Christ est ressuscité! Il est vraiment ressuscité!

JOYEUSES PÂQUES

« La Résurrection du Christ fait penser à la première éruption d’un volcan, signe du feu qui dévore les entrailles de la Terre. C’est bien de cela dont il s’agit, et dont Pâques est le signe. Déjà dans les profondeurs les plus secrètes du monde, brûle le feu de Dieu, dont la flamme portera toutes choses à l’incandescence bienheureuse. Déjà à partir du coeur intime du monde où sa mort l’avait fait descendre, des forces nouvelles, les énergies du monde transfiguré, sont au travail. Déjà, au plus profond de toute réalité, la vanité, le péché et la mort sont vaincus. Et il ne doit plus s’écouler que ce petit intervalle de temps que nous appelons l’Histoire après Jésus Christ pour que partout, et non pas seulement dans le corps du Christ, se manifeste ce qui est vraiment arrivé. »

(Rahner, Karl. Une foi qui aime. Salvator, 1966.)

Difficile anonymat

J’ai réfléchit à la demande que me faisait une lectrice au sujet de mon identité, il y a de ça quelques mois. Il est évident que le fait de garder l’anonymat m’empêche d’aborder certains sujets ou certaines situations, car alors certaines personnes me reconnaîtrait immédiatement. Par ailleurs, cela complique énormément la tâche d’un blogueur. J’ai donc décidé de passer aux aveux et de révéler mon identité.Oui le Moine ruminant c’est moi! Voilà, c’est fait. Désormais, j’espère pouvoir partager davantage de choses reliées à mon quotidien. Par exemple, le fait que je sois maître des novices, ou que je me prépare à donner une session sur Etty Hillesum.

J’aime l’hiver!

Inévitable! On ne peut y échapper, nous aimons parler de nos hivers ici au Québec. Cette année nous avions déjà reçu plus de 400 cm de neige dans la région de Québec et voilà, qu’hier et toute la nuit, nous est tombé dessus cinquante centimètre de plus, sans compter les vents de 90 km/h. Un véritable ouragan d’hiver. Quelle puissance de la nature.Extraordinaire! J’en ai profité pour marcher dans les rues, au risque de me faire emporter. Que voulez-vous, j’aime l’hiver! Certains diraient « contre mauvaise fortune il faut faire bon coeur », mais ce n’est pas mon cas, non, pas du tout. Je plains tous ceux et celles qui de par le monde n’ont jamais connu l’hiver, le véritable hiver comme nous avons la chance del’avoir ici au Canada. Quelle blancheur, quelle lumière et quelle fraîcheur! L’hiver, c’est un hymne à la vie!

Ce matin, la neige à la porte de notre couvent nous allait sous les aisselles. Sérieux! Six frères du couvent, en plus d’un bon samaritain qui n’a jamais voulu nous dire son nom, se sont mis à la tâche avec des pelles de toutes sortes et, une heure plus tard, le déblaiement terminé, nous allions chez notre voisine afin de déneiger son entrée de maison, elle qui ne pouvait plus sortir depuis 24 heures à cause de la neige accumulée. De plus, elle habite sur la rue des Dominicains. Il fallait bien faire honneur à ce nom. Elle pleurait tellement elle était émue de notre visite surprise. Ah! que c’est bon l’hiver!

Voici en terminant un poème bien connu ici au Québec, dont les premiers versets nous viennent aux lèvres dès qu’il se met à neiger. Il a été écrit par un grand poète de chez nous, Émile Nelligan :

Soir d’hiver

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À la douleur que j’ai, que j’ai!

Tous les étangs gisent gelés,
Mon âme est noire: Où vis-je? Où vais-je?
Tous ses espoirs gisent gelés:
Je suis la nouvelle Norvège
D’où les blonds ciels s’en sont allés.

Pleurez, oiseaux de février,
Au sinistre frisson des choses,
Pleurez, oiseaux de février,
Pleurez mes pleurs, pleurez mes roses,
Aux branches du genévrier.

Ah! comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! comme la neige a neigé!
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À tout l’ennui que j’ai, que j’ai!…

Dialoguer avec l’Islam

Lors d’une entrevue avec le journal La Croix, le P. Étienne Renaud, directeur des études de l’Institut pontifical d’études arabes et islamiques (Pisai) à Rome, est interviewé au sujet de la rencontre de Benoît XVI avec quatre représentants musulmans. Interrogé au sujet de la pertinence du dialogue entre le christianisme et l’Islam, il rappelle les difficultés d’un dialogue théologique avec l’Islam, puisque le Coran ne reconnaît ni la divinité du Christ, ni sa crucifixion et encore moins le grand mystère de la Rédemption. Ce qui distingue entre autres l’Islam et le christianisme, dit -il, c’est que dans l’Islam « Dieu donne » et dans le christianisme « il se donne ».Où alors trouver un terrain de dialogue? Le P. Renaud répond :

« … pour moi, le vrai dialogue, c’est ce que l’on a coutume d’appeler dialogue spirituel, lorsque chacun peut rendre compte, dans une grande liberté mutuelle, de son expérience de Dieu. Alors, on ne se trouve plus face à face, mais on regarde ensemble vers Dieu. »

Abraham Lincoln : « Ne soyons pas pressés de dire que Dieu est de notre côté. Prions pour être du côté de Dieu. »

Jésus vient accomplir la Loi

L’évangile du jour nous interpelle car il y est question de loi et de l’affirmation provocante de Jésus : « Je ne suis pas venu abolir la loi, mais l’accomplir » (Mat 5, 17-19). Le dominicain Yves Congar a livré une belle réflexion sur le sujet. Écoutons-le :congar.jpg« L’homme libre est celui qui s’appartient à soi-même; l’esclave, lui, appartient à son maître. Ainsi quiconque agit spontanément agit librement; mais qui reçoit son impulsion d’un autre, n’agit pas librement. Celui-là donc qui évite le mal, non parce que c’est un mal, mais en raison d’un précepte du Seigneur, n’est pas libre. En revanche, celui qui évite le mal parce que c’est un mal, celui-là est libre. Or c’est là ce qu’opère le Saint Esprit qui perfectionne intérieurement notre esprit en lui communiquant un dynamisme nouveau, si bien qu’il s’abstient du mal par amour, comme si la loi divine le lui commandait; et de la sorte, il est libre, non qu’il ne soit pas soumis à la loi divine, mais parce que son dynamisme intérieur le porte à faire ce que prescrit la loi divine. » (CONGAR, Yves. Je crois en l’Esprit saint. Tome II. Cerf, 1979, p. 166).

Quel paradoxe que cette liberté dans l’Esprit Saint ! Guidé par une loi d’amour, le baptisé devient vraiment libre pour assumer toutes les exigences de la suite du Christ. Comme le rappelait le Père Yves Congar, o.p. : « Le christianisme n’est pas une loi, mais il en comporte une, il n’est pas une morale, bien qu’il en comporte une. Il est, par le don de l’Esprit du Christ… un mouvement de la grâce qui entraîne en nous, comme son produit ou son fruit, certains comportements appelés, exigés même par ce que nous sommes. C’est à la fois extrêmement fort et extrêmement fragile. » (p.167)

L’avantage d’une loi bien codifié peut donner des résultats efficaces; l’on sait ce que l’on doit faire et ce que l’on ne doit pas faire. Mais la loi de l’Esprit Saint en nous est une loi non par pression mais par appel : « C’est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement que cette liberté ne donne aucune prise à la chair ! » (Ga 5,13-14).

L’impossible pardon

pardon.jpgJésus dans son évangile nous propose une voie inédite dans la lutte contre le mal et la violence, une arme insoupçonnée dans la rencontre du frère ou de la soeur qui se dresse en ennemi. C’est la force du pardon. Non pas le pardon qui est démission ou qui fait fi de la justice et de la vérité, mais le pardon évangélique qui est capable de porter un regard lucide à la fois sur soi et sur l’autre, qui est capable de voir en cet autre, en dépit de ses fautes, le frère ou la soeur qui s’est égaré.Utopique? Bien sûr! Comme tout l’Évangile d’ailleurs. Mais parce que notre Dieu est le Dieu de l’impossible, ses paroles deviennent promesses pour nous. S’il nous invite à nous pardonner, s’il nous commande de nous aimer les uns les autres jusqu’à aimer nos ennemis, c’est qu’il nous sait capables d’un tel dépassement. Puisque nous sommes capables de Dieu, nous sommes capables d’aimer et de pardonner, sinon Jésus ne nous inviterait pas à le faire.

Après la liquidation d’un des camps par des troupes américaines, dans une des baraques, un morceau de papier d’emballage a été trouvé, sur lequel un homme avait inscrit une prière:

« Seigneur, lorsque Tu viendras dans ta gloire, ne Te souviens pas seulement des hommes de bonne volonté, souviens-Toi également des hommes de mauvaise volonté. Mais ne Te souviens pas alors de leurs cruautés, de leurs sévices et de leurs violences. Souviens-toi des fruits que nous avons portés à cause de ce qu’ils ont fait. Souviens-Toi de la patience des uns, du courage des autres, de la camaraderie, de l’humilité, de la grandeur d’âme, de la fidélité qu’ils ont réveillé en nous. Et fais, Seigneur, que les fruits que nous avons portés soient un jour leur rédemption. » (La Vie spirituelle . mars-avril 1988, n° 678, pp. 222-223)

Jésus nous enseigne une voie de perfection pour accueillir le Règne de Dieu : le don réciproque les uns aux autres de cet amour prodigué si généreusement par Dieu et qui, dans sa pointe extrême, devient pardon, ce pardon total et inconditionnel dont témoigne Jésus sur la croix. Et sur cette croix, Jésus n’attend pas que ses bourreaux viennent lui demander pardon pour pardonner : « Pardonne-leur Père, car ils ne savent ce qu’ils font. » Jésus fait le premier pas. Il pardonne. Et c’est lorsque l’on peut faire ce premier pas que l’Évangile devient véritablement Bonne Nouvelle dans nos vies et que nous devenons vraiment disciples du Christ.

Testament spirituel du frère Christian

QUAND UN A-DIEU S’ENVISAGE…

S’il m’arrivait un jour – et ça pourrait être aujourd’hui – d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Eglise, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNEE à Dieu et à ce pays.

Qu’ils acceptent que le Maître unique de toute vie ne saurait être étranger à ce départ brutal. Qu’ils prient pour moi : comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ? Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes laissées dans l’indifférence de l’anonymat. Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre. Elle n’en a pas moins non plus. En tout cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance. J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal qui semble, hélas, prévaloir dans le monde, et même de celui- là qui me frapperait aveuglément.

J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu et celui de mes frères en humanité, en même temps que de pardonner de tout cour à qui m’aurait atteint.

Je ne saurais souhaiter une telle mort ; il me paraît important de le professer. Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre.

C’est trop cher payé ce qu’on appellera, peut- être, la « grâce du martyre » que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit, surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’islam. Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes.

L’Algérie et l’islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit-fil conducteur de l’Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Eglise, précisément en Algérie, et, déjà, dans le respect des croyants musulmans. Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste : « Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense ! » Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec lui ses enfants de l’islam tels qu’il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de sa Passion, investis par le don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences.

Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur, je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière pour cette JOIE-là, envers et malgré tout. Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie, je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui, et vous, ô amis d’ici, aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sours et de mes frères et des leurs, centuple accordé comme il était promis !

Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais. Oui, pour toi aussi je le veux, ce MERCI, et cet « A-DIEU » envisagé de toi. Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. AMEN !

Incha Allah !

Frère Christian de Chergé
Alger, l décembre 1993.
Tibhirine. l janvier 1994.

Nuits de la foi en agonie…

Le doute est là, et la folie
d’aimer tout seul un Dieu absent et captivant.
« Mais la souffrance que je préfère,
dit Dieu, c’est quand la femme attend
avant la joie d’enfantement.
Car ces douleurs où l’on espère,
Mon Fils les prend dans sa Passion,
et les soumet à ma Patience. »

Il prie encore dans mon silence
le Bien-Aimé abandonné
dont la détresse et l’espérance ont pris ma voix.
Ce que j’espère, je ne le vois…
C’est mon tourment, tourné vers Lui.
Toute souffrance y prend son sens,
caché en Dieu comme une naissance,
ma joie déjà, mais c’est de nuit !

Christian de Chergé (prieur de Tibhirine), L’invincible espérance.

Reprise d’un blogue

Chers amis et fidèles lecteurs du « Moine ruminant », je pensais que le jour viendrait où j’aurais envie de renouer avec cette expérience d’écriture et de partage via le blogue du « Moine ruminant ». Comment reprendre le fil sinon pour vous dire que j’habite toujours le Québec même si ma vocation de prêcheurs m’amène à sillonner les vastes steppes de ce monde, donnant raison au bénédictin Mathieu de Paris, s’écriant indigné en voyant les premiers dominicains au début du XIIIe siècle : « ils ont pour cloître l’univers et l’océan pour clôture! »Reprendre un blogue, c’est renaître un peu. C’est avoir en mémoire tous ceux et celles d’entre vous qui ont pris la peine de m’écrire. Ce sont des liens souvent anonymes, mais tout de même personnels et riches, car je sais que derrière ce vaste univers de Cybérie, ce sont des vies et des visages qui se côtoient et fraternisent sur la vaste toile du monde.

Comme entrée en matière, j’aimerais partager avec vous cette prière du frère Christian de Chergé, prieur de la Trappe de Tibhirine, assassiné avec sept autres moines le 21 mai 1992 en Algérie.

Frère Thomas (Le Moine ruminant)

Un chrétien ne croit pas en n’importe quel Dieu

Jacques Couture, prêtre et ancien ministre du travail pour le gouvernement du Québec, exprime ainsi sa foi en Dieu :

« Je ne connais pas ce Dieu qui trône dans les cieux, au milieu des archanges, des chérubins et des puissances… Le Dieu que je connais est impuissant, silencieux et terriblement gênant. Il m’empêche de dormir tranquille. Il hante mes nuits paisibles. Il dit qu’il a faim, qu’il a soif, qu’il est nu, qu’il est étranger, qu’il est prisonnier. Il crie sur le bord de la route. Il gémit abandonné, rejeté, il étale sans pudeur ses os décharnés, son corps meurtri.. Le Dieu que je connais s’appelle Jésus-Christ. Il se tient à l’ombre de chez moi… »

(Extrait de Aux frontières de la foi. Entre l’athéisme et le mystère, de Jean-Guy Saint-Arnaud. Médiaspaul, Montréal, 2007, 200 pages.)

Méditation

Le Verbe… »Il a la tête inclinée pour te saluer, la couronne sur la tête pour t’orner, les bras étendus pour t’embrasser, les pieds cloués pour rester avec toi. » (Catherine de Sienne. Le Dialogue. CXXVIII)

À la suite d’un deuil Anick me partage sa colère

Je te remercie de ta confiance et de me partager ce que tu portes. Je trouve ta colère très saine, tout particulièrement celle qui tu manifeste face à l’Église. Et tu as le droit de vouloir cesser d’y aller. Mais tu sais que les textes les plus violents dans la Bible sont les psaumes, textes de prières, et que parmi ces textes s’exprime parfois une très grande colère à l’endroit de Dieu. Bien sûr, le psalmiste finit toujours par revenir vers Dieu et lui confier sa vie, mais avec un ami on n’a pas peur de la franchise, ni de ses sentiments.Dans certaines situations de la vie, le mal nous fait crier notre douleur. Et alors qui peut-on blâmer, si ce n’est Dieu? C’est lui notre bouc-émissaire. On aimerait bien qu’en un tour de main il renverse les situations.

Sans nous en rendre compte, ce Dieu qui nous laisse libres, même dans notre lutte avec le mal, nous embête, et on aimerait alors le troquer pour un Dieu où l’on n’a plus à penser, ni à souffrir. C’est le grand mystère de la vie qui bat en nous et qui, parfois, est tellement souffrante et injuste. On n’a pas assez de notre petite tête et de notre petit coeur pour comprendre tout ce qui nous arrive.

Mais le Christ est venu porter avec nous cette souffrance. Comme le dit Catherine de Sienne : « ce ne sont pas les clous qui retiennent le Christ sur la croix, mais l’amour. » Et quand je le considère ainsi crucifié, poussant l’amour jusque-là, je me dis alors que mon ennemi ce n’est pas Dieu, ce n’est pas le Christ, mais le mal qu’il est venu dénoncer, affronter et vaincre. Le mal en moi et chez les autres, la faiblesse en moi et chez les autres. Mais il faut du temps pour voir les premières pousses de la résurrection en nos vies. Et pourtant, elles sont là.

« Time is gentleman », dit un proverbe anglais. Et le temps du deuil et de la perte que tu vis, est un temps qui est souffrant, car ta perte est grande ainsi que ta peine. Seulement le temps, je dirais la caresse de Dieu sur ton existence, peut cicatriser la douleur, sans qu’on ne l’oublie. Vient un jour où elle ne fait plus vraiment mal, mais où le souvenir lui ne meurt jamais.

L’on deviendrait inhumains si l’on pensait pouvoir un jour se débarrasser du souvenir d’un être cher. Mais avec ce souvenir douloureux, l’on apprend à grandir. Il nous pousse vers l’avant et nous rend capables de dépassement, même capables de soutenir ceux et celles qui vivent une épreuve semblable à la nôtre. Mais tu as le droit de râler, de chialer, de blasphémer! Tu as le droit de dire : « je n’avance plus ». Tu seras toujours respectée dans tes choix. Sache que Lui il t’attend toujours, il ne te juge pas et, surtout, il comprend et accepte ta colère puisqu’il t’aime.

Dieu avec nous

On s’imagine un Dieu en quelque part sur les montagnes les plus hautes, inaccessible. Tandis que la foi dont je vis m’annonce qu’un beau jour, il a mis ses godasses et qu’il est descendu dans la plaine, parmi nous, tout simplement. C’est là qu’on peut le rencontrer. À la fois dans cette plaine intérieure de nos vies, où il a fait sa demeure à tout jamais, et dans la plaine du quotidien, au fil des jours et des gens, des joies et des peines.

Une grâce pour le monde entier

« Malheur à moi si je n’annonce pas la Bonne Nouvelle », disait saint Paul. Toute autre avenue me paraîtrait une fuite devant ce charisme qui m’a été confié. Je le dis bien humblement et je le vis avec toutes les faiblesses et les limites qui sont les miennes. Je ne me considère pas comme un intellectuel, ni comme un prédicateur de carrière, mais mon entrée dans l’Ordre est un appel du Seigneur. Il a eu beau me dire un jour : « je ne déciderai pas pour toi ! », mais l’appel était déjà lancé au moment où je m’interrogeais sur ma vocation. Dès les premiers instants de ma conversion, j’ai été saisi par le Christ et comme aspiré dans son élan missionnaire, qui ne cherche qu’à partager avec le monde entier l’extraordinaire nouvelle de sa Mort-Résurrection, du salut offert à toute l’humanité.

Je dirais que l’Ordre a été la matrice qui a fait de moi un Frère Prêcheur. Il ne s’agit pas ici d’un moule, puisque j’ai été accueilli tel que j’étais, en tout respect de mes forces et mes faiblesses, tout autant que de mes intérêts. Mais l’appel à entrer dans l’Ordre, je ne puis en douter, vient du Seigneur. C’est lui qui m’a conduit vers cette demeure spirituelle dans son Église, afin de m’y former pour la mission. C’est à cette école que le Maître m’instruit, qu’il me prépare et me façonne. À cette école de saint Dominique, est confié aux Dominicains le charisme de la mission universelle, cette mission apostolique qui est de toutes les époques, de toutes les langues et de toutes les cultures. C’est pourquoi il nous faut éviter la tentation de lire ou de vivre ce charisme uniquement en lien avec une situation géographique donnée, avec un couvent, une province ou un pays. Le charisme dominicain est donné pour toute l’Église universelle, il est une grâce pour le monde entier. Et cette grâce, pour nous de la famille dominicaine, elle nous aide non seulement à vivre notre vocation de prédicateurs, mais c’est elle qui nous aide à traverser les temps d’épreuves et de désert, quand la Parole semble stérile et que la mission butte sur les obstacles de toutes sortes.

La vie dominicaine est offerte à tous

Ce charisme dominicain, cet «état de perfection » dont parle saint Thomas, est un charisme pour tout homme, toute femme de bonne volonté qui désire attacher ses pas à la suite du Christ, comme la fait saint Dominique. Être Dominicain c’est porter avec les frères, les soeurs et les laïques, une passion commune pour le monde, qui se vit dans cette contemplation qui est à la fois : prière, étude, réflexion, partage, vie fraternelle, recherche de la vérité et recherche de sens. Tout cela au nom de notre amour pour le Dieu de Jésus Christ. Ainsi, c’est toute la famille dominicaine qui devient prédicante, qui porte ensemble cet extraordinaire charisme de la vérité, qui est de le connaître Lui qui a « dressé sa tente » parmi nous, afin de nous révéler la beauté extraordinaire de l’insondable mystère de Vie qui bat en nous. Le charisme dominicain est là pour annoncer une voie de recherche et d’engagement pour le monde. Une voie qui est enracinée dans la recherche de la vérité, dans la contemplation de cette vérité, mais qui n’est pas un retrait du monde. Bien au contraire, cette contemplation elle est faite du regard attentif sur le quotidien et les grands courants mondiaux. Elle est attentive à nos proches, aux hommes et aux femmes que l’on côtoie. C’est une contemplation qui est toujours à l’affût du mystère de Dieu qui se révèle en notre monde et qui nous lance sur les routes du monde, avec passion, le cœur aux aguets, « parlant avec Dieu ou de Dieu! ». En somme, la vie dominicaine sera toujours une vie en tension où, d’une part nous devons porter la Parole vers les lieux les plus lointains, et où, d’autre part, le coeur et l’intelligence doivent toujours retrouver le chemin de la cellule afin de tendre sans cesse vers Dieu et son mystère.

Action ou contemplation?

Je vous disais dans mon journal de la Trappe que, l’aspect de mon séjour qui me nourrissait le plus à la Trappe, consistait en ces temps libres où je pouvais lire, réfléchir et prier. À un moment donné, pendant ce séjour à Oka, j’ai réalisé que les aspects de mon stage monastique qui m’interpellaient le plus… étaient dominicains! J’en étais à la fois surpris et heureux. L’étude de la Parole, la recherche intellectuelle, nourries par la prière, la liturgie! C’était là pour moi une nouvelle confirmation de ma vocation. Depuis, j’ai pu poursuivre ma réflexion sur ce charisme de la contemplation qui est aussi le nôtre et j’ai consulté saint Thomas à ce propos.Pour saint Thomas, la contemplation est le but même de l’existence humaine, puisque qu’elle est tout orientée vers l’amour de Dieu, Lui qui est le terme de notre existence. La vie contemplative est donc engagée dans cette voie de recherche de perfection en cherchant Dieu sans cesse. Dans la vie dominicaine, c’est le service de l’évangélisation qui vient en premier, l’évangélisation par la prédication, l’enseignement, la « cure d’âmes », c.-à-d. la direction spirituelle, le ministère de la confession. Pourtant saint Thomas nous rappelle à juste titre que, dans la vie dominicaine, la prédication et l’enseignement doivent procéder de la contemplation. Pour saint Thomas, contempler c’est admirable, mais la contemplation qui devient prédication est le sommet même de la vie religieuse.

C’est le « contemplata aliis traedere » des dominicains, c.-à-d. transmettre au monde le fruit de notre contemplation. Saint Thomas affirme : «de même qu’il est préférable d’éclairer que de seulement briller, de même il est préférable de donner aux autres les fruits de sa contemplation que de simplement contempler » ( IIa-IIae, q. 188 ). C’est beau cette vision que présente saint Thomas du charisme dominicain, lui qui est Docteur de l’Église et qui est donc un guide sûr afin de nous aider à mieux comprendre le sens de notre vie dominicaine. Et je me réjouis de trouver chez lui une réponse à cette soif qui m’a toujours habité et qui ne fait que me confirmer dans ma vocation dominicaine. Action ou contemplation? Mais chez nous, cela ne fait qu’un! Et je comprends mieux maintenant pourquoi, au cœur de l’action, de mes engagements apostoliques, la contemplation pouvait me manquer.

Pour saint Thomas, la prédication et l’enseignement sont les fonctions les plus élevées que puisse exercer un ordre religieux. Naturellement Thomas, en écrivant ces lignes, pensait à l’Ordre des Prêcheurs, qu’il se devait de défendre contre le clergé séculier qui remettait en question les privilèges et l’autonomie des dominicains à l’endroit des évêques. Mais pour que les Dominicains puissent véritablement entrer dans cette voie très riche de l’apostolat, saint Thomas déclare que « l’action doit procéder de la plénitude de la contemplation ». C’est à cette condition que la vie du dominicain devient une voie privilégiée dans la recherche de Dieu, c.-à-d. dans la mesure où sa recherche s’enracine dans la prière, l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Et je vois bien à quel point mon besoin de me donner des espaces pour cette contemplation, cette vie d’études, est vital pour exercer mon ministère. Car notre mission principale est de partager les fruits de cette contemplation à travers la prédication et l’enseignement.

Bien sûr les tâches caritatives (hôpitaux, aumônes, soins des pauvres, etc.) ou administratives doivent être assumées en Église. Nous ne sommes pas des frères de Saint-Vincent-de-Paul qui s’occupent des pauvres, des démunis; nous ne sommes pas de la tradition d’une Mère Térésa ou des arches de Jean Vanier. Au cœur du charisme dominicain, l’aumône a tout à fait sa place, mais pour nous l’aumône, notre œuvre caritative principale, c’est de donner l’aumône de la vérité, du sens de la vie. C’est là notre aumône au monde, comme le rappelait le Dominicain Paul Murray dans son cours à l’Angelicum.

Le rapport à la Liturgie des Heures dans la tradition dominicaine (2)

Le couvent des frères : une « sainte prédication »

Les couvents dominicains sont conçus comme de « saintes prédications » . La prédication des frères s’enracine dans une vie régulière qui annonce déjà la bonne nouvelle. La tâche de prêcher, première responsabilité des frères, est portée par toute la communauté. La communauté tout entière est « prédicante », à la fois lieu de formation des frères et d’envoi en mission.

Les grands axes de la vie religieuse des frères sont au service de cette prédication : vœux, observances, liturgie, vie commune et étude. Cet ensemble d’observances s’harmonise dans le quotidien et tend vers l’imitation de la vie des apôtres. Cette nouvelle forme de vie religieuse conjugue l’idéal communautaire des Actes des Apôtres : « Ils étaient assidus à l’enseignement des Apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Actes 2, 42) et l’idéal missionnaire de Jésus qui envoie ses disciples « deux par deux » (Mc 6, 7)). « L’imitation des Apôtres », si chère au monachisme prend donc une coloration nouvelle au 13e siècle. Avec ces nouveaux « moines », la clôture devient le monde. Leur mode de vie itinérante les fera même qualifier de « gyrovague » par certains opposants. Le bénédictin Mathieu de Paris, s’écriera indigné en voyant les premiers dominicains : « ils ont pour cloître l’univers et l’océan pour clôture! » .

Liturgie des Heures et mission

La vie dominicaine est structurée par une tension entre vie commune et appels du monde extérieur. La liturgie, et plus particulièrement la liturgie des Heures, vécue à l’intérieur des couvents, sera donc fortement marquée par celle-ci. Comme le souligne le fr. Vincent de Couesnongle, O.P., dans sa lettre de promulgation de la nouvelle édition du « Propre de l’Ordre des Prêcheurs » pour la liturgie des Heures en 1983 : « Notre vie dominicaine exige que nous soyons fervents dans la célébration des mystères divins et totalement adonnés à l’annonce de l’Évangile(2). »

Saint Dominique donne donc une orientation nettement apostolique à la célébration liturgique et aux conditions régissant l’office choral. Le « breviter et succinte » dominicain, cette manière allègre et brève de réciter l’office chorale, se démarque nettement de la liturgie monastique en vigueur au 13e siècle et qui souffre de la surcharge des siècles passés. La liturgie des Heures, tout en étant belle et soignée, ne doit pas avoir pour but un pur souci d’esthétisme ou d’enchaînement de dévotions sans fin. Il y a urgence dans la demeure de l’Église. La Parole de Dieu doit être annoncée! Et la profonde intuition de Dominique est que le but de la prière liturgique des frères est de porter et nourrir cette annonce de l’Évangile, non pas de la restreindre.

Une première mesure visant à favoriser la mission sera l’instauration de la dispense. Elle permet à des frères, quand la mission ou l’étude l’exigent, de se soustraire à l’office chorale de la communauté pour le célébrer seuls ou en petits groupes, avec moins de solennité. D’ailleurs dès l’année 1221, les frères de l’Ordre obtiennent le privilège de célébrer l’eucharistie hors des couvents, lorsqu’ils sont en mission, en apportant avec eux un autel portatif. Pour Dominique, la vie régulière des frères ne doit pas devenir un empêchement au soin des âmes. À défaut de la célébration avec la communauté, les frères se joignent à la prière de l’Église locale où ils se trouvent. Afin de faciliter cet équilibre délicat entre mission et observances communautaires, Dominique refuse que les observances lient les frères sous peine de péché, ce qui était le cas jusqu’à cette époque. Dominique veut des frères libres et responsables afin d’affronter les défis d’un siècle nouveau, dans un monde en plein bouleversements sociaux.

Conclusion

La prière dominicaine d’aujourd’hui demeure fidèle à son intuition première et porte toujours en elle le cri de saint Dominique : « Mon Dieu, mon Dieu! Que vont devenir les pécheurs… » Notre prière, toute imprégnée de la parole de Dieu, se nourrit des cris et des espoirs du monde. Comme le précise la lettre de promulgation du maître de l’Ordre ci-haut mentionnée : « … notre marche à la suite du Christ, selon le charisme particulier de saint Dominique, cherche à se renouveler constamment dans la prière communautaire, afin de pouvoir prendre en charge les « inquiétudes, les difficultés et les joies de notre apostolat(3). » Voilà la mission que poursuit l’Ordre des Prêcheurs depuis huit cents ans .

1. Premières Constitutions O.P., Prologue.
2. Propre des Offices de l’Ordre des Prêcheurs. Provinces dominicaines francophones. Paris, 1983, par. 4.
3. Ibid.

(Article paru dans la revue Célébrer les Heures. No 38. Été 2003)

Le rapport à la Liturgie des Heures dans la tradition dominicaine (1)

En apparence, la vie communautaire dominicaine semble marquée par la stabilité et la régularité. Il suffit de regarder d’un peu plus près la vie des frères, et ce, depuis les origines de l’Ordre, pour constater combien elle porte en elle comme une empreinte indélébile, un appel vers le large qui est au cœur même de notre vie apostolique. Saint Dominique laisse un précieux trésor à l’Église en fondant son Ordre : un nouveau modèle de vie religieuse où la vie régulière est au service de la prédication, et où cette même prédication est fondée sur l’étude et la contemplation de la Parole de Dieu, vécues dans l’unanimité de la vie commune à l’exemple de la première communauté apostolique de Jérusalem (Ac 2,42-47; Ac 4, 32-33).Les origines

Dès les origines, la réforme de la vie religieuse que propose Dominique cherche à conjuguer l’imitation des apôtres, la pauvreté mendiante et la prédication itinérante. Ces trois lignes de force constitueront les fondements de la naissance de l’Ordre des Prêcheurs. Elles détermineront non seulement la vie missionnaire de l’Ordre, mais la nature même de la vie conventuelle des frères et leur vie de prière.

Notre vie religieuse « fut, on le sait, dès l’origine spécifiquement instituée pour la prédication et le salut des âmes » (1). En saisissant bien cette articulation entre la vie commune des frères et les impératifs de notre mission, on peut comprendre la spécificité de la liturgie des Heures dans notre tradition et son articulation avec les autres éléments qui fondent le charisme de notre Ordre.

La fondation de l’Ordre, en 1216, est le résultat d’une quête passionnée chez un chanoine castillan, Dominique de Guzman, confronté au phénomène des hérésies cathares et albigeoises dans l’Europe du 13e siècle. Il s’engage avec son évêque dans une mission de prédication dans le sud de la France. Cela le convainc que l’Église doit créer de toute urgence un ordre de frères prêcheurs, sans vœux de stabilité, comme les moines, sans liens particuliers à un évêque, comme les chanoines ou le clergé séculier. Ils seront des prédicateurs entièrement voués à la mission, libres de parcourir l’Europe, et au-delà, afin d’annoncer la bonne nouvelle du Christ à toutes les nations.

Dès les débuts de la fondation, l’intuition de Dominique repose sur la nécessité de former des prédicateurs, le clergé de l’époque n’étant pas instruit. À cette fin, il envoie ses premiers frères dans les centres universitaires naissants. Dominique insiste sur la nécessité de donner aux frères un cadre de vie leur permettant de répondre sans délai aux impératifs de la mission. Il y a urgence : le salut des âmes est en jeu. À cette urgence fait écho le célèbre cri de Dominique dans sa prière nocturne : « Mon Dieu, que vont devenir les pécheurs! ». (à suivre)

Il est midi à Rome

Il est midi à Rome. Les cloches sonnent un peu partout au-dessus de la ville. C’est l’heure de l’Angelus. L’Église se souvient à midi de la rencontre de l’ange Gabriel avec Marie, la mère du Seigneur : « L’Ange du Seigneur annonça à Marie, et elle conçue du Saint Esprit. »Je rentre à peine de ma promenade dans le jardin ensoleillé avec un vieux sage dominicain. Je voulais lui partager mes préoccupations au sujet la vie dominicaine, mes pistes de recherche, et je voulais, surtout, l’entendre parler de son espérance en tant que dominicain. Une rencontre très riche, marquée par la grâce, par cette paix et cette joie qui ne peuvent venir que de Dieu.

« Jusqu’à la mort! » C’est ainsi que se termine notre formule de profession religieuse dans l’Ordre des Prêcheurs. Nous nous engageons jusqu’à la mort à être obéissants à Dieu, à saint Dominique et à ses successeurs. Personnellement, je n’ai jamais eu l’ombre d’une volonté de quitter la vie religieuse depuis ma première profession il y a 15 ans maintenant. Des lassitudes liées à l’état de la vie religieuse, oui! Des découragements occasionnels, certainement! Des luttes, des combats, rien ne m’a été épargné, et c’est normal. Mais j’ai toujours été heureux dans mon engagement de religieux et de prêtre. Je n’ai jamais regretté mon choix de vie.

Ma reconnaissance a toujours été vive et enthousiaste, car j’ai vraiment trouvé dans la vie religieuse ma vocation. Et quand je regarde mon cheminement, quand je pense à tous ceux et celles que le Seigneur a mis sur ma route depuis mon engagement dans l’Ordre, c’est un immense cri de reconnaissance qui monte en moi. Je me sens un peu comme une mère qui regarde ses enfants quand ils dorment et qui ne peut que désirer être la mère de ses enfants. C’est ainsi que je vis ma mission de pasteur et de prêcheur en Église. Cette grâce, je la vis de différentes manières. Je dirais de mille et une façons. Et plus j’y réfléchis, plus je prends conscience à quel point cette grâce qui m’habite est dominicaine.

Aujourd’hui, dernier dimanche avant le Carême, c’est vraiment la fête des enfants à Rome. Je vous avais dit ma joie de rencontrer, les dimanches précédents, des familles avec leurs enfants costumés, se lançant des confettis dans la rue. Mais je n’avais rien vu encore! Aujourd’hui, la circulation était interdite au centre de Rome. Toutes les familles et tous les enfants semblaient s’être donné le mot pour envahir les rues de Rome, déambulant sous le soleil, se lançant des serpentins et des confettis. Sur la Via Nationale, près du couvent, sur près d’un kilomètre, on aurait dit qu’il avait neigé, tellement il y avait de confettis sur le sol. J’en étais ému de joie. Et ce que je vivais, en me promenant seul au milieu de la foule joyeuse et animée, c’était un immense bonheur comme je n’avais pas connu depuis longtemps. Je dirais que j’éprouvais la joie de Dieu devant ses enfants qui s’amusent et qui rient. Je goûtais le bonheur de Dieu devant ces parents qui adorent leurs enfants, qui les caressent, qui s’émerveillent de les voir vivre et s’animer, qui se réjouissent tout simplement de leur joie. Il y avait tellement de gratuité dans cette fête que je me disais : comme Dieu doit être heureux!

Ce n’est qu’en réfléchissant, après coup, à cette expérience, que je prenais davantage conscience du Dominicain en moi. Car au milieu de cette foule, où je rendais grâce à Dieu pour sa vie, où je le priais et le louais, j’avais le sentiment de vivre à la foi une communion parfaite avec Dieu et avec les hommes. Il y avait dans cette expérience une véritable rencontre des deux. Et en montant à la basilique de Sainte-Sabine, me dirigeant vers la chapelle de saint Dominique pour une eucharistie, je réalisais que s’accomplissait en moi la consigne de saint Dominique à ses frères : que le frère prêcheur doit en tout temps, parler à Dieu ou parler de Dieu. Soit prêcher quand l’occasion se présente, sinon s’unir à Dieu par la prière et l’étude contemplative.

Il s’agit d’une attitude de tout l’être, en communion avec le Seigneur lui-même, et qui exprime son infinie tendresse pour les hommes, les femmes et les enfants de ce monde. Nous l’appelons un charisme de compassion et de solidarité qui fait monter en nous comme un immense désir pour le bonheur de l’humanité. Et nous savons que ce bonheur ne peut véritablement se réaliser que dans la rencontre du Christ ressuscité, lui qui marchait aujourd’hui sous cette pluie de confettis. Je suis sûr même de l’avoir vu!

Heureuse celle qui a cru!

Marie, la mère de Jésus, occupe une place centrale dans la foi de l’Église. Elle est celle qui a cru. Mais quand on dit de Marie qu’elle est celle qui a cru l’on ne veut pas dire par là qu’elle fait simplement partie d’une longue lignée de témoins de la foi, bien que cela soit vrai. Mais l’on veut plutôt affirmer que toute l’expérience de la foi chrétienne, qui consiste à croire que le Fils de Dieu s’est incarné, a comme point de départ la foi de Marie. Elle est celle qui a cru non seulement à la réalisation des promesses de Dieu, à sa venue en notre monde, mais à son incarnation dans sa chair même. Marie accomplit ainsi la première et la plus grande des béatitudes, celle qui requiert une confiance absolue en Dieu, celle de la foi: « Heureuse celle qui a cru! »

C’est par la foi de Marie, par son oui à Dieu, que l’on entre dans l’Alliance nouvelle que Dieu vient sceller avec l’humanité. Par son oui à Dieu, Marie devient la mère de l’Église, c.-à-d. la mère des croyants et des croyantes, le modèle du disciple. Il y a donc là, en Marie, dans ce personnage effacé du Nouveau Testament, la présence d’un mystère extraordinaire que l’on n’aura jamais fini de contempler.

Tout d’abord, en elle, l’on peut déjà entendre Dieu dire à son peuple : « Je suis présent dans votre attente. Vous tous qui peinez et souffrez, qui cherchez un sens à cette vie, je suis là au coeur de vos vies, avec vous.  » Cette présence de Dieu en Marie devient physique. C’est le Fils de Dieu qui prend chair de notre chair, qui assume tout de notre humanité, afin d’affirmer de manière irrévocable, que Dieu est engagé avec nous dans notre lutte contre le mal, le péché, la mort.

Mais le mystère qui se joue en Marie est bien plus que le signe d’une présence de Dieu à nos vies, à nos côtés. Regardez les récits de l’enfance dans les Évangiles. Dès que l’action de Dieu se fait sentir, les personnages se mettent en mouvement. Visitation de l’Ange à Marie, à Joseph, à Zacharie le père de Jean-Baptiste. Visitation de Marie à Élizabeth. Visitation des bergers, des anges et des Mages à la crèche. Même les étoiles semblent se déplacer. Car plus qu’une présence à nos vies, le mystère qui se joue en Marie demande non seulement à être reçu, mais aussi à être annoncé et donné au monde. Cette Bonne Nouvelle qui habite littéralement le sein de Marie prendra tout son sens quand, après l’avoir annoncée, elle accouchera de cette Bonne Nouvelle qu’est le Christ Jésus; qu’elle ne le gardera plus en elle-même, mais qu’elle le donnera au monde. Voilà la vocation du disciple, et c’est pourquoi Marie est la mère des disciples de son fils. « Femme voici ton fils, fils voici ta mère ».

Heureuse celle qui a cru à la Bonne Nouvelle, car non seulement elle l’accueille en son sein, mais elle court l’annoncer avec empressement, elle la partage avec le monde, elle la donne au monde sans rien garder pour elle-même. Ce modèle de foi que Dieu nous propose en Marie, est une invitation pour nous à l’imiter, à donner à notre tour le Christ au monde, comme Marie elle-même l’a fait. Mais comment donner le Christ au monde aujourd’hui?

Donner le Christ au monde ce sera tout d’abord croire comme Marie a cru; de poser cet acte de foi qui fait confiance à Dieu et qui croit qu’il est au coeur de toutes nos attentes. Qu’il est au coeur de tout ce que nous pouvons porter comme projets, comme épreuves, comme engagements, comme relations aux autres. De croire que Dieu est capable, non pas de nous donner tout ce que nous désirons, comme des enfants qui attendent tout du Père Noël, mais qu’il est capable de réaliser en nous toutes ses promesses; qu’il est capable de nous donner de vivre de sa vie dans la foi et la confiance; qu’il est capable de nous faire suivre le Christ, courageusement, sur les routes du monde, où qu’elles nous conduisent! C’est cela croire comme Marie.

Donner le Christ au monde, ce sera aussi croire que Dieu est déjà à l’oeuvre en ce monde. Ce sera d’aller vers ce monde avec empressement, comme le fait Marie en allant visiter sa cousine Élisabeth. Ce sera de croire que Dieu est déjà présent dans le coeur de tous ceux et celles qui parfois, sans connaître Dieu, le cherchent et cherchent à donner un sens à leur vie, toutes ces personnes qui donnent d’elles-mêmes sans compter et qui sont souvent des témoins extraordinaires de l’amour et du don de soi, des témoins de Dieu.

Donner le Christ au monde ce sera marcher avec tous les compagnons et compagnes de route que la vie nous donne. De marcher avec eux avec joie, de partager leurs recherches, leurs luttes et leurs peines, mais aussi leur bonheur de construire un monde meilleur, car sans qu’ils partagent tous notre foi, beaucoup d’entre eux croient en ce monde et Dieu croit en eux, car il aime tous ses enfants et sa bonne nouvelle est pour tous les hommes et les femmes de bonne volonté. C’est cela croire comme Marie.

Chronique d’un frère dominicain en Irak

La situation actuelle en Irak Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, le 9 avril 2003, on compte plus de six cent soixante-dix mille morts sur le territoire irakien. Les chrétiens étaient alors au nombre de huit cent mille, de différents rites, majoritairement des catholiques. Nous comptons aujourd’hui parmi les chrétiens plus d’un millier de victimes, et trois cent mille chrétiens ont quitté le pays depuis 2003. Des centaines d’intellectuels chrétiens, médecins, ingénieurs, avocats, professeurs, inter­prètes et hommes d’affaires, ont été enlevés, tortures et pour la plupart assassinés ou décapités. Ceux qui ont eu la chance d’être libérés ont dû payer une rançon qui varie entre dix mille et huit cent mille dollars.

Tous ceux et toutes celles qui ont le malheur de contacter ou de travailler pour les Américains de près ou de loin sont détectés et pourchassés comme des traîtres, et exterminés.

Depuis l’occupation de l’Irak par les Américains et leurs alliés, la guerre interreligieuse et les affrontements ethniques ont été préparés et déclarés. L’autorité militaire américaine se pose elle-même comme protectrice des lois et des droits de la nouvelle nation irakienne, libérée de la dictature de Saddam Hussein. Mais la réalité est autre. Les affrontements, déjà perceptibles mais étouffés à l’époque de Saddam, sont d’après nous soit voulus par les Américains, soit alimentés ou menés par leurs intermédiaires. Nous remarquons en particulier que les vrais criminels, arrêtés par la nouvelle police ou la nouvelle armée irakienne, sont relâchés rapidement par les Américains, alors que la violence se perpétue et que le nombre de victimes augmente.

La terre irakienne était déjà ensanglantée et minée quand les chars américains ont débarqué, mais l’infrastructure du pays est aujourd’hui détruite : longues coupures d’électricité, pénurie d’eau potable, manque de produits pétroliers… Il faut attendre parfois plus de vingt-quatre heures pour un plein d’essence ; le litre d’essence a dépassé le dollar, dans un pays exportateur de pétrole !

La sécurité est nulle dans la majeure partie de l’Irak. À Bagdad, comme en beaucoup d’autres endroits, le gouvernement n’a jamais maîtrisé la situation, qui est chaotique. La guerre civile entre musulmans chiites et sunnites est une réalité. Des centaines de « points de contrôle », tenus par des hommes armés et le plus souvent masqués, parsèment les routes et coupent les communications entre quartiers et entre villes. On arrête les gens en pleine rue ; on vérifie nom et appartenances ; on les relâche ou on les tue selon leur carte d’identité. Les chrétiens sont considérés comme les personnes les moins dangereuses et les moins protégés, car ils ne présentent aucun enjeu politique. On peut les attraper comme on veut et là où on le veut, sans risque ni remords. Mais les barrages dressent surtout les musulmans les uns contre les autres ; beaucoup de musulmans ont sur eux une fausse carte d’identité chrétienne, qui ne coûte que cent à cent cinquante dollars, et ils portent parfois sur eux ou dans leur véhicule une croix ou un médaillon de la Vierge Marie, pour mieux passer les barrages.

D’après les dernières statistiques publiées par les journaux irakiens, plus de cent cinquante mille familles auraient été délogées de leur demeure de force, ou bien à cause des enlèvements et des assassinats.

Quelles solutions pour les chrétiens ?

Les chrétiens, nationalistes ou non, demandent une solution urgente pour protéger le reste de leur petit peuple humilié et dispersé : un territoire où les chrétiens resteraient démogra­phiquement majoritaires. Cet « espace protégé » pourrait être la plaine de Ninive, où demeurent plus de cent cinquante mille chrétiens. Ce territoire est déjà sous le protectorat de fait des Kurdes, qui cherchent à attirer tous les chrétiens de Mossoul, de Bagdad et d’ailleurs dans une sorte de « pays autonome ». Ce projet a des avantages et des inconvénients. Les chrétiens se sentiraient plus forts et mieux protégés ; ils représenteraient 15 % de la population de la région du Kur­distan ; mais ce rassemblement pourrait aussi être une nasse dans laquelle les chrétiens deviendraient une proie pour nos voisins les islamistes arabes au sud et le Kurdes au nord. Il suffirait à cela un simplement retournement d’alliances.

Il ne faut pas oublier le génocide des Arméniens ; il ne faut pas oublier non plus ce qu’a raconté le frère Jacques Rhétoré et dont témoignent les archives de la province de France : le massacre des chrétiens « assyro-chaldéens » à Summel, au nord de Mossoul, en 1933. Bernés par les Anglais qui leur promettaient un État dont Ninive serait la capitale, les nationalistes assyriens, seuls faces aux Arabes et aux Kurdes, ont été exterminés.

Morts pour la foi.

Dorat, un des quartiers les plus peuplés en chrétiens de Bagdad, est aujourd’hui presque désert : c’est un champ d’affrontement entre factions et aussi un refuge de bandits et de truands. C’est là cependant qu’enseignent régulièrement cinq de nos frères, au Babel Collège de philosophie et de théologie. On y trouve encore toutes les congrégations religieuses, la maison des postulants dominicains et le séminaire chaldéen.

Un grand nombre de chrétiens a quitté Mossoul, Bagdad et Bassora à cause des menaces des groupes terroristes ou fondamentalistes. Beaucoup de prêtres et de laïcs, et aussi un évêque, ont été menacés, enlevés et parfois torturés et assassinés. Le jeune Raymond, vingt ans, proche de notre communauté de Mossoul et voisin du couvent, a été enlevé en août 2004, torturé et décapité. Un film cd a été distribué aux familles chrétiennes par les terroristes, qui montre des scènes de cette actes barbare, et la tête de Raymond dans un récipient. Le film était accompagné de la menace de la même mort à ceux qui ne se convertiraient par à l’Islam. Peu après, le père Sabah Gamoura, un jeune prêtre chaldéen catholique marié, a été attaqué dans sa maison en pleine nuit, mais il a été sauvé par miracle. Enfin, le père Paulus Eskandar, jeune prêtre orthodoxe marié et père de quatre enfants a été assassiné le 11 novembre dernier dans une rue de Mossoul. Il avait été enlevé deux jours plus tôt par un groupe qui agissait à visage découvert et réclamait trois cent mille dollars. Le corps décapité a été retrouvé avant le début de toute négociation ; la tête, précisait le message des assassins, a été coupée dans un récipient afin que le sang du prêtre ne salît pas la terre de l’islam. Le père Paulus avait été torturé afin qu’il reniât sa foi ; mort, sa main gardait trois doigts joints, signe de la Sainte Trinité. Les funérailles ont témoigné de la force et de la sérénité du clergé et du peuple chrétien devant la mort d’un innocent ; ils ont affirmé leur volonté de vivre en frères, dans la paix et le pardon.

Malgré le martyre, malgré les incertitudes, les menaces et les risques, les frères d’Irak, comme beaucoup de chrétiens, n’ont pas perdu le courage et la persévérance de continuer leur mission et d’élargir leur champ apostolique. Leurs projets montrent leur désir de rester auprès des plus démunis et de leur donner la joie de vivre en chrétien. Leurs services s’entendent à Bagdad, Mossoul, Kirkuk, la plaine de Ninive et jusqu’au Kurdistan. Ils dirigent des centres hospitaliers, des orphelinats, le centre al-Nour qui accueille les femmes battues et rejetées par la société, le centre Saint-Jean qui accueille les pauvres, les vieillards, les handicapés, les sans-abris et les orphelins, le centre socioculturel pour les jeunes, la Pensée chrétienne et sa version pour les enfants, et enfin l’audacieux projet d’Université ouverte de Bagdad.

Les chrétiens en Irak ne veulent pas déserter cette terre qui a ouvert ses bras à la Bonne Nouvelle depuis l’apôtre saint Thomas. Malgré les jours sombres et le souvenir des martyrs, Jésus nous assure que c’est toujours la vie qui l’emporte à travers la mort. Nous vivons aujourd’hui ce que le diacre saint Ephrem a écrit il y a seize siècles : « Les bons épis, chargés de blé, baisseront la tête devant la tempête et, quand la tempête sera passée, ils redresseront la tête. »

Fr. Nageeb o.p.

Source : PRÊCHEUR. Bulletin de liaison de la Province de France. NOVEMBRE 2006.