Homélie pour le 6e Dimanche T.O. (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là,
un lépreux vint auprès de Jésus ;
il le supplia et, tombant à ses genoux, lui dit :
« Si tu le veux, tu peux me purifier. »
Saisi de compassion, Jésus étendit la main,
le toucha et lui dit :
« Je le veux, sois purifié. »
À l’instant même, la lèpre le quitta
et il fut purifié.
Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt
en lui disant :
« Attention, ne dis rien à personne,
mais va te montrer au prêtre,
et donne pour ta purification
ce que Moïse a prescrit dans la Loi :
cela sera pour les gens un témoignage. »
Une fois parti,
cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle,
de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville,
mais restait à l’écart, dans des endroits déserts.
De partout cependant on venait à lui.

COMMENTAIRE

Comme le souligne le pape François, il y a tant de larmes en ce monde et personne pour les essuyer. Ce constat du pape m’a entrainé sur des chemins inattendus en méditant cet évangile, méditation qui peut surprendre. Vous voilà donc avertis ce matin.

J’ai eu l’occasion de rencontrer bien des lépreux à travers mon ministère dans différentes paroisses. Non pas des lépreux comme celui de l’évangile, mais des personnes portant une grande douleur sans être accueillies, ou se voyant comme des lépreux aux yeux du monde, ou encore lépreux aux yeux de personnes convaincues de posséder la vérité. Et c’est ainsi que des lépreux se tiennent parmi nous, avec leurs souffrances et leur expérience de rejet. Que ferait Jésus à notre place? C’est toujours ce qui doit nous animer en tant que chrétiens et chrétiennes, d’où le but de cette réflexion que je vous propose ce matin.

Ainsi, je pense à ce couple homosexuel se voyant imposer de célébrer des funérailles catholiques par la mère défunte de l’un des deux. Ils voulaient respecter ses dernières volontés, mais ne voyaient pas comment une église pourrait les accueillir. Leur souffrance et leur sentiment de rejet étaient bien réels et ils se présentaient à l’église comme en territoire ennemi, ne sachant trop s’ils seraient accueillis. Les funérailles ont quand même pu être célébrées avec beaucoup de respect et d’émotion, mais grâce à la qualité de l’accueil du personnel de la paroisse.

Je pense à une paroissienne transgenre que j’ai bien connue. Elle se venait tous les jours à la messe, une heure avant la messe! Une férue de Catherine de Sienne, et de Thérèse d’Ávila. Elle s’offrait spontanément pour servir à la messe ou pour faire les lectures. L’église était devenue une oasis de paix pour elle, elle qui vivait tellement de rejet dans son quartier et dans sa famille. Mais elle était chez elle à l’église avec ses blessures, se sachant accueillie inconditionnellement par de nombreux paroissiens. Je crois que Jésus n’aurait pas fait mieux.

Et que dire de cet homme, divorcé remarié, qui m’avait avoué qu’il tenait tellement à venir à la messe, qu’il s’assoyait derrière une colonne, afin que personne ne le voie, car, disait-il, il ne voulait pas être cause de scandale pour la communauté. Quelle souffrance et quelle détresse chez lui que de vivre cette exclusion de l’eucharistie, exclusion qu’il acceptait par fidélité aux exigences de son Église ! Question que nous avons pu aborder ensemble, et où il a retrouvé une certaine paix. Maintenant, il est auprès du Père, auprès de celui qu’il a tant aimé, lui à qui l’on avait laissé entendre qu’il n’était peut-être pas un chrétien à part entière. 

Il faut bien se rendre compte de l’impact de nos règles et de nos lois quand la miséricorde n’est pas au rendez-vous. C’est ce que le pape François essaie de faire comprendre depuis le début de son pontificat.

Une des rencontres les plus bouleversantes pour moi je pense, est cette infirmière se déclarant athée et que j’ai retrouvée un jour en pleurs à l’arrière de l’église me demandant si elle avait le droit de venir à la messe, même si elle n’avait pas la foi. Non pas qu’elle ne voulait pas croire, mais elle s’en disait incapable. Mais cela lui faisait tellement de bien, disait-elle, de se tenir sous la voûte de l’église, écoutant les chants, goûtant le silence… Elle avait œuvré auprès des prostitués et des drogués d’un quartier mal famé pendant des années; elle avait ensuite été en mission au Nicaragua pendant la révolution sandiniste, et au Rwanda pendant le génocide. Pourtant elle doutait qu’elle ait le droit de se tenir dans une église! Comme le souligne le pape François, il y a tant de larmes en ce monde et personne pour les essuyer. 

Je garde aussi un souvenir douloureux de mon enfance, alors que je n’avais que huit ou neuf ans. C’était un dimanche et la rumeur avait vite circulé dans mon petit quartier tout neuf de banlieue que des témoins de Jéhovah faisaient du porte-à-porte. C’était du jamais vu à cette époque des années cinquante. De bons pères de famille, quatre ou cinq, sans doute encouragés par le curé, s’étaient rapidement mobilisés afin de chasser ces intrus à coups de pied. J’ignorais tout des témoins de Jéhovah et j’avais peur. Pourtant, en les voyant entourés par ces hommes en colère et hostiles, je me souviens aussi avoir éprouvé un sentiment indéfinissable de honte. Sentiment que je n’ai jamais oublié en lien avec cette scène de violence pour le jeune enfant que j’étais. 

Vous comprendrez, sans doute, que nous devons nous méfier quand la foi se définit essentiellement en fonction d’un système de croyances absolues et rigides. Ne disait-on pas de Jésus qu’il faisait bon accueil aux pécheurs, qu’il frayait avec les publicains et les prostituées! Notre appel à nous, frères et sœurs, c’est d’être tout simplement les témoins d’une compassion et d’un amour qui nous dépassent.

Voyez l’évangile de Marc en ce dimanche qui nous rappelle le geste audacieux de Jésus à l’endroit d’un lépreux, lépreux qu’il osa toucher en le guérissant, ce qui allait à l’encontre de tout ce que prescrivait la loi juive. Remarquez que Jésus ne demande pas un certificat de bonne conduite au lépreux, il le guérit tout simplement. À nous de faire de même. Comme l’exprimait un théologien dominicain,  la doctrine ne saurait verrouiller la miséricorde.  (fr. Garrigues). Non pas que nous soyons d’accord avec toutes les valeurs que met de l’avant notre société, mais l’intolérance et l’exclusion ne font pas parties de notre ADN évangélique.

Je crois que le pape François nous en donne un bel exemple à travers son ministère de pasteur et de frère dans la foi. Comme lui, nous avons pour mission non seulement d’annoncer Jésus-Christ à notre monde, mais nous sommes appelés aussi à élargir sans cesse notre compréhension de l’évangile du Christ, car c’est une Parole vivante qu’on ne peut ni enfermer ni aseptiser, car l’Esprit Saint nous précède toujours dans notre rencontre de l’autre. 

Dès l’annonce officielle de son programme au début de son pontificat, le pape François faisait cet acte de foi : « Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort qui consiste à s’accrocher à ses propres sécurités. ». 

Voilà un pape qui, en ses propres mots, nous invite à « l’intranquillité ». Ce n’est qu’à ce prix, frères et sœurs, que l’évangile pourra véritablement prendre racine en nos vies. Que ce soit là notre joie!

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Une Réponse

  1. Cher frère Yves,

    Vous avez, à juste titre, souligné la question que chaque humain devrait se poser avant de juger ou d’agir : « Que ferait Jésus ? ». Car Notre Seigneur n’a jamais rejeté personne; il nous a aussi dit de ne pas juger pour éviter de l’être. En suivant les recommandations de l’Amour Incarné, nous sommes toujours assuré de faire le bien.

    Merci de prendre le temps de nourrir notre réflexion.

    Richard Dufresne

Répondre à Anonyme Annuler la réponse