Homélie pour le 8e dimanche T.O. (C)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 6, 39-45

En ce temps-là,
    Jésus disait à ses disciples en parabole :
« Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ?
Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ?
    Le disciple n’est pas au-dessus du maître ;
mais une fois bien formé,
chacun sera comme son maître.

    Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère,
alors que la poutre qui est dans ton œil à toi,
tu ne la remarques pas ?
    Comment peux-tu dire à ton frère :
‘Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil’,
alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ?
Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ;
alors tu verras clair
pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.

    Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ;
jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit.
    Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit :
on ne cueille pas des figues sur des épines ;
on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces.
    L’homme bon tire le bien
du trésor de son cœur qui est bon ;
et l’homme mauvais tire le mal
de son cœur qui est mauvais :
car ce que dit la bouche,
c’est ce qui déborde du cœur. »

COMMENTAIRE

Comment faire pour être bons? Quand l’impatience ou la colère nous domine? Que l’irritation est à fleur de peau? Que l’autre m’énerve, parce qu’en fin de compte il n’est pas comme moi? Qu’il n’est pas créé à mon image et à ma ressemblance, et donc, ne méritant que mépris, réprimande ou colère? Ce matin, je nous invite à l’école. Souvenir d’enfance.

Alors que j’étais en cinquième année, j’avais alors 11 ans, l’institutrice, qui n’était pas une sœur, était d’une intolérance telle face à mes fautes de grammaire lors des dictées qu’elle me cognait sur les doigts avec sa règle en métal, et m’enfonçait les ongles de sa main dans mon cou. Je n’ai pas oublié, car les humiliations, les blessures à l’estime de soi prennent du temps à guérir complètement.

J’aurais bien aimé que cette institutrice voie la poutre dans son œil avant de voir les petites brindilles éparses dans ma composition. Comme enfant, n’avais-je pas besoin d’une éducatrice à l’école et non pas d’une matrone de prison ? Si elle avait fait sien le sommet de l’hymne à l’amour de saint Paul où il est dit que l’amour prend patience, peut-être m’aurait-elle prise de côté après la classe afin de m’aider à comprendre les règles grammaticales. Oui, l’amour prend patience et tant que nous ne sommes pas allés à cette école de l’évangile, il nous est difficile d’accompagner les autres dans leurs faiblesses et leurs défauts.

Car l’invitation que nous fait Jésus aujourd’hui, c’est de nous mêler de nos affaires, mais avec doigté et discernement; et dans ces affaires, le prochain occupe une place centrale, car nous avons la charge de l’autre, mais il y a la manière. C’est Maurice Zundel, ce prêtre et grand spirituel Suisse, qui disait dans une homélie :

« Dans les autres, il y a l’Autre et c’est parce que dans les autres le destin de Dieu est engagé, c’est parce qu’il est mis en question par chaque décision de la volonté, c’est à cause de cela que le prochain nous est confié. »[1].

En fait, la foi en Dieu nous relie intimement les uns aux autres, et il y a là une école de vie où sans cesse nous sommes appelés à faire de nouveaux progrès, à grandir sans cesse dans le don de nous-mêmes, dans notre générosité, notre miséricorde, bref, dans notre amitié pour tous ces compagnons et compagnes de route, avec qui nous marchons vers le terme de nos vies, et qui ne sera qu’un commencement.

L’évangile de ce jour est comme un point d’orgue à l’affirmation de Jésus de dimanche dernier quand il nous disait « soyez généreux comme votre Père du ciel est généreux ». Soyez bon comme lui; branchez-vous à la source de Vie afin de devenir semblable à ces arbres qui ploient sous l’abondance de leurs fruits à la saison des récoltes.

L’enjeu dont il est question aujourd’hui dans l’évangile, c’est notre vie spirituelle, et ce n’est qu’à l’école du Christ que l’on peut apprendre à aimer en vérité, avec patience et bonté. Il ne suffit pas d’être équilibré psychologiquement dans la vie, d’avoir une foule de talents ou de richesses, ou encore d’avoir des capacités qui surpassent tous les autres, comme on le voit aux jeux Olympiques. Non, j’aurais beau avoir tous les dons du ciel, s’il me manque l’amour je ne suis rien.

Pour la philosophe Simone Weil, une femme juive qui a fait une rencontre fulgurante du Christ au cœur de la 2e Guerre mondiale, la foi en Dieu c’est l’intelligence qui est éclairée par l’amour. Superbe définition! Car c’est avec cette disposition du cœur qu’il nous faut aller les uns vers les autres afin de porter sur l’autre le regard même que Dieu porte sur chacun et chacune de nous. 

C’est de cela qu’il s’agit quand Jésus nous invite à ne pas agir comme des aveugles qui conduisent d’autres aveugles, ou à ne pas devenir des arbres desséchés, sans beauté ni fruits. Nous sommes donc invités à son école à lui, à l’école du maître miséricordieux et patient, afin de devenir comme lui, afin d’apprendre à nous mettre à l’écoute du Père qui nous donne la charge du prochain et qui nous demande d’agir en bons pédagogues les uns envers les autres. 

Un beau témoignage qu’il m’a été donné d’entendre un jour est le suivant :

Il s’agit s‘une entrevue à la radio avec un couple exceptionnel qui avait accueilli près de trois cents enfants en difficulté dans leur foyer sur une période de près de trente-cinq années. Ils en avaient même adopté plusieurs. Un véritable exploit. La journaliste leur avait demandé s’il y avait certains de ces enfants en difficulté qu’ils avaient aimés plus que d’autres. Quelle question piège ! La maman avait alors répondu de but en blanc : « Oui, ceux qui en avaient le plus besoin. »

fr. Yves Bériault, o.p.


[1] Maurice Zundel. Homélie pour le 1er dimanche de l’Avent. L’Histoire prend son sens en Jésus), dans « Ta Parole comme une source », Ed. Anne Sigier, 1991. p. 18

Homélie pour le 7e dimanche T.O. (C)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 6, 27-38)

En ce temps-là,
Jésus déclarait à ses disciples :
« Je vous le dis, à vous qui m’écoutez :
Aimez vos ennemis,
faites du bien à ceux qui vous haïssent.
Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent,
priez pour ceux qui vous calomnient.
À celui qui te frappe sur une joue,
présente l’autre joue.
À celui qui te prend ton manteau,
ne refuse pas ta tunique.
Donne à quiconque te demande,
et à qui prend ton bien, ne le réclame pas.
Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous,
faites-le aussi pour eux.
Si vous aimez ceux qui vous aiment,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
Si vous faites du bien à ceux qui vous en font,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs en font autant.
Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs prêtent aux pécheurs
pour qu’on leur rende l’équivalent.
Au contraire, aimez vos ennemis,
faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour.
Alors votre récompense sera grande,
et vous serez les fils du Très-Haut,
car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants.

Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.
Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ;
ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés.
Pardonnez, et vous serez pardonnés.
Donnez, et l’on vous donnera :
c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante,
qui sera versée dans le pan de votre vêtement ;
car la mesure dont vous vous servez pour les autres
servira de mesure aussi pour vous. »

COMMENTAIRE

Nous en sommes, pour quelques dimanches encore, à réfléchir sur le genre de vie que nous devons mener si nous voulons demeurer dans l’esprit de l’Évangile. Quelle est la proposition du Christ à ses disciples?

Nous sommes peut-être étonnés du ton et de la netteté avec lesquels Jésus nous parle des attitudes que nous devons mettre en place dans nos vies. Ce n’est pas pour mettre une pression indue sur nous. Il s’agit d’une invitation, d’un appel qu’il nous fait. Il voudrait tellement que nous ayons les mœurs de Dieu, les attitudes divines, celles qui sont aussi les siennes.

Notre monde est souvent un lieu de luttes et d’affrontements. Nous sommes tous en quête de possession et d’autorité. Nous cherchons à nous imposer aux autres, à les dominer, à posséder au-delà de ce dont nous avons besoin. Cette tendance ne concerne pas seulement les autres, nos gouvernants municipaux, provinciaux et fédéraux. C’est une affaire éminemment personnelle que de prendre option pour la douceur, la miséricorde, le pardon, les valeurs de paix et d’amour.

Bien sûr, il y a en chacun de nous un instinct de vengeance. « Nous sommes vite sur la gâchette » Nous avons tous une réaction vive devant les affronts et la douleur. Comment résister à l’envie de riposter et de rendre à la pareille à qui nous fait du mal et du tort? Et pourtant, comment désamorcer autrement la violence, l’escalade de la violence? Une vengeance immédiate ne risque-t-elle pas de nous engager dans quelque guerre interminable?

« À cochon, cochon et demi », disons-nous. Et nous sommes dès lors convaincus que notre guerre est juste, que c’est là la meilleure façon de prendre notre place dans la vie et de nous faire respecter. Mais où est donc la vraie grandeur? N’est-elle pas dans l’humilité et le service? N’y a-t-il pas de la petitesse à vouloir absolument être meilleur que les autres, à chercher la grandeur comme si elle n’était pas déjà cachée en dedans de nous? Grandeur de l’humilité, du service, de l’amour fraternel… Il y a là quelque chose de divin, de béni et de sanctifié par Jésus lui-même qui a voulu vivre au milieu de nous comme un pauvre, un petit, le serviteur de tous. Comme une graine jetée en terre dans un champ.

Savons-nous bien que nous sommes riches et comblés en dedans de nous? Nous n’avons pas à envier les autres, à être jaloux, prétentieux, en compétition et rivalité avec tous et chacun. C’est que d’abord nous devons prendre conscience de notre monde intérieur et de sa richesse, de la vie qui palpite en nous; de cette force divine qui nous habite, qui nous est prêtée.

Nous sommes faits à l’image et à la ressemblance de Dieu. Cette ressemblance, nous l’avons hélas abimée et perdue. N’ayons donc de cesse que d’accepter d’être restaurés par le Christ en cette image. Et misons sur cette restauration spirituelle en nous pour croire davantage en notre jardin intérieur. Dieu est amour. Le premier, il nous a aimés.

Nous avons en nous tout ce qu’il faut pour avoir confiance, pour aller vers les autres avec assurance. Prenons donc l’initiative de donner, d’être en service, de respecter les autres. Comment ne pas les voir, eux aussi, comme aimés de Dieu, voulus par lui. Ils me sont confiés pour que je les aime et les aide au nom de notre Dieu et Père.

Résistons donc absolument à la tentation de la méfiance envers les autres, du jugement à leur égard, de la condamnation qui les stigmatise. Soyons plutôt proactifs en travaillant pour construire un monde meilleur, de justice et de paix pour autant qu’il dépende de nous. Nous ferons alors advenir le Royaume de Dieu. Toute cette bonté, cet amour, cette miséricorde investie par nous pour les autres débordera sur nous en retour à la fin. Dieu nous l’a promis en son Fils bien-aimé Jésus. Que son mystère pascal nous en soi la preuve et nous en rappelle la promesse infaillible!

fr. Jacques Marcotte, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour la fête de la Chaire de saint Pierre Apôtre

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 16, 13-19

En ce temps-là,
Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe,
demandait à ses disciples :
« Au dire des gens,
qui est le Fils de l’homme ? »
Ils répondirent :
« Pour les uns, Jean le Baptiste ;
pour d’autres, Élie ;
pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. »
Jésus leur demanda :
« Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? »
Alors Simon-Pierre prit la parole et dit :
« Tu es le Christ,
le Fils du Dieu vivant ! »
Prenant la parole à son tour, Jésus lui dit :
« Heureux es-tu, Simon fils de Yonas :
ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela,
mais mon Père qui est aux cieux.
Et moi, je te le déclare :
Tu es Pierre,
et sur cette pierre je bâtirai mon Église ;
et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle.
Je te donnerai les clés du royaume des Cieux :
tout ce que tu auras lié sur la terre
sera lié dans les cieux,
et tout ce que tu auras délié sur la terre
sera délié dans les cieux. »

COMMENTAIRE

« Pour vous, qui suis-je ? » Au-delà des siècles qui nous séparent, la question de Jésus à ses apôtres s’adresse à chacun de nous. L’Évangile n’est pas simplement un livre d’histoire que nous lisons lors de nos eucharisties sans qu’il n’ait d’impact sur nos vies. Une question nous est posée : « Que dis-tu de moi ? Qui suis-je pour toi ? ». Comme le disait le pape François : « Il s’agit d’une question claire, face à laquelle il n’est pas possible de fuir ou de demeurer neutres, ni de renvoyer la réponse ou de la déléguer à quelqu’un d’autre. » 

« Pour vous qui suis-je ? » Cette question est émouvante dans la bouche de Jésus. Elle survient alors qu’il voit se profiler sa passion à venir, le reniement, l’abandon. Aurait-il œuvré en vain ? Est-ce que sa parole a vraiment touché les cœurs ? 

La préoccupation de Jésus n’est pas de l’ordre d’un souci personnel pour lui-même. Son inquiétude vise avant tout notre bonheur, notre salut, et la réponse de Pierre, qui reconnaît en lui le Messie, a de quoi réjouir Jésus : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas, lui dit-il, : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » 

Car la reconnaissance de Jésus comme Messie prépare déjà le cœur des disciples au grand mystère qui leur sera dévoilé lors de sa résurrection : que Jésus est le Fils de Dieu et qu’il est le grand vainqueur de la mort. 

Après cette profession de foi, Jésus affirmera le rôle central de Pierre dans l’annonce de la Bonne nouvelle du salut : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » Dans ce solennel dialogue de Jésus avec Pierre, au milieu des Douze, il lui confie par avance la charge de signifier sa présence de Pasteur pour la suite des temps. Jésus est et reste l’unique Pasteur, mais les Apôtres porteront cette charge à sa suite, autour du premier d’entre eux, Pierre.

Maintenant, pour symboliser cette fête, nous employons l’image d’une chaise, qu’on appelle la chaire, et qui représente les fonctions d’autorité et d’enseignement du chef des apôtres, ainsi que de tous les successeurs des apôtres. C’est sur cette foi proclamée par Pierre que Jésus va édifier son Église. 

En célébrant la fête de la Chaire de saint Pierre Apôtre, nous célébrons à la fois l’autorité de Pierre et de ses successeurs, en tant que gardiens du troupeau, à l’image du Bon pasteur qu’est Jésus, et nous célébrons aussi la foi de l’Église exprimée par la profession de Pierre à Jésus : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »

Tout en mettant de l’avant la foi de l’apôtre Pierre sur laquelle repose la foi de l’Église, la fête d’aujourd’hui affirme aussi que c’est le Christ qui est le roc de notre foi, le bâton qui guide et qui rassure, comme le chante psalmiste, il est Lui le Bon berger qui mène à la vie.

Rendons grâce à Dieu en cette fête qui nous donne de contempler le grand mystère de la foi de l’Église en la personne de l’apôtre Pierre, et qui nous invite à répondre encore une fois à la question de Jésus : « Pour vous, qui suis-je ? » 

Fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 7e dimanche (C)

Risquer l’amour : une vie généreuse!

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 6, 27-38)

En ce temps-là,
Jésus déclarait à ses disciples :
« Je vous le dis, à vous qui m’écoutez :
Aimez vos ennemis,
faites du bien à ceux qui vous haïssent.
Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent,
priez pour ceux qui vous calomnient.
À celui qui te frappe sur une joue,
présente l’autre joue.
À celui qui te prend ton manteau,
ne refuse pas ta tunique.
Donne à quiconque te demande,
et à qui prend ton bien, ne le réclame pas.
Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous,
faites-le aussi pour eux.
Si vous aimez ceux qui vous aiment,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
Si vous faites du bien à ceux qui vous en font,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs en font autant.
Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs prêtent aux pécheurs
pour qu’on leur rende l’équivalent.
Au contraire, aimez vos ennemis,
faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour.
Alors votre récompense sera grande,
et vous serez les fils du Très-Haut,
car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants.

Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.
Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ;
ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés.
Pardonnez, et vous serez pardonnés.
Donnez, et l’on vous donnera :
c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante,
qui sera versée dans le pan de votre vêtement ;
car la mesure dont vous vous servez pour les autres
servira de mesure aussi pour vous. »

COMMENTAIRE

Nous en sommes, pour quelques dimanches encore, à réfléchir sur le genre de vie que nous devons mener si nous voulons demeurer dans l’esprit de l’Évangile. Quelle est la proposition du Christ à ses disciples?

Nous sommes peut-être étonnés du ton et de la netteté avec lesquels Jésus nous parle des attitudes que nous devons mettre en place dans nos vies. Ce n’est pas pour mettre une pression indue sur nous. Il s’agit d’une invitation, d’un appel qu’il nous fait. Il voudrait tellement que nous ayons les mœurs de Dieu, les attitudes divines, celles qui sont aussi les siennes.

Notre monde est souvent un lieu de luttes et d’affrontements. Nous sommes tous en quête de possession et d’autorité. Nous cherchons à nous imposer aux autres, à les dominer, à posséder au-delà de ce dont nous avons besoin. Cette tendance ne concerne pas seulement les autres, nos gouvernants municipaux, provinciaux et fédéraux. C’est une affaire éminemment personnelle que de prendre option pour la douceur, la miséricorde, le pardon, les valeurs de paix et d’amour.

Bien sûr, il y a en chacun de nous un instinct de vengeance. « Nous sommes vite sur la gâchette » Nous avons tous une réaction vive devant les affronts et la douleur. Comment résister à l’envie de riposter et de rendre à la pareille à qui nous fait du mal et du tort? Et pourtant, comment désamorcer autrement la violence, l’escalade de la violence? Une vengeance immédiate ne risque-t-elle pas de nous engager dans quelque guerre interminable?

« À cochon, cochon et demi », disons-nous. Et nous sommes dès lors convaincus que notre guerre est juste, que c’est là la meilleure façon de prendre notre place dans la vie et de nous faire respecter. Mais où est donc la vraie grandeur? N’est-elle pas dans l’humilité et le service? N’y a-t-il pas de la petitesse à vouloir absolument être meilleur que les autres, à chercher la grandeur comme si elle n’était pas déjà cachée en dedans de nous? Grandeur de l’humilité, du service, de l’amour fraternel… Il y a là quelque chose de divin, de béni et de sanctifié par Jésus lui-même qui a voulu vivre au milieu de nous comme un pauvre, un petit, le serviteur de tous. Comme une graine jetée en terre dans un champ.

Savons-nous bien que nous sommes riches et comblés en dedans de nous? Nous n’avons pas à envier les autres, à être jaloux, prétentieux, en compétition et rivalité avec tous et chacun. C’est que d’abord nous devons prendre conscience de notre monde intérieur et de sa richesse, de la vie qui palpite en nous; de cette force divine qui nous habite, qui nous est prêtée.

Nous sommes faits à l’image et à la ressemblance de Dieu. Cette ressemblance, nous l’avons hélas abimée et perdue. N’ayons donc de cesse que d’accepter d’être restaurés par le Christ en cette image. Et misons sur cette restauration spirituelle en nous pour croire davantage en notre jardin intérieur. Dieu est amour. Le premier, il nous a aimés.

Nous avons en nous tout ce qu’il faut pour avoir confiance, pour aller vers les autres avec assurance. Prenons donc l’initiative de donner, d’être en service, de respecter les autres. Comment ne pas les voir, eux aussi, comme aimés de Dieu, voulus par lui. Ils me sont confiés pour que je les aime et les aide au nom de notre Dieu et Père.

Résistons donc absolument à la tentation de la méfiance envers les autres, du jugement à leur égard, de la condamnation qui les stigmatise. Soyons plutôt proactifs en travaillant pour construire un monde meilleur, de justice et de paix pour autant qu’il dépende de nous. Nous ferons alors advenir le Royaume de Dieu. Toute cette bonté, cet amour, cette miséricorde investie par nous pour les autres débordera sur nous en retour à la fin. Dieu nous l’a promis en son Fils bien-aimé Jésus. Que son mystère pascal nous en soi la preuve et nous en rappelle la promesse infaillible!

fr. Jacques Marcotte, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 6e dimanche T.O. (C) Il est où le bonheur?

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 6, 17.20-26

En ce temps-là,
    Jésus descendit de la montagne avec les Douze
et s’arrêta sur un terrain plat.
Il y avait là un grand nombre de ses disciples,
et une grande multitude de gens
venus de toute la Judée, de Jérusalem,
et du littoral de Tyr et de Sidon.

Et Jésus, levant les yeux sur ses disciples, déclara :
« Heureux, vous les pauvres,
car le royaume de Dieu est à vous.
    Heureux, vous qui avez faim maintenant,
car vous serez rassasiés.
Heureux, vous qui pleurez maintenant,
car vous rirez.
    Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent
et vous excluent,
quand ils insultent
et rejettent votre nom comme méprisable,
à cause du Fils de l’homme.
        Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie,
car alors votre récompense est grande dans le ciel ;
c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes.

    Mais quel malheur pour vous, les riches,
car vous avez votre consolation !
    Quel malheur pour vous qui êtes repus maintenant,
car vous aurez faim !
Quel malheur pour vous qui riez maintenant,
car vous serez dans le deuil et vous pleurerez !
    Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous !
C’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes. »

COMMENTAIRE

Il y a quelques jours, j’écoutais la très belle chanson de Christophe Maé : Il est où le bonheur ? Quelle belle introduction que cette chanson pour mieux comprendre le sens des béatitudes que Jésus nous fait entendre aujourd’hui. Ces béatitudes nous parlent effectivement de bonheur, d’un bonheur profond et durable.

Le prophète Jérémie, dans la première lecture, compare ce bonheur à un arbre, planté près des eaux,

qui pousse, vers le courant, ses racines. Il ne craint pas quand vient la chaleur : son feuillage reste vert ;

L’année de la sécheresse, il est sans inquiétude : il ne manque pas de porter du fruit. Quelle belle image du bonheur que celle d’un arbre verdoyant planté près d’un ruisseau.

Pourtant, vous me direz que le message de l’Évangile semble aujourd’hui contredire cette belle image bucolique où tout n’est que calme, luxe et volupté, pour reprendre les mots du poète Baudelaire. Heureux êtes-vous si vous êtes pauvres, si vous avez faim, si vous pleurez, si vous êtes haïs, exclus et persécutés. Quelle joie ! Qui veut de ce bonheur-là ?

Les béatitudes sont l’un des textes les plus commentés des évangiles. Si l’on inclut les béatitudes chez l’évangéliste Mathieu, il s’agit de huit paroles de Jésus qu’il incarnera tout au long de sa vie et qui sont des chemins de bonheur menant à la fois vers Dieu et vers le prochain.

Pour bien les comprendre, il faut savoir que les béatitudes s’adressent à ceux et celles qui suivent déjà le Christ et qui sont marqués par son esprit. Ainsi, quand il est question d’être pauvre, Jésus fait référence aux anawim, ce terme hébreu qui désigne les humbles, les pauvres et les opprimés de l’Ancien Testament, et dont la seule richesse était de s’en remettre complètement à Dieu, dans l’attente du Messie. Heureux ces pauvres ! Nous dit Jésus.

Cette même pauvreté nous donne aussi d’avoir faim de Dieu, faim de sa Parole, faim de l’Eucharistie, faim de tout ce qui peut nourrir en nous cette vie nouvelle que la foi en Jésus Christ a déposée en nous. En effet, la foi en Christ ne se limite pas à une croyance intellectuelle, mais implique une union spirituelle profonde avec lui. La transformation intérieure du croyant devient un reflet de la vie de Christ en lui et dépose en lui une faim et une soif, qui se fait à la fois recherche de Dieu et recherche du prochain, qui donne faim et soif de justice, de vérité. Heureux ceux et celles qui sont habités par cette faim, nous dit Jésus!

On peut tout à fait appliquer à Jésus Christ les Béatitudes : lui, le pauvre qui n’avait pas une pierre pour reposer sa tête et qui est mort dans le dénuement et l’abandon ; lui qui a pleuré le deuil de son ami Lazare ; et qui a connu l’angoisse du Jardin des Oliviers ; lui qui a pleuré sur le malheur de Jérusalem ; lui qui a eu faim et soif, au désert et jusque sur la croix ; lui qui a été méprisé, calomnié, persécuté, mis à mort. (Marie-Noël Thabut)

Je me souviens de ce vieux moine trappiste. C’est lui qui sonnait la cloche du monastère d’Oka où j’avais passé un mois avec les moines. C’est lui qui sonnait la cloche pour appeler ses frères à la prière. Il me paraissait très âgé, tout courbé par les années. À l’occasion de la fête du dominicain saint Thomas d’Aquin, le père abbé m’avait demandé de prêcher. J’avais alors commencé mon homélie, le sourire en coin, en rappelant à ces moines ce que saint Thomas avait dit à leur sujet et au sujet des dominicains. Il avait dit que les dominicains, qui s’appellent aussi les frères prêcheurs, étaient faits pour prêcher, et que les moines étaient faits pour pleurer ! Et ce vieux moine, que j’avais croisé près de sa cloche quelques heures plus tard, m’avait appelé à l’écart pour me dire : « Vous avez bien raison, mon père, il nous faut pleurer sur notre pauvre monde. » Il avait ainsi touché à l’esprit de la béatitude « Bienheureux ceux qui pleurent ». Car ceux et celles qui pleurent, selon les béatitudes, ne peuvent regarder leurs frères et sœurs de ce monde avec indifférence ni s’approcher d’eux sans être porteurs d’un grand amour pour eux. « Heureux les doux », nous dit Jésus, « heureux les miséricordieux », « heureux ceux qui pleurent », car vous portez avec moi mon amour pour le monde.

Il est où le bonheur? Jésus nous ouvre le chemin du bonheur, le vrai bonheur, un bonheur durable dès maintenant, ainsi que la promesse d’un bonheur à venir, lorsque nous déposerons ultimement nos vies entre les mains de Dieu. Mais d’ici là, les béatitudes sont une invitation à agir, à nous compromettre, à donner des ailes à l’Évangile et lui faire ainsi parcourir le monde. 

Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux.

Heureux les affligés, car ils seront consolés.

Heureux les doux car ils hériteront la terre.

Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.

Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.

Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.

Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.

Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux.

Heureux êtes-vous lorsqu’on vous insulte, qu’on vous persécute et qu’on dit faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi.

Il est où le bonheur? Il s’agit en fait d’être des saints, de laisser le visage du Christ s’imprimer en nous. C’est ce que l’écrivain catholique, Georges Bernanos, écrivait à ce sujet, tel que rapporté par le moine martyr Christian de Chergé : « Il y a des millions de saints dans le monde, écrivait-il, connus de Dieu seul, une espèce rustique, des saints de toute petite naissance qui n’ont qu’une goutte de sainteté dans les veines et qui ressemblent aux vrais saints, comme un chat de gouttière au chat persan ou au siamois primé dans les concours. » Si nous acceptons chacun d’être ce « chat de gouttière », il est certain que nous trouverons notre place dans l’une et l’autre de ces béatitudes qui forment le toit du monde! (Christian de Chergé. Homélie pour la Toussaint 1976, p. 11). 

Que ce soit là votre joie frères et sœurs dans le Christ!

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain