Homélie pour le 2e dimanche de l’Avent (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 1, 1-18

Commencement de l’Évangile de Jésus,
Christ, Fils de Dieu.
Il est écrit dans Isaïe, le prophète :
Voici que j’envoie mon messager en avant de toi,
pour ouvrir ton chemin.
Voix de celui qui crie dans le désert :
Préparez le chemin du Seigneur,
rendez droits ses sentiers.

Alors Jean, celui qui baptisait,
parut dans le désert.
Il proclamait un baptême de conversion
pour le pardon des péchés.

Toute la Judée, tous les habitants de Jérusalem
se rendaient auprès de lui,
et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain,
en reconnaissant publiquement leurs péchés.
Jean était vêtu de poil de chameau,
avec une ceinture de cuir autour des reins ;
il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
Il proclamait :
« Voici venir derrière moi
celui qui est plus fort que moi ;
je ne suis pas digne de m’abaisser
pour défaire la courroie de ses sandales.
Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau ;
lui vous baptisera dans l’Esprit Saint. »

COMMENTAIRE

Quelques mots tout d’abord sur l’évangile de Marc dont nous venons de proclamer le tout début. Cet évangile n’est pas simplement une vie de Jésus, à l’exemple de la biographie d’un homme célèbre. Il s’agit avant tout d’un témoignage de foi qui annonce la Bonne Nouvelle du Fils de Dieu lui qui fait irruption au cœur même de notre monde et se fait l’un des nôtres. C’est pourquoi l’évangéliste souhaite engager le lecteur à se mettre en route à la suite du Sauveur, à prendre même le relais de Jean Baptiste dans l’accueil et la proclamation de cette bonne nouvelle. 

Ce qui est intéressant dans la manière de procéder chez Marc, c’est que dès les premières paroles de son évangile, l’identité de Jésus est solennellement dévoilée : «Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, le fils de Dieu.» D’entrée de jeu, Jésus nous est tout d’abord présenté comme le Christ, le Messie, l’Élu de Dieu, le Sauveur tant attendu par Israël. Marc affirme aussi qu’il est le Fils de Dieu. Et c’est là une nouvelle des plus extraordinaire, puisque l’Absolu s’est incarné, Dieu parmi nous, et il porte un visage, celui de Jésus de Nazareth. Voilà ce dont Marc cherche à témoigner tout au long de son évangile.

Toutefois, le dévoilement explicite de l’identité de Jésus se retrouvera surtout à deux moments charnières dans l’évangile de Marc. Tout d’abord, quand Jésus demande à ses apôtres : «Et vous, qui dites-vous que je suis?» L’apôtre Pierre répond : «Tu es le Messie» (8, 29). Jésus est alors reconnu dans sa mission. Quant au deuxième moment de dévoilement, on le retrouve à la fin de l’évangile, dans la bouche du soldat romain au pied de la croix, qui s’exclame alors que Jésus rend son dernier souffle : «Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu» (15, 39). Et c’est la divinité de Jésus qui est reconnue ici. Jésus, Christ et Fils de Dieu! Voilà ce que Marc veut nous transmettre par son évangile.

Voilà pourquoi il nous faut nous mettre en route nous aussi, chausser les sandales de celui qui annonce la Bonne Nouvelle, comme nous y invite le prophète Isaïe, comme le fait Jean-Baptiste. Car avec la venue du Messie, nous sommes appelés à être les témoins des temps nouveaux dans l’histoire de l’humanité. C’est pourquoi Marc choisit comme premier mot de son évangile : «Commencement!» Vous savez qu’un livre majeur de la Bible commence par ce mot. Lequel selon vous?

Il s’agit en effet du livre qui est placé au tout début de la Bible, soit celui de la Genèse, dont la première ligne se lit ainsi : «Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre…» Par son emploi du mot «commencement», l’évangéliste Marc veut bien sûr souligner à la fois la nouveauté de cette venue de Dieu parmi nous, et où nous assistons en quelque sorte à une re-création du monde, un nouveau point de départ pour notre humanité. D’ailleurs, c’est pourquoi la tradition chrétienne a toujours vu dans le Christ le nouvel Adam au seuil de la nouvelle création!

Maintenant, nous voici deux mille ans plus tard et nous pourrions nous demander si le monde a vraiment changé depuis. J’avoue que c’est là une question à laquelle il n’est pas possible de répondre objectivement, sinon de le faire à partir de notre propre expérience de foi. Pour la plupart d’entre nous, il est sans doute difficile d’identifier un avant et un après, de notre foi en Jésus Christ, mais peu importe, car cette foi qui est la nôtre est source de changement en nous, de conversion, d’un bonheur réel, d’une manière unique de nous situer dans l’existence, qui a sûrement un effet transformateur sur le monde et qui prépare l’avènement du Royaume de Dieu. C’est pourquoi le choix des textes bibliques qui nous sont proposés en ce début de l’Avent veut nous rappeler qu’il y a en nous un trésor que l’on ne peut enfouir comme s’il n’appartenait qu’à nous seul.

Sinon, pourquoi souhaiter que davantage de personnes se joignent à nous pour célébrer? Pourquoi des parents et des grands-parents se désolent-ils que leurs enfants ou petits-enfants soient indifférents à la question de Dieu? Après tout, on n’en fait pas une maladie si des proches ne partagent pas notre amour de la musique ou de l’opéra, du bridge ou de la cuisine asiatique. Mais la foi en Jésus Christ, c’est bien autre chose, nous le savon.

Quand Jésus nous invite à nous déclarer pour lui devant les hommes, nous touchons ici à quelque chose de fondamental dans notre vie de foi. C’est pourquoi nous ne sommes pas indifférents quand Dieu est méconnu ou ignoré. Car, nous les premiers, nous sommes les bénéficiaires de cette foi en Dieu qui change notre regard sur le monde, qui fonde nos valeurs et notre amour de la vie, qui donne sens à tous nos efforts et à toutes nos joies. Car il existe en nous une source profonde et limpide où nous puisons l’eau vive et qui s’appelle Dieu. 

Alors, pourquoi faut-il aplanir le chemin qui mène à Dieu? Parce que nous étant abreuvés à cette source intarissable, nous aimerions tellement la partager quand nous voyons tant d’hommes et de femmes s’avancer dans le désert de l’existence en quête d’un lieu où s’abreuver et donner sens à leur vie, alors qu’ils ne savent où trouver. On ne voudrait jamais laisser quelqu’un mourir de soif. C’est pourquoi témoigner du Christ, c’est offrir un peu de cette eau vive. 

Tous les gestes qui parlent du Christ sont porteurs d’une promesse, d’où l’importance de témoigner en aimant sans condition, en pardonnant, en priant et en donnant de nous-mêmes, en partageant avec les autres ce regard de l’âme sur le secret des choses que donne la foi en Jésus Christ. N’est-ce pas ce que font les musiciens, les chanteurs, les danseurs, mais aussi les peintres, les cinéastes et tous les artistes, qui ne cherchent qu’à partager leurs passions et à donner le goût de vivre? 

Frères et sœurs, Dieu fait de nous des artistes en quelque sorte, appelés à témoigner de cette vie qui nous habite, qui nous est si précieuse, qui est la foi en Dieu et qui constitue un véritable re-commencement pour quiconque l’accueille chaque jour de sa vie. Heureux êtes-vous donc si votre foi est votre bien le plus précieux; si vous ne voudriez jamais être séparés du Christ, car alors, n’en doutez pas, déjà votre vie elle-même annonce au monde entier la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, fils de Dieu.

Fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain 

Fête de l’Immaculée-Conception de la Vierge Marie

« Qu’il me soit fait selon ta parole ». Que de courage derrière ces quelques mots de Marie à l’Archange Gabriel.

Il faut beaucoup de confiance pour s’en remettre ainsi à Dieu et surtout beaucoup d’humilité. Marie était la plus humble de toute, d’une humilité transparente, seule capable d’accueillir le Fils de Dieu et de le laisser briller en elle. C’est là le mystère de l’Immaculée Conception.

C’est le plus grand poète de la renaissance, Dante Alighieri, qui fait dire à saint Bernard de Clairvaux: « regarde désormais dans le visage qui le plus rappelle celui du Christ, car seule sa clarté peut te disposer à voir le Christ » (Par. XXXII, 85-87).

Marie est comme le vitrail de la présence de Dieu en notre monde. Elle laisse passer la lumière à travers elle, et Dieu est là, incarné, l’Emmanuel, parmi nous. Prie pour nous sainte Mère de Dieu!

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le temps de l’Avent (B)

Veiller pour lui, avec lui!

« Prenez garde, restez éveillés, car vous ne savez pas quand ce sera le moment. »

Quand j’étais enfant, disons vers l’âge de 4, 5 ou 6 ans, j’acceptais mal de devoiraller me coucher tôt dans la soirée, bien avant les autres, plus grands, qui eux avaient le droit de veiller, de prolonger la journée en conversations, lectures, écoute de la radio ou sortie à l’extérieur. Que les plus petits aillent au lit plus tôt, cela faisait l’affaire de tout le monde, bien sûr ! 

En nous disant de veiller, le Seigneur ne veut pas réglementer nos temps de sommeil, ni les abréger ni les allonger. Il nous demande plutôt de garder la forme pour être davantage présent quand ce sera le temps, le moment, comme il dit. Le Seigneur ne veut pas non plus, je pense, nous faire peur en nous disant qu’il faut être sur le qui-vive, au cas où la fin du monde viendrait soudainement. Il ne joue pas à nous surprendre. Pourquoi arriverait-il comme ça, sans crier gare, pour l’heure du jugement. Il serait surprenant que Jésus veuille nous faire peur, ajouter du stress à nos vies déjà tourmentées? Pas plus qu’il ne veut nous endormir, il ne veut nous énerver.

« Veillez donc! car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison. » Pourqui allons-nous veiller, sinon pour lui? Pour être là, disponible au besoin, quand il viendra. Veiller pour lui, cela veut dire veiller avec lui. Pour faire ce qu’il attend de nous. Ce sera nous occuper d’abord de ce qui fait notre labeur de tous les jours. C’est là que le Seigneur se fait attendre. C’est lui qui décide de l’heure où il vient. Mais il y a des probabilités. Le Seigneur nous en donne une petite idée quand il nous dit : « le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin. » Ces repères temporels ne sont pas innocents. Ils ne sont pas sans signification. Le Seigneur pointe ainsi des moments sensibles, où il se présente à nous, où il nous attend peut-être, où il a besoin de nous. Serons-nous prêts à relever le défi? Serons-nous disposés à reprendre du service?

Il viendra peut-être le soir : au moment de son dernier repas, à la sainte cène, au soir d’une plus grande intimité? Où il nous lave d’abord les pieds. Où il se donne en communion d’amour et de vie, alors même que l’un de nous va le trahir et le livrer. 

Il viendra peut-être à minuit : au rendez-vous de Gethsémani, où le Seigneur est en prière et nous convoque avec les trois disciples à prier avec lui. Veiller dans la prière, ce n’est pas toujours facile. Que de distractions et de somnolences parfois! Or, prier ce n‘est pas seulement notre affaire. C’est bien plus lui qui prie en nous. Il prie avec nous. Elle est si précieuse pour lui et pour nous cette communion de cœur et d’esprit! C’est un moment de grâce!

Peut-être qu’il viendra au chant du coq? Nous nous souvenons parfaitement de ce moment douloureux où, après son arrestation dans le jardin, Jésus fut emmené en ville quelque part pour y être mis sous bonne garde, brutalement, comme on fait pour un prisonnier. Simon Pierre avait suivi le cortège. Tristement il a craqué; il n’a pas tenu le coup. Allant jusqu’à renier son maître devant une petite servante, un simple serviteur. « Avant que le coq chante tu m’auras renié 3 fois » avait prédit Jésus. Qu’en est-il pour nous de ce momentum où nous sommes mis au défi de nous prononcer pour le Seigneur, de professer ouvertement notre foi, notre attachement à sa personne, notre appartenance au Christ? 

Il viendra peut-être le matin? Chaque matin, quand vient le jour, c’est le moment où s’engage la comparution du Seigneur devant le Sanhédrin, les Grands-Prêtres, puis le Gouverneur. C’est le moment de notre comparution en son Nom, alors que chaque jour nous subissons l’épreuve de notre fidélité, de notre amitié pour lui. C’est l’heure du témoignage de notre engagement et notre service pour lui dans ses pauvres, ses petits, tous ses bien-aimés, les blessés de la vie. 

Nous sommes maintenant dans la saison, où mille petits moments nous sont donnés pour faire nos preuves, pour y vivre l’épreuve de notre défense. Car nous sommes mis en accusation avec lui., à cause de lui. La croix se profile toujours un peu sur notre quotidien. Là encore il ne faut pas qu’il nous trouve endormis, absents, sans foi ni espérance, sans amour. Plus que jamais c’est le moment béni où il vient pournotre relèvement, et bientôt peut-être pour l’heure de la Résurrection. Que vienne le matin du grand réveil qu’il nous prépare. Il en fera pour tous ses élus une Fête éternelle.

Fr Jacques Marcotte, OP

Québec, QC

Homélie pour le 1er dimanche de l’Avent (B)

Le poète Charles Péguy dans un poème sur la fête de Noël met en scène trois personnages qu’il appelle les filles de Dieu, et qui sont la foi, l’espérance et la charité. Il compare la charité à une mère ou à une sœur aînée; la foi à une épouse fidèle; et l’espérance, à une toute petite fille. Péguy a là une intuition des plus intéressante, car les saints et les saintes sont surtout reconnus à cause de leur foi à déplacer les montagnes, de leur charité à toute épreuve, mais l’espérance… Qui a déjà été canonisé parce qu’il ou elle avait espéré? Et pourtant, nous dit Péguy, c’est la petite fille espérance qui entraîne par la main ses deux sœurs aînées, la foi et la charité. Cette vision du poète nous introduit, il me semble, dans une belle compréhension de l’année liturgique que nous inaugurons aujourd’hui.

Faut-il le rappeler, l’année liturgique qui commence avec le premier dimanche de l’Avent, et qui se termine avec la fête du Christ-Roi, est marquée par trois grands mouvements, comme une vaste symphonie, qui correspondent au temps de Noël, de Pâques, et du temps appelé « ordinaire », à défaut d’un qualificatif plus poétique. Quand on y regarde de plus près, chacun de ces trois temps de l’année liturgique semble davantage orienté vers l’une des trois vertus théologales de foi, d’espérance et de charité. Non pas que toutes ces vertus ne soient pas évoquées tout au long de l’année liturgique à travers les lectures bibliques qui nous sont proposées, mais c’est comme s’il y avait une insistance plus soutenue à l’endroit de l’une ou l’autre de ces vertus, selon les grands moments de l’année.

Tout d’abord, le temps ordinaire, celui qui occupe la plus large part de l’année liturgique, est loin d’être « ordinaire ». Je le dirais surtout consacré à la vertu de charité, à la mise en œuvre quotidienne de l’amour, manifesté par les paroles, les gestes et la personne même de Jésus. Le temps ordinaire de la liturgie est une invitation à faire nôtre sa mission, afin que par nos gestes et nos paroles, l’amour et la tendresse du Père soient à nouveau manifestés à notre monde par nos œuvres de justice et de miséricorde. Le temps ordinaire, c’est l’aujourd’hui de Dieu, l’aujourd’hui de l’Évangile et de l’Église. On pourrait l’appeler le temps de la charité de l’Église.

Le Carême et le temps pascal me semblent davantage consacrés à la vertu de foi. C’est un temps qui invite à croire, à croire sans réserve. Une invitation nous y est faite à suivre le Christ dans sa mort-résurrection et à proclamer avec les Apôtres que ce Jésus qui a été crucifié, Dieu l’a ressuscité des morts. Carême et temps pascal sont ces temps de l’année où nous retournons aux sources de notre foi et où, à la fête de Pâques, sommet de l’année liturgique, nous proclamons que ce Jésus, Dieu l’a fait Christ et Seigneur. Et nous faisons nôtre cette béatitude promise par Jésus à ses disciples : « Heureux ceux qui croiront sans avoir vu! » C’est à cette foi audacieuse que nous invitent le Carême et le temps pascal.

Vous l’aurez deviné, le temps de l’Avent lui me semble tout orienté vers l’espérance. L’Avent, première halte dans l’année liturgique, vient dresser sur l’horizon de nos attentes humaines une toute petite lueur. Elle a les dimensions d’un berceau, mais elle est capable d’embraser tout l’univers. Pourtant, elle est toute contenue dans le mystère de cette étable de Bethléem. Mystère de l’humilité et de la petitesse de Dieu, qui se donne sans s’imposer à nous. 

Noël, c’est Dieu qui déjà se livre une première fois entre nos mains. En attendant d’être couché sur la croix, il est couché dans une mangeoire, emmailloté, offert à notre contemplation. Et là, dans cette vie humaine naissante, gît, impuissant, donnée à nous, l’espérance du monde, le Christ, le Fils de Dieu. C’est Dieu lui-même qui vient allumer au cœur de notre nuit une soif d’infini et qui nous ouvre le chemin qui y conduit.

Pas étonnant qu’en ce temps de l’année, plus qu’à n’importe quel autre, les gens aient le goût de décorer, de revêtir les villes et les villages de lumières et de couleurs flamboyantes. Ils ont envie de donner d’eux-mêmes sans compter, d’être une fois pour toutes bonté et générosité, comme si leur cœur saisissait à l’approche de Noël, comme l’espace d’un instant, sa véritable vocation, même dans les sociétés les plus sécularisées. Non, les indices ne trompent pas. C’est la petite vertu espérance qui se fraie son chemin depuis cette étable de Bethléem et qui illumine la nuit des temps.

Nous le savons, la Parole de Dieu ne nous propose pas une espérance à la petite semaine, une espérance facile et béate. Non, elle est de tous les combats, de toutes les luttes, et c’est elle qui nous rend capables de nous engager, de nous aimer les uns les autres, de changer nos cœurs, de recommencer quand tout s’écroule. C’est cette espérance, têtue et obstinée, que nous demandons au Prince de la paix de renouveler en nous alors que nous nous préparons à célébrer la fête de Noël, afin qu’il nous trouve fidèles et en tenues de service quand il viendra, de telle sorte que cette espérance qui nous habite puisse soulever le monde avec lui, chacun et chacune à notre mesure, dans le quotidien qui est le nôtre. 

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

En terminant, écoutons Charles Péguy :

Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance.

Et je n’en reviens pas.

Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout.

Cette petite fille espérance.

Immortelle.

Car mes trois vertus, dit Dieu.

Les trois vertus mes créatures.

Mes filles, mes enfants.

Sont elles-mêmes comme mes autres créatures.

De la race des hommes.

La Foi est une Épouse fidèle.

La Charité est une Mère.

Une mère ardente, pleine de cœur.

Ou une sœur aînée qui est comme une mère.

L’Espérance est une petite fille de rien du tout.

Qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière.

Qui joue encore avec le bonhomme Janvier.

Avec ses petits sapins en bois d’Allemagne couverts de givre peint.

Et avec son bœuf et son âne en bois d’Allemagne. Peints.

Et avec sa crèche pleine de paille que les bêtes ne mangent pas.

Puisqu’elles sont en bois.

C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes.

Cette petite fille de rien du tout.

Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus.

Comme l’étoile a conduit les trois rois du fin fond de l’Orient.

Vers le berceau de mon fils.

Ainsi une flamme tremblante.

Elle seule conduira les Vertus et les mondes.

Une flamme percera des ténèbres éternelles.

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  1. CHARLES PÉGUY, tiré de «Le porche du mystère de la deuxième vertu. pp. 26-27

Homélie pour la fête du Christ-Roi (A)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 25, 31-46

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
    « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire,
et tous les anges avec lui,
alors il siégera sur son trône de gloire.
    Toutes les nations seront rassemblées devant lui ;
il séparera les hommes les uns des autres,
comme le berger sépare les brebis des boucs :
    il placera les brebis à sa droite, et les boucs à gauche.

    Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite :
‘Venez, les bénis de mon Père,
recevez en héritage le Royaume
préparé pour vous depuis la fondation du monde.
    Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ;
j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ;
j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ;
    j’étais nu, et vous m’avez habillé ;
j’étais malade, et vous m’avez visité ;
j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !’
    Alors les justes lui répondront :
‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu…?
tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ?
tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ?
    tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ?
tu étais nu, et nous t’avons habillé ?
    tu étais malade ou en prison…
Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?’
    Et le Roi leur répondra :
‘Amen, je vous le dis :
chaque fois que vous l’avez fait
à l’un de ces plus petits de mes frères,
c’est à moi que vous l’avez fait.’  

    Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche :
‘Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits,
dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges.
    Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ;
j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ;
    j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ;
j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ;
j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité.’
    Alors ils répondront, eux aussi :
‘Seigneur, quand t’avons-nous vu
avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison,
sans nous mettre à ton service ?’
    Il leur répondra :
‘Amen, je vous le dis :
chaque fois que vous ne l’avez pas fait
à l’un de ces plus petits,
c’est à moi que vous ne l’avez pas fait.’

    Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel,
et les justes, à la vie éternelle. »

COMMENTAIRE

La liturgie de la Parole en ce dimanche du Christ-Roi de l’univers s’ouvre sur une prophétie d’Ézéchiel qui, au-delà de son contexte historique où le peuple hébreu est en exil, nous parle plus largement du drame de notre humanité aux prises avec le péché et le mal, et de la promesse que Dieu nous fait de nous venir en aide. C’est ainsi que Dieu prend la parole dans cette prophétie et raconte que par un jour de nuages et de sombres nuées les brebis ont été dispersées, mais que lui-même s’engage à les chercher et à les rassembler : « La brebis perdue, dit-il, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai. Celle qui est blessée, je la panserai. Celle qui est malade, je lui rendrai des forces. » 

Et c’est ainsi que le psalmiste, fort de cette promesse de Dieu, peut chanter : « Le Seigneur est mon berger : rien ne saurait me manquer. » Ces promesses vont trouver leur achèvement en Jésus-Christ, celui qui se présente à nous comme le bon pasteur, à qui tout a été soumis, et dont saint Paul affirme dans notre deuxième lecture, que c’est par lui le vainqueur de la mort que tous recevront la vie. Ces textes sacrés nous préparent à entendre l’évangile choisi pour cette fête du Christ-Roi. 

Cette fête, faut-il le dire, est assez récente dans l’histoire de l’Église puisqu’elle a été instituée il y a près d’un siècle, soit en 1925, avec une visée assez polémique, quoi qu’on en dise. Les gouvernements de l’époque en Europe, que l’on pense à l’Allemagne, à l’Italie, sans oublier bien sûr l’Union soviétique communiste, se montraient de plus en plus anticléricaux et l’Église voulait affirmer avec cette fête du Christ-Roi que les puissants de ce monde ne sont en fait que des roitelets en comparaison du Seigneur Jésus-Christ et du règne qu’il vient instaurer; qu’il est lui le véritable roi de l’univers.

Bien sûr, existe toujours le danger pour l’Église de vouloir s’imposer comme un contre-pouvoir politique dans nos sociétés. D’ailleurs, elle n’a pas toujours échappé à ce piège à travers les siècles, et c’est ainsi qu’un auteur critique de l’Église et de ses prétentions au début du XXe siècle (Loisy) écrivait : « On attendait le Royaume de Dieu et c’est l’Église qui est venue. » 

Bien sûr, cette tentation demeurera toujours présente jusqu’à la fin des temps, car l’Église, tout en étant d’origine divine, est aussi humaine, mais quand nous célébrons la fête du Christ-Roi, nous les chrétiens et les chrétiennes nous affirmons ce qui suit : « On attendait le Royaume de Dieu et c’est Jésus qui est venu! » 

En cette fin d’année liturgique, cette fête survient comme un point d’orgue, comme l’aboutissement de tout ce que nous avons célébré ensemble depuis un an, alors que nous affirmons à la face du monde, que Jésus-Christ est le Seigneur de l’univers, notre roi, qui vient vers nous drapé du vêtement du bon pasteur, portant sur lui la bonne odeur de ses brebis qu’il porte sur ses épaules, qu’il soigne et qu’il accompagne vers ces verts pâturages que chante le psalmiste aujourd’hui.

Maintenant, l’évangile de ce jour nous ouvre des perspectives incroyables et insoupçonnées quant aux conditions d’appartenance au troupeau de ce roi berger, et nous permet de jeter un regard neuf sur le rôle de l’Église que nous formons en ce monde. Un théologien peut nous aider ici à mieux comprendre ce rôle.

Il s’agit d’un éminent théologien à Montréal du nom de Gregory Baum, décédé en 2017, un Juif converti au catholicisme qui, pendant plusieurs années, a enseigné à l’Université McGill. Dans son dernier livre, publié en 2017, à l’âge de 95 ans, il écrivait un texte à propos de l’Église qui peut ébranler certaines de nos conceptions à son sujet, mais une réflexion qui s’impose il me semble à la lumière de notre évangile aujourd’hui. Il écrivait ceci : « L’Église n’est pas une oasis de salut dans un désert de perdition; le salut est offert partout dans le monde, par l’entremise des traditions religieuses, des cultures humanistes et de l’expérience commune de la solidarité. Le premier outil de la grâce, écrivait-il, c’est la vie humaine.1 »

Mais alors, me direz-vous, que reste-t-il de l’Église dans une telle perspective? Je dirais tout d’abord que l’Église est cette communauté de foi qui célèbre cette vie donnée qui est la nôtre et qui est commune à toute l’humanité. Notre mission est de nous y engager passionnément dans cette vie, reconnaissant qu’elle a sa source en Dieu lui-même et dans le don de son Fils à notre humanité. 

J’ajouterais que notre mission en Église, c’est à la fois de célébrer cette grâce d’un amour infini qui nous est faite, et de partager cette joie qui est la nôtre, de donner le goût de Dieu au monde quand ce dernier est méconnu ou bafoué, oeuvrant ensemble, solidaires des joies et des peines de cette terre, n’oubliant jamais que l’Esprit du Christ nous précède dans cette Galilée des nations. 

Et c’est ainsi que dans l’évangile de ce jour, la seule condition posée pour être reconnus parmi les brebis du Seigneur, ce n’est pas de dire « Seigneur, Seigneur! », mais de témoigner d’une charité active en ce monde, car le Christ s’attache tellement à chacun de nos pas qu’il est le premier touché quand une vie humaine est aimée ou méprisée. Et c’est parmi des hommes et des femmes de toutes races, de toutes cultures, de toutes religions que le Royaume se fraie son chemin, comme la semence jetée en terre. Cet évangile nous rappelle que nous n’avons pas le monopole de l’amour, et il n’est pas mauvais de nous l’entendre dire ! 

Comme l’affirme le Pape François dans son exhortation apostolique « La joie de l’Évangile », il nous faut apprendre à « ôter nos sandales devant la terre sacrée de l’autre », puisque tous sont aimés de Dieu et que ce dernier nous en confie tout particulièrement la responsabilité à nous son Église. C’est pourquoi Jésus nous invite à accueillir notre prochain comme s’il s’agissait de lui-même. Il vient ainsi ouvrir des perspectives nouvelles à nos amours, à nos amitiés, à nos relations entre nous. C’est comme s’il nous disait : « Si tu savais le don de Dieu, si tu savais qui s’adresse à toi à travers ce prochain. Si tu savais tout ce dont sont porteurs tes actes de charité, même les plus modestes, tu t’empresserais alors d’aller vers les plus pauvres, les plus malheureux et les plus démunis, parce qu’en eux c’est Dieu qui se tient à ta porte, qui t’espère et qui t’attend. »

Frères et sœurs, en cette fête du Christ-Roi, au terme de cette année liturgique, nous demandons à Dieu de nous aider à grandir et à persévérer dans l’amour du prochain, nous rappelant que le Christ, notre roi et notre pasteur, vient vers nous avec douceur et humilité, non pas pour dominer nos vies, mais pour les transfigurer et nous rendre semblables à lui, afin que nous puissions aimer comme lui et ainsi nous faire bons pasteurs avec lui. Tel est le sens de sa royauté que nous célébrons aujourd’hui.

Yves Bériault, o.p.

Dominicain. Ordre des prêcheurs

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  1. G. BAUM. Histoire de mon parcours théologique, Gregory Baum, traduit de l’anglais par Albert Beaudry, Fides, Montréal, 2017. p. 64

Homélie pour le 32e dimanche (A)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 25,1-13

    En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples cette parabole :
    « Le royaume des Cieux sera comparable
à dix jeunes filles invitées à des noces,
qui prirent leur lampe
pour sortir à la rencontre de l’époux.
    Cinq d’entre elles étaient insouciantes,
et cinq étaient prévoyantes :
    les insouciantes avaient pris leur lampe sans emporter d’huile,
    tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes,
des flacons d’huile.
    Comme l’époux tardait,
elles s’assoupirent toutes et s’endormirent.
    Au milieu de la nuit, il y eut un cri :
‘Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.’
    Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent
et se mirent à préparer leur lampe.
    Les insouciantes demandèrent aux prévoyantes :
‘Donnez-nous de votre huile,
car nos lampes s’éteignent.’
    Les prévoyantes leur répondirent :
‘Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous,
allez plutôt chez les marchands vous en acheter.’
    Pendant qu’elles allaient en acheter,
l’époux arriva.
Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces,
et la porte fut fermée.
    Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent :
‘Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !’
    Il leur répondit :
‘Amen, je vous le dis :
je ne vous connais pas.’

    Veillez donc,
car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »

COMMENTAIRE

La semaine dernière, j’ai été témoin d’un spectacle plutôt inusité. Un petit écureuil, indifférent à ma présence, travaillait d’arrachepied à préparer son nid pour l’hiver. Il allait deçà delà sur le gazon engouffrant dans sa petite gueule autant de feuilles séchées qu’il le pouvait, pour ensuite repartir à la course vers son nid, y déposer ses feuilles, et revenir aussitôt répéter le même manège. Je me faisais la réflexion suivante : que voilà un petit animal vigilant et prévoyant. 

En cet automne de notre pays, la nature est en mode d’hyperactivité devant le froid qui vient. Les oies sauvages et les sarcelles descendent vers le Sud, les renards et les ours préparent leur tanière, les écureuils entassent des provisions pour passer l’hiver. Grand remue-ménage afin de traverser la saison froide dans l’espoir d’accueillir le prochain printemps et ses promesses de renouveau.

Si la prévoyance et la vigilance sont inscrites dans l’ADN de nos amis du règne animal, il en va autrement chez nous les humains. Car il ne s’agit plus tout à fait d’un réflexe chez nous. Nous sommes passés à un autre stade de l’évolution où la prévoyance requiert de notre part une décision ferme et volontaire. Et cela est encore plus vrai au plan spirituel. Tel est le sens de la parabole des dix jeunes filles qui attendent la venue de l’Époux.

L’invitation à veiller que nous fait Jésus aujourd’hui revient souvent sur ses lèvres. C’est là un thème majeur de sa prédication. Veillez sur vous-mêmes, nous dit-il, nourrissez votre vie de prière, ne laissez pas votre charité s’affadir, ne vous lassez pas de faire le bien, et, surtout, ne perdez pas de vue la saison qui vient, cet éternel printemps, que Jésus compare à des noces éternelles, et dont il est l’Époux.

Quand nous arrivons au terme de l’année liturgique, la liturgie insiste beaucoup sur la fin des temps et le jugement dernier. Des images qui ne sont pas toujours rassurantes, j’en conviens, et dans l’évangile de ce dimanche, il y a des paroles terribles de la part de l’époux à l’endroit des jeunes filles insouciantes : « Je ne vous connais pas, leur dit-il. » Alors que nous faut-il faire pour être reconnus ? 

Déjà, quand des personnes vivent dans l’amour et le souci des autres, je suis sûr que le Seigneur se reconnaît en ces personnes, même chez celles qui ne sont pas chrétiennes ou qui sont loin de l’Église. Mais ce que l’amitié avec Jésus Christ offre de nouveau à l’humanité, c’est l’expérience intérieure de découvrir peu à peu celui qui nous appelle, afin que nous puissions l’attendre et le reconnaître lors de sa venue, et pouvoir ainsi nous écrier : « Ah ! Te voilà Seigneur. Je t’ai tellement attendu ! » 

Oui, c’est là la plus belle rencontre qui soit, mais elle se prépare au fil des jours et des années de nos vies, alors que Dieu se tient à la porte et qu’il frappe. Il nous faut donc apprendre à veiller et lui ouvrir quand il vient à l’improviste au cœur de nos journées, attentifs à ses pas et au son de sa voix, comme l’être aimé que l’on attend et dont on apprend peu à peu à deviner la présence. 

Voici une expérience personnelle. Il y a quelques années, j’ai j’accompagné dans la maladie une personne malade qui m’était très chère. Alors que cet homme voyait venir le moment de sa mort, lui qui était un chrétien convaincu, il m’avait confié ceci : « Tu sais, je n’ai pas peur ; j’ai fait mon possible dans la vie, et bien que je ne sois pas parfait, je sais que je peux m’en remettre à la grande miséricorde de mon Dieu que j’aime ». Quelques semaines plus tard, il partit rejoindre son Seigneur, et j’ai gardé ses dernières paroles comme un testament éloquent de ce qu’est la foi en Dieu.

Car l’évangile de ce jour peut nous amener à nous demander si nous devons avoir peur de Dieu. Ce Dieu à qui nous avons confié nos vies, et dont Jésus nous a parlé avec tellement d’amour ? Pour répondre à cette question, j’aime bien tempérer les passages de l’Évangile qui sont parfois difficiles à comprendre, avec ceux où Jésus se révèle en pleine lumière, sans ambiguïté. Par exemple, alors que le regard de l’époux dans la parabole paraît sévère, voyez l’attitude de Jésus sur la croix avec celui qu’on appelle « le bon larron », et que Jésus semble reconnaître au premier coup d’œil.

Après tout, ce larron était un brigand, et les paroles de Jésus à son endroit ont toujours interrogé les croyants, quand il lui déclara : « Aujourd’hui même, tu seras avec moi dans le paradis ! » Dans une homélie, saint Augustin s’interroge au sujet de ce larron, il engage alors le dialogue avec lui et il lui demande : comment il a reconnu le Messie sous l’apparence du crucifié, lui l’ignorant de la Loi et des Prophètes, lui qui n’avait probablement jamais beaucoup prié, alors que les scribes et les docteurs de la Loi n’avaient rien compris, alors que ses disciples les plus proches avaient pris la fuite, en se laissant gagner par le désespoir, alors qu’il n’y avait rien à voir sur cette croix ? Et, le bon larron de répondre à Augustin : « Il m’a regardé, et dans ce regard, j’ai tout compris.[1] » 

Frères et sœurs, veiller finalement, n’est-ce pas placer nos vies sous le regard bienveillant du Seigneur et nous confier à sa miséricorde malgré nos faiblesses ? Et si ce désir nous habite, une chose est certaine : jamais nous ne manquerons d’huile pour notre lampe, jamais la grâce ne nous fera défaut, toujours le Seigneur saura nous reconnaître, car il est fidèle celui qui nous invite au festin des noces. N’en doutons pas.

Yves Bériault, o.p.


[1] Adrien Candiart, Quand tu étais sous le figuier…, Paris, Cerf, 2017, pp. 32-33. 

Homélie pour le 26e Dimanche du temps ordinaire (A)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 21, 28-32

En ce temps-là,
Jésus disait aux grands prêtres et aux anciens du peuple :
    « Quel est votre avis ?
Un homme avait deux fils.
Il vint trouver le premier et lui dit :
‘Mon enfant, va travailler aujourd’hui à la vigne.’
    Celui-ci répondit : ‘Je ne veux pas.’
Mais ensuite, s’étant repenti, il y alla.
    Puis le père alla trouver le second et lui parla de la même manière.
Celui-ci répondit : ‘Oui, Seigneur !’
et il n’y alla pas.
    Lequel des deux a fait la volonté du père ? »
Ils lui répondent :
« Le premier. »

Jésus leur dit :
« Amen, je vous le déclare :
les publicains et les prostituées
vous précèdent dans le royaume de Dieu.
    Car Jean le Baptiste est venu à vous sur le chemin de la justice,
et vous n’avez pas cru à sa parole ;
mais les publicains et les prostituées y ont cru.
Tandis que vous, après avoir vu cela,
vous ne vous êtes même pas repentis plus tard
pour croire à sa parole. »

COMMENTAIRE

Mathieu est le seul évangéliste à rapporter la parabole des deux fils. Il l’insère après l’incident des vendeurs chassés du temple, qui donne lieu à une controverse entre Jésus et les grands prêtres, et juste avant la parabole des vignerons révoltés, les vignerons homicides. L’intention de l’évangéliste est évidente : il veut souligner à grands traits la gratuité du salut en Jésus Christ, un salut qui est pour tous et qui dépasse les cadres légaux des autorités religieuses d’Israël. À noter que dans cette parabole, les deux fils sont quand même traités de la même manière, et tous deux le père les appelle « mon enfant ». La suite du récit nous apprendra que ces deux enfants représentent à la fois les aînés d’Israël, ceux qui se disent fidèles à la Loi, mais qui ne font pas, et les pécheurs, les publicains, les prostituées, qui ont entendu l’appel de Jean Baptiste à la conversion.

L’insulte est quand même de taille pour les interlocuteurs de Jésus qui sont ici les grands prêtres et les anciens du peuple. Mathieu veut rappeler à la communauté chrétienne à qui il destine son évangile, et qui est surtout composée de Juifs convertis que dans le Royaume de Dieu tous ont leur place à la table du festin, que l’on n’est jamais jugé sur le point de départ dans nos vies, comme si nous étions enchaînés à notre passé, mais sur le point d’arrivée, quelle que soit l’heure où nous ouvrons la porte au Seigneur. Pensons ici aux ouvriers de la dernière heure ou encore au publicain Zachée.

C’est Maurice Zundel qui écrit : « Beaucoup d’hommes ont appris, dans leur enfance, à éviter le mal plus qu’à faire le bien, à craindre les châtiments plutôt qu’à se donner à l’amour d’un Père. On leur a parlé de la mort, des dangers de la vie ; on leur a si peu parlé de la joie de vivre, et de la gloire d’être avec Dieu un seul principe pour la naissance d’un monde nouveau. On leur a signalé les précipices où chaque pas risquait de les entraîner. On ne leur a pas montré les cimes qui les appelaient, au-dessus des vallées envahies d’ombre, comme les reposoirs du Soleil.[1] »

Paradoxalement, comme le soulignait l’écrivain Jean Sullivan, « la grandeur unique du christianisme est d’avoir proposé un Dieu pauvre, comme s’il y avait une blessure dans l’absolu[2] », blessure à cause de nos manques d’amour, de nos vies trop souvent marquées par le péché. C’est ce Dieu pauvre qui vient à notre rencontre en Jésus Christ, un Dieu qui vient quémander notre amour, qui loin de vouloir instiller en nous la peur, nous invite plutôt à l’abandon confiant, comme l’enfant que chante le psalmiste qui repose contre le sein de sa mère. Le voilà le Dieu que Jésus Christ vient nous dévoiler en sa personne. Un Dieu dont la seule toute-puissance est celle de l’amour et qui laisse toute liberté à ses enfants, même celle de sa création, même celle de lui dire non !

D’ailleurs, les premières générations chrétiennes ne s’y sont pas trompées quand elles ont composé des hymnes pour leurs rassemblements liturgiques, dont l’une des plus belles est certainement l’hymne aux Philippiens entendue en deuxième lecture. 

  Le Christ Jésus

ayant la condition de Dieu,
il ne retint pas jalousement
le rang qui l’égalait à Dieu.

    Mais il s’est anéanti,
prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes.

Reconnu homme à son aspect,
    il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort,
et la mort de la croix.

    C’est pourquoi Dieu l’a exalté :
il l’a doté du Nom
qui est au-dessus de tout nom,

    afin qu’au nom de Jésus
tout genou fléchisse
au ciel, sur terre et aux enfers,

    et que toute langue proclame :
« Jésus Christ est Seigneur »
à la gloire de Dieu le Père. (Phil 2, 6-11)

Ces six versets, d’une richesse extraordinaire, constituent l’un des textes majeurs du Nouveau Testament où le Christ, descendant au plus bas de notre humanité, se fait l’un des nôtres jusque dans la mort, pour remonter ensuite victorieux au plus haut des cieux, mais prenant avec lui tous les humains à qui il a apporté le salut. 

En quelques strophes, cette hymne aux Philippiens dévoile tout le mystère de la vie de Jésus Christ, où son acte de salut en notre faveur est en fait une offrande de lui-même qui se compare non seulement à l’abaissement de l’esclave aux pieds de son maître, mais où le Christ Jésus accepte par amour la mort la plus infâme qui soit : la crucifixion. 

Rappelez-vous, dit saint Paul, à quel prix vous avez été sauvés, combien vous avez été aimés ? L’hymne aux Philippiens est une hymne qui décrit en quelques mots ce qu’est la vie chrétienne. Tout en affirmant la divinité du Christ Jésus, et comment il s’est littéralement vidé de lui-même par amour pour nous, cette hymne est une invitation à nous laisser saisir par lui, à lui ressembler de plus en plus dans le service fraternel et le don de soi à ceux et celles qui en ont le plus besoin. C’est pourquoi Paul invite les Philippiens à se faire humbles comme le Christ, à mettre de côté leurs divisions, et à prendre sur eux-mêmes sa passion pour le monde, assurés qu’ils sont que rien ne pourra jamais les séparer de son amour, puisque Dieu a exalté Jésus Christ et l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom.

C’est l’écrivaine Marguerite Yourcenar qui a ces lignes extraordinaires dans l’un de ses romans[3], et qui fait dire à l’un de ses personnages : 

« Peut-être Dieu n’est-il dans nos mains qu’une petite flamme qu’il dépend de nous d’alimenter et de ne pas laisser éteindre… Combien de malheureux qu’indigne l’idée de sa toute-puissance accourraient du fond de leur détresse si on leur demandait de venir en aide à la faiblesse de Dieu ! Peut-être est-ce à nous, écrit-elle, de l’engendrer et de le sauver dans les créatures. »

Fr.  Yves Bériault, o.p.


[1] L’Évangile intérieur, Saint-Augustin, 1998, p. 98-99,

[2] Jean Sullivan. Itinéraire spirituel. Matinales 1. Gallimard, 1976. p. 31

[3] Yourcenar, Marguerite. L’Oeuvre au noir. Gallimard, 1997.

Homélie pour le 24e Dimanche A

Pardonner soixante-dix fois sept fois

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 18, 21-35

En ce temps-là,
    Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander :
« Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi,
combien de fois dois-je lui pardonner ?
Jusqu’à sept fois ? »
    Jésus lui répondit :
« Je ne te dis pas jusqu’à sept fois,
mais jusqu’à 70 fois sept fois.
    Ainsi, le royaume des Cieux est comparable
à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs.
    Il commençait,
quand on lui amena quelqu’un
qui lui devait dix mille talents
(c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent).
    Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser,
le maître ordonna de le vendre,
avec sa femme, ses enfants et tous ses biens,
en remboursement de sa dette.
    Alors, tombant à ses pieds,
le serviteur demeurait prosterné et disait :
‘Prends patience envers moi,
et je te rembourserai tout.’
    Saisi de compassion, le maître de ce serviteur
le laissa partir et lui remit sa dette.

    Mais, en sortant, ce serviteur trouva un de ses compagnons
qui lui devait cent pièces d’argent.
Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant :
‘Rembourse ta dette !’
    Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait :
‘Prends patience envers moi,
et je te rembourserai.’
    Mais l’autre refusa
et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé ce qu’il devait.
    Ses compagnons, voyant cela,
furent profondément attristés
et allèrent raconter à leur maître
tout ce qui s’était passé.
    Alors celui-ci le fit appeler et lui dit :
‘Serviteur mauvais !
je t’avais remis toute cette dette
parce que tu m’avais supplié.
    Ne devais-tu pas, à ton tour,
avoir pitié de ton compagnon,
comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?’
    Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux
jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait.

    C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera,
si chacun de vous ne pardonne pas à son frère
du fond du cœur. »

COMMENTAIRE

Voici une histoire qui pourrait nous aider à mieux comprendre l’actualité de cet évangile. Il s’agit d’un court récit composé par l’écrivain américain Ernest Hemingway. 

Dans cette histoire, un père Espagnol fait mettre une annonce dans le journal local en espérant que son fils, qui a fui la maison paternelle après un méfait, puisse entendre son appel. Il fait mettre son texte en gros caractères sur une pleine page du journal. On peut y lire ce qui suit : « Cher Paco. Je t’en prie. Viens me rencontrer demain à midi devant les bureaux du journal. Tout est pardonné. Ton papa qui t’aime. » Le lendemain, le père se présente à l’endroit convenu, espérant y voir son fils, mais il y a là une foule rassemblée devant les bureaux du journal. Ils sont près de huit-cents jeunes hommes, qui s’appellent tous Paco, et ils sont là dans l’espoir de voir leur père dont ils ont entendu l’appel.

Le récit d’Hemingway vient nous rappeler de manière imagée combien le pardon peut faire vivre et comment il peut agir comme une véritable bouée de sauvetage pour les personnes qui nous ont blessés, et qui pourtant, peut-être secrètement même, désirent la réconciliation avec nous. Mais pardonner soixante-dix fois sept fois?

Rassurons-nous, il ne s’agit pas là d’une invitation à la naïveté de la part de Jésus. Il faut comprendre le sens de l’image qu’il emploie, car l’enjeu véritable que Jésus veut faire comprendre à Pierre, c’est celui du choix radical de la miséricorde plutôt que celui de la fermeture du cœur qui peut si facilement céder le pas à la haine et au désir de vengeance quand l’autre m’offense.

Ce thème de la vengeance se retrouve dès les origines de l’histoire de la Bible, cette Bible qui n’est pas un conte pour enfants et qui nous parle sans détour de notre condition humaine. Déjà, au livre de la Genèse, Dieu anticipe que l’on va chercher à se venger de Caïn pour le meurtre de son frère Abel. Dieu va alors le marquer d’un signe sur le front afin de le protéger, car Caïn est quand même son enfant. Mais ce n’est là que le début d’un cycle infernal. Un descendant de Caïn, qui s’appelle Lamek, exprime bien dans un chant sauvage comment évolue cette spirale de la vengeance et de la violence dès les tout débuts de la création : « Entendez ma voix, femmes de Lamek écoutez ma parole : J’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. C’est que Caïn sera vengé sept fois, mais Lamek lui, soixante-dix fois sept fois ! » (Gen 4, 23-24).

Plus tard, la loi du Talion, l’ « œil pour œil et dent pour dent » qu’on connaît bien, apparaîtra dans l’histoire d’Israël et viendra témoigner d’un effort réel pour endiguer l’esprit de vengeance, en tentant de limiter les représailles en proportion du mal occasionné par l’adversaire. Mais les pages de la Bible, l’histoire même de l’humanité, témoignent éloquemment que la spirale de la violence ne saurait être freinée par des lois ou des codes moraux. La violence prend sa source dans le cœur de l’homme et les sages et les prophètes d’Israël ne pourront que rappeler à leurs compatriotes que colère et rancune sont abominables aux yeux de Dieu.

Jésus s’inspire de cette problématique dans l’évangile aujourd’hui en nous proposant un radicalisme dans l’acte de pardonner entièrement nouveau, lorsque s’inspirant du chant de Lamek il lui fait opérer un retournement à 180 degrés : il invite Pierre à pardonner non pas sept fois comme le propose la Loi, mais soixante-dix fois sept fois. Si le chant de Lamek est porteur d’une haine sans borne, le renversement que Jésus en fait le transforme en un acte de miséricorde sans limite. Le pardon n’étant pas de l’ordre d’un calcul comptable pour le disciple du Christ, mais d’une disponibilité du cœur sans limite, i.e. soixante-dix fois sept fois.

Quel défi et quelle exigence que la suite du Christ me direz-vous! Mais en même temps, il y a dans cet enseignement de Jésus un souffle libérateur, puisque cet évangile nous rappelle que Dieu lui-même nous accueille tels que nous sommes avec nos grandeurs et nos misères, et que le pardon nous est toujours offert, autant de fois que nous en aurons besoin! Car les recommencements sont toujours possibles avec Dieu. Et Jésus nous dit d’agir de même avec notre prochain. La contrepartie de cette bonne nouvelle est de nous rappeler que nous avons la charge de l’autre, et qu’il nous faut apprendre à pardonner avec cette générosité même qui vient de Dieu si nous voulons être pardonnés nous aussi.

Utopique  tout cela? Bien sûr ! Comme tout l’Évangile d’ailleurs. Mais parce que notre Dieu est le Dieu de l’impossible, ses paroles deviennent promesse de vie pour nous. S’il nous invite à pardonner, s’il nous commande de nous aimer les uns les autres jusqu’à aimer nos ennemis, jusqu’à pardonner à ceux qui nous persécutent, c’est qu’il nous sait capables de tels dépassements quand nous laissons l’esprit du Christ agir en nous.

Parce qu’en Jésus, frères et sœurs, nos yeux ont contemplé le véritable amour à l’œuvre en notre monde. Nous savons désormais que seul l’amour qui sait pardonner jusqu’au bout est vrai et digne de ce nom, puisque le pardon est certainement la forme la plus extrême et la plus exigeante de l’amour. C’est dans cette vie du Christ imitée et contemplée, que le pardon prend tout son sens, où il apparaît comme la seule force capable de soulever le monde et de transformer les cœurs, en commençant par le nôtre.

C’est pourquoi frères et sœurs la force du pardon est une grâce qu’il nous faut sans cesse demander à Dieu, lui le Dieu de l’impossible, en ayant confiance qu’il peut tout guérir en nous, même nos manques de pardon. Amen.

fr. Yves Bériault, o.p.

Transfiguration du Seigneur – 18 e dimanche (A)

J’aimerais vous inviter ce matin à entreprendre l’ascension de cette « montagne sainte » qui se dresse devant nous, là où Jésus entraîne ses trois apôtres. Mais avant de commencer cette ascension, il nous faut situer notre récit. Nous le savons, le récit de la Transfiguration est d’une importance capitale dans les évangiles. Les trois évangélistes en font mention et l’Apôtre Pierre en parle lui aussi dans sa deuxième lettre (1:16-18) disant avoir été avec Jacques et Jean témoins oculaires de sa majesté : « Cette voix, dit-il, nous, nous l’avons entendue; elle venait du Ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte ».

Le récit de la Transfiguration survient après la profession de foi de Pierre : « Tu es le Christ, le Messie ! » Cette profession fait passer les disciples à un nouveau mode de relation avec Jésus. Il y a là une avancée importante quant à la relation d’intimité et de confiance qui se noue entre eux. Jésus va les inviter à entrer plus avant dans le mystère de sa personne et de son identité profonde, encore secrète. 

Il est important aussi de souligner que l’événement de la Transfiguration survient après la première de trois annonces que fait Jésus de sa passion à venir. C’est déjà la montée vers Jérusalem qui se profile et Pierre s’y oppose violemment. Les disciples sont bouleversés. Ils ont peur. Leurs certitudes, leur confiance en Jésus sont mises à l’épreuve et c’est dans ce contexte que Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les amène sur la montagne, afin de leur redonner confiance et ainsi les préparer à vivre la passion/résurrection à venir. Mais au-delà de cette visée anticipatrice le récit nous dévoile aussi, à la manière d’une icône qu’il faut contempler longuement, toute la grandeur du mystère de l’être chrétien, de la vocation à laquelle nous engage notre baptême.

Entreprenons maintenant notre montée de la montagne de la transfiguration, qui se fera en trois étapes. Le versant nord, le sommet et le versant sud. 

Le versant nord est celui de l’ascension de la montagne. C’est le côté abrupt et aride, ne jouissant jamais de la lumière du soleil. C’est une montée qui se fait dans l’obscurité. L’obscurité de la fragilité humaine, de nos vies aux prises avec le mal et le péché. C’est un lieu de doute et de combat pour nous, comme pour les disciples qui ont entrepris cette montée. Mais ils ne sont pas seuls. Jésus monte avec eux. Il en est ainsi pour nous. Cette montée du versant nord se compare à un temps de conversion, un temps de retour vers Dieu afin de retrouver l’intimité perdue au fil du quotidien. L’enjeu, c’est le rapprochement avec le Christ et il n’y a pas de rapprochement possible si l’on ne prend pas la pleine mesure de nos pauvretés et de notre besoin infini de Dieu. Voilà pourquoi il faut s’engager avec Jésus dans cette ascension.

C’est seulement après un tel parcours que l’on parvient au sommet, où le spectacle se déploie alors devant nos yeux. L’horizon est sans fin, nous contemplons le mystère trinitaire. Les disciples entrent dans la pleine lumière, une lumière éblouissante où ils deviennent témoins de la prière de Jésus. Une prière qui a ses racines dans la Loi et les Prophètes, et dont Moïse et Élie sont les témoins. Alors que la gloire de Jésus se manifeste aux disciples, l’icône devient trinitaire. Le Père s’entretient avec le Fils alors que les disciples, eux, entrent dans la nuée, symbole de l’Esprit Saint, lui qui fait toute chose nouvelle, et qui nous fait participants de ce dialogue intime entre le Père et le Fils.

Les disciples sont alors saisis de crainte, la crainte sacrée devant le divin. Ils n’ont pas encore reçu l’Esprit Saint. À l’exemple de David qui voulut construire un temple pour le Seigneur, Pierre offre de monter trois tentes : une pour Élie, une pour Moïse et une pour Jésus. « Il ne savait pas ce qu’il disait », commente laconiquement l’évangéliste Marc, car c’est Dieu lui-même qui va dresser une tente pour nous et nous donner le Temple nouveau. C’est lui le Fils de Dieu qui est venu planter sa tente parmi les hommes. Et la voix du Père se fait alors entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le! »

Enfin, voici le troisième versant de la montagne. Nous nous engageons dans la descente du mont de la Transfiguration. C’est le versant sud de la montagne, celui qui est le plus ensoleillé. Les disciples baignent dans la lumière de la résurrection et la victoire du Christ sur la mort. Les ténèbres ont disparu! C’est pourquoi à la Vigile pascale nous chantons aux nouveaux baptisés : « Resplendis! Sois illuminé! » C’est cette réalité profonde qui anime ceux et celles qui font la rencontre de Christ ressuscité. Alors que nous sommes passés par la conversion personnelle et la contemplation du mystère du Christ, ce versant sud, est celui de la mission joyeuse avec le Christ en Église. Désormais, ce ne sont plus seulement les trois disciples privilégiés, mais tous les croyants qui deviennent les témoins éblouis de la gloire du Christ et qui annoncent au monde qui il est.

Frères et soeurs, tout cela peu paraître bien mystique, et pourtant pour nous chretiens, c’est le coeur de notre foi. Et aujourd’hui encore le Christ s’offre à notre contemplation en nous rassemblant tout comme les Apôtres Pierre, Jacques et Jean, afin de nous partager sa vie dans cette eucharistie qui nous rassemble de dimanche en dimanche. C’est la grâce qui nous est faite de pouvoir nous arrêter avec lui sur ce sommet de notre foi et de le contempler dans l’offrande qu’il fait de lui-même, ainsi que de nous nourrir de sa vie de ressuscité. Et c’est ainsi qu’au terme de notre célébration nous pourrons retourner dans la plaine de nos occupations et de nos engagements, sûrs de sa présence et de sa force au coeur de nos vies.

fr. Yves Beriault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 16e Dimanche (A)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 13, 24-30

En ce temps-là,
    Jésus proposa cette parabole à la foule :
« Le royaume des Cieux est comparable
à un homme qui a semé du bon grain dans son champ.
    Or, pendant que les gens dormaient,
son ennemi survint ;
il sema de l’ivraie au milieu du blé
et s’en alla.
    Quand la tige poussa et produisit l’épi,
alors l’ivraie apparut aussi.
    Les serviteurs du maître vinrent lui dire :
‘Seigneur, n’est-ce pas du bon grain
que tu as semé dans ton champ ?
D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ?’
    Il leur dit :
‘C’est un ennemi qui a fait cela.’
Les serviteurs lui disent :
‘Veux-tu donc que nous allions l’enlever ?’
    Il répond :
‘Non, en enlevant l’ivraie,
vous risquez d’arracher le blé en même temps.
    Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ;
et, au temps de la moisson,
je dirai aux moissonneurs :
Enlevez d’abord l’ivraie,
liez-la en bottes pour la brûler ;
quant au blé, ramassez-le
pour le rentrer dans mon grenier.’ »

COMMENTAIRE

Dimanche dernier, l’évangéliste Matthieu nous rapportait la parabole du semeur qui commençait ainsi : « Le semeur est sorti pour semer ». Une phrase extraordinaire dans la bouche de Jésus décrivant l’action créatrice de Dieu en notre monde. Il serait tentant toutefois de ne retenir de cette parabole que la leçon suivante : il y a des coeurs qui accueillent la Parole de Dieu et d’autres qui la refusent; tout comme la parabole d’aujourd’hui qui pourrait nous encourager à séparer le monde en deux : les bons et les mauvais, ou encore, l’axe du bien et l’axe du mal pour reprendre un langage plus politique. Mais en rester à ce premier niveau de lecture risque de nous enfermer dans une vision dualiste du monde, où il y aurait les bons d’un côté et les méchants de l’autre, sans possibilité de rencontre entre les deux. 

Pourtant, Jésus ne fréquente-t-il pas les pécheurs, les publicains et les prostituées ? Il n’hésite pas à engager le dialogue avec les pharisiens, les scribes et les sadducéens. À tous il fait bon accueil, à tous il annonce la bonne nouvelle du Royaume. Et c’est ainsi que le semeur qui est sorti pour semer jette libéralement sa semence. Il sème à tout vent, dans tous les coeurs, sur tous les terrains, démontrant une confiance inébranlable en la force de son action créatrice, qui est en fait un débordement de son amour pour nous. 

La parabole d’aujourd’hui ressemble à celle de la semaine dernière avec ses évocations de semailles et de récoltes, mais elle nous entraîne un peu plus loin.

Tout d’abord elle nous rappelle en accord avec ce qui est dit dès le livre de la Genèse que ce n’est pas Dieu qui crée le mal, tout comme ce n’est pas le maître de maison qui a semé l’ivraie. Jésus l’affirme : le maître de maison n’a semé que du bon grain. Mais voilà qu’un ennemi sème nuitamment au milieu du blé une mauvaise herbe qui risque de l’étouffer, et pourtant il faut les laisser grandir ensemble. 

Par sa parabole, Jésus enseigne à ses disciples qu’il faut accepter de pousser là où ils sont plantés, à ne pas chercher à se séparer du monde, ou encore à diviser le monde entre bons et méchants, ce que nous sommes souvent tentés de faire lorsque l’autre porte des valeurs différentes des nôtres. Jésus nous rappelle que c’est au maître de la moisson et à lui seul qu’il revient de faire ce jugement. 

Mais le coeur de cette parabole, c’est lorsque le maître de la moisson réagit à la suggestion de ses ouvriers qui veulent séparer le bon grain de l’ivraie. Ce dernier les met en garde car en enlevant l’ivraie, ils risquent d’arracher le blé en même temps. Et voilà que s’opère un retournement dans la parabole. Jésus nous invite à regarder en nous-mêmes, nous rappelant que semblables aux champs du maître de maison, nous sommes des êtres partagés nous aussi en qui poussent à la fois le bon grain et l’ivraie, aucune vie n’étant parfaite, nul n’ayant le monopole de la vertu. La parabole nous parle d’un Dieu bon et patient qui nous invite à cette même patience envers nous-mêmes, confiants qu’au terme de nos vies, avec la grâce de Dieu, le bon grain saura bien l’emporter sur l’ivraie et que Dieu saura bien nous purifier de ce qui pourrait encore nous retenir d’aller vers lui.

Par sa parabole, Jésus nous invite aussi à porter un regard neuf sur notre monde. Le meilleur et le pire se croiseront toujours sur cette terre, nous dit-il, et il  appelle ses disciples à se tenir aux carrefours, à la croisée des chemins, frères et soeurs universels de tous ceux et celles que nous côtoyons, nous rappelant que la valeur d’une personne ne se réduit jamais à la somme de ses limites ou de ses erreurs. C’est pourquoi nous sommes invités à regarder le monde avec les yeux du maître de la moisson qui laisse pousser côte à côte le bon grain et l’ivraie, confiants que la Parole de Dieu pourra toujours se frayer un chemin au coeur de nos vies.

Fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 15e Dimanche (A)

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 13,1-23.

Ce jour-là, Jésus était sorti de la maison, et il était assis au bord de la mer.
Auprès de lui se rassemblèrent des foules si grandes qu’il monta dans une barque où il s’assit ; toute la foule se tenait sur le rivage.
Il leur dit beaucoup de choses en paraboles : « Voici que le semeur sortit pour semer.
Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger.
D’autres sont tombés sur le sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre ; ils ont levé aussitôt, parce que la terre était peu profonde.
Le soleil s’étant levé, ils ont brûlé et, faute de racines, ils ont séché.
D’autres sont tombés dans les ronces ; les ronces ont poussé et les ont étouffés.
D’autres sont tombés dans la bonne terre, et ils ont donné du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un.
Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! »
Les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? »
Il leur répondit : « À vous il est donné de connaître les mystères du royaume des Cieux, mais ce n’est pas donné à ceux-là.
À celui qui a, on donnera, et il sera dans l’abondance ; à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a.
Si je leur parle en paraboles, c’est parce qu’ils regardent sans regarder, et qu’ils écoutent sans écouter ni comprendre.
Ainsi s’accomplit pour eux la prophétie d’Isaïe : ‘Vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas.
Le cœur de ce peuple s’est alourdi : ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur cœur ne comprenne, qu’ils ne se convertissent, – et moi, je les guérirai.’
Mais vous, heureux vos yeux puisqu’ils voient, et vos oreilles puisqu’elles entendent !
Amen, je vous le dis : beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu. »
Vous donc, écoutez ce que veut dire la parabole du semeur.
Quand quelqu’un entend la parole du Royaume sans la comprendre, le Mauvais survient et s’empare de ce qui est semé dans son cœur : celui-là, c’est le terrain ensemencé au bord du chemin.
Celui qui a reçu la semence sur un sol pierreux, c’est celui qui entend la Parole et la reçoit aussitôt avec joie ;
mais il n’a pas de racines en lui, il est l’homme d’un moment : quand vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole, il trébuche aussitôt.
Celui qui a reçu la semence dans les ronces, c’est celui qui entend la Parole ; mais le souci du monde et la séduction de la richesse étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit.
Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c’est celui qui entend la Parole et la comprend : il porte du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. »

COMMENTAIRE

La « parabole » est un genre littéraire de la tradition juive qui ressemble à ce que nous appelons une « fable ». Les disciples étaient sûrement familiers avec ce procédé littéraire. Mais voilà qu’ils sont perplexes et s’interrogent, demandant à Jésus pourquoi il parle en parabole à la foule alors qu’à eux-mêmes, les disciples, il parle ouvertement du Royaume des cieux ?

Nous voyons à travers les récits évangéliques que Jésus fait souvent le constat suivant : plus les auditeurs auxquels il s’adresse s’enferment dans leurs certitudes, plus ils deviennent imperméables à la Parole de Dieu : « ils regardent sans regarder, dit Jésus, et ils écoutent sans écouter ni comprendre. » C’est pourquoi il leur parle en parabole. Il s’agit d’une pédagogie afin de toucher les cœurs endurcis. Les paraboles de Jésus ont pour but d’amener ses auditeurs à changer de point de vue en leur proposant une histoire qui fait appel tout d’abord à leur cœur et à leur vulnérabilité, plutôt qu’à leurs convictions. Avec les paraboles, nous quittons le domaine du débat afin de redevenir en quelque sorte comme des enfants qui écoutent une histoire.

La parabole est souvent une manière de tamiser une vérité, tout comme l’on chercherait à adoucir une lumière trop éblouissante. La parabole ne cherche pas à cacher ou à imposer une vérité, mais elle vise avant tout à livrer son message selon la réceptivité de chacun et chacune. Pour la comprendre et l’accueillir, il faut tout simplement avoir le cœur ouvert et vouloir être de Dieu. À chacun d’entendre la parabole selon ses dispositions intérieures. Il y a mille et une manière de l’accueillir.

« Le semeur est sorti pour semer », nous dit Jésus. Comme j’aime ces paroles qui résonnent comme les premiers mots au matin de la création du monde : « Le semeur est sorti pour semer ». Aucune hésitation ici. Seule la détermination du semeur est mise en relief, comme dans ces peintures de Van Gogh où l’on voit un semeur dès le lever du jour, semant largement et généreusement dans son champ. Jésus dans sa parabole nous parle de l’action d’un Dieu créateur qui dès le premier jour de la création entreprend une œuvre remplie de promesses, et pleine de vie.

« Le semeur est sorti pour semer », et voilà que le monde est créé avec ses milliards de galaxies, et l’histoire est lancée à travers les figures d’Adam et Ève, des patriarches et des prophètes. Dieu va susciter des Juges et des rois pour guider son peuple choisi. Il va leur confier la mission de le faire connaître au monde, de lui apprendre d’où il vient et où il va au terme de son histoire. Et dans les derniers temps qui sont les nôtres, le Père envoie son Fils bien-aimé pour mener le Royaume de Dieu à son achèvement et nous montrer le chemin à suivre sur cette terre pour y parvenir.

« Le semeur est sorti pour semer », nous dit Jésus. Lui et le Père ne font qu’un, et c’est une œuvre commune qu’ils poursuivent ensemble, puisque dès les origines du monde, le Père donne la vie par sa Parole, par son Verbe. Le semeur, c’est à la fois, et le Père et le Fils, dans une même communion d’amour.

Comme l’écrit si bellement Jean-Philippe Ferlay : « L’amour du Père pour son Verbe dans l’Esprit est tellement fort et généreux qu’il éclate hors de Dieu. Et voilà que le monde est créé, tout différent de Dieu et pourtant absolument lié à lui. » Et c’est ainsi que Jésus de Nazareth, lui la dernière et la plus belle parole du Père, vient marcher avec nous sur nos routes humaines, semant la bonne nouvelle dans tous les cœurs de cette terre qui veulent bien l’accueillir.

Il est vrai que plusieurs lui ferment leur porte, et nous sommes toujours étonnés et attristés quand des personnes écartent de leur vie toute référence à Dieu. Elles font penser à des orphelins à qui leur échappe ce bonheur de croire. Mais retenons de notre parabole que le semeur sème aussi sur les sols les plus stériles, les plus endurcis, même dans les sillons couverts de pierres et de ronces. Rien ne semble décourager ce semeur obstiné et têtu. Il est d’un optimisme béat qui dépasse toute logique humaine. C’est Henri Nouwen, qui décrit ainsi l’attitude de Dieu à l’égard de ses enfants qui se tiennent loin de lui :

« Son seul désir est de bénir… Il n’a aucun désir de les punir. Ils ont déjà été punis de façons excessives par leur propre errance, intérieure et extérieure. Le Père veut simplement leur faire savoir que l’amour qu’ils ont cherché dans des chemins tortueux a été, est et sera toujours là, pour eux… mais il ne peut les forcer à l’aimer sans perdre sa véritable paternité . »

Et c’est ainsi que l’image du « semeur sorti pour semer » comporte aussi un appel pour tous ceux et celles qui ont reçu la semence dans leur cœur et qui se sont mis à la suite de ce semeur, qui est le Christ Jésus lui-même, et qui nous invite désormais à semer largement avec lui, sans nous décourager, afin que la bonne nouvelle du Royaume soit proclamée et accueillie.

Ne voit-on pas au printemps les crocus et les pissenlits se frayer un chemin vers le soleil à travers les sols les plus rugueux et inhospitaliers ? C’est avec cette invincible espérance que nous, disciples du Christ, sommes appelés à habiter notre terre. Dans tous les cœurs la semence doit être lancée, nous dit Jésus, même dans les cœurs les plus endurcis, surtout dans les cœurs les plus endurcis, car Dieu ne saurait désespérer de notre légèreté, jusqu’à ce que nous baissions les bras et l’appelions Notre Père.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs.

Homélie pour le 13e Dimanche (A)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 10,37-42.
En ce temps-là,
Jésus disait à ses Apôtres :
    « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi
n’est pas digne de moi ;
celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi
n’est pas digne de moi ;
    celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas
n’est pas digne de moi.
    Qui a trouvé sa vie la perdra ;
qui a perdu sa vie à cause de moi la gardera.
    Qui vous accueille m’accueille ;
et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé.
    Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète
recevra une récompense de prophète ;
qui accueille un homme juste en sa qualité de juste
recevra une récompense de juste.
    Et celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche,
à l’un de ces petits en sa qualité de disciple,
amen, je vous le dis : non, il ne perdra pas sa récompense. »

COMMENTAIRE

L’Évangile de ce dimanche fait partie de ces passages difficiles que nous propose le Nouveau Testament quand Jésus dit : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. » Comment concilier la tendresse de Dieu et la dureté apparente de cet évangile et que nous avons acclamé comme bonne nouvelle ?

Jésus n’est-il pas le porte-parole et l’expression même du souci de Dieu pour les petits, les pauvres ? N’est-ce pas lui qui souligne l’importance ailleurs dans les évangiles de venir en aide à ses parents, qui affirme qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ? Comment concilier cette bonté de Jésus avec un texte qui semble évoquer un certain sectarisme, où nous serions invités à nous couper du monde ? C’est là bien sûr un premier niveau de lecture que pourrait faire une personne qui ne connaît pas bien les évangiles.

Pour concilier ces contradictions apparentes, nous avons besoin de comprendre ce que cela veut dire marcher à la suite du Christ. En dépit des paroles-chocs de Jésus, nous le savons, cette suite est libératrice et le passage d’aujourd’hui est extrêmement révélateur en ce qu’il nous dit au sujet de notre vie chrétienne. Elle implique des choix, des renoncements, et un attachement indéfectible à la personne de Jésus et son évangile.

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Un jour, j’ai vu dans un magazine une photo extraordinaire qui date de 1936. Elle a été prise à Berlin à la veille de la dernière guerre mondiale. On y voit une grande foule qui accueille Adolph Hitler et qui fait le salut nazi, le salut au chef ! Au milieu de cette foule, il y a un homme qui se tient debout les bras croisés. C’est le seul que l’on voit ainsi, alors que tout autour de lui les bras sont tous levés bien haut pour acclamer Hitler. Cet homme seul dans la foule a une mine très résolue, le visage défiant, et l’on devine qu’il s’agit d’une personne courageuse, prenant un risque énorme par sa non-conformité. J’ai vu dans l’image de cet homme une belle analogie avec notre suite du Christ.

Le disciple du Christ est appelé à marcher sur les mêmes routes que son Maître. Son engagement en ce monde au nom de l’évangile est fait de risques, d’audaces et de courage. Son combat est souvent solitaire, et il doit être prêt à y engager toute sa vie comme son maître. Même seuls au cœur de la masse humaine, nous sommes appelés à nous ouvrir sans cesse au désir de Dieu sur nous, comme Jésus lui-même en a donné l’exemple. Le véritable bonheur est à ce prix, mais il est souvent fait de luttes, de renoncements et de refus, même lorsque des proches, des intimes cherchent à nous entraîner sur d’autres chemins que celui de l’évangile. D’où la première place qu’il nous faut accorder au Christ dans nos vies,

Jésus aujourd’hui nous parle de radicalisme, et pourtant il était loin d’être un révolutionnaire violent et anarchiste. Certains l’appelaient un prophète, ce qu’il était certainement. Mais pour nous chrétiens, il est avant tout le Fils de Dieu, lui qui connait si bien le cœur de l’Homme. Et il est venu nous dire que le plus grand combat qui se livre en ce monde est un combat pour l’amour. Il est venu s’engager au cœur de cette lutte que nous menons, nous invitant à le suivre et à aimer comme lui.

Alors, comment concilier cet amour de Jésus avec l’amour de nos proches ? Tout d’abord, il est important de souligner qu’il n’y a aucune contradiction entre ces deux amours, puisqu’ils n’en forment qu’un seul, mais l’un de ces deux amours a préséance sur l’autre, car c’est en demeurant dans l’amour de Dieu que nous apprenons à aimer le prochain en vérité. Et cette vérité de l’amour nous oblige parfois à reprendre le prochain quand ses paroles ou ses actions sont en contradiction avec l’évangile. C’est en ce sens que l’amour de Dieu l’emporte sur l’autre. N’est-ce pas cette logique que vivent les parents lorsqu’ils corrigent leurs enfants qui se montrent égoïstes, violents ou rancuniers. Leur amour pour leurs enfants n’a de sens que s’ils leur apprennent à devenir de véritables adultes. Et il en serait autrement dans notre rapport les uns avec les autres, alors que nous sommes tous et toutes appelés à grandir et à nous épanouir en tant qu’enfants de Dieu ?

Frères et soeurs, l’évangile de ce dimanche nous rappelle que c’est en aimant Jésus le premier que l’amour sera toujours le premier servi dans nos vies, et qu’il pourra alors se déployer tout autour de nous en nous mettant au service les uns des autres, nous donnant d’aimer davantage, mais en vérité, père, mère, fils et fille, époux et épouse, au nom même de cet amour qui a sa source en Dieu.

Yves Bériault, O.P.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 12e Dimanche (A)

Jésus, après avoir choisi ses apôtres, les envoie en mission comme des brebis au milieu des loups, évoquant les dangers qui les guettent. Pourtant, à trois reprises dans cet évangile, il dit à ses disciples d’être « sans crainte ». C’est dire l’importance de cette injonction qui s’adresse non seulement aux apôtres, mais aussi à nos vies d’hommes et de femmes en ce monde, confrontées à des réalités quotidiennes qui parfois nous assaillent comme des loups, au point de menacer nos vies mêmes. Pourtant Jésus nous le répète : « Soyez sans crainte ! »

Mais pourquoi ne devrions-nous pas avoir peur ? Il ne faudrait pas avoir peur quand la maladie frappe à notre porte ou soumet une personne qui nous est chère à sa terrible pesanteur ? Il ne faudrait pas avoir peur quand la guerre éclate de tous côtés, quand l’avenir semble nous échapper ou que l’injustice fait la loi autour de nous ? 

Bien sûr, ce n’est pas là ce que Jésus nous demande, car nous le savons trop bien : la foi en Dieu ne nous tire pas en dehors de la réalité et ne nous met pas à l’abri de l’angoisse, de la souffrance ou du deuil. D’ailleurs, qui d’entre nous n’a jamais souffert ? Alors, que veut nous dire Jésus quand il nous invite à être sans crainte ?

Il me revient le souvenir de mon propre père qui après le décès de sa fille cadette, âgée seulement de 18 ans, avait vécu une longue période de révolte et d’inimitié avec Dieu, pour ensuite, plusieurs années après, retrouver la foi, mais d’une manière encore plus vraie et plus profonde. Une transformation s’était opérée en lui malgré ses épreuves, et il m’avait confié un jour en me parlant de sa foi en Dieu : « Avec Lui, disait-il, je sais que ça va bien aller. Ma vie d’homme, c’est mon affaire, ma responsabilité. Tout ce que je demande à Dieu, disait-il, c’est d’être bon afin de mieux vivre ma vie et aimer ceux qui m’entourent. » 

« Avec Lui ça va bien aller ! » Combien de fois au cours de cette pandémie avons-nous entendu cette phrase passe-partout avec son arc-en-ciel ? Une affirmation qui se voulait un encouragement au personnel soignant, aux malades, aux personnes âgées en résidence, mais confrontée trop souvent à un démenti quotidien de la dure réalité. 

Toutefois, ces paroles prennent une nouvelle signification dans la bouche de Jésus. Tous ceux et celles qui ont mis leur foi en lui sont appelés à entendre bien plus que des mots d’encouragement de sa part, mais plutôt un cri d’espérance dont rien ne saurait empêcher l’accomplissement. 

Cette phrase, « n’ayez pas peur », elle court comme un refrain tout au long de la Bible. À Abraham, Dieu dira : « N’aie pas peur, je suis ton bouclier. » Aux prophètes, « n’ayez pas peur, je suis avec vous. » À Marie, l’ange Gabriel lui dira : « N’aie pas peur Marie, tu as trouvé grâce auprès de Dieu. » Aux apôtres, après la résurrection, lorsque Jésus leur apparaîtra pour la première fois, il leur dira : « N’ayez crainte. C’est bien moi. » À saint Paul qui va au-devant de son martyr, un ange du Seigneur vient le réconforter et lui dit : « Sois sans crainte ». Et à tous les disciples, dont nous sommes, Jésus ne dit-il pas : « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon de vous donner le Royaume. » 

L’Évangile aujourd’hui nous offre un soutien bien plus substantiel que toutes les formulations de pensées positives en notre monde. Jésus ne dit pas : « N’ayez pas peur, cela n’arrivera pas. » Il nous dit plutôt : « N’ayez pas peur même si le malheur frappe à votre porte, car vos vies sont précieuses et reposent entre les mains du Père. Même quand il fait nuit autour de vous, ne désespérez pas, car moi je suis là avec vous. » 

Les paroles de Jésus à ses amis font toute la différence entre un optimisme béat et l’espérance qui ne saurait nous décevoir, car il est lui le Maître de la vie, et il nous assure que nous valons bien plus que tous les oiseaux du ciel ! C’est là la comparaison toute simple que prend Jésus pour nous dire combien nos vies ont du prix aux yeux de Dieu.

Et s’il nous dit de ne pas craindre quand le mal se déchaîne autour de nous, c’est qu’il est venu en notre monde afin de nous dévoiler l’extraordinaire destinée qui est la nôtre, destinée qui est intimement liée à sa vie et au don qu’il en fait pour nous. Et c’est ainsi que pour ceux et celles qui mettent leur foi en lui, cette foi change alors notre regard sur le monde, elle fonde nos valeurs, nous enracine dans l’amour, elle donne sens à tous nos efforts, à toutes nos épreuves et à toutes nos joies. 

Comme l’écrivait avec justesse le pape François dans sa première encyclique Lumen fidei :

« La foi n’est pas un refuge pour ceux qui sont sans courage, mais un épanouissement de la vie. Elle fait découvrir un grand appel, qui est la vocation à l’amour, et elle assure que cet amour est fiable, qu’il vaut la peine de se livrer à lui, parce que son fondement se trouve dans la fidélité de Dieu, fidélité qui est plus forte que notre fragilité.[1]

Fidélité plus forte que toutes nos morts ! Car n’est-il pas Lui le grand vainqueur de la mort en son fils Jésus Christ !

Yves Bériault, o.p.


[1] Lumen fidei 53 (La lumière de la foi)

Le petit reste

Appelé à beaucoup voyager, me déplaçant de communauté en communauté, d’église en église, je suis un témoin privilégié si l’on peut dire de cette réalité qui saute aux yeux dans ce pays qui est le mien. Inutile d’énumérer ici les réalités que je côtoie et que vous connaissez tout aussi bien que moi. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir. Mais aveugles aussi pour ne pas voir qu’au-delà de ces murs décrépits, de ces clochers qui chancellent, la réalité profonde qui continue de soutenir cet édifice de la foi qu’est l’Église et qui ne se réduit ni à un patrimoine immobilier ni au nombre de têtes chauves ou grises dans une assemblée. 

Car il y a bel et bien le petit reste, un petit reste de tous âges étonnamment, des passionnés de l’Évangile, de l’Eucharistie, de la vie en communauté, du partage fraternel, de la présence attentive et généreuse auprès des plus pauvres. Petite armée de rien du tout qui avance vers l’avenir avec tellement peu de moyens qu’elle en est émouvante, et pourtant rien ne semble pouvoir la décourager ou l’arrêter. C’est ce petit reste que Dieu a aimé par le passé en Israël; c’est pourquoi il demeure redoutable, puisque c’est Dieu lui-même qui continue de l’accompagner et de veiller sur lui. Je ne puis que nous souhaiter d’appartenir à ce petit reste, mais cela demande un certain courage, ce que certains appelleraient même une grâce d’aveuglement. Mais pourquoi pas? Nous n’avons rien à perdre mais tout à gagner.

Comme l’écrivait avec justesse le pape François dans sa première encyclique Lumen fidei :

« La foi n’est pas un refuge pour ceux qui sont sans courage, mais un épanouissement de la vie. Elle fait découvrir un grand appel, qui est la vocation à l’amour, et elle assure que cet amour est fiable, qu’il vaut la peine de se livrer à lui, parce que son fondement se trouve dans la fidélité de Dieu, fidélité qui est plus forte que notre fragilité.»

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain.

Homélie pour la fête de la Sainte trinité (A)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 3,16-18.
En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle.
Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. »
Celui qui croit en lui échappe au Jugement ; celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.

COMMENTAIRE

Un jour, un évêque exprima le souhait de rencontrer un groupe d’enfants qui se préparait pour la première communion. Il les recevait l’un après l’autre et les questionnait sur ce qu’ils avaient appris dans leurs cours de catéchèse. Il demanda à une fillette : « Peux-tu me parler de la Sainte Trinité ? » L’enfant commença son boniment, mais après une minute, l’évêque étant un peu sourd se pencha vers elle, et tendant l’oreille, il lui dit : « Je m’excuse mon enfant, mais je ne comprends pas ». La petite fille lui répondit en chuchotant, sur le ton de la confidence : « Moi non plus, monseigneur, je ne comprends pas. C’est un mystère ! »

Un mystère ! C’est ainsi habituellement que l’on nous présente ce qui est le coeur de notre foi, la Sainte Trinité. Ce mystère d’un Dieu en trois personnes, bien des pères de l’Église et des mystiques ont tenté de l’expliquer en usant de métaphores de toutes sortes afin de le rendre intelligible.

Saint Grégoire de Nazianze, disait de la Trinité : « Le Père est la Source, son Verbe est le fleuve, l’Esprit Saint est le courant du fleuve. » Catherine de Sienne, elle, prenait l’analogie du Buisson ardent, le Père étant le feu, le Fils étant la lumière qui se dégage du feu, et l’Esprit Saint la chaleur du feu.

Mais l’exemple dont je garde le souvenir le plus frappant est celui de cette soirée chez mes parents. Nous étions assis au salon ensemble sur un divan. Ma mère était assise entre moi et mon père, heureuse de nous avoir tout près d’elle. Soudain, comme si elle venait de faire une grande découverte, elle s’exclama, en indiquant mon père : « Le père »; ensuite elle se tourna vers moi et dit : « le fils », et, se pointant du doigt, elle eût un moment d’hésitation, et elle dit avec un grand sourire : « et le Saint Esprit ». Ma mère ne parlait jamais de sa foi, et je me demande encore aujourd’hui comment lui est venue une telle idée ? C’était tout à fait spontané, et je garde le souvenir que ma mère venait d’exprimer là une profonde intuition du mystère de la Trinité, qui m’interpelle encore aujourd’hui.

Il n’est pas simple de parler de la Sainte Trinité, et pourtant, cette vérité de notre foi est fondamentale. Elle structure notre Credo, ainsi que toutes nos liturgies. Lorsque nous prions et célébrons ensemble, nous prions toujours le Père, par le Fils, dans le Saint Esprit. Notre foi est décidément trinitaire.

Pourtant, vous conviendrez avec moi qu’il serait tellement plus facile d’affirmer que nous croyons tout simplement en un Dieu, comme toutes les autres grandes religions. On éviterait ainsi beaucoup de querelles et de désaccords. Alors, pourquoi tenons-nous tellement à affirmer cette foi en la Sainte Trinité ?

Poser la question, c’est y répondre. Nous croyons au Dieu trinitaire parce que c’est Dieu lui-même qui nous a donné de le connaître. C’est lui qui s’est révélé à nous. Ce serait tellement plus simple s’il ne nous avait pas légué cet héritage en Jésus Christ. Mais voilà, Jésus est venu, et il nous a dévoilé le vrai visage de Dieu, nous donnant de comprendre que si Dieu est amour, c’est parce qu’il est Trinité.

De la même manière que les astrophysiciens ne cessent de s’émerveiller devant l’infinie grandeur d’un univers, qui ne cesse de se complexifier et de s’étendre au fur et à mesure qu’ils le découvrent, la foi chrétienne est le résultat de cette découverte progressive du Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob, de Moïse et de tous les prophètes, et qui a atteint son point culminant, il y a deux mille ans, alors que Dieu est venu parmi nous, qu’il a pris un visage, et qu’il s’est fait connaître de nous comme un être de communion, en qui se vit une profonde intimité, un mystère d’amour inouï entre le Dieu Père qui envoie son Fils, le Dieu Fils qui est tout donné à son Père, qui vient pour nous ramener vers lui, et le Dieu Saint Esprit, qui est cet amour éternel qui uni le Père et le Fils. Ils sont trois, mais ils ne forment qu’un seul Dieu en trois personnes. On l’appelle la Sainte Trinité et c’est un mystère !

Frères et soeurs, parce que nous mettons notre foi en Jésus-Christ, nous croyons et nous affirmons que Dieu n’est pas une invention, mais une découverte. Nous croyons que Dieu est une rencontre que chacun doit faire en soi-même. Nous croyons que Jésus-Christ est le chemin de cette rencontre, que le Père est celui qui nous appelle à la vie, et que cette vie habite en nous par le don de l’Esprit Saint. Chaque dimanche, quand nous nous rassemblons, nous ne célébrons pas une idée abstraite, mais la vivante réalité de notre Dieu, qui est Père, Fils et Esprit Saint. Amen.

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour la fête de l’Ascension (A)

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Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 28, 16-20

    En ce temps-là,
    les onze disciples s’en allèrent en Galilée,
à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
    Quand ils le virent, ils se prosternèrent,
mais certains eurent des doutes.
    Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles :
« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.
    Allez ! De toutes les nations faites des disciples :
baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit,
    apprenez-leur à observer
tout ce que je vous ai commandé.
Et moi, je suis avec vous
tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

COMMENTAIRE

La fête de l’Ascension a quelque chose d’énigmatique, alors que Jésus semble se dérober aux yeux de ses disciples. Cette fête est parfois vécue comme le parent pauvre du cycle pascal, alors qu’elle est sans doute celle qui exprime le mieux le sens de notre destinée humaine et la portée incroyable de la victoire du Christ pour nous. Car l’Ascension, avec le don de l’Esprit Saint, est l’achèvement du mystère de l’Incarnation, du pourquoi le Fils de Dieu est venu parmi nous.

D’ailleurs, Jésus a laissé des indices pour nous aider à comprendre l’extraordinaire mystère qui se joue sous nos yeux avec son Ascension. Rappelez-vous au matin de Pâques, Jésus ressuscité avait dit à Marie-Madeleine : « Je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va vers mes frères et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20, 17). Déjà, Jésus avait dit à ses Apôtres avant sa passion : « Je pars vous préparer une place ? Quand je serai allé vous la préparer, je reviendrai vous prendre avec moi ; et là où je suis, vous y serez aussi. » (Jn 14, 2-3).

Ce départ est donc d’une importance capitale dans la mission de Jésus. Il doit retourner vers le Père, afin d’accomplir l’inimaginable, le jamais vu auparavant : « Personne, dit Jésus, n’est jamais monté aux cieux sinon le Fils de l’Homme qui est descendu des cieux » (Jn 3, 13 ; cf. Ep 4, 8-10). Et devant les yeux de ses disciples, Jésus est « emporté au ciel ».

La fête de l’Ascension est toute chargée de l’espérance de Dieu en notre faveur et nous rappelle combien nous avons du prix aux yeux de Dieu. L’Ascension de Jésus vient nous dévoiler le grand mystère de notre destinée humaine alors que le Christ nous précède au ciel et qu’il nous y entraîne. Cette fête forme un tout avec la résurrection du Christ et elle nous parle en même temps du sérieux de son Incarnation, du fait que le Fils de Dieu ait pris chair de la Vierge Marie, chair de notre chair. La Résurrection et son pendant qu’est l’Ascension sont le couronnement de l’Incarnation du Fils de Dieu : Jésus ne rejette pas son corps ; il le transfigure, il le divinise en montant au ciel avec son corps glorifié.

Contrairement à ce que me disait un jour une amie, la fête de l’Ascension n’est pas une fête triste. Cette amie disait cela parce que Jésus était parti. Jésus est parti, me disait-elle ! Elle vivait en quelque sorte la peine des disciples. Quel grand amour de Jésus exprimait-elle ainsi en avouant son désarroi devant son départ ! Mais Jésus ne nous abandonne pas. Non seulement il nous précède dans la demeure du Père, mais il nous y prépare une place.

Dans le Christ, vrai Dieu et vrai homme, notre humanité est conduite auprès de Dieu. Jésus nous ouvre le passage, il est comme le chef de cordée lors de l’escalade d’une montagne, arrivé au sommet de sa vie il nous tire vers Lui et nous conduit vers le Père. Car tel est le maître, tels sont les disciples, tous appelés à une même destinée avec lui.

Tout comme nous sommes passés du ventre de notre mère à la vie sur terre, un jour nous passerons du ventre de la terre à la vie en plénitude auprès de Dieu. Par son Ascension, Jésus vient achever la longue histoire de notre salut, qui est de nous ramener vers Dieu. Il ne nous laisse pas seuls. Il nous emporte avec lui, premier-né d’une multitude de frères et de sœurs, alors qu’il monte au ciel avec son corps, réalisant ainsi cette folle espérance du vieux Job, un texte souvent repris lors des funérailles, où Job s’écrie du fond de son malheur : « Je sais, moi, que mon libérateur est vivant, et qu’à la fin il se dressera sur la poussière des morts ; avec mon corps, je me tiendrai debout, et de mes yeux de chair, je verrai Dieu. »

Le trappiste Christian de Chergé, prieur du monastère de Tibhirine en Algérie, assassiné avec six de ses frères en 1996, restera toute sa vie, fasciné par le mystère de l’Incarnation. Il dira à ses frères moines dans une homélie : « Le plus extraordinaire du mystère de l’Incarnation, ce n’est pas que Dieu se soit fait homme, mais c’est que l’homme soit en Dieu, c’est qu’une humanité semblable à la nôtre, se retrouve en Dieu. […] Désormais, écrit-il, il y a de la fraternité en Dieu. C’est ainsi que nous pouvons nous appeler “petits frères” et “petites sœurs. »

Et cette fraternité s’étend désormais au monde entier. C’est pourquoi la fête de l’Ascension marque aussi le début du temps de l’Église, communauté de foi des disciples du Christ, qui célèbre ce don que Dieu nous fait d’un amour infini, communauté qui est appelée à partager cette joie qui est la sienne. sûr de la promesse que Jésus fait à ses disciples : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

Voilà frères et sœurs, la bonne nouvelle qui nous rassemble en ce dimanche de l’Ascension.

YVES BÉRIAULT, O.P.
DOMINICAIN. ORDRE DES PRÊCHEURS

Homélie pour le 5e Dimanche de Pâques (A)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 14, 1-12

En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
    « Que votre cœur ne soit pas bouleversé :
vous croyez en Dieu,
croyez aussi en moi.
    Dans la maison de mon Père,
il y a de nombreuses demeures ;
sinon, vous aurais-je dit :
‘Je pars vous préparer une place’ ?
    Quand je serai parti vous préparer une place,
je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi,
afin que là où je suis,
vous soyez, vous aussi.
    Pour aller où je vais,
vous savez le chemin. »
    Thomas lui dit :
« Seigneur, nous ne savons pas où tu vas.
Comment pourrions-nous savoir le chemin ? »
    Jésus lui répond :
« Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ;
personne ne va vers le Père sans passer par moi.
    Puisque vous me connaissez,
vous connaîtrez aussi mon Père.
Dès maintenant vous le connaissez,
et vous l’avez vu. »
    Philippe lui dit :
« Seigneur, montre-nous le Père ;
cela nous suffit. »
    Jésus lui répond :
« Il y a si longtemps que je suis avec vous,
et tu ne me connais pas, Philippe !
Celui qui m’a vu
a vu le Père.
Comment peux-tu dire : ‘Montre-nous le Père’ ?
    Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père
et que le Père est en moi !
Les paroles que je vous dis,
je ne les dis pas de moi-même ;
le Père qui demeure en moi
fait ses propres œuvres.
    Croyez-moi :
je suis dans le Père,
et le Père est en moi ;
si vous ne me croyez pas,
croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes.
    Amen, amen, je vous le dis :
celui qui croit en moi
fera les œuvres que je fais.
Il en fera même de plus grandes,
parce que je pars vers le Père »

Jésus ce matin interpelle la foi des disciples alors que sa passion se profile à l’horizon. Devant leurs craintes, il leur dit : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé : Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. » Qu’en est-il de nous alors que nous traversons une crise majeure qui met peut-être à l’épreuve notre foi? Voilà le contexte de la réflexion que je nous propose ce matin.

II vous est sans doute arrivé un jour de remettre Dieu en question, de douter ou même de perdre la foi. Tout cela fait partie des divers chemins qui mènent vers Dieu, même si parfois ces chemins semblent s’en écarter. La foi en Dieu, bien que capable de transformer nos vies, de changer notre regard sur le monde, cette foi demeure fragile, elle est comme une jeune pousse qui a constamment besoin d’être entretenue, arrosée, émondée.

C’est surtout lorsque l’épreuve frappe à notre porte que nous sommes tentés de questionner Dieu, tentés de le faire comparaître devant le tribunal de notre indignation afin qu’il se justifie. «  Que dis-tu de toi-même? » Secrètement, nous faisons nôtre le cri des contradicteurs de la foi d’Israël, dont le psalmiste fait entendre la voix moqueuse lorsqu’ils s’écrient devant les malheurs du juste : « Où est-il ton Dieu ? » C’est cette interrogation qui monte aux lèvres des opprimés, de ceux qui souffrent et des malheureux à travers les siècles. « Où es-tu? »

Nous le savons, le plus grand défi que la foi doit affronter c’est le silence de Dieu et son impuissance apparente quand le malheur frappe. Jésus lui-même en fait l’expérience à Gethsémani quand il s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Et pourtant, il en arrivera à une remise totale de sa personne entre les mains du Père sur la croix : « Père, non pas ma volonté, mais la tienne. » Cette prière d’abandon est certainement la plus difficile qui soit, car elle implique l’acceptation de ce que l’on ne peut changer, alors que l’on voudrait tellement que Dieu intervienne, qu’il change le cours des événements qui nous frappent de plein fouet.

Alors, qu’est-ce que Dieu attend de nous ? Et que pouvons-nous attendre de lui ? Pour illustrer mon propos, j’aimerais parler ici d’Esther Hillesum, cette jeune juive assassinée à Auschwitz en 1943 à l’âge de 29 ans. Une jeune convertie qui a des réflexions étonnantes au sujet de Dieu. Au cœur de la détresse et des persécutions qui frappent son peuple, Esther est convaincue que Dieu ne peut empêcher, comme d’un coup de baguette magique, le drame qui se déroule autour d’elle, soit l’extermination systématique de son peuple à l’échelle de l’Europe, persécutions qui feront près de six millions de victimes.

Esther en arrive à un constat qui bouleverse complètement notre représentation de Dieu. Elle affirme, au cœur de cette violence qui l’entoure, que c’est à nous d’aider Dieu, que Dieu veut avoir besoin de nous. Mais pour y parvenir, dit-elle, il faut le laisser habiter en nous. « Un peu de toi en nous mon Dieu », écrira-t-elle dans son journal. Esther Hillesum a cette vive conscience que la force intérieure qui peut nous donner le courage d’affronter la vie et ses tempêtes ne peut nous venir que de Dieu. Qu’Il est lui le véritable artisan de nos redressements, de nos recommencements et de nos luttes ! « Un peu de toi en nous mon Dieu », demande-t-elle.

Ce témoignage, ainsi que toute la tradition biblique, nous dévoile une condition indispensable pour bien assumer notre foi en Dieu : c’est de l’enraciner dans la fidélité. C’est s’attacher à Dieu pour le meilleur et pour le pire, sachant que cela n’a pas pour but de nous mettre à l’abri des épreuves, même si c’est là notre désir le plus profond et qu’il est légitime demander qu’il soit exaucé. Mais la foi en Dieu, vécue dans une fidélité tenace et têtue, nous aide avant tout à accepter avec courage nos vies de femmes et d’hommes, de pères et de mères, et ainsi affronter la vie et ses tempêtes avec la force de Dieu.

Est-ce que cela veut dire qu’on ne souffre pas quand on met sa foi en Dieu? Que nous ne sommes pas saisis de vertige devant la peine et la douleur ? Bien sûr que non ! Mais Dieu sera toujours l’appui le plus sûr, l’ami le plus fidèle que nous ayons pour affronter l’épreuve.

fr . Yves Bériault, o.p. Dominicain

Le petit reste

Appelé à beaucoup voyager, me déplaçant de communauté en communauté, d’église en église, je suis un témoin privilégié si l’on peut dire de cette réalité qui saute aux yeux dans ce pays qui est le mien. Inutile d’énumérer ici les réalités que je côtoie et que vous connaissez tout aussi bien que moi. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir. Mais aveugles aussi pour ne pas voir qu’au-delà de ces murs décrépits, de ces clochers qui chancellent, la réalité profonde qui continue de soutenir cet édifice de la foi qu’est l’Église et qui ne se réduit ni à un patrimoine immobilier ni au nombre de têtes chauves ou grises dans une assemblée. 

Car il y a bel et bien le petit reste, un petit reste de tous âges étonnamment, des passionnés de l’Évangile, de l’Eucharistie, de la vie en communauté, du partage fraternel, de la présence attentive et généreuse auprès des plus pauvres. Petite armée de rien du tout qui avance vers l’avenir avec tellement peu de moyens qu’elle en est émouvante, et pourtant rien ne semble pouvoir la décourager ou l’arrêter. C’est ce petit reste que Dieu a aimé par le passé en Israël; c’est pourquoi il demeure redoutable, puisque c’est Dieu lui-même qui continue de l’accompagner et de veiller sur lui. Je ne puis que nous souhaiter d’appartenir à ce petit reste, mais cela demande un certain courage, ce que certains appelleraient même une grâce d’aveuglement. Mais pourquoi pas? Nous n’avons rien à perdre mais tout à gagner.

Comme l’écrivait avec justesse le pape François dans sa première encyclique Lumen fidei :

« La foi n’est pas un refuge pour ceux qui sont sans courage, mais un épanouissement de la vie. Elle fait découvrir un grand appel, qui est la vocation à l’amour, et elle assure que cet amour est fiable, qu’il vaut la peine de se livrer à lui, parce que son fondement se trouve dans la fidélité de Dieu, fidélité qui est plus forte que notre fragilité.»

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain.

Homélie pour le 4e dimanche de Pâques (A)

Dans les évangiles, Jésus a cette préoccupation constante d’amener ses auditeurs à croire en lui, mais il le fait sans jamais dévoiler pleinement son identité. Il procède par analogies, avec des paraboles et des miracles, qui deviennent des clés d’interprétation afin de nous ouvrir à son mystère, afin que ses auditeurs puissent vraiment le connaître avec les yeux du coeur.

Il emploie aussi beaucoup d’images afin d’expliquer sa personne et sa mission. Il dit de lui-même qu’il est la lumière du monde, le pain vivant, la vraie vigne, le chemin, la vérité et la vie. Mais il y a deux autres attributs que Jésus fait siens et que l’on retrouve dans l’Ancien Testament pour représenter Dieu, soit les titres d’époux et de pasteur. Comme l’époux aime l’épouse, Jésus nous révèle dans l’évangile de ce dimanche qu’il est la porte des brebis, le chemin vers les vrais pâturages, le bon berger qui aime ses brebis au point de donner sa vie pour elles.

Cette image du bon pasteur est l’une des plus anciennes dans l’iconographie chrétienne, et les premiers chrétiens peignaient cette image sur les murs de leurs catacombes, cavernes et souterrains où les chrétiens se réunissaient secrètement pendant les persécutions des premiers siècles afin de célébrer leur foi et qui servaient aussi de lieux de sépulture pour leurs morts. Sur les murs de plusieurs de ces catacombes on peut y voir Jésus vêtu en simple berger, un bâton à la main, portant une brebis sur ses épaules. « Voilà notre Dieu ! disaient les premiers chrétiens. Il est le Bon pasteur, le vrai chef des brebis. »

Il y a une unité particulièrement frappante entre les textes de ce dimanche qui souligne à quel point est importante pour notre vie de foi l’image du bon pasteur ! Le psalmiste écrit:  « le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. » Dans la deuxième lecture, saint Pierre compare les personnes qui n’ont pas la foi en Jésus-Christ à des brebis perdues : « Vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes. » Et, ici, dans l’évangile de Jean, Jésus développe son long discours sur le bon pasteur.

Jésus se décrivant comme le bon pasteur est sans doute l’analogie la plus forte et la plus évocatrice parmi celles employées par le Christ pour nous dire jusqu’où va son amour pour nous . Nous le savons, il ne s’est pas présenté en roi triomphant, imposant son autorité au monde. Pour se dire à nous et nous décrire sa mission, Jésus s’est identifié à l’un des métiers les plus humbles de son époque, soit celui du berger dont la seule richesse était ses brebis, et pour lesquelles il était prêt à affronter le loup et à donner sa vie pour elles.

Ce qui est extraordinaire dans la façon dont Jésus décrit cette intimité qu’il vit avec ses brebis, c’est que ces dernières le connaissent elles aussi. Ne les appellent-ils pas chacune par leur nom?  Elles reconnaissent sa voix, elles sont dociles à son appel. Il y a entre Jésus et ses brebis une connaissance réciproque, qui est fondée sur cette intimité qui unit Jésus à son Père. «  Qui m’a vu a vu le Père  », dit Jésus. Nous sommes ici au coeur même de l’expérience chrétienne qui a ce pouvoir de transformer radicalement nos vies.

C’est dans ce mystère d’intimité et d’amour que la foi en Jésus Christ nous entraine, telle une porte qui s’ouvre sur les frais pâturages que chante le psalmiste, et où Dieu nous attend et nous conduit vers la vraie vie, cette vie qui commence dès ici-bas. Nous ne croyons pas seulement pour demain, frères et soeurs, mais pour aujourd’hui même là où le monde nous attends.

C’est une grâce incroyable qui nous est faite quand la foi nous est donnée, ou encore quand nous la recherchons avec passion. Mais c’est aussi une grâce qui coûte, car se mettre à la suite du Christ, nous le savons, est d’une grande exigence, il faut tout donner comme dans tout amour véritable, dans toute amitié authentique.

Comme l’écrivait avec justesse le pape François dans sa première encyclique Lumen fidei :

« La foi n’est pas un refuge pour ceux qui sont sans courage, mais un épanouissement de la vie. Elle fait découvrir un grand appel, qui est la vocation à l’amour, et elle assure que cet amour est fiable, qu’il vaut la peine de se livrer à lui, parce que son fondement se trouve dans la fidélité de Dieu, fidélité qui est plus forte que notre fragilité.»

Oui, frères et soeurs, cet amour qui nous est offert, cette aventure de la foi en vaut la peine, comme l’affirme le pape François, car la fidélité de Dieu est plus forte que toutes nos morts ! N’est-il pas, Lui, le grand vainqueur de la mort en son fils Jésus Christ ! C’est cette promesse déjà accomplie au matin de Pâques qui nous rassemble à chaque eucharistie.

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain.

Homélie pour le 3e dimanche de Pâques (A)

Luc 24, 13-35. Les disciples d’Emmaüs

Quand on a la foi, on ne peut qu’acquiescer à cette affirmation de Maurice Zundel : « Le bonheur, c’est Dieu. Dieu c’est le bonheur. » Et c’est ainsi que nos deux disciples d’Emmaüs, après leur rencontre avec le Ressuscité, peuvent s’exclamer : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous tandis qu’Il nous parlait sur la route. »

Chaque dimanche, partout dans le monde, les chrétiens et les chrétiennes se rassemblent afin de se laisser rejoindre sur la route par le Ressuscité, pour se mettre à nouveau à l’écoute des Écritures qui nous parlent de Lui et qui nous préparent à communier à sa vie donnée, à recevoir ce supplément de grâce afin que nous puissions repartir avec cette paix et cette joie du Christ que nous avons pour mission de porter au monde.

Mais pour être habité par cette passion qui change véritablement une vie, il faut rencontrer le Christ, et surtout vouloir le rencontrer sans cesse; ne jamais hésiter à lui dire, quand le jour baisse et que le soir approche :  « Reste avec nous! »

Remarquez que nos deux disciples d’Emmaüs ne reconnaissent pas le Ressuscité quand il se fait voir à leurs yeux. Ce n’est que lorsqu’il disparaît, à la fraction du pain, qu’ils le reconnaissent. Nous ne croyons pas au Christ à cause d’une preuve extérieure évidente ou parce que son tombeau a été trouvé vide le matin de Pâques, ou même parce que des témoins nous disent l’avoir vu après sa mort. Bien sûr, ce sont là des éléments de preuve qui peuvent nous mettre sur le chemin de la foi, mais comme l’écrivait Maurice Zundel : « Je ne crois pas en Dieu, disait-il, je le vis. » Dieu ne se réduit pas à une formule ou un credo, il est une rencontre. Il n’est pas une simple connaissance, il est une re-connaissance au plus intime de nos vies.

La foi chrétienne, c’est le cœur qui s’ouvre à plus grand que lui, à la source même de sa vie, qui expérimente cette rencontre du Christ dont parlait l’Apôtre Pierre dans sa première lettre aux chrétiens de Rome et qui leur disait : « Vous qui l’aimez sans l’avoir vu. » Est-ce possible d’aimer le Christ sans l’avoir vu? Certainement, nous en sommes convaincus. L’Église vit de cette réalité depuis près de deux mille ans. Il suffit de regarder la vie de cette foule de témoins qui nous ont précédés pour s’en convaincre, jusqu’au cœur même de nos communautés chrétiennes.

Pour prendre une image que nous comprenons bien au Québec, cette présence du Ressuscité à nos vies est comparable à l’irruption du printemps au cœur de nos hivers. Nous le savons, et c’est même une certitude, la vie est plus forte que tout. Plus forte que ces glaces qui nous emmurent en janvier, plus forte que ce froid qui trop souvent nous paralyse en février. Cette expérience des saisons dans notre pays nordique est à la fois exigeante, mais aussi exaltante. La nature se fait pédagogue dans notre pays et elle nous enseigne à lire les signes des temps, qui ne sauraient nous tromper. À quiconque sait tendre l’oreille, en ce temps de l’année, la nature semble murmurer ces paroles qui sont au cœur même de l’acte de création : « Osez espérer! Osez croire! Ne soyez pas incrédules. Tout va changer ». C’est l’invitation que nous fait le Ressuscité à travers ce récit des disciples d’Emmaüs.

Petite anecdote personnelle pour concrétiser mon propos. Il y a plusieurs années, la communauté chrétienne de l’Annonciation, à laquelle j’appartenais, avait accueilli deux familles de réfugiés cambodgiens. J’étais allé chercher l’une de ces familles, les ramenant de leur « hôtel refuge » de Montréal à ma petite vallée des Laurentides. Nous étions en plein mois de janvier et pour la première fois, ils voyaient nos vastes forêts et je lisais une pointe d’inquiétude dans leurs yeux. 

Le père, devant le regard insistant de son épouse, osa enfin me questionner. Il me demanda ce qui avait bien pu arriver à notre forêt pour que les arbres soient tous morts. Je lui expliquai alors que nos arbres perdaient toutes leurs feuilles en automne pour ensuite s’endormir dans un profond sommeil. Mais le printemps venu, je l’assurai qu’ils retrouveraient leur vitalité et leurs feuilles. Cette explication sembla le satisfaire et nous avons poursuivi notre route. 

Après les affres de la guerre au Cambodge, une nouvelle vie commençait pour cette famille. Les mois passèrent et, le printemps venu, mes nouveaux amis m’avouèrent, mi-amusés, mi-confus qu’ils n’avaient pas vraiment cru en mon explication au sujet des arbres. Ce n’est qu’en expérimentant eux même cette réalité complexe, et combien mystérieuse de nos saisons, qu’ils purent comprendre à leur tour ce que signifie cette attente du renouveau au cœur de la vie.

Frères et sœurs, la  fête de Pâques est le lieu par excellence où les chrétiens et les chrétiennes enracinent leur espérance, au-delà des saisons  qui passent, au-delà des échecs apparents de l’Église, au-delà des déceptions et des découragements. L’Évangile de ce dimanche nous invite à passer de nos désillusions à une foi ferme et convaincue, à une foi persévérante. Nous espérons et nous croyons parce que Dieu le premier a cru en nous en nous donnant la vie. Nous espérons et nous croyons en Dieu parce que dans un élan d’amour sans égal, Il nous a donné son Fils unique en partage. Nous espérons  et nous croyons parce que Jésus a vaincu la mort et que sa vie s’offre à nous, sans cesse, comme un printemps toujours renouvelé. N’en sommes-nous pas les témoins?

Yves Bériault, o.p. Dominicain