Le dimanche. Un peu d’histoire (suite)

Dans l’Ancien Testament

Dans l’histoire, on a toujours fait un rapprochement entre le sabbat juif et le dimanche chrétien. Arrêtons-nous un peu afin de voir s’il y a une différence entre les deux événements. En hébreu sabbat (prononcer shabbat) signifie jour de repos. Cette tradition est expliquée dans le texte de la Genèse (2,2) par le repos de Dieu le septième jour de la création :

« Dieu conclut au septième jour l’ouvrage qu’il avait fait et, au septième jour, il chôma, après tout l’ouvrage qu’il avait fait. Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, car il avait chômé après tout son ouvrage de création. »

Mais le sabbat lui-même ne sera imposé qu’au Sinaï lors de l’Alliance avec Moise. Il s’agit du quatrième commandement du Décalogue qui en fait un jour de repos et en explicite les sens:

« Tu te souviendras du jour du sabbat pour le sanctifier. Pendant six jours tu travailleras et tu feras ton ouvrage; mais le septième jour est un sabbat pour Yahvé ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage, toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni l’étranger qui est dans tes portes. Car en six jours Yahvé a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour, c’est pourquoi Yahvé a béni le jour du sabbat et l’a consacré. » (Ex 20,8-11).

Le septième jour s’appelle désormais le sabbat et il constitue une invitation à imiter le Créateur, soit de travailler six jours et de se reposer le septième, car, selon Genèse 1, 26, l’homme est fait à l’image de Dieu.

Dans le Nouveau Testament

Toutefois, la pratique du sabbat n’est presque plus mentionnée dans le Nouveau Testament après la résurrection du Christ. Paul met en garde d’ailleurs contre ceux qui voudraient imposer cette observance :

« Dès lors, que nul ne s’avise de vous critiquer sur des questions de nourriture et de boisson, ou en matière de fêtes annuelles, de nouvelles lunes ou de sabbats. Tout cela n’est que l’ombre des choses à venir, mais la réalité, c’est le corps du Christ . »(Col.2,16-17).

Par ailleurs, il semblerait que l’observance du sabbat et du dimanche ait pu vivre côte à côte au tout début du christianisme, les deux jours étant soulignés de façon particulière sans que le dimanche ne devienne pour autant un jour chômé. C’est ainsi que les réunions des chrétiens le dimanche semblent se faire soit très tôt le matin, avant le lever du jour ou encore le soir après la journée de travail.

Mais la génération apostolique, celle des premiers chrétiens, saisira immédiatement l’importance du premier jour. C’est ainsi que la première mention du premier jour apparaît chez Paul, dans sa première lettre aux Corinthiens (1 Cor. 16,2), vers l’an 54, où il rattache au premier jour la collecte pour les frères de Jérusalem qui sont dans le besoin, possiblement en bute à des persécutions : « que chaque premier jour de la semaine, chacun mette de côté chez lui ce qu’il aura pu épargner ».

On a aussi la description d’une assemblée tenue le premier jour de la semaine à Troas (Actes 20, 6-12), qui comporte un long discours de Paul suivi de la fraction du pain, cette expression signifiant la Cène du Seigneur, le repas du Seigneur :

« Quant à nous, partis de Philippes après les jours des pains sans levain, nous nous sommes embarqués pour les rejoindre, cinq jours plus tard, à Troas, où nous avons fait halte pendant une semaine. Le premier jour de la semaine, alors que nous étions réunis pour rompre le pain, Paul, qui devait partir le lendemain, adressait la parole aux frères et il avait prolongé l’entretien jusque vers minuit. »

Ce n’est qu’avec le livre de l’Apocalypse qu’apparaîtra la première mention de l’expression « jour du Seigneur » qui remplacera « le premier jour » : « Je tombai en extase, le jour du Seigneur, et j’entendis une voix » (Ap. 1,10).

Cette expression sera traduite en latin par dominicus dies, et deviendra par la suite dominica, i.e. dimanche. (Premier jour, 8e jour, Jour du Seigneur, Dimanche)

Premiers siècles de l’Église

Déjà, au début du IIe siècle, il y a un passage de plus en plus marqué entre la célébration de l’eucharistie le jour du sabbat et sa célébration le dimanche. Les conflits, les persécutions mêmes à l’endroit des chrétiens, entraîneront progressivement l’abandon du sabbat pour le dimanche.

Ignace d’Antioche (vers 102) dira de l’observance du dimanche qu’elle est le signe parfait du chrétien :

« Ceux qui vivaient selon l’ancien ordre des choses sont venus à la nouvelle espérance, n’observant plus le sabbat, mais le dimanche, jour où notre vie s’est levée par le Christ et par sa mort ».

Il est important de savoir que le jour du Seigneur fait avant tout référence au Christ, au Seigneur ressuscité et non au Dieu Créateur. Le dimanche est devenu le jour du Christ car il est le jour de sa résurrection. Comme le dimanche est le premier jour de la création dans l’Ancienne Alliance, il devient en Jésus-Christ, le premier jour de la re-création. En ce sens, « dimanche et Eucharistie vont ensemble depuis l’origine; le jour de la Résurrection est l’espace intérieur de l’Eucharistie » ( Ratzinger. La célébration de la foi, p. 45). Le dimanche devient donc pour nous chrétiens la célébration hebdomadaire de la Pâque du Christ. Nous célébrons :

1- la résurrection du Christ d’entre les morts,
2- sa manifestation dans l’assemblée des siens (disciples d’Emmaüs, Lc 24),
3- le repas messianique pris par le Ressuscité avec ses disciples (Lc 24, 41-43),
4- le don de l’Esprit Saint et
5- l’envoi missionnaire de l’Église (Jn 20,21-23).

« Voilà la Pâque chrétienne dans sa plénitude. Tel est l’événement central de l’histoire du salut, qui a marqué pour toujours le premier jour de la semaine. Tout le mystère que célébrera le dimanche est déjà présent au jour de Pâques; le dimanche ne sera rien d’autre que la célébration hebdomadaire du mystère pascal » auquel nous communions en nous partageant le Corps et le Sang du Christ. » (Jounel, dans Martimort, p.24).

C’est aussi à cause de l’orientation nettement christocentrique de ce nouveau sabbat que l’Église en viendra à se détacher du sabbat juif. Car Jésus vient accomplir le sabbat en sa personne. C’est lui qui réalise la promesse du repos sabbatique: « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai le repos » (Mt 11,28). C’est lui le maître du sabbat (Mt 2,28). Il introduit même un ordre nouveau: « Le sabbat est fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat ». Le sabbat chrétien en devient un orienté vers le culte rendu à Dieu (la prière) et l’annonce de la Bonne Nouvelle. Les prescriptions légalistes n’ont plus leur place.

Conclusion

Le dimanche « n’est donc pas une christianisation du repos hebdomadaire. Il est le jour du Christ constitué Seigneur en sa résurrection (Rm 1,4) » (Jounel). Ce qui prime c’est de vivre en ressuscité en consacrant cette journée à la fête et au service mutuel, dans un contexte de repos qui honore le jour du Seigneur. Ce qui doit donc primer sur le souci social du repos hebdomadaire c’est « le souci pascal de la joie hebdomadaire ». Le jour du Seigneur devient le signe de l’attente joyeuse et active du Royaume de Dieu; et par sa célébration l’Église atteste « la présence déjà réelle du monde qui vient ».

N’est-ce pas là le mystère exprimé par l’anamnèse de nos eucharisties, quand le prêtre proclame : « Il grand le mystère de la foi! » Et l’assemblée répond :

« Nous proclamons ta mort Seigneur Jésus,
Nous célébrons ta résurrection,
nous attendons ta venue dans la gloire. »

« Sans le dimanche, nous ne pouvons pas vivre »

Dernière Cène

Dernière Cène

Bien des catholiques ont abandonné la messe du dimanche, ne voyant plus l’importance de ce rassemblement, ou ne comprenant plus le mystère qui s’y joue. Il va de soi que notre société offre tellement de divertissements de qualité que notre pauvre curé vieillissant a bien de la difficulté à supporter toute comparaison, comme s’il était le centre de cette rencontre.

Bien des paroisses sont en panne de créativité et de dynamisme dans leurs célébrations, j’en conviens. Il faudrait aussi repenser ce que doit être la responsabilité et la place des laïcs dans ces célébrations, mais il est important tout d’abord de se rappeler le sens premier de nos dimanches. (Pour approfondir cette réflexion je vous invite à lire la lettre de Mgr Jean-Louis Brugès, évêque d’Angers, intitulée « Le dimanche, jour des chrétiens ».)

En juin 2005, se tenait le Congrès eucharistique de Bari en Italie, qui avait pour thème : « Sans le dimanche nous ne pouvons pas vivre ». Ce slogan est une reprise des paroles des 49 martyrs d’Abitène. Leur martyre eut lieu sous l’empereur Dioclétien (304 après J.C) dans une ville de l’actuelle Tunisie : surpris lors d’une réunion le Jour du Seigneur, désobéissant ainsi aux dispositions impériales, ces chrétiens allèrent courageusement à la mort en déclarant qu’ils ne pouvaient vivre sans célébrer le Jour du Seigneur.

Depuis les tout débuts de l’Église, le dimanche joue un rôle de première importance pour les chrétiens et il faut donc en tenir compte lorsque nous voulons mieux comprendre le sens de l’eucharistie pour nous. Car le lieu par excellence où se constitue l’Église, où se construit sa fraternité, et où l’Église renouvelle ses forces est sans contredit l’eucharistie dominicale. L’affirmation d’un saint Ignace d’Antioche, évêque et martyr au tout début du IIe siècle de l’Église, demeure toujours actuelle. Il disait : « Le Dimanche est le jour où notre vie se lève par le Christ »!

Mais d’où vient ce lien entre le dimanche et l’eucharistie dominicale? Il est vrai que dans la Tradition de l’Église, l’eucharistie s’est peu à peu développée au point d’être célébrée tous les jours de la semaine. Mais cela a quand même pris plus de 400 ans, car son cadre premier et naturel a toujours été le dimanche. Ce lien entre l’eucharistie et le dimanche est apparent au tout début de l’Église. Écoutons ce que nous dit le Concile Vatican II à ce sujet :

L’Église célèbre le mystère pascal, en vertu d’une tradition apostolique qui remonte au jour même de la résurrection du Christ, chaque huitième jour, qui est nommé à bon droit le jour du Seigneur, ou dimanche. Ce jour-là, en effet, les fidèles doivent se rassembler pour que, entendant la parole de Dieu et participant à l’eucharistie, ils se souviennent de la passion, de la résurrection et de la gloire du Seigneur Jésus, et rendent grâces à Dieu qui les « a régénérés pour une vivante espérance par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts » (1 P 1,3). Aussi le jour dominical est-il le jour de fête primordial qu’il faut proposer et inculquer à la piété des fidèles, de sorte qu’il devienne aussi jour de joie et de cessation de travail… (VSC 106).

Comme nous le rappelle ce texte du Concile Vatican II, avec les premières communautés chrétiennes c’est le Jour du Seigneur ou le Huitième jour, comme on l’appellera aussi dans les premiers temps de l’Église, qui fait son apparition.

Rappelons-nous que c’est au matin du « premier jour de la semaine » (Mt 28,1; Mc 16,9; Lc 24,1; Jn 20,1) que le Seigneur Jésus est ressuscité et qu’il s’est manifesté aux siens. Après être apparu aux saintes femmes, puis à Pierre, il se manifesta « ce même jour » aux deux disciples d’Emmaüs, qui « le reconnurent à la fraction du pain » (Lc 24,35) et il leur dit: « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». Ayant dit cela, il souffla sur eux et leur dit: « Recevez l’Esprit Saint. A qui vous remettrez les péchés, ils seront remis » (Jn 20,21-23).

Sept jours plus tard, soit le dimanche, Jésus apparaît à nouveau au milieu des apôtres (Jn 20,26-27). C’est alors que Thomas est invité à mettre la main dans ses plaies et à devenir un homme de foi, un croyant.

Ce qu’il faut retenir de ce qui précède, c’est le lien intime qui relie le dimanche et le mystère de Pâques, i.e. tous ces événements qui entourent la résurrection de Jésus et qui se déroulent soit le jour même de sa résurrection, i.e. le dimanche, ou sept jours plus tard, le huitième jour, comme l’a appelé la tradition chrétienne. C’est pourquoi depuis la résurrection chaque dimanche pour l’Église est un jour de Pâques.

(Cette réflexion sera poursuivie dans les semaines qui viennent. En attendant, bonnes vacances et bon été!)