Dimanche de Pâques : Il vit et il crut!

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 20, 1-9

Le premier jour de la semaine,
Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ;
c’était encore les ténèbres.
Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.
Elle court donc trouver Simon-Pierre
et l’autre disciple,
celui que Jésus aimait,
et elle leur dit :
« On a enlevé le Seigneur de son tombeau,
et nous ne savons pas où on l’a déposé. »
Pierre partit donc avec l’autre disciple
pour se rendre au tombeau.
Ils couraient tous les deux ensemble,
mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre
et arriva le premier au tombeau.
En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ;
cependant il n’entre pas.
Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour.
Il entre dans le tombeau ;
il aperçoit les linges, posés à plat,
ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus,
non pas posé avec les linges,
mais roulé à part à sa place.
C’est alors qu’entra l’autre disciple,
lui qui était arrivé le premier au tombeau.
Il vit, et il crut.
Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris
que, selon l’Écriture,
il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.

MÉDITATION

Frères et soeurs, en ce matin de la résurrection, nous nous tenons éblouis devant un tombeau vide. Un tombeau à la porte grande ouverte, irradiant la lumière de Pâques. L’évangéliste Jean a cette phrase laconique au sujet du disciple bien-aimé qui se tient là avec nous : « Il vit et il crut ! ». Comme si ce tombeau vide était le dénouement logique de ce long compagnonnage avec Jésus ; un tombeau vide confirmant en quelque sorte la profondeur du mystère qui animait Jésus. C’est à ce regard de foi que nous sommes conviés ce matin.

« Il vit et il crut ! » Cet acte de foi du disciple bien-aimé est d’autant plus étonnant compte tenu de la fin tragique de Jésus. C’est le grand spirituel d’ici, Fernand Ouellette, qui écrivait : 

« Les évangélistes, faut-il le redire, rapportaient une mort infamante de Jésus sur la croix qui ne pouvait qu’accabler, humilier tout disciple par sa forme d’échec impitoyable. Ce que tout écrivain fabulateur, mythologisant n’aurait jamais voulu imaginer. On n’invente pas Jésus Christ, il a trop d’exigence, et une croix trop lourde et râpeuse pour nos épaules. En somme, nos témoins rapportaient ce qui aurait dû empêcher la naissance et l’expansion du christianisme, s’ils n’avaient pas voulu témoigner particulièrement des faits et de la foi ardente qu’ils avaient en Jésus ressuscité, Messie et Seigneur, seule voie vers le Père. »

Aujourd’hui, deux mille ans plus tard et quelques poussières, c’est cette même foi qui nous nous rassemble et nous fait vivre. Un philosophe grec (Héraclite) disait un jour : « Si tu ne sais pas espérer, tu ne pourras jamais accueillir l’inespéré. » 

En cette fête de Pâques, qui est la mère de toutes les fêtes, de toutes les attentes au cœur de la vie des hommes et des femmes de ce monde, nous proclamons que l’inespéré s’est fait chair, que le Fils du Père a habité parmi nous, et qu’il est lui le grand vainqueur de la mort. Tant qu’à nous qui sommes ses disciples, nous affirmons que nous avons reconnu sa présence au cœur de nos vies. Nous avons vus nous aussi et nous avons crus. La pierre qui retenait la vie a été roulée sur le côté. La vie qui était captive de la mort a été libérée de ses entraves, et Jésus est devenu notre éternel printemps. 

Réjouissons-nous frères et sœurs ! Rendons grâce à Dieu en ce jour de Pâques ! Car Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! Alleluia ! Amen !

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Samedi saint : Le lion qui dort

Il y a quelques années les studios Walt Disney on produit un film intitulé : Les Chroniques de Narnia: L’Armoire Magique, tiré du roman de C.S. Lewis, célèbre auteur anglican du XXe siècle.

Voici une brève description de ce conte fantastique. Le commentaire qui suit dévoile un aspect important du film (avis aux cinéphiles):

Il s’agit « des exploits de quatre enfants de la famille Pevensie -Lucy, Edmund, Susan et Peter – qui, à l’époque de la Seconde guerre mondiale en Angleterre, entrent dans le royaume de Narnia par une armoire magique en jouant à cache-cache dans une maison de campagne appartenant à un vieux professeur. Là, ils découvrent un royaume enchanteur et paisible habité par des bêtes parlantes, des nains, des faunes, des centaures et des géants condamnés à vivre dans ce monde où règne l’hiver depuis longtemps depuis que Jadis, la Sorcière Blanche, a pris le pouvoir. Sous les conseils du lion Aslan, un dirigeant noble et mystique, les enfants s’engageront dans une lutte spectaculaire pour tenter de libérer Narnia de l’emprise de la Sorcière Blanche. »

Un tournant du film est celui où le lion Aslan donne librement sa vie afin de sauver le jeune Edmund qui avait trahi les siens. La Sorcière Blanche avait le droit de réclamer la vie d’Edmund, mais Aslan s’offre à sa place. Aslan sera donc immolé par la Sorcière Blanche, mais comme l’offrande du lion Aslan est un acte d’amour parfait, il va ressusciter et mener son royaume à la victoire.

C.S. Lewis a voulu présenter une allégorie de la foi chrétienne dans ses contes de Narnia, rédigés surtout à l’intention des enfants. À n’en pas douter, le lion Aslan est sûrement inspiré de ce très vieux texte d’Éphrem le Syrien, diacre, qui écrivait dans son deuxième nocturne du Vendredi Saint :

« Dans une grande douceur, Jésus est conduit à sa Passion, bénissant ses douleurs à toute heure. Il est conduit au jugement de Pilate qui siège au prétoire, à la sixième heure on le raille, jusqu’à la neuvième heure Il supporte la douleur des clous, puis sa mort met fin à sa passion, à la douzième heure. Il est déposé de la croix : on dirait un lion qui dort. »

On dirait un lion qui dort! Comme cette image est puissante et évocatrice dans cette représentation du Seigneur Jésus face à sa mort. Elle nous aide à entrer dans le secret du silence qui enveloppe le cœur de l’Église en ce samedi saint.

Cette image du « lion qui dort » ne se retrouve pas dans les évangiles, bien sûr, et pourtant n’est-ce pas cette tranquille assurance, cette imperturbable confiance qu’évoque la scène de la tempête apaisée où l’on nous présente Jésus qui dort au milieu d’une mer déchaînée (Marc 4, 35 et ss.).

« Le lion qui dort » c’est à la fois le Fils de Dieu dans sa toute-puissance invincible, et c’est aussi le Fils de l’Homme, Jésus, qui s’en remet complètement au Père et qui nous invite à cette même confiance.

Comment ne pas entendre ici le psaume 131 où la figure du psalmiste évoque celle de Jésus dans sa parfaite obéissance au Père:

« Seigneur je n’ai pas le cœur fier… Non, mais je tiens mon âme égale et silencieuse; mon âme est en moi comme un enfant, l’enfant sevré contre sa mère. »

« Pourquoi avez-vous si peur? Vous n’avez pas encore de foi? », dit Jésus à ses disciples apeurés dans la barque. Encore aujourd’hui, en cette veille de Pâques, la question nous est posée à nous aussi. Trop souvent nous avons peur en tant que chrétiens. Nous sommes inquiets, incapables de vivre notre foi dans cette assurance tranquille qui était celle du Christ. En ce Samedi Saint laissons donc monter cette prière vers lui:

«Seigneur, viens au secours de notre manque de foi. En cette veille de la fête de ta glorieuse résurrection, regarde non pas notre foi, mais la foi de ton Église, et accorde-nous cette grâce pascale d’en vivre toujours, avec l’assurance du lion qui dort!

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Une croix se profile à l’horizon

Le dimanche des Rameaux, avec sa lecture de la Passion, invitait déjà les disciples du Christ à se tourner vers sa croix, vers ce rendez-vous que l’évangéliste Jean appelle « l’Heure de Jésus ». Nous sommes au coeur de ce mystère en ce Vendredi saint.

C’est Catherine de Sienne qui propose cette intuition merveilleuse : « Ce ne sont pas les clous qui retiennent le Christ sur la croix, mais l’amour. » 

Au moment d’entrer dans la contemplation de ce chemin de croix que nous allons revivre cette semaine avec Jésus en Église, il est bon de se rappeler que la croix, malgré sa laideur et la cruauté qu’elle évoque, est le lieu ultime que Dieu a choisi afin de nous dire combien il nous aime. C’est pourquoi, avec saint Paul, nous pouvons nous écrier : Oui, notre fierté c’est la croix du Christ! 

Jésus a dit oui à la croix, il l’a acceptée courageusement, mais peut-on dire qu’il l’a recherchée? « Père, si tu veux éloigner cette coupe de moi… » disait-il à Gethsémani. Et pourtant, ailleurs en saint Jean : « Comme il me tarde de boire à cette coupe… » 

Mais il n’y a pas de contradiction ici. Le oui de Jésus est un oui à l’épreuve de l’Amour, amour pour nous et amour pour le Père, où Jésus ne saurait s’esquiver. Il sait que ce don ne peut que nous apporter la vie, il est venu pour cette Heure, et c’est sur la croix qu’il va affronter le Mal dans ses derniers retranchements. C’est le grand mystère de la foi chrétienne, « scandale pour les Juifs, folie pour les païens », comme dira saint Paul. 

Jésus a dit oui à la croix, cette croix qui évoque la méchanceté des hommes, symbole de notre péché, et pourtant, Dieu dans son amour de Père, en a fait le lieu de notre réconciliation. C’est sur ce bois que l’amour du Fils de l’Homme s’est livré jusqu’au bout, au point de saisir dans son offrande toute l’humanité, toutes les générations à venir qui mettraient leur foi en lui, lui le grand vainqueur de la Mort. 

Oui, nous aussi nous proclamons un Messie crucifié. C’est là notre honte, parce que cette croix est l’expression de notre péché, et c’est là aussi notre fierté, parce qu’elle est le lieu de notre relèvement. 

Yves Bériault, o.p. Dominicain

Impensable lavement des pieds

HOMÉLIE POUR LE JEUDI SAINT

À quelques heures du rappel de la mort de Jésus, alors que nous célébrons son dernier repas avec ses Apôtres, le mystère de sa mort bouleverse tout chrétien, toute chrétienne qui prend au sérieux sa foi. Pourquoi Jésus devait-il mourir ainsi?

Bien sûr, nous savons qu’il devait mourir parce qu’il l’avait affirmé lui-même : « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne ». Nous sommes familiers avec ce passage de l’évangile, et nous savons que la mort de Jésus annonçait non seulement sa résurrection, mais aussi notre rédemption, notre salut. Mais le pourquoi fondamental de tout cela demeure caché dans le cœur du Père et nous sera révélé que lors du grand face à face dans l’éternité de Dieu. Pourquoi Jésus devait-il mourir ainsi?

Ce que nous savons, c’est qu’il y a là un mystère d’amour et c’est ce mystère que nous sommes invités à contempler ce soir en cette célébration de la Cène du Seigneur. Contempler sans tout comprendre, accueillant dans la foi, et nous faisant le plus proche possible du cœur de Jésus, comme le disciple bien-aimé reposant sur sa poitrine.

La liturgie du Jeudi Saint nous invite à contempler le geste que Jésus a posé à l’endroit de ses disciples la veille de sa passion. Car comment évoquer ce qui est au cœur de la vie de Jésus, sinon en rappelant cette image gravée à jamais dans la mémoire de l’Église : Jésus à genoux aux pieds de ses disciples.

L’enseignement de Jésus est fort simple. Il se résume dans l’accueil de Dieu, et dans l’accueil du prochain. Jamais l’un sans l’autre. Ce prochain, cet autre : l’ennemi, le mal-aimé, le pauvre, l’étranger, Jésus nous invite à le regarder avec ses yeux à lui, à poser sur l’autre un regard digne de la compassion de Dieu, vraiment porteur de son amour. Jésus nous dit ce soir, à genoux à nos pieds : « Viens à moi avec ton cœur, et tu verras avec mes yeux ».

C’est le théologien Jean Galot qui disait : « Le Christ est venu sur la terre pour provoquer un attachement à sa personne, pour attirer à lui l’humanité et l’univers. Mais avant de réclamer cette adhésion et pour l’obtenir, il s’attache lui-même aux hommes ». 

Et les hommes et les femmes qui s’attachent à lui deviennent solidaires du mystère qui l’habite et qui, à leur tour, s’attachent à leurs frères et à leurs sœurs en humanité, tout comme le Christ le fait. Voilà l’appel que nous fait entendre le Christ ce soir.

Le royaume de Dieu, nous dit Jésus, passe par une charité effective, celle de la tenue de service qui nous invite à nous laver les pieds les uns aux autres; à laver les offenses, les indifférences, les pauvretés et les blessures dont l’autre est porteur, afin de découvrir en elle, en lui, une sœur, un frère aimé de Dieu, digne de son amour et donc digne de notre attention et de notre affection.

C’est le génie de l’évangéliste Jean de nous présenter le dernier repas de Jésus avec les siens, non pas en mettant l’accent sur le pain et le vin, mais en mettant l’accent sur la portée de ce pain et de ce vin offerts par Jésus. Le pain et le vin sont signe par excellence de son offrande, de sa vie donnée, lui qui se fait nourriture pour nous. Mais ils nous révèlent aussi le sens de la mission de Jésus : le pain et le vin, c’est Jésus à nos pieds, corps et sang livrés pour nous, « parce qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime », nous dit Jésus. Et Jésus a suivi cette logique jusqu’au bout de lui-même, nous laissant en quelque sorte son testament dans ses dernières paroles : « Vous ferez cela en mémoire de moi. »

Pourquoi le Fils de Dieu devait-il mourir ainsi? Il y a là quelque chose de la folie de Dieu qui nous dépasse. Mais il y a dans la mort de Jésus un acte d’amour tellement absolu qu’il questionnera notre humanité jusqu’à la fin des temps. Et désormais, à cause de lui, mystérieusement, les hommes et les femmes qui le suivent se surprennent à vouloir aimer et servir comme lui, en dépit de leurs faiblesses, ou de leur histoire personnelle.

C’est à ce don de nous-mêmes qu’il nous invite lorsqu’il nous dit, en offrant le pain et le vin à la dernière Cène : « Vous ferez cela en mémoire de moi ». Nous sommes invités, nous aussi, à revêtir le tablier du serviteur, à devenir son corps et son sang pour le salut du monde, à devenir une éternelle offrande à la gloire du Père avec lui.

« Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, nous dit Jésus,
et vous avez raison, car vraiment je le suis.
Si donc moi, le Seigneur et le Maître,
je vous ai lavé les pieds,
vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres.
C’est un exemple que je vous ai donné
afin que vous fassiez, vous aussi,
comme j’ai fait pour vous. »  Amen.

fr. Yves Bériault, o.p.

Semaine Sainte 2024

Après avoir entendu le récit tragique de la Passion et de la mort de notre Seigneur, faut-il risquer une parole supplémentaire ? Il semble que le silence et le recueillement soient le seul langage qui s’impose à nous devant le mystère de cet abaissement volontaire de Jésus, « lui qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Ph 2,8).

Une question pourtant nous habite et parcourt 2000 ans de christianisme : Pourquoi le Fils de Dieu devait-il mourir ainsi ? Il y a là quelque chose de la folie de Dieu qui nous dépasse. Il y a dans la mort de Jésus un acte d’amour tellement absolu qu’il questionnera notre humanité jusqu’à la fin des temps. Mais ce dont nous pouvons témoigner, nous ses amis, c’est qu’à cause de lui, mystérieusement, les hommes et les femmes qui le suivent se surprennent à vouloir aimer et servir comme lui, en dépit de leurs manques, de leurs faiblesses, ou de leur histoire personnelle.

Si nous entreprenons cette marche avec Jésus en cette Semaine Sainte, c’est parce que lui le premier nous a saisis. N’a-t-il pas marqué profondément nos vies, nous laissant le témoignage d’un amour capable d’ouvrir toutes les portes, celles de nos peurs, de nos souffrances, et même de toutes nos morts !

C’est pourquoi, année après année, de Semaine Sainte en Semaine Sainte, nous montons à Jérusalem avec Jésus. Nous l’acclamons, nous marchons à ses côtés, portant sa croix avec lui, afin qu’il ne soit plus jamais seul dans son combat, dans cette vie donnée pour nous.

Frères et sœurs, c’est la Semaine Sainte qui commence. Encore une fois, sachons ouvrir nos cœurs au mystère du plus grand amour qui soit et ainsi faire nôtre la passion de Jésus Christ pour notre monde. Amen.

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 5e dimanche du carême (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 12, 20-33

En ce temps-là,
il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem
pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque.
Ils abordèrent Philippe,
qui était de Bethsaïde en Galilée,
et lui firent cette demande :
« Nous voudrions voir Jésus. »
Philippe va le dire à André,
et tous deux vont le dire à Jésus.
Alors Jésus leur déclare :
« L’heure est venue où le Fils de l’homme
doit être glorifié.
Amen, amen, je vous le dis :
si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas,
il reste seul ;
mais s’il meurt,
il porte beaucoup de fruit.
Qui aime sa vie
la perd ;
qui s’en détache en ce monde
la gardera pour la vie éternelle.
Si quelqu’un veut me servir,
qu’il me suive ;
et là où moi je suis,
là aussi sera mon serviteur.
Si quelqu’un me sert,
mon Père l’honorera.

Maintenant mon âme est bouleversée.
Que vais-je dire ?
“Père, sauve-moi
de cette heure” ?
– Mais non ! C’est pour cela
que je suis parvenu à cette heure-ci !
Père, glorifie ton nom ! »
Alors, du ciel vint une voix qui disait :
« Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
En l’entendant, la foule qui se tenait là
disait que c’était un coup de tonnerre.
D’autres disaient :
« C’est un ange qui lui a parlé. »
Mais Jésus leur répondit :
« Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix,
mais pour vous.
Maintenant a lieu le jugement de ce monde ;
maintenant le prince de ce monde
va être jeté dehors ;
et moi, quand j’aurai été élevé de terre,
j’attirerai à moi tous les hommes. »
Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.

MÉDITATION

Contrairement aux trois autres évangélistes, on ne voit pas Jésus en prière à Gethsémani dans l’évangile de Jean, mais c’est bien l’angoisse de Gethsémani que Jean évoque en nous donnant un aperçu du combat intérieur de Jésus :

« Maintenant, mon âme est bouleversée, dit-il.

Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ?

— Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! »

Jésus consent à mourir. Il sait que de sa mort surgira la vie et il se prépare à tomber en terre comme le grain de blé : «Ma vie, dira-t-il, nul ne la prend, c’est moi qui la donne.» Montant à Jérusalem pour la fête de Pâque, Jésus va s’arrêter tout d’abord chez ses amis de Béthanie, et prendre un dernier repas avec eux. Marie, la sœur de Lazare, va oindre ses pieds avec un parfum précieux, comme on le fait pour les morts au moment de leur sépulture. Jésus ne se méprend pas sur la portée de ce geste : «Laissez-la faire, dit-il, c’est pour le jour de ma sépulture qu’elle devait garder ce parfum.» 

Le lendemain, nous assistons à l’entrée triomphale à Jérusalem. Les hosannas fusent de toute part ! Les foules acclament Jésus, selon l’évangéliste Jean, parce qu’elles ont entendu parler du miracle où il a ramené Lazare à la vie. Mais Jésus le sait déjà, ces acclamations seront de courte durée, et une fois sur la croix on se moquera de lui, en lui criant : « Sauve-toi toi-même ! »

À l’occasion de sa venue à Jérusalem, des Grecs de passage pour la fête de Pâque demandent aux disciples à voir Jésus. Ce dernier va alors livrer ce qu’il faut bien appeler son testament spirituel. À la lumière de sa vie donnée, de sa vie d’homme vécue jusqu’au bout, Jésus nous dévoile en quelques mots ce que cela signifie être pleinement humain. Il nous livre en quelque sorte sa dernière béatitude. Sa formulation peut nous paraître énigmatique à première vue : « si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit.» 

L’image est des plus simple pourtant, et facile à comprendre lorsque l’on vit dans une société agricole. Ainsi, si vous laissez les semences pour le jardin sur le comptoir de la cuisine tout l’été, au terme de cette saison, vous le savez bien, vous n’aurez rien récolté. Mais si le grain est jeté dans la bonne terre, il se passe alors ce mystérieux échange, telle une promesse de vie, qui porte des fruits et rassasie la faim du monde. Ainsi, nous dit Jésus, en est-il de nos vies : « Bienheureux êtes-vous si vous donnez vos vies comme le grain de blé jeté en terre. »

Si Jésus nous en parle aussi résolument la veille de sa passion, c’est que lui le premier s’est engagé dans ce don de lui-même en prenant sur lui notre humanité. Il va maintenant livrer son combat ultime avec les forces du mal, jusqu’à affronter la mort, et l’offrande de sa vie va provoquer un revirement incroyable dans l’histoire de l’humanité. La mort sera vaincue sur le bois de la croix, et ainsi vont s’ouvrir pour nous les portes du paradis! Mais le chemin pour y parvenir est tellement paradoxal, qu’il nous rebute à première vue : « Qui aime sa vie la perd, nous dit Jésus, et qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle. » Cette affirmation de Jésus a toujours fait couler beaucoup d’encre, car la traduction plus littérale de ce que dit Jésus, telle qu’on la trouve dans la Bible de Jérusalem, c’est : «qui hait sa vie en ce monde la conservera en vie éternelle.»

Mais de quoi s’agit-il au juste ? Comment réaliser ce don de soi qui semble défier toute logique? Car la vie n’est-elle pas extraordinaire et ne sommes-nous pas créés pour aimer la vie, toutcomme nous devons nous aimer nous-mêmes? C’est Jésus lui-même qui l’affirme. Mais la réprobation de ce que Jésus appelle l’amour de sa vie évoque une tout autre réalité que le mépris de soi. Le mot haïr ici veut tout simplement dire aimer moins, préférer moins sa sécurité et son confort personnel, à la nécessité de se donner, de tout donner s’il le faut.

Le danger contre lequel Jésus veut mettre en garde ses auditeurs, c’est l’amour de soi aux horizons fermés, replié égoïstement sur une vie peu encline à sacrifier quoi que ce soi pour les autres, seulement préoccupée d’elle-même, insensible aux souffrances du prochain. Vivre ainsi sa vie, nous dit Jésus, c’est la perdre, c’est la gaspiller, alors qu’il nous invite à la faire fructifier et ainsi lui donner sa véritable direction.

L’évangéliste nous dit que c’est en prenant la main du Christ qu’on y parvient. « Si quelqu’un veut me servir, dit Jésus, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. » Comment ne pas vouloir le suivre quand nous croyons qu’il a les paroles de la vie éternelle? Remarquez qu’à chaque eucharistie nous lui disons au moment de communier à sa vie : «Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri.» 

En fait, nous demandons au Christ d’inscrire sa loi d’amour au plus profond de nos cœurs. Car en lui, c’est Dieu qui nous prend par la main, qui guérit nos cœurs blessés, fermés sur eux-mêmes, et qui nous guide dans notre vie de tous les jours qui est souvent faite de renoncements, de don de soi, et de pardons. Puisque l’amour est à ce prix! C’est cette vie-là qu’il nous faut préférer, nous dit Jésus.

À marcher jour après jour avec le Christ, il peut nous arriver de perdre de vue combien notre foi en Dieu a transformé nos vies au fil des années. Nous ne pouvons plus être les mêmes après avoir mis nos pas dans les siens et écouté sa voix. Dans un passage semblable à l’évangile de ce jour, Jésus dira à ses disciples : « Qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ! » C’est là, la grande béatitude que Jésus nous lègue, alors qu’il approche de sa passion : «Votre vie, nous dit-il, elle est faite pour être donnée aux autres, librement et généreusement, pour être semée avec passion aux quatre vents. Voilà la vie qu’il vous faut aimer, nous dit-il!» 

Que ce soit là notre joie et notre destinée avec le Christ!

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 4e dimanche du carême (B)

FAUT-IL AIMER L’ÉGLISE

PSAUME

(136 (137), 1-2, 3, 4-5, 6)

R/ Que ma langue s’attache à mon palais
si je perds ton souvenir !
 (cf. 136, 6a)

Au bord des fleuves de Babylone
    nous étions assis et nous pleurions,
nous souvenant de Sion ;
aux saules des alentours
nous avions pendu nos harpes.

C’est là que nos vainqueurs
    nous demandèrent des chansons,
et nos bourreaux, des airs joyeux :
« Chantez-nous, disaient-ils,
quelque chant de Sion. »

Comment chanterions-nous un chant du Seigneur
sur une terre étrangère ?
Si je t’oublie, Jérusalem,
que ma main droite m’oublie !

Je veux que ma langue s’attache à mon palais
si je perds ton souvenir,
si je n’élève Jérusalem
au sommet de ma joie.

MÉDITATION

Permettez-moi, en ce dimanche de la joie, de faire digression de l’évangile, et de m’inspirer seulement de quelques mots du psaume qui sont tellement évocateur pour moi. Il s’agit du refrain que nous venons d’entendre :  

Que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir !

Ce cri du psalmiste fait référence au drame d’Israël lors de son exil, près de six siècles avant Jésus-Christ, qui se lamente d’être séparé de son Temple et de son Dieu. Le Temple a été détruit par le roi Nabuchodonosor et son armée, et la population est déportée à Babylone. Ce n’est que 80 ans plus tard, qu’un nouveau roi permettra aux descendants de ces exilés de retourner à Jérusalem et de reconstruire leur Temple. Voilà pour le contexte historique. 

Que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir !

En réentendant ces paroles du psaume, paroles qui affirment l’attachement radical du peuple d’Israël à la ville sainte et à son Temple, je les fais miennes en ce qui concerne mon attachement à l’Église et au mystère qu’elle porte, oui, vous avez bien entendu, à l’Église. Je les fais miennes afin de réagir à tout ce qui la défigure et qui en fait un objet de moquerie. N’est-ce pas le pape Paul VI qui disait que l’on ne peut vraiment aimer le Christ sans aimer l’Église.

Frères et sœurs, mon homélie se veut en quelque sorte un acte de résistance et d’encouragement, en même temps qu’un acte de foi. C’est pourquoi je voudrais faire entendre en ce dimanche de la joie, un appel pressant à redécouvrir la grande richesse de notre héritage chrétien et, plus encore, l’immense bonheur de suivre le Christ tous ensemble en Église. 

Dans la vingtaine, jeune converti, je me souviens que l’une de mes grandes découvertes, alors que je commençais à connaître des chrétiens et des chrétiennes de tous horizons, de plusieurs pays, je constatais que la même foi que la mienne les faisait vivre, qu’ils éprouvaient le même amour pour le Seigneur. Je découvrais une réalité mystérieuse à l’œuvre partout dans le monde, où des hommes et des femmes, sans se connaître, vivaient d’une même communion de foi en Église. C’était là pour moi une découverte incroyable, et qui ne faisait que me confirmer dans ma foi en Jésus Christ, foi que je pouvais partager avec d’autres, d’où qu’ils soient.

Devant la crise que traverse notre Église avec sa baisse des vocations, sa baisse des fidèles, les assauts violents contre elle dans les médias, mais aussi les abus de la part de certains de ses membres, et c’est ce qui fait le plus mal, il nous faut nous poser la question suivante, que certains d’entre nous se sont déjà posée sans doute :  vais-je rester ou partir ?

J’ai beaucoup porté cette question en me demandant ce que je pourrais apporter comme raisons de rester à ceux et celles qui sont dans le doute, qui hésitent, ou qui sont blessés. Voici ce que j’aimerais leur dire.

Tout d’abord, depuis que je suis croyant, j’ai toujours aimé l’Église, mais il faut voir plus large que l’institution. Je veux parler de la force de résurrection qui s’est emparée des premiers témoins, de cette Église Mère, née au pied de la croix, avec la Vierge Marie et l’apôtre Jean, et qui s’est vue propulsée aux quatre coins du monde avec l’avènement de la Pentecôte. 

C’est cette Église, avec ses premiers fidèles rassemblés à Jérusalem, qui nous a annoncé la résurrection du Christ au matin de Pâques, qui nous a rappelé les paroles et les actions de Jésus à travers des lettres et des récits évangéliques, avec ses figures inoubliables que sont les Marie-Madeleine, les apôtres Pierre et Paul, Tite et Timothée, et combien d’autres dans les générations suivantes.

Ce sont ces premières générations de témoins qui nous ont transmis le baptême et l’eucharistie, qui nous ont légué les mystères de la foi et qui nous ont révélé que Dieu est amour. Sans ces témoins au fil des âges, rien de tout cela ne nous serait parvenu. Ni les Évangiles, ni les grands textes d’un saint Paul, d’un Jean de la Croix ou d’une Thérèse d’Avila, ni les témoignages d’un François d’Assise, d’une Thérèse de Lisieux, ou encore l’engagement parmi les pauvres avec l’abbé Pierre, sœur Emmanuel, Mgr Romero, Mère Teresa de Calcutta. La liste est sans fin. Et que dire du rôle de l’Église dans la création des hôpitaux, des écoles et des œuvres de toutes sortes au service des plus nécessiteux.

Sans l’Église, la bonne nouvelle de Jésus Christ ne nous serait jamais parvenue si des hommes et des femmes ne s’étaient mis à sillonner la Palestine et les côtes de la Méditerranée avec l’incroyable nouvelle du matin de Pâques. Il n’y aurait jamais eu personne pour nous dire combien nous sommes aimés de Dieu et que nous sommes faits pour la vie et non pas pour la mort. 

Sans l’Église, pas d’école de la prière, ni Pater Noster, ni Ave Maria. Nous serions tous orphelins de la Parole de Dieu. Nous n’aurions ni cathédrales, ni monastères, ni églises où nous recueillir et célébrer la vie.

Le mystère de l’Église à travers les siècles et les millénaires, s’exprime tout autant dans la vie des grands saints que dans la vie de tous ces hommes et ces femmes anonymes qui n’ont cessé de vivre leur foi en donnant tout d’eux-mêmes. 

Et que dire de l’héritage de la beauté que le christianisme nous a légué à travers la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique, le chant choral, l’art de l’icône et du vitrail, l’apport des mystiques et des saints. L’héritage est immense, frères et sœurs, mais il est avant tout et surtout spirituel : c’est le don du fils de Dieu lui-même à notre monde que l’Église est appelée à annoncer et nous donner d’en vivre! Et cet héritage il est pour nous aujourd’hui, et pour chacun des jours de nos vies. 

C’est pourquoi, le psalmiste m’interpelle quand je l’entends dire :

Que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir !

Car nous aussi nous vivons une forme d’exil, et l’Église nous paraît parfois bien fragile, trop humaine même, et pourtant elle porte en elle-même un mystère capable de sauver le monde, une vie à la fois. Voici un bref témoignage en ce sens. Il s’agit du prêtre orthodoxe Alexandre Men, figure prophétique en Union soviétique, qui a fait l’expérience d’une Église persécutée, réduite à sa plus simple expression. Il fut assassiné en 1990, alors qu’il se rendait célébrer la liturgie dominicale.

La veille de sa mort, le 8 septembre 1990, il affirmait dans une conférence : « Le christianisme n’en est qu’à ses débuts. Son “programme”, appelons-le ainsi, est prévu pour des millénaires… Le christianisme est ouvert sur tous les siècles, sur le futur, sur le développement de toute l’humanité. C’est pourquoi il est capable de renaître constamment. Au fil de son histoire, il peut traverser les crises les plus pénibles, se trouver au bord de l’extermination, de la disparition physique ou spirituelle, mais à chaque fois il renaît. Non pas parce qu’il est dirigé par des personnes exceptionnelles – ce sont des pécheurs comme tout le monde —, mais parce que le Christ lui-même nous l’assure : “Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde” (Mt 28, 20). Le Seigneur n’a pas dit : “Je vous laisse tel ou tel texte, que vous pouvez suivre aveuglément.” […] Non, le Christ a dit : “Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde.” Il n’a pas parlé de quelques écrits, de Tables de la Loi, de certains signes et symboles particuliers. Il n’a rien laissé de tel, mais il s’est laissé lui-même, lui seul. »

Frères et sœurs, voilà la grâce que l’Église nous annonce et nous donne en partage. Que ce soit là notre joie ! Amen.

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 3e dimanche du Carême (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 2, 13-25

Comme la Pâque juive était proche,
Jésus monta à Jérusalem.
Dans le Temple, il trouva installés
les marchands de bœufs, de brebis et de colombes,
et les changeurs.
Il fit un fouet avec des cordes,
et les chassa tous du Temple,
ainsi que les brebis et les bœufs ;
il jeta par terre la monnaie des changeurs,
renversa leurs comptoirs,
et dit aux marchands de colombes :
« Enlevez cela d’ici.
Cessez de faire de la maison de mon Père
une maison de commerce. »
Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit :
L’amour de ta maison fera mon tourment.
Des Juifs l’interpellèrent :
« Quel signe peux-tu
nous donner
pour agir ainsi ? »
Jésus leur répondit :
« Détruisez ce sanctuaire,
et en trois jours je le relèverai. »
Les Juifs lui répliquèrent :
« Il a fallu quarante-six
ans pour bâtir ce sanctuaire,
et toi, en trois jours tu le relèverais ! »
Mais lui parlait du sanctuaire de son corps.

Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts,
ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ;
ils crurent à l’Écriture
et à la parole que Jésus avait dite.
Pendant qu’il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque,
beaucoup crurent en son nom,
à la vue des signes qu’il accomplissait.
Jésus, lui, ne se fiait pas à eux,
parce qu’il les connaissait tous
et n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ;
lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme.

MÉDITATION

Le récit des vendeurs chassés du temple chez l’évangéliste Jean fait suite au miracle de Cana où Jésus, après avoir changé l’eau en vin, annonce un événement encore plus prodigieux lorsqu’il se rend à Jérusalem pour la fête de Pâque. Il y annonce un Temple nouveau! Alors que chez les évangélistes Marc, Mathieu et Luc, l’épisode des vendeurs du Temple précède de peu la condamnation de Jésus, Jean lui le place au tout début de son évangile, affirmant ainsi d’entrée de jeu que Jésus est le Temple nouveau où sera rendu à Dieu le culte véritable. Cette affirmation va marquer tout son évangile.

Relisons ensemble le récit. Nous y voyons que l’état lamentable du Temple indigne Jésus au plus haut point. Il le compare à une maison de commerce et, confectionnant un fouet, il en chasse les marchands et leurs animaux, tout en renversant les tables des changeurs de monnaies. « Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce», s’écrit-il. Quand certains lui demandent de quelle autorité, il agit ainsi, il répond : «Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai». Ses auditeurs comprennent qu’il prétend pouvoir reconstruire le Temple en trois jours, Temple que l’on a quand même mis 46 ans à construire! Mais Jésus veut parler du sanctuaire de son corps. Entende qui a des oreilles pour entendre!

Et voilà que dans ce récit, le Messie se tient debout sur l’esplanade du Temple et, par son geste prophétique, semble prendre possession de la maison qu’il appelle la maison de son Père, annonçant par le fait même un nouvel Exode pour le peuple d’Israël, ainsi que pour l’humanité tout entière. Jésus promet un Temple nouveau qui ne sera plus fait de main d’homme, mais qui sera l’œuvre même du Fils de Dieu. C’est Dieu lui-même qui nous construira un temple, car l’ancien culte est désormais révolu. Finis les animaux, les sacrifices et les tables des changeurs! Ce que Jésus évoque par ses paroles, c’est l’avènement du mystère de l’Église, Corps du Christ, d’où couleront les eaux vives du baptême ainsi que le vin nouveau de l’Eucharistie. Ce nouveau Temple que Jésus vient inaugurer permettra désormais d’offrir au Père un culte en esprit et en vérité, comme Jésus en fera l’annonce à la Samaritaine.

Ce culte nouveau qui est annoncé par Jésus ne doit toutefois pas nous faire illusion. Il exigera beaucoup des disciples puisque Jésus lui-même devra donner sa vie pour l’inaugurer. D’ailleurs, saint Paul l’affirme de manière provocante et sans détour dans sa première lettre aux Corinthiens : « Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié. » Et c’est ainsi que les disciples du Crucifié seront appelés à faire leur, sa vie offerte. Voilà le culte qui sera désormais célébré dans le Temple nouveau : c’est-à-dire la remise totale de nos vies entre les mains du Père! 

Oui, cela peut sembler paradoxal selon les valeurs de notre monde, mais nous prêchons bel et bien un Messie crucifié puisque le combat du Christ nous entraîne dans le sien! C’est le seul culte qui importe pour nous. Alors que les religions du monde se représentent toujours la divinité comme une toute-puissance invincible, la révélation chrétienne ouvre une brèche dans notre représentation de Dieu. Sans nier sa toute-puissance, voilà qu’en Jésus-Christ se tient devant nous un Dieu portant dans sa chair tout ce qui peut peser à notre fragilité humaine, se faisant solidaire de chacun et chacune de nous.

Et c’est ainsi que le Fils de Dieu va naître dans une étable, comme un pauvre. Il va connaître la faim et la soif comme nous, la souffrance et l’abandon, le rejet et le mépris. Il va même mourir assassiné, exclu de la cité, crucifié comme un malfaiteur. D’ailleurs, c’est avec la dure réalité de notre fragilité humaine, portant toujours la marque des plaies vives de sa passion, que le Seigneur Jésus-Christ se tiendra debout et victorieux au matin de Pâques et apparaîtra à ses disciples, pour nous rappeler jusqu’où il est venu habiter nos souffrances, jusque dans la mort même.

Comment comprendre ce que Paul appelle la « folie de la croix » si ce n’est qu’en Jésus nous contemplons le visage d’un Dieu fou d’amour, qui se joue de nos représentations les plus enfantines de la divinité, pour nous dévoiler un Dieu qui est Amour, et qui n’est que cela! En Jésus-Christ nous faisons l’expérience que l’amour se réalise véritablement que lorsqu’il va jusqu’au bout de lui-même. C’est cet amour qui s’est manifesté à nos yeux d’hommes et de femmes voilà deux mille ans, assumant pleinement une vie humaine sans détour, ouvrant en nous des sources secrètes que seul Dieu pouvait libérer, nous donnant ainsi accès à notre pleine stature d’hommes et de femmes créés à l’image de Dieu. Voilà le temple que Jésus vient inaugurer!

C’est pourquoi nous prêchons un Messie crucifié ! Un Messie qui étend les bras vers tous ceux et celles qui ont soif de bonheur et qui vient quémander notre amour, sans jamais s’imposer. Il se fait pauvre avec les pauvres que nous sommes, afin que nous devenions riches de sa richesse à lui. Mais pour cela, il nous faut nous tenir tout près de sa croix, pierre de fondation du Temple nouveau qu’il vient inaugurer. 

Je pense ici à notre frère dominicain Pierre Claverie, qui était évêque du diocèse d’Oran, en Algérie, mort martyr en 1996. Ce dernier expliquait, deux mois avant son assassinat, le pourquoi de son refus obstiné de quitter une Algérie où sa vie était sans cesse menacée, dans un contexte de guerre qui a fait plus de deux-cent-mille morts. Comme les moines de Tibhirine, Mgr Claverie ne voulait pas abandonner ses amis algériens en cette terre d’Islam.

« Nous sommes là-bas, disait-il, à cause de ce Messie crucifié. […] Comme Marie, sa mère et saint Jean, nous sommes là au pied de la Croix où Jésus meurt abandonné des siens et raillé par la foule. N’est-il pas essentiel pour le chrétien d’être présent dans les lieux de souffrance, dans les lieux de déréliction, d’abandon ? […] Où serait l’Église de Jésus-Christ, elle-même Corps du Christ, si elle n’était pas là d’abord? Je crois qu’elle meurt de n’être pas assez proche de la Croix de son Seigneur. »

Frères et sœurs, la leçon qui se dégage pour nous de la Parole de Dieu en ce dimanche pourrait s’exprimer ainsi: À Temple nouveau, pierres nouvelles, pierres vivantes cuites au feu de l’Esprit Saint, faisant leur, la passion de leur Maître et Seigneur, puisque nous prêchons un Messie crucifié!

Yves Bériault, o.p. Dominicain