Homélie pour la fête de l’Ascension (C)

La fête de l’Ascension a quelque chose d’énigmatique alors que Jésus semble se dérober aux yeux de ses disciples. Cette fête est parfois vécue comme le parent pauvre du cycle pascal, alors qu’elle est sans doute celle qui exprime le mieux le sens de notre destinée humaine et la portée incroyable de la victoire du Christ pour nous. Car l’Ascension, avec le don de l’Esprit Saint à la Pentecôte, est l’achèvement du mystère de l’Incarnation, du pourquoi le Fils de Dieu est venu parmi nous.

D’ailleurs, Jésus a laissé des indices pour nous aider à comprendre l’extraordinaire mystère qui se joue sous nos yeux avec son Ascension. Rappelez-vous au matin de Pâques, Jésus ressuscité avait dit à Marie-Madeleine : « Je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va vers mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20, 17). Déjà, Jésus avait dit à ses Apôtres avant sa passion : « Je pars vous préparer une place ? Quand je serai allé vous la préparer, je reviendrai vous prendre avec moi ; et là où je suis, vous y serez aussi. » (Jn 14, 2-3). 

Ce départ est donc d’une importance capitale dans la mission de Jésus. Il doit retourner vers le Père, afin d’accomplir l’inimaginable, le jamais vu dans l’histoire de l’humanité : « Personne, dit Jésus, n’est jamais monté aux cieux sinon le Fils de l’Homme qui est descendu des cieux » (Jn 3, 13 ; cf. Ep 4, 8-10). Et devant les yeux de ses disciples, Jésus est « emporté au ciel ».

La fête de l’Ascension est toute chargée de l’espérance de Dieu en notre faveur et nous rappelle combien nous avons du prix à ses yeux. L’Ascension de Jésus vient nous dévoiler le grand mystère de notre destinée humaine alors que le Christ nous précède au ciel et qu’il nous y entraîne. Cette fête forme un tout avec la résurrection du Christ et elle nous parle en même temps du sérieux de son Incarnation, du fait que le Fils de Dieu ait pris chair de la Vierge Marie, chair de notre chair. La Résurrection et son pendant qu’est l’Ascension sont le couronnement de l’Incarnation du Fils de Dieu : Jésus ne rejette pas son corps ; il le transfigure, il le divinise en montant au ciel avec son corps glorifié. 

Contrairement à ce que me disait un jour une amie, la fête de l’Ascension n’est pas une fête triste. Cette amie disait cela parce que Jésus était parti. Jésus est parti, me disait-elle ! Elle vivait en quelque sorte la peine des disciples. Quel grand amour de Jésus exprimait-elle ainsi en avouant son désarroi devant son départ ! Mais Jésus ne nous abandonne pas. Non seulement il nous précède dans la demeure du Père, mais il nous y prépare une place. 

Dans le Christ, vrai Dieu et vrai homme, notre humanité est conduite auprès de Dieu. Jésus nous ouvre le passage, il est comme le chef de cordée lors de l’escalade d’une montagne, arrivé au sommet de sa vie, il nous tire vers Lui et nous conduits vers le Père. Car tel est le maître, tels sont les disciples, tous appelés à une même destinée avec lui. Oui, il est grand le mystère de la foi!

Tout comme nous sommes passés du ventre de notre mère à la vie sur terre, un jour nous passerons du ventre de la terre à la vie en plénitude auprès de Dieu. Par son Ascension, Jésus vient achever la longue histoire de notre salut, qui est de nous ramener vers Dieu. Il ne nous laisse pas seuls. Il nous emporte avec lui, premier-né d’une multitude de frères et de sœurs, alors qu’il monte au ciel avec son corps, réalisant ainsi cette folle espérance, tirée des paroles du vieux Job dans sa misère, où ce dernier s’écriait du fond de son malheur, sans vraiment saisir la portée inouïe de sa profession de foi :

 « Je sais, moi, que mon libérateur est vivant, et qu’à la fin il se dressera sur la poussière des morts ; avec mon corps, je me tiendrai debout, et de mes yeux de chair, je verrai Dieu. »

Le trappiste Christian de Chergé, prieur du monastère de Tibhirine en Algérie, assassiné avec six de ses frères en 1996, restera toute sa vie, fasciné par le mystère de l’Incarnation. Il dira à ses frères moines dans une homélie : « Le plus extraordinaire du mystère de l’Incarnation, ce n’est pas que Dieu se soit fait homme, mais c’est que l’homme soit en Dieu, c’est qu’une humanité semblable à la nôtre, se retrouve en Dieu. […] Désormais, écrit-il, il y a de la fraternité en Dieu. C’est ainsi que nous pouvons nous appeler “petits frères” et “petites sœurs.» Car notre frère Jésus nous précède au ciel!

Et cette fraternité s’étend désormais au monde entier. C’est pourquoi la fête de l’Ascension marque aussi le début du temps de l’Église, Église en attente de l’Esprit saint promis par le Seigneur afin de mener aux quatre coins du monde sa mission d’évangélisation, communauté de foi des disciples du Christ, qui célèbre ce don que Dieu nous fait d’un amour infini, communauté de croyantes et de croyantes qui est appelée à partager cette joie et cette foi qui sont la sienne, fidèle à la parole de Jésus : « Allez dans le monde entier. Proclamez l’Évangile à toute la création. »

Mais comment allons-nous vivre cette mission qui nous est confiée dans la condition qui est la nôtre, dans une Église qui semble parfois en manque de souffle? Appelé à beaucoup voyager, à cause de mes fonctions en tant que prieur provincial, voyageant de paroisse en paroisse, de communauté en communauté à travers le monde, je suis le témoin d’un constat à la fois lucide et rempli d’espérance. Oui, nos églises ont parfois des murs décrépis, des clochers vacillants, des assemblées clairsemées. Mais il serait aveugle de s’arrêter là.

Car il y a bel et bien le petit reste, comme Dieu en a toujours suscité dans l’histoire d’Israël : un petit reste de tous âges étonnamment, des passionnés de l’Évangile, de l’Eucharistie, de la vie en communauté, du partage fraternel, de la présence attentive et généreuse auprès des plus pauvres. Petite armée de rien du tout qui avance vers l’avenir avec tellement peu de moyens qu’elle en est émouvante, et pourtant rien ne semble pouvoir la décourager ou l’arrêter. 

C’est ce petit reste que Dieu a aimé par le passé et jusqu’à maintenant; c’est pourquoi ce petit reste demeure redoutable, puisque c’est Dieu lui-même qui continue de l’accompagner et de veiller sur lui. Et ce petit reste c’est vous tous et toutes ici rassemblées. Et je ne puis que nous souhaiter d’appartenir à ce petit reste, mais cela demande un certain courage, ce que certains appelleraient même une grâce d’aveuglement. Mais pourquoi pas? Nous n’avons rien à perdre, mais tout à gagner, et la victoire est certaine puisque c’est le Christ lui-même qui nous envoie. Comme l’écrivait avec justesse le pape François dans sa première encyclique Lumen fidei :

« La foi n’est pas un refuge pour ceux qui sont sans courage, mais un épanouissement de la vie. Elle fait découvrir un grand appel, qui est la vocation à l’amour, et elle assure que cet amour est fiable, qu’il vaut la peine de se livrer à lui, parce que son fondement se trouve dans la fidélité de Dieu, fidélité qui est plus forte que nos fragilités. »

Frères et sœurs, la fête de l’Ascension n’est donc pas la fin de quelque chose, ce n’est pas par nostalgie que nous marchons à la suite de Jésus, mais dans l’élan de l’espérance, sûrs de la promesse du Christ d’être avec nous. La fête de l’Ascension marque donc un commencement : celui du début du temps de l’Église où nous sommes appelés à donner le goût de Dieu au monde, et lui dire, avec le pape Léon XIV, qui lançait cette invitation au monde lors de son installation comme pape : 

« Venez vers le Christ. Approchez-vous de lui. Écoutez sa parole qui illumine et qui console. Accueillez son offre d’amour et entrez dans sa famille. » 

Frères et sœurs, il n’y a pas de plus grand bonheur. Promesse de Jésus Christ!

Fr. Yves Bériault, o.p. dominicain

Homélie pour le 5e dimanche de Pâques (C)

aimez-vous-comme

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 13,31-33a.34-35.
Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui.
Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.
Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Vous me chercherez, et, comme je l’ai dit aux Juifs : “Là où je vais, vous ne pouvez pas aller”, je vous le dis maintenant à vous aussi. »
Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »

COMMENTAIRE

À l’exemple de Paul et Barnabé dans notre première lecture, moi, en tant que frère prêcheur, j’aimerais bien pouvoir aussi affermir votre courage en tant que disciples du Christ et vous exhorter à persévérer dans la foi. Selon moi, ce devrait être là le but ultime de toute prédication : former le cœur des chrétiens et des chrétiennes en contemplant avec eux l’extraordinaire cadeau de notre foi en Dieu. Cadeau qui se déploie de dimanche en dimanche à travers notre méditation de la Parole de Dieu, car la foi en Jésus Christ change tout dans une vie. Change tout!

Ce dimanche-ci, dans l’évangile, nous voyons Jésus qui se présente encore une fois comme le chemin incontournable qui mène au prochain et qui, par le fait même, conduit à Dieu.

  « Petits enfants, dit-il,
    Je vous donne un commandement nouveau :
c’est de vous aimer les uns les autres.
Comme je vous ai aimés,
vous aussi aimez-vous les uns les autres. »

Nous le savons, l’amour de l’autre, du prochain, de l’ami, du conjoint, peut s’exprimer de bien des manières et, en ce sens, aucune religion n’en a le monopole, car l’amour est universel, mais le Christ nous en offre une clé d’interprétation unique. 

Qu’est-ce qui nous fait aimer l’autre, parfois sans le connaître, au point où certaines personnes vont même donner leur vie pour des inconnus? Quel est ce mystère du don de soi qui fait tellement de bien quand on s’y donne complètement, au point même, de s’oublier soi-même?

Voici deux exemples pris au hasard. J’ai entendu un jour une entrevue à la radio avec un couple qui avait accueilli dans leur foyer près de trois cents enfants en difficulté sur une période de près de trente-cinq années. Un véritable exploit. La journaliste leur avait demandé s’il y avait certains de ces enfants qu’ils avaient aimés plus que d’autres. La maman avait répondu de but en blanc : « Oui, ceux qui en avaient le plus besoin. »

Il y a quelques années, un poste de télévision américaine diffusait une annonce publicitaire pour la promotion de la vocation religieuse. Une publicité fort originale. On voyait un malade couché sur un lit, le corps recouvert de plaies répugnantes. Devant lui, dos à la caméra, une religieuse refaisait les pansements. On entendait une voix qui disait : « Je ne ferais pas cela pour un million ». Et la religieuse, en se tournant vers la caméra, d’ajouter : « Moi non plus ! »

Ce message reprenait une réflexion de Mère Teresa de Calcutta. La célèbre religieuse disait à peu près ceci en parlant de sa tâche auprès des mourants abandonnés dans les rues de l’Inde : « Je ne pourrais pas faire cela pour un million de dollars, mais je suis prête à faire davantage pour l’amour de Dieu. »

Ces deux exemples s’inscrivent tout à fait dans ce que Jésus demande quand il nous dit : « Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres. » Mais quelle est cette nouveauté que Jésus annonce à ses disciples ? Car, de prime abord, il n’y a rien de nouveau dans cet enseignement de Jésus qui n’était déjà connu à son époque. Et pourtant, Jésus annonce quelque chose d’inédit, du jamais vu, un commandement nouveau.

Frères et sœurs, cette nouveauté vient de ce que Jésus ajoute au précepte de l’Ancien Testament : « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. » C’est le mot comme qui fait toute la nouveauté et qui met en évidence une des lignes de force fondamentales du christianisme, soit la centralité de la personne de Jésus Christ. Son agir devient la norme de nos actions, de nos pensées, et de nos paroles. Et ceci, non pas par simple imitation d’un homme idéalisé ou d’un maître à penser. Mais parce qu’en Jésus, c’est Dieu qui se fait connaître de nous et qui vient marcher avec nous en transformant nos cœurs et en nous apprenant à devenir pleinement humains.

Il faut se rappeler que Jésus donne son enseignement sur l’amour à ses disciples alors qu’il vient tout juste de leur laver les pieds, la veille de sa passion, et qu’il leur dit : « c’est un exemple que je vous ai donné : ce que j’ai fait pour vous, faites-le-vous aussi. »

Bien sûr, la tâche peut paraître surhumaine, nos efforts dérisoires, en comparaison des besoins criants de tant d’enfants, de femmes et d’hommes sur cette terre. Pourtant, nous sommes invités à marcher avec le Christ, lui qui a espéré en nous le premier, en nous demandant de nous aimer les uns les autres. C’est pourquoi l’histoire de l’Église porte cette marque indélébile de millions et de millions de témoins, célèbres ou anonymes, qui, jusqu’à ce jour, ont été portés par cet élan de charité qui a sa source dans le Christ ressuscité.

Mais approfondissons la nature de cet amour de Jésus pour ses disciples. Pourquoi est-il si important d’aimer comme lui ? Pour bien comprendre cette parole : « Aimez-vous les uns les autres », il nous faut réentendre une autre affirmation de Jésus dans l’évangile de Jean où il dit à ses disciples : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi, je vous ai aimé. Demeurez dans mon amour. »

En effet, cet amour auquel nous sommes appelés, cet amour capable de transformer nos vies, trouve son origine en Dieu. Jésus nous aime du même amour qu’il est aimé du Père. Il ne s’agit pas ici d’un amour éphémère, fondé sur des émotions passagères, mais d’un amour divin que l’Esprit du Christ dépose en nos cœurs, un amour qui ne passera jamais, comme l’affirme saint Paul dans son hymne à l’amour (1 Cor 13).

Rappelez-vous : l’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne fait rien d’inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout.

Frères et sœurs, voilà l’amour auquel Jésus nous appelle : un amour qui nous fait lui ressembler de plus en plus et qui élargit nos cœurs aux dimensions du monde. Que ce soit là notre joie!

Fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain