Homélie pour le 21e Dimanche (A)

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Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 16,13-20.

En ce temps-là, Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe, demandait à ses disciples : « Au dire des gens, qui est le Fils de l’homme ? »
Ils répondirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. »
Jésus leur demanda : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? »
Alors Simon-Pierre prit la parole et dit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »
Prenant la parole à son tour, Jésus lui dit : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux.
Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle.
Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. »
Alors, il ordonna aux disciples de ne dire à personne que c’était lui le Christ.

COMMENTAIRE

Elle est quand même extraordinaire la question que Jésus pose à ses apôtres : « Qui suis-je au dire des gens ? » Cette question est unique dans l’histoire de la Bible. Aucun prophète, aucun des patriarches ne l’a posé avant Jésus. Pourquoi alors cette question ? Un rabbin juif va nous éclairer à ce sujet.

Il y a quelques années, Jacob Neusner a écrit un livre intitulé « Un rabbin parle avec Jésus ». On présente cet homme comme le théologien juif préféré du pape émérite Benoît XVI, un rabbin avec lequel il a eu des échanges alors qu’il était préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Dans son livre, Jacob Neusner amorce un dialogue avec Jésus à partir de l’évangile de Matthieu, sans doute l’évangile ayant le plus d’affinité avec le judaïsme, car la communauté de Matthieu était surtout composée de Juifs convertis au christianisme.

Dans son récit, Jacob Neusner se place au cœur de la foule entourant Jésus à l’occasion de son sermon sur la montagne. Il commente alors l’enseignement de Jésus. Il réagit à ses affirmations et cherche à montrer comment un Juif fidèle à sa foi pouvait entendre les enseignements de Jésus. D’une part, il est assez élogieux à son égard. Il le compare à un maître qui sait tirer du neuf de l’ancien, qui élargit les perspectives de la Torah, ce que tout sage en Israël est appelé à faire.

Mais là où ce rabbin s’oppose, ce n’est pas tant à cause des enseignements de Jésus ou de sa sagesse, mais parce qu’il se place au centre de son enseignement, il en est le cœur. Il parle même avec autorité, une autorité qui semble surpasser celle de Moïse lorsqu’il dit par exemple, en citant la loi mosaïque : « Et moi je vous dis… » C’est là où ce rabbin décide de s’éloigner de la foule aux pieds de Jésus, car l’autorité dont il s’arroge est inacceptable pour un Juif fidèle à la Loi. Notre rabbin demandera aux disciples de Jésus qui l’entourent : « Votre maître est-il Dieu  pour parler ainsi ? » Et nous, nous répondons avec l’apôtre Pierre : « Il est le Messie, le fils de Dieu ! »

Notre foi ne fait pas que s’attacher aux commandements de Dieu ou à la révélation qu’Il fait de lui-même dans l’Ancien Testament. Notre foi, fondée sur celle des apôtres, nous donne de reconnaître cette chose incroyable : que l’Absolu s’est incarné, et qu’il a pris un visage, celui de Jésus Christ ! Ou encore, comme l’écrivait le théologien Karl Rahner : « que Dieu nous a livré sa dernière et sa plus belle parole en son fils Jésus ». C’est pourquoi notre foi s’attache à la personne même de ce dernier et non seulement à ses enseignements.

Par ailleurs, Jésus a bien raison de répondre à Pierre devant sa profession de foi « que ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » La foi est un don, elle est l’action de Dieu en nos cœurs qui nous donne de communier au mystère de sa présence à nos vies, présence qui se fait d’autant plus proche avec cette manifestation en notre monde du Verbe de vie. D’où la question de Jésus : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » Car cette foi que nous professons en Église est avant tout de l’ordre d’une rencontre personnelle avec le Christ ressuscité.

Maintenant, ce mystère de la rencontre se vit avant tout en Église, et c’est cette Église que Jésus confie Pierre. Mais de quoi Jésus parle-t-il au juste ? Dans l’Ancien Testament cette notion à laquelle Jésus fait référence désigne la communauté du peuple élu qui prend naissance au moment de l’Exode au désert, peuple choisi en marche vers la Terre promise. L’Église, la communauté de Jésus poursuit cette marche vers le Royaume; elle est l’assemblée des temps nouveaux ayant le Christ à sa tête qui lui confie les clés du Royaume, l’appelant à rassembler tous les peuples.

Alors que Jésus reprochait aux scribes et aux pharisiens d’avoir fermé à clé le Royaume des cieux, voilà qu’il confie à son Église la mission d’introduire toute l’humanité auprès du Père, lui donnant d’ouvrir les cœurs par la proclamation de l’évangile, le pouvoir de libérer ceux et celles qui sont enchaînés ou qui ploient sous le fardeau de leur existence ou du péché.

Frères et sœurs, cet évangile nous invite à contempler le mystère de l’Église. Il nous invite à regarder plus loin que les simples bâtiments où nous célébrons notre foi, à regarder plus loin que les embûches ou l’indifférence que rencontre l’annonce du Christ ressuscité, plus loin même que les persécutions, car Jésus nous fait cette promesse solennelle : c’est lui qui bâtira son Église ! Il en est l’artisan, le maître d’œuvre, et il nous promet que « la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle », car il est lui le Maître de la vie, le grand vainqueur de la mort.

C’est donc avec cette ferme assurance que nous sommes invités à marcher avec le Christ, appuyant notre foi sur celle des apôtres, sans cesse invités à faire nôtre la réponse de Pierre à la question de Jésus  : « Et toi qui dis-tu que je suis. Qui suis-je pour toi ?  » Et à nous de répondre : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »

Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

4 Réponses

  1. Yves,

    Ce qui me surprends c’est Jésus qui parle de la puissance de la ‘Mort’. Il s’il faut craindre une mort, c’est la seconde, selon le jugement de Dieu. La puissance appartient à Dieu et il y en a un seul. Est-ce Dieu qui met un frein à sa propre puissance, puisqu’il ne change pas, et par soif de vie pour ses enfants, crée par amour, donne sa vie par amour pour nous tous et nous demande de faire preuve de la même miséricorde en retour, car la venue de Jésus à bien aboli la loi du talion tout en préconisant l’amour des ennemies? Qu’en pense-tu du sens de la ‘Mort’ avec grand ‘M’?

    René

    • Bonjour René. Les portes de la Mort dont il est question dans cet Évangile se réfère aux portes de l’Hadès (en hébreu le shéol). Si je reprend la note de la bible de Jérusalem : « « les Portes » personnifiées évoquent les puissances du Mal qui, après avoir entraîné les hommes dans la mort du péché, les enchaînent définitivement dans la mort éternelle. À la suite de son Maître, mort, « descendu aux Enfers », et ressuscité, l’Église aura pour mission d’arracher les élus à l’empire de la mort, temporelle et surtout éternelle, pour les faire entrer dans le royaume des Cieux.»

      Dans cette évocation des portes de l’Hadès, conception propre au judaïsme antérieure à une foi en une vie éternelle auprès de Dieu, mais toujours discutée au temps de Jésus, ce dernier évoque cette vie éternelle et la résurrection des morts dans cette victoire sur les portes de la Mort.

  2. Père Yves,
    Les Juifs ne croient pas que Jésus est le Fils de Dieu. Ils l’ont crucifié pour cela. Ils attendaient le Messie et l’attendent encore. La foi est un don. Pourquoi certains l’ont reçu et d’autres pas. Comme pour nous , pourquoi certains ont la foi, d’autres pas? Pour que par la communion des saints nous prions pour nos frères et soeurs en Christ Jésus?

    • Bonjour. Vous touchez là à un grand mystère. Par ailleurs, bien des Juifs ont cru en Jésus, il ne faut pas l’oublier. Les racines de l’Église sont juives. Il est vrai que Jésus n’a pas été reçu par une grande partie des siens, lui qui était Juif, mais cela n’empêche pas les Juifs de croire au Dieu unique et de vénérer les livres de l’Ancien testament, tout comme nous. Comme vous le dites si bien, la foi est un don, un don qui demande aussi notre collaboration, notre recherche, notre désir de connaître Dieu. À lui de disposer ensuite de ce don, sans oublier que son amour est déposé dans tous les coeurs, que nous soyons Juifs, chrétiens, athées, boudhistes, hindouistes, ou musulmans. L’important est d’apprendre à nous respecter et, pourquoi pas, à nous aimer les uns les autres. L’Esprit de Jésus fera le reste du chemin dans nos coeurs, sans qu’il soit toujours reconnu…

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