Homélie pour la fête de Noël

La fête de Noël est bien loin du conte pour enfants que l’on en fait parfois. C’est vrai que c’est beau Noël, c’est magique, trop beau pour être vrai selon certains, alors que d’autres regardent cette fête avec une lueur secrète au fond des yeux, se posant la même question que chantait Jacques Brel : « Et si c’était vrai ! » À ces bergers curieux qui se sont approchés de la crèche, voici ce que j’aimerais partager avec eux.

À Noël, nous célébrons un événement prodigieux et unique, qui a marqué à jamais l’histoire de l’humanité, et qui est la naissance de Jésus de Nazareth. Depuis l’aube des temps, l’homme s’interroge quant au mystère de son existence, et voilà que Jésus vient parmi nous en réponse à cette foi au Dieu unique qu’avait toujours professé un petit peuple de Palestine, qui se disait choisi par Dieu pour le faire connaître au monde.

À Noël, le fait divers de la naissance d’un enfant pauvre, devient un événement spectaculaire, car c’est Dieu lui-même qui dresse sa tente parmi nous, et qui vient nous accompagner dans cet enfantement sans cesse renouvelé de nos vies ici-bas, où nous sommes appelés à nous bonifier comme le vin, appelés à être bons, vraiment bons, à l’image de celui qui, aujourd’hui est couché dans une mangeoire et qui demain sera couché sur une croix. Que voulez-vous! On ne peut jamais séparer Noël de la fête de Pâques!

À Noël, Dieu vient ouvrir au plus profond de nous ce lieu où il vient faire sa demeure, s’y logeant comme l’Enfant de Bethléem dans l’étable. Car Dieu ne méprise aucun de ses enfants, bien au contraire, car il vient habiter nos pauvretés et nos faiblesses, afin de se faire encore plus proche de nous et ainsi nous sauver, nous relever, nous faire vivre de la vie qu’il rêve pour nous. 

L’amour de Dieu pour nous dépasse tellement l’entendement, qu’il s’incarne au coeur de notre histoire humaine, il revêt notre humanité, se faisant pauvre parmi les pauvres, et, par une nuit obscure, il naît dans un petit village perdu de la Palestine. Il vient « sur la terre pour provoquer un attachement à sa personne, pour attirer à lui l’humanité et l’univers, mais avant de réclamer cette adhésion et pour l’obtenir, il s’attache lui-même aux hommes. » (Karl Rahner)  

Son nom est Jésus, l’Emmanuel, Dieu parmi nous. Il vient vivre notre réalité humaine à l’école de Joseph et de Marie. D’ailleurs, on l’appelait le fils du charpentier, celui qui œuvrait avec son père Joseph. À travers ses paraboles et ses enseignements, l’on voit combien il avait appris à fouler la terre, à se salir les mains. Il savait qu’une maison ne pouvait se construire que sur une base solide, qu’une vigne avait besoin d’être émondée et avait besoin de fumier pour porter du fruit, qu’une semence devait être jetée sur une bonne terre, que le bon vin était fait pour la fête, que le pain rassasiait la faim des hommes, que l’on pouvait prévoir le temps qu’il ferait demain en regardant l’horizon. Jésus savait jeter le filet pour la pêche, il savait surtout jeter son regard dans les coeurs, il savait combien la peine pouvait nous peser, combien le pardon et l’amitié pouvaient être bienfaisants dans nos vies. Il savait combien nous avions besoin de nous ouvrir à l’amour. Et c’est ce qu’il est venu accomplir chez ceux et celles qui veulent bien lui ouvrir leur coeur. C’est cela le sens profond de la fête de Noël ! Dieu avec nous !

Et ceux et celles qui se mettent à la suite de l’Enfant-Dieu se doivent de se laisser habiter par sa générosité à Lui, car Noël c’est la fête de la générosité surabondante de Dieu. C’est Dieu qui se donne à nous parce que nous en avons tellement besoin !

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 4e Dimanche de l’Avent (B)

Marie, la mère de Jésus, occupe une place centrale dans la foi de l’Église. Elle est celle qui a cru. Mais quand on dit de Marie qu’elle est celle qui a cru, l’on ne veut pas seulement dire qu’elle fait partie d’une longue lignée de témoins de la foi. L’on veut surtout affirmer que le fondement même de la foi chrétienne, qui consiste à croire que le Fils de Dieu s’est incarné, a comme point de départ la foi de Marie. Elle est celle qui a cru non seulement à la réalisation des promesses de Dieu, à sa venue en notre monde, mais elle a cru à son incarnation dans sa chair même. Marie accomplit ainsi la première et la plus grande des béatitudes, celle qui requiert une confiance absolue en Dieu, celle de la foi : « Heureuse celle qui a cru! »

C’est par la foi de Marie, par son oui, que l’on entre dans l’Alliance nouvelle que Dieu vient sceller avec l’humanité. Par son oui à Dieu, Marie devient la Mère de l’Église, c.-à-d. la mère des croyants et des croyantes, le modèle du disciple. Il y a donc là, en Marie, dans ce personnage effacé du Nouveau Testament, la présence d’un mystère extraordinaire que l’on n’aura jamais fini de contempler.

Tout d’abord, en elle on peut déjà entendre Dieu dire à son peuple, et ce, jusqu’à ce jour : « Je suis présent dans votre attente ! Vous tous qui peinez et souffrez, qui cherchez un sens à cette vie; je suis là au cœur de vos vies, avec vous. » Cette présence de Dieu en Marie devient physique. C’est le Fils de Dieu qui prend chair de notre chair, qui assume tout de notre humanité, afin d’affirmer de manière irrévocable que Dieu est engagé dans notre histoire, qu’il est avec nous dans notre lutte contre le mal, le péché et la mort. 

Mais le mystère qui se joue en Marie est bien plus que le signe d’une présence de Dieu à nos vies, à nos côtés. Regardez les récits de l’enfance dans les Évangiles. Dès que l’action de Dieu se fait sentir, les personnages se mettent en mouvement. Visitation de l’Ange à Marie, à Joseph, à Zacharie, le père de Jean-Baptiste. Visitation de Marie à Élisabeth. Visitation des bergers, des anges et des Mages à la crèche. Même les étoiles semblent se déplacer. Car plus qu’une présence à nos vies, le mystère qui se joue en Marie demande non seulement d’être reçu, mais aussi annoncé et donné au monde. 

Heureuse celle qui a cru à la Bonne Nouvelle, lui dit l’ange, car non seulement elle l’accueille en son sein, mais elle court l’annoncer avec empressement à sa cousine Élisabeth, et ainsi elle la donne au monde sans rien garder pour elle-même, s’exclamant dans son Magnificat que toutes les générations la diront bienheureuse. 

À nous aussi il revient de donner le Christ au monde aujourd’hui ! Comment cela va-t-il se faire ? Ce sera tout d’abord de croire comme Marie a cru. De poser cet acte de foi qui fait confiance en Dieu et qui croit qu’il est au cœur de toutes nos attentes. Qu’il est au cœur de tout ce que nous pouvons porter comme projets, comme épreuves, comme engagements, comme relations aux autres. De croire que Dieu est capable, non pas de nous donner tout ce que nous désirons, comme des enfants qui attendraient tout du père Noël, mais qu’il est capable de réaliser en nous toutes ses promesses de salut; qu’il est capable de nous donner de vivre de sa vie à lui dans la foi et la confiance; qu’il est capable de nous faire suivre le Christ, courageusement, sur toutes les routes de nos vies personnelles où qu’elles nous conduisent !

Donner le Christ au monde ce sera marcher avec tous les compagnons et compagnes de route que la vie nous donne; de partager leurs recherches, leurs luttes, et leurs peines, mais aussi leur bonheur de construire un monde meilleur. Car même s’ils ne partagent pas tous notre foi, beaucoup permis eux croient en l’amour, au don de soi et au partage. Et, surtout, Dieu croit en eux car il aime tous ses enfants, et sa bonne nouvelle est pour tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté. Il nous faut donc, nous aussi comme Marie, nous faire porteurs de cette bonne nouvelle.

Frères et sœurs, à quelques heures de la fête de Noël, la liturgie nous invite à contempler la mère de Jésus, l’Emmanuel, et l’accueil inconditionnel qu’elle fait du don précieux que Dieu nous offre en son Fils, son Unique. Que cette eucharistie nous ouvre le cœur et l’esprit à l’intelligence d’un aussi grand mystère, et qu’elle nous aide à grandir dans la foi, à l’exemple de Marie notre mère.

Fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 3e Dimanche de l’Avent (B)

Mystère d’Amour : notre Joie!

            « Soyez toujours dans la joie! » écrivait S. Paul aux Thessaloniciens. « Rendez grâce en toute circonstance : c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. » Le 3e dimanche de l’Avent, le dimanche de la joie! Les mots nous le disent. La liturgie multiplie les invitations à nous laisser emporter dans une joie toute spirituelle : « Soyez toujours dans la joie du Seigneur; je le redis : soyez dans la joie. Le Seigneur est proche! » (Philippiens 4, 4-5) C’était l’antienne d’ouverture!

Mais, avons-nous bien raison de nous réjouir? En avons-nous le droit? Compte tenu de tout ce qui se passe dans le monde, ne nous faudrait-il pas plutôt fermer la porte à la joie? Nous interdire toute réjouissance? Tenir nos cœurs et nos pensées dans la grave et le sérieux, et laisser la tristesse envahir le champ de notre conscience, tellement il y a de quoi être fâchés et déçus à voir ainsi aller les choses? Par-delà nos inquiétudes, nos peines et malheurs personnels, il y a le malheur et les souffrances de tant de gens autour de nous! Il y a l’appauvrissement généralisé, les effets dévastateurs de la guerre en Ukraine, en Palestine et ailleurs. Les changements climatiques nous inquiètent. Nous, les croyants, nous constatons une désaffection pour le religieux et la foi dans nos familles, chez nos amis, dans la société ambiante. Nous avons perdu nos repères et nos traditions! Est-ce que tout cela n’engendre pas assez de tristesse pour nous soustraire à toute joie même spirituelle? Que nous faudra-t-il croire pour surmonter tant de raisons d’être tristes, pour retrouver l’authentique joie, le droit de célébrer et de vivre la joie de notre foi? 

D’abord, il faut nous rappeler que la joie qui nous est offerte nous vient de Dieu lui-même. Il nous a livré en ses prophètes et dans l’Évangile un message de vie, de consolation et de paix, qui est à la source de notre joie. Cette joie chrétienne, la joie de l’Évangile, elle est communion à la joie de Dieu lui-même. Une joie qui vient de source, qui n’est pas incompatible avec la tristesse et la compassion ressenties devant ceux et celles qui souffrent. 

Il en est comme de la joie de l’amitié entre deux personnes. En supposant qu’elle soit authentique et forte, nous savons qu’elle se manifeste alors même que l’épreuve touche l’une ou l’autre des personnes en cause. La communion et le partage, qui se vivent alors, viennent renforcer et augmenter la joie profonde de cette amitié. 

Ainsi en est-il pour notre joie spirituelle. Nous n’avons certes pas le droit d’être naïfs ou insensibles. Dieu dans le Christ s’est montré compatissant et d’une extrême sensibilité à nos douleurs. Il ne s’est pas tenu dans une tour d’ivoire. Il est allé partout. Nous aussi, nous avons les deux pieds dans un monde en souffrance et en désarroi. Nous souffrons en compassion active pour tous ces gens, sans perdre la joie de notre amour, la joie de notre communion avec Dieu. Nous sommes amoureusement solidaires d’une humanité que Dieu aime et qu’il veut sauver de la mort. 

Dans le processus d’achèvement de la création où nous sommes tous engagés, le témoignage de notre joie apporte un encouragement précieux, essentiel. Il ouvre à tous une fenêtre sur plus grand que nous. Dieu nous tend la main pour une réponse de foi. Il a pour tous un regard de paix qui invite à l’espérance. Il nous ouvre son cœur en appel de notre amour. Il vient sans cesse frapper à notre porte Celui qui le premier nous a aimés. Sans mérite de notre part nous sommes conviés, comme les bergers de Bethléem, à témoigner de la venue de Dieu dans notre monde. Cette présence divine, humblement, a pris chair de notre chair. Elle a tout changé de notre condition humaine. Elle nous vaut une joie réelle et profonde. Désormais nous ne sommes plus seuls. Il est avec nous, notre Créateur et notre Sauveur, la source infinie du bonheur et de la Joie. 

Jacques Marcotte, O.P.

Québec, QC

Homélie pour le 3e Dimanche de l’Avent (B)

Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Thessaloniciens5, 16-24

Frères,
soyez toujours dans la joie,
priez sans relâche,
rendez grâce en toute circonstance :
c’est la volonté de Dieu à votre égard
dans le Christ Jésus.
N’éteignez pas l’Esprit,
ne méprisez pas les prophéties,
mais discernez la valeur de toute chose :
ce qui est bien, gardez-le ;
éloignez-vous de toute espèce de mal.
Que le Dieu de la paix lui-même
vous sanctifie tout entiers ;
que votre esprit, votre âme et votre corps,
soient tout entiers gardés sans reproche
pour la venue de notre Seigneur Jésus Christ.
Il est fidèle, Celui qui vous appelle :
tout cela, il le fera.

COMMENTAIRE

« Soyez toujours dans la joie », nous dit saint Paul en ce troisième dimanche de l’Avent. Le dominicain et évêque Pierre Claverie, commentant ce passage, disait de la joie que c’est la béatitude de ceux et celles qui se savent aimés. C’est dans cet amour que prend sa source la joie chrétienne. 

Et comment le savons-nous que nous sommes aimés de Dieu? Il y a là quelque chose du mystère de la foi propre à chacun et à chacune de nous. Nos cheminements dans la foi sont uniques et précieux, mais l’on peut toutefois affirmer que c’est l’Esprit Saint qui nous donne de ressentir cet amour pour Dieu, et cette joie qui en découle. C’est Lui qui nous fait appeler Dieu notre Père, qui nous donne de le reconnaître dans sa visitation en son Fils Jésus. Voilà la source de notre joie.

Mais il ne faut pas s’y méprendre. Celui ou celle qui fait l’expérience de cette joie sait qu’elle peut exiger beaucoup de nous. Elle n’est ni béate ni facile, car elle nous demande que l’on puisse regarder la réalité dans le blanc des yeux, sans se détourner, sans fuir. Elle nous rend responsables du bonheur des autres, au point où elle nous invite à pleurer avec ceux qui pleurent, à nous réjouir avec ceux qui se réjouissent, à souffrir avec ceux qui souffrent, comme Jésus… 

Par ailleurs, cette joie se fait parfois discrète en nos vies, au point où elle semble nous échapper. Elle nous demande alors de patienter, d’attendre sans consolation au coeur des pires épreuves, mais avec cette assurance que Dieu est là. Cette joie profonde nous donne force et courage, elle nous fait tenir bon, dans la confiance, au coeur des tempêtes de la vie.

La joie chrétienne a sa source et son enracinement dans la réalisation de cette nouvelle incroyable que le Créateur du monde nous aime d’un amour infini. La Parole de Dieu nous l’affirme : notre vie est sacrée et elle est porteuse de sens.

Un évêque allemand, que j’ai eu la chance d’entendre prêcher un jour à Rome proclamait bien fort dans une homélie : « Je suis fils de Dieu! Avant même que le monde soit créé, Dieu pensait à moi. Il m’aimait déjà et il voulait me créer. Et ce monde avec ses galaxies a été créé pour MOI, car JE suis fils de Dieu. Et il me demande de m’y engager avec tout cet amour qu’il a mis en moi, car JE suis fils de Dieu! » 

Notre vocation, personnelle et mystérieuse, s’inscrit déjà dans le coeur de Dieu, avant même que nous ne soyons nés. Dieu, nous voyait déjà chacun et chacune, avant même la création du monde. Il se penchait déjà, avec amour, sur le rêve en devenir que nous étions; posant son regard bienveillant sur chacun de ses enfants en devenir, encore à l’état de rêve; et mettant en chacun et chacune un dynamisme de vie capable de se tourner vers l’infini, capable de le reconnaître pour qui Il est : Dieu, notre Père. Car nous sommes fils et filles de Dieu.

Dans son livre, « L’enfance de Jésus », Joseph Ratzinger, le pape émérite Benoît XVI, écrit ceci : «  Jésus assume en lui toute l’humanité, toute l’histoire de l’humanité, et lui fait prendre un nouveau tournant, décisif, vers une nouvelle façon d’être une personne humaine. » Être « Chrétien », c’est être « Du Christ », c’est appartenir au Christ, et donc être rempli de la joie même du Christ, qui est capable de transfigurer une existence humaine. Cette joie du Christ a très certainement impressionné les apôtres, puisque l’évangéliste Jean a retenu cette phrase de Jésus : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite » (Jn 15, 11) . C’est à cette joie que nous sommes appelés.

Il y a quelques années, une correspondante m’écrivait en me questionnant au sujet du Christ souriant. Il s’agit d’un Jésus en croix qui sourit. On peut voir cette croix à l’Abbaye de Lérins, en France. Cette femme me demandait comment comprendre une telle œuvre, une telle représentation du Christ?

Je lui ai répondu ceci : « Je comprends que ce Christ souriant puisse nous interroger lorsque nous-mêmes nous souffrons. Le sourire du Christ n’est pourtant pas le sourire béat des ”Roger-bon-temps”. Ce sourire, que les artisans du Moyen âge ont donné au Christ en croix, renvoie à une certitude intérieure chez Jésus qui se fonde sur cet amour du Père qui le soutient. 

C’est Jean-Paul II, lors de son Angelus du 14 décembre 2003, disait ceci:

Une caractéristique incomparable de la joie chrétienne est que celle-ci peut coexister avec la souffrance, car elle est entièrement basée sur l’amour. En effet, le Seigneur qui ”est proche” de nous, au point de devenir un homme, vient nous communiquer sa joie, la joie d’aimer. Ce n’est qu’ainsi que l’on comprend la joie sereine des martyrs même dans l’épreuve, ou le sourire des saints de la charité face à celui qui est dans la peine : un sourire qui ne blesse pas, mais qui console.

Bien sûr, il est difficile de parler de joie à ceux et celles qui souffrent dans leur corps et dans leur âme. Pourtant, la joie est au rendez-vous dans l’Évangile. Elle frappe à la porte de nos souffrances physiques, morales et spirituelles, et elle nous invite au rendez-vous de Dieu. Cette joie transforme toute vie qui l’accueille.

Alors, comment cacher cette joie qui nous habite? Il faut nous la redire, la chanter, la célébrer, la proclamer, la faire nôtre. C’est tout le sens de nos liturgies, quand nous chantons nos alléluias, quand nos chants de louange montent vers le ciel, quand nous proclamons ensemble au coeur de l’eucharistie « comme il est grand le mystère de la foi », quand l’orgue nous accompagne triomphalement à la sortie de l’église.

Car la joie pascale est la marque de la spiritualité chrétienne, comme le disait Paul VI. Ce n’est pas de l’insouciance, mais une sagesse qui vient de Dieu, et qui s’enracine dans un bonheur profond et durable qui n’a pas peur des combats, qui n’a pas peur de se salir les mains, ni de se compromettre ou de lutter comme Jésus l’a fait. Car tout bonheur n’a de sens que lorsqu’il est partagé, et c’est vraiment ce qui fait la joie du disciple du Christ. Amen.

Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 2e dimanche de l’Avent (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 1, 1-18

Commencement de l’Évangile de Jésus,
Christ, Fils de Dieu.
Il est écrit dans Isaïe, le prophète :
Voici que j’envoie mon messager en avant de toi,
pour ouvrir ton chemin.
Voix de celui qui crie dans le désert :
Préparez le chemin du Seigneur,
rendez droits ses sentiers.

Alors Jean, celui qui baptisait,
parut dans le désert.
Il proclamait un baptême de conversion
pour le pardon des péchés.

Toute la Judée, tous les habitants de Jérusalem
se rendaient auprès de lui,
et ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain,
en reconnaissant publiquement leurs péchés.
Jean était vêtu de poil de chameau,
avec une ceinture de cuir autour des reins ;
il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
Il proclamait :
« Voici venir derrière moi
celui qui est plus fort que moi ;
je ne suis pas digne de m’abaisser
pour défaire la courroie de ses sandales.
Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau ;
lui vous baptisera dans l’Esprit Saint. »

COMMENTAIRE

Quelques mots tout d’abord sur l’évangile de Marc dont nous venons de proclamer le tout début. Cet évangile n’est pas simplement une vie de Jésus, à l’exemple de la biographie d’un homme célèbre. Il s’agit avant tout d’un témoignage de foi qui annonce la Bonne Nouvelle du Fils de Dieu lui qui fait irruption au cœur même de notre monde et se fait l’un des nôtres. C’est pourquoi l’évangéliste souhaite engager le lecteur à se mettre en route à la suite du Sauveur, à prendre même le relais de Jean Baptiste dans l’accueil et la proclamation de cette bonne nouvelle. 

Ce qui est intéressant dans la manière de procéder chez Marc, c’est que dès les premières paroles de son évangile, l’identité de Jésus est solennellement dévoilée : «Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, le fils de Dieu.» D’entrée de jeu, Jésus nous est tout d’abord présenté comme le Christ, le Messie, l’Élu de Dieu, le Sauveur tant attendu par Israël. Marc affirme aussi qu’il est le Fils de Dieu. Et c’est là une nouvelle des plus extraordinaire, puisque l’Absolu s’est incarné, Dieu parmi nous, et il porte un visage, celui de Jésus de Nazareth. Voilà ce dont Marc cherche à témoigner tout au long de son évangile.

Toutefois, le dévoilement explicite de l’identité de Jésus se retrouvera surtout à deux moments charnières dans l’évangile de Marc. Tout d’abord, quand Jésus demande à ses apôtres : «Et vous, qui dites-vous que je suis?» L’apôtre Pierre répond : «Tu es le Messie» (8, 29). Jésus est alors reconnu dans sa mission. Quant au deuxième moment de dévoilement, on le retrouve à la fin de l’évangile, dans la bouche du soldat romain au pied de la croix, qui s’exclame alors que Jésus rend son dernier souffle : «Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu» (15, 39). Et c’est la divinité de Jésus qui est reconnue ici. Jésus, Christ et Fils de Dieu! Voilà ce que Marc veut nous transmettre par son évangile.

Voilà pourquoi il nous faut nous mettre en route nous aussi, chausser les sandales de celui qui annonce la Bonne Nouvelle, comme nous y invite le prophète Isaïe, comme le fait Jean-Baptiste. Car avec la venue du Messie, nous sommes appelés à être les témoins des temps nouveaux dans l’histoire de l’humanité. C’est pourquoi Marc choisit comme premier mot de son évangile : «Commencement!» Vous savez qu’un livre majeur de la Bible commence par ce mot. Lequel selon vous?

Il s’agit en effet du livre qui est placé au tout début de la Bible, soit celui de la Genèse, dont la première ligne se lit ainsi : «Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre…» Par son emploi du mot «commencement», l’évangéliste Marc veut bien sûr souligner à la fois la nouveauté de cette venue de Dieu parmi nous, et où nous assistons en quelque sorte à une re-création du monde, un nouveau point de départ pour notre humanité. D’ailleurs, c’est pourquoi la tradition chrétienne a toujours vu dans le Christ le nouvel Adam au seuil de la nouvelle création!

Maintenant, nous voici deux mille ans plus tard et nous pourrions nous demander si le monde a vraiment changé depuis. J’avoue que c’est là une question à laquelle il n’est pas possible de répondre objectivement, sinon de le faire à partir de notre propre expérience de foi. Pour la plupart d’entre nous, il est sans doute difficile d’identifier un avant et un après, de notre foi en Jésus Christ, mais peu importe, car cette foi qui est la nôtre est source de changement en nous, de conversion, d’un bonheur réel, d’une manière unique de nous situer dans l’existence, qui a sûrement un effet transformateur sur le monde et qui prépare l’avènement du Royaume de Dieu. C’est pourquoi le choix des textes bibliques qui nous sont proposés en ce début de l’Avent veut nous rappeler qu’il y a en nous un trésor que l’on ne peut enfouir comme s’il n’appartenait qu’à nous seul.

Sinon, pourquoi souhaiter que davantage de personnes se joignent à nous pour célébrer? Pourquoi des parents et des grands-parents se désolent-ils que leurs enfants ou petits-enfants soient indifférents à la question de Dieu? Après tout, on n’en fait pas une maladie si des proches ne partagent pas notre amour de la musique ou de l’opéra, du bridge ou de la cuisine asiatique. Mais la foi en Jésus Christ, c’est bien autre chose, nous le savon.

Quand Jésus nous invite à nous déclarer pour lui devant les hommes, nous touchons ici à quelque chose de fondamental dans notre vie de foi. C’est pourquoi nous ne sommes pas indifférents quand Dieu est méconnu ou ignoré. Car, nous les premiers, nous sommes les bénéficiaires de cette foi en Dieu qui change notre regard sur le monde, qui fonde nos valeurs et notre amour de la vie, qui donne sens à tous nos efforts et à toutes nos joies. Car il existe en nous une source profonde et limpide où nous puisons l’eau vive et qui s’appelle Dieu. 

Alors, pourquoi faut-il aplanir le chemin qui mène à Dieu? Parce que nous étant abreuvés à cette source intarissable, nous aimerions tellement la partager quand nous voyons tant d’hommes et de femmes s’avancer dans le désert de l’existence en quête d’un lieu où s’abreuver et donner sens à leur vie, alors qu’ils ne savent où trouver. On ne voudrait jamais laisser quelqu’un mourir de soif. C’est pourquoi témoigner du Christ, c’est offrir un peu de cette eau vive. 

Tous les gestes qui parlent du Christ sont porteurs d’une promesse, d’où l’importance de témoigner en aimant sans condition, en pardonnant, en priant et en donnant de nous-mêmes, en partageant avec les autres ce regard de l’âme sur le secret des choses que donne la foi en Jésus Christ. N’est-ce pas ce que font les musiciens, les chanteurs, les danseurs, mais aussi les peintres, les cinéastes et tous les artistes, qui ne cherchent qu’à partager leurs passions et à donner le goût de vivre? 

Frères et sœurs, Dieu fait de nous des artistes en quelque sorte, appelés à témoigner de cette vie qui nous habite, qui nous est si précieuse, qui est la foi en Dieu et qui constitue un véritable re-commencement pour quiconque l’accueille chaque jour de sa vie. Heureux êtes-vous donc si votre foi est votre bien le plus précieux; si vous ne voudriez jamais être séparés du Christ, car alors, n’en doutez pas, déjà votre vie elle-même annonce au monde entier la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, fils de Dieu.

Fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain 

Fête de l’Immaculée-Conception de la Vierge Marie

« Qu’il me soit fait selon ta parole ». Que de courage derrière ces quelques mots de Marie à l’Archange Gabriel.

Il faut beaucoup de confiance pour s’en remettre ainsi à Dieu et surtout beaucoup d’humilité. Marie était la plus humble de toute, d’une humilité transparente, seule capable d’accueillir le Fils de Dieu et de le laisser briller en elle. C’est là le mystère de l’Immaculée Conception.

C’est le plus grand poète de la renaissance, Dante Alighieri, qui fait dire à saint Bernard de Clairvaux: « regarde désormais dans le visage qui le plus rappelle celui du Christ, car seule sa clarté peut te disposer à voir le Christ » (Par. XXXII, 85-87).

Marie est comme le vitrail de la présence de Dieu en notre monde. Elle laisse passer la lumière à travers elle, et Dieu est là, incarné, l’Emmanuel, parmi nous. Prie pour nous sainte Mère de Dieu!

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le temps de l’Avent (B)

Veiller pour lui, avec lui!

« Prenez garde, restez éveillés, car vous ne savez pas quand ce sera le moment. »

Quand j’étais enfant, disons vers l’âge de 4, 5 ou 6 ans, j’acceptais mal de devoiraller me coucher tôt dans la soirée, bien avant les autres, plus grands, qui eux avaient le droit de veiller, de prolonger la journée en conversations, lectures, écoute de la radio ou sortie à l’extérieur. Que les plus petits aillent au lit plus tôt, cela faisait l’affaire de tout le monde, bien sûr ! 

En nous disant de veiller, le Seigneur ne veut pas réglementer nos temps de sommeil, ni les abréger ni les allonger. Il nous demande plutôt de garder la forme pour être davantage présent quand ce sera le temps, le moment, comme il dit. Le Seigneur ne veut pas non plus, je pense, nous faire peur en nous disant qu’il faut être sur le qui-vive, au cas où la fin du monde viendrait soudainement. Il ne joue pas à nous surprendre. Pourquoi arriverait-il comme ça, sans crier gare, pour l’heure du jugement. Il serait surprenant que Jésus veuille nous faire peur, ajouter du stress à nos vies déjà tourmentées? Pas plus qu’il ne veut nous endormir, il ne veut nous énerver.

« Veillez donc! car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison. » Pourqui allons-nous veiller, sinon pour lui? Pour être là, disponible au besoin, quand il viendra. Veiller pour lui, cela veut dire veiller avec lui. Pour faire ce qu’il attend de nous. Ce sera nous occuper d’abord de ce qui fait notre labeur de tous les jours. C’est là que le Seigneur se fait attendre. C’est lui qui décide de l’heure où il vient. Mais il y a des probabilités. Le Seigneur nous en donne une petite idée quand il nous dit : « le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin. » Ces repères temporels ne sont pas innocents. Ils ne sont pas sans signification. Le Seigneur pointe ainsi des moments sensibles, où il se présente à nous, où il nous attend peut-être, où il a besoin de nous. Serons-nous prêts à relever le défi? Serons-nous disposés à reprendre du service?

Il viendra peut-être le soir : au moment de son dernier repas, à la sainte cène, au soir d’une plus grande intimité? Où il nous lave d’abord les pieds. Où il se donne en communion d’amour et de vie, alors même que l’un de nous va le trahir et le livrer. 

Il viendra peut-être à minuit : au rendez-vous de Gethsémani, où le Seigneur est en prière et nous convoque avec les trois disciples à prier avec lui. Veiller dans la prière, ce n’est pas toujours facile. Que de distractions et de somnolences parfois! Or, prier ce n‘est pas seulement notre affaire. C’est bien plus lui qui prie en nous. Il prie avec nous. Elle est si précieuse pour lui et pour nous cette communion de cœur et d’esprit! C’est un moment de grâce!

Peut-être qu’il viendra au chant du coq? Nous nous souvenons parfaitement de ce moment douloureux où, après son arrestation dans le jardin, Jésus fut emmené en ville quelque part pour y être mis sous bonne garde, brutalement, comme on fait pour un prisonnier. Simon Pierre avait suivi le cortège. Tristement il a craqué; il n’a pas tenu le coup. Allant jusqu’à renier son maître devant une petite servante, un simple serviteur. « Avant que le coq chante tu m’auras renié 3 fois » avait prédit Jésus. Qu’en est-il pour nous de ce momentum où nous sommes mis au défi de nous prononcer pour le Seigneur, de professer ouvertement notre foi, notre attachement à sa personne, notre appartenance au Christ? 

Il viendra peut-être le matin? Chaque matin, quand vient le jour, c’est le moment où s’engage la comparution du Seigneur devant le Sanhédrin, les Grands-Prêtres, puis le Gouverneur. C’est le moment de notre comparution en son Nom, alors que chaque jour nous subissons l’épreuve de notre fidélité, de notre amitié pour lui. C’est l’heure du témoignage de notre engagement et notre service pour lui dans ses pauvres, ses petits, tous ses bien-aimés, les blessés de la vie. 

Nous sommes maintenant dans la saison, où mille petits moments nous sont donnés pour faire nos preuves, pour y vivre l’épreuve de notre défense. Car nous sommes mis en accusation avec lui., à cause de lui. La croix se profile toujours un peu sur notre quotidien. Là encore il ne faut pas qu’il nous trouve endormis, absents, sans foi ni espérance, sans amour. Plus que jamais c’est le moment béni où il vient pournotre relèvement, et bientôt peut-être pour l’heure de la Résurrection. Que vienne le matin du grand réveil qu’il nous prépare. Il en fera pour tous ses élus une Fête éternelle.

Fr Jacques Marcotte, OP

Québec, QC

Homélie pour le 1er dimanche de l’Avent (B)

Le poète Charles Péguy dans un poème sur la fête de Noël met en scène trois personnages qu’il appelle les filles de Dieu, et qui sont la foi, l’espérance et la charité. Il compare la charité à une mère ou à une sœur aînée; la foi à une épouse fidèle; et l’espérance, à une toute petite fille. Péguy a là une intuition des plus intéressante, car les saints et les saintes sont surtout reconnus à cause de leur foi à déplacer les montagnes, de leur charité à toute épreuve, mais l’espérance… Qui a déjà été canonisé parce qu’il ou elle avait espéré? Et pourtant, nous dit Péguy, c’est la petite fille espérance qui entraîne par la main ses deux sœurs aînées, la foi et la charité. Cette vision du poète nous introduit, il me semble, dans une belle compréhension de l’année liturgique que nous inaugurons aujourd’hui.

Faut-il le rappeler, l’année liturgique qui commence avec le premier dimanche de l’Avent, et qui se termine avec la fête du Christ-Roi, est marquée par trois grands mouvements, comme une vaste symphonie, qui correspondent au temps de Noël, de Pâques, et du temps appelé « ordinaire », à défaut d’un qualificatif plus poétique. Quand on y regarde de plus près, chacun de ces trois temps de l’année liturgique semble davantage orienté vers l’une des trois vertus théologales de foi, d’espérance et de charité. Non pas que toutes ces vertus ne soient pas évoquées tout au long de l’année liturgique à travers les lectures bibliques qui nous sont proposées, mais c’est comme s’il y avait une insistance plus soutenue à l’endroit de l’une ou l’autre de ces vertus, selon les grands moments de l’année.

Tout d’abord, le temps ordinaire, celui qui occupe la plus large part de l’année liturgique, est loin d’être « ordinaire ». Je le dirais surtout consacré à la vertu de charité, à la mise en œuvre quotidienne de l’amour, manifesté par les paroles, les gestes et la personne même de Jésus. Le temps ordinaire de la liturgie est une invitation à faire nôtre sa mission, afin que par nos gestes et nos paroles, l’amour et la tendresse du Père soient à nouveau manifestés à notre monde par nos œuvres de justice et de miséricorde. Le temps ordinaire, c’est l’aujourd’hui de Dieu, l’aujourd’hui de l’Évangile et de l’Église. On pourrait l’appeler le temps de la charité de l’Église.

Le Carême et le temps pascal me semblent davantage consacrés à la vertu de foi. C’est un temps qui invite à croire, à croire sans réserve. Une invitation nous y est faite à suivre le Christ dans sa mort-résurrection et à proclamer avec les Apôtres que ce Jésus qui a été crucifié, Dieu l’a ressuscité des morts. Carême et temps pascal sont ces temps de l’année où nous retournons aux sources de notre foi et où, à la fête de Pâques, sommet de l’année liturgique, nous proclamons que ce Jésus, Dieu l’a fait Christ et Seigneur. Et nous faisons nôtre cette béatitude promise par Jésus à ses disciples : « Heureux ceux qui croiront sans avoir vu! » C’est à cette foi audacieuse que nous invitent le Carême et le temps pascal.

Vous l’aurez deviné, le temps de l’Avent lui me semble tout orienté vers l’espérance. L’Avent, première halte dans l’année liturgique, vient dresser sur l’horizon de nos attentes humaines une toute petite lueur. Elle a les dimensions d’un berceau, mais elle est capable d’embraser tout l’univers. Pourtant, elle est toute contenue dans le mystère de cette étable de Bethléem. Mystère de l’humilité et de la petitesse de Dieu, qui se donne sans s’imposer à nous. 

Noël, c’est Dieu qui déjà se livre une première fois entre nos mains. En attendant d’être couché sur la croix, il est couché dans une mangeoire, emmailloté, offert à notre contemplation. Et là, dans cette vie humaine naissante, gît, impuissant, donnée à nous, l’espérance du monde, le Christ, le Fils de Dieu. C’est Dieu lui-même qui vient allumer au cœur de notre nuit une soif d’infini et qui nous ouvre le chemin qui y conduit.

Pas étonnant qu’en ce temps de l’année, plus qu’à n’importe quel autre, les gens aient le goût de décorer, de revêtir les villes et les villages de lumières et de couleurs flamboyantes. Ils ont envie de donner d’eux-mêmes sans compter, d’être une fois pour toutes bonté et générosité, comme si leur cœur saisissait à l’approche de Noël, comme l’espace d’un instant, sa véritable vocation, même dans les sociétés les plus sécularisées. Non, les indices ne trompent pas. C’est la petite vertu espérance qui se fraie son chemin depuis cette étable de Bethléem et qui illumine la nuit des temps.

Nous le savons, la Parole de Dieu ne nous propose pas une espérance à la petite semaine, une espérance facile et béate. Non, elle est de tous les combats, de toutes les luttes, et c’est elle qui nous rend capables de nous engager, de nous aimer les uns les autres, de changer nos cœurs, de recommencer quand tout s’écroule. C’est cette espérance, têtue et obstinée, que nous demandons au Prince de la paix de renouveler en nous alors que nous nous préparons à célébrer la fête de Noël, afin qu’il nous trouve fidèles et en tenues de service quand il viendra, de telle sorte que cette espérance qui nous habite puisse soulever le monde avec lui, chacun et chacune à notre mesure, dans le quotidien qui est le nôtre. 

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

En terminant, écoutons Charles Péguy :

Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance.

Et je n’en reviens pas.

Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout.

Cette petite fille espérance.

Immortelle.

Car mes trois vertus, dit Dieu.

Les trois vertus mes créatures.

Mes filles, mes enfants.

Sont elles-mêmes comme mes autres créatures.

De la race des hommes.

La Foi est une Épouse fidèle.

La Charité est une Mère.

Une mère ardente, pleine de cœur.

Ou une sœur aînée qui est comme une mère.

L’Espérance est une petite fille de rien du tout.

Qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière.

Qui joue encore avec le bonhomme Janvier.

Avec ses petits sapins en bois d’Allemagne couverts de givre peint.

Et avec son bœuf et son âne en bois d’Allemagne. Peints.

Et avec sa crèche pleine de paille que les bêtes ne mangent pas.

Puisqu’elles sont en bois.

C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes.

Cette petite fille de rien du tout.

Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus.

Comme l’étoile a conduit les trois rois du fin fond de l’Orient.

Vers le berceau de mon fils.

Ainsi une flamme tremblante.

Elle seule conduira les Vertus et les mondes.

Une flamme percera des ténèbres éternelles.

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  1. CHARLES PÉGUY, tiré de «Le porche du mystère de la deuxième vertu. pp. 26-27