suivre le Christ tous ensemble en Église.
Dans la vingtaine, jeune converti, je me souviens que l’une de mes grandes découvertes, alors que je commençais à connaître des chrétiens et des chrétiennes de tous horizons, de plusieurs pays, je constatais que la même foi que la mienne les faisait vivre, qu’ils éprouvaient le même amour pour le Seigneur. Je découvrais une réalité mystérieuse à l’œuvre partout dans le monde, où des hommes et des femmes, sans se connaître, vivaient d’une même communion de foi en Église. C’était là pour moi une découverte incroyable, et qui ne faisait que me confirmer dans ma foi en Jésus Christ, foi que je pouvais partager avec d’autres, d’où qu’ils soient.
Devant la crise que traverse notre Église avec sa baisse des vocations, sa baisse des fidèles, les assauts violents contre elle dans les médias, mais aussi les abus de la part de certains de ses membres, et c’est ce qui fait le plus mal, il nous faut nous poser la question suivante, que certains d’entre nous se sont déjà posée sans doute : vais-je rester ou partir ?
J’ai beaucoup porté cette question en me demandant ce que je pourrais apporter comme raisons de rester à ceux et celles qui sont dans le doute, qui hésitent, ou qui sont blessés. Voici ce que j’aimerais leur dire.
Tout d’abord, depuis que je suis croyant, j’ai toujours aimé l’Église, mais il faut voir plus large que l’institution. Je veux parler de la force de résurrection qui s’est emparée des premiers témoins, de cette Église Mère, née au pied de la croix, avec la Vierge Marie et l’apôtre Jean, et qui s’est vue propulsée aux quatre coins du monde avec l’avènement de la Pentecôte.
C’est cette Église, avec ses premiers fidèles rassemblés à Jérusalem, qui nous a annoncé la résurrection du Christ au matin de Pâques, qui nous a rappelé les paroles et les actions de Jésus à travers des lettres et des récits évangéliques, avec ses figures inoubliables que sont les Marie-Madeleine, les apôtres Pierre et Paul, Tite et Timothée, et combien d’autres dans les générations suivantes.
Ce sont ces premières générations de témoins qui nous ont transmis le baptême et l’eucharistie, qui nous ont légué les mystères de la foi et qui nous ont révélé que Dieu est amour. Sans ces témoins au fil des âges, rien de tout cela ne nous serait parvenu. Ni les Évangiles, ni les grands textes d’un saint Paul, d’un Jean de la Croix ou d’une Thérèse d’Avila, ni les témoignages d’un François d’Assise, d’une Thérèse de Lisieux, ou encore l’engagement parmi les pauvres avec l’abbé Pierre, sœur Emmanuel, Mgr Romero, Mère Teresa de Calcutta. La liste est sans fin. Et que dire du rôle de l’Église dans la création des hôpitaux, des écoles et des œuvres de toutes sortes au service des plus nécessiteux.
Sans l’Église, la bonne nouvelle de Jésus Christ ne nous serait jamais parvenue si des hommes et des femmes ne s’étaient mis à sillonner la Palestine et les côtes de la Méditerranée avec l’incroyable nouvelle du matin de Pâques. Il n’y aurait jamais eu personne pour nous dire combien nous sommes aimés de Dieu et que nous sommes faits pour la vie et non pas pour la mort.
Sans l’Église, pas d’école de la prière, ni Pater Noster, ni Ave Maria. Nous serions tous orphelins de la Parole de Dieu. Nous n’aurions ni cathédrales, ni monastères, ni églises où nous recueillir et célébrer la vie.
Le mystère de l’Église à travers les siècles et les millénaires, s’exprime tout autant dans la vie des grands saints que dans la vie de tous ces hommes et ces femmes anonymes qui n’ont cessé de vivre leur foi en donnant tout d’eux-mêmes.
Et que dire de l’héritage de la beauté que le christianisme nous a légué à travers la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique, le chant choral, l’art de l’icône et du vitrail, l’apport des mystiques et des saints. L’héritage est immense, frères et sœurs, mais il est avant tout et surtout spirituel : c’est le don du fils de Dieu lui-même à notre monde que l’Église est appelée à annoncer et nous donner d’en vivre! Et cet héritage il est pour nous aujourd’hui, et pour chacun des jours de nos vies.
C’est pourquoi, le psalmiste m’interpelle quand je l’entends dire :
Que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir !
Car nous aussi nous vivons une forme d’exil, et l’Église nous paraît parfois bien fragile, trop humaine même, et pourtant elle porte en elle-même un mystère capable de sauver le monde, une vie à la fois. Voici un bref témoignage en ce sens. Il s’agit du prêtre orthodoxe Alexandre Men, figure prophétique en Union soviétique, qui a fait l’expérience d’une Église persécutée, réduite à sa plus simple expression. Il fut assassiné en 1990, alors qu’il se rendait célébrer la liturgie dominicale.
La veille de sa mort, le 8 septembre 1990, il affirmait dans une conférence : « Le christianisme n’en est qu’à ses débuts. Son “programme”, appelons-le ainsi, est prévu pour des millénaires… Le christianisme est ouvert sur tous les siècles, sur le futur, sur le développement de toute l’humanité. C’est pourquoi il est capable de renaître constamment. Au fil de son histoire, il peut traverser les crises les plus pénibles, se trouver au bord de l’extermination, de la disparition physique ou spirituelle, mais à chaque fois il renaît. Non pas parce qu’il est dirigé par des personnes exceptionnelles – ce sont des pécheurs comme tout le monde —, mais parce que le Christ lui-même nous l’assure : “Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde” (Mt 28, 20). Le Seigneur n’a pas dit : “Je vous laisse tel ou tel texte, que vous pouvez suivre aveuglément.” […] Non, le Christ a dit : “Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde.” Il n’a pas parlé de quelques écrits, de Tables de la Loi, de certains signes et symboles particuliers. Il n’a rien laissé de tel, mais il s’est laissé lui-même, lui seul. »
Frères et sœurs, voilà la grâce que l’Église nous annonce et nous donne en partage. Que ce soit là notre joie ! Amen.
fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain
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