Homélie pour le 1er dimanche de l’Avent (C)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 21, 25-28.34-36

    En ce temps-là,
Jésus parlait à ses disciples de sa venue :
    « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles.
Sur terre, les nations seront affolées et désemparées
par le fracas de la mer et des flots.
    Les hommes mourront de peur
dans l’attente de ce qui doit arriver au monde,
car les puissances des cieux seront ébranlées.
    Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée,
avec puissance et grande gloire.
    Quand ces événements commenceront,
redressez-vous et relevez la tête,
car votre rédemption approche.

    Tenez-vous sur vos gardes,
de crainte que votre cœur ne s’alourdisse
dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie,
et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste
    comme un filet ;
il s’abattra, en effet,
sur tous les habitants de la terre entière.
    Restez éveillés et priez en tout temps :
ainsi vous aurez la force
d’échapper à tout ce qui doit arriver,
et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »

COMMENTAIRE

Frères et sœurs, saviez-vous que le temps de l’Avent est surtout là pour nourrir notre espérance, cette espérance qui est une grâce, un cadeau, qui nous est accordée par Dieu quand nous mettons notre foi en lui. Mais qu’est-ce que l’espérance? Disons tout d’abord, que l’espérance nous invite à regarder bien plus loin que ce que l’on appelle l’espoir et qui est cette manière bien humaine d’attendre des résultats, des succès, dont on espère la réalisation. 

L’espoir joue un grand rôle dans nos vies; l’espoir est l’assise de tous nos projets, de toutes nos réalisations. L’espoir est toujours lié à la réalisation concrète d’une attente; que ce soit une bonne nouvelle du médecin ou que les Blue Jays gagnent la série mondiale, et j’en passe. Et quand l’événement attendu est passé, l’espoir n’est plus là, il s’est évanoui. 

Mais l’espérance nous accompagne tout au long de nos vies et nous invite à regarder bien plus loin que le calendrier de nos engagements ou de nos attentes. L’espérance ne s’arrête pas aux échecs, elle n’est pas déboutée par les déceptions, les angoisses ou la maladie. 

L’espérance sait regarder au-delà de ce qui est provisoire, au-delà même de la mort, surtout de la mort, et jamais sa lampe ne s’éteint quand nous gardons les yeux fixés sur le Christ. L’espérance est ce qu’on appelle une vertu théologale, c.-à-dire, une force intérieure qui nous est donnée par Dieu pour nous conduire jusqu’à lui et nous faire tenir jusqu’au bout.

C’est pourquoi, en ce premier dimanche de l’Avent, nous entendons Jésus qui nous invite à relever la tête, à veiller et à prier avec lui, alors que ce monde passe. Ce monde qui n’est pas le dernier mot de l’amour de Dieu pour nous, mais qui est là comme un premier gage de son amour, et qui, un jour, va céder place à des cieux nouveaux et à une terre nouvelle. Nos espoirs sont faits de nos désirs et de nos projets, alors que l’espérance, elle, nous inspire et nous guide dans chacune des phases de nos vies, et ce jusqu’à la fin, puisqu’elle vient de Dieu.

Le poète Charles Péguy, dans un poème sur la fête de Noël, met en scène trois personnages qu’il appelle les filles de Dieu, et qui sont la foi, l’espérance et la charité. Il compare la charité à une mère ou à une sœur aînée; la foi à une épouse fidèle, et l’espérance, à une toute petite fille. Péguy a là une intuition des plus intéressante, car les saints et les saintes sont surtout reconnus à cause de leur foi à déplacer les montagnes ou encore de leur charité à toute épreuve, mais l’espérance…

Qui a déjà été canonisé parce qu’il avait espéré? Et pourtant, nous dit Péguy avec justesse, c’est la petite fille espérance, qui entraîne par la main ses deux sœurs aînées, la foi et la charité. Cette vision du poète nous introduit, dans une belle compréhension de l’année liturgique que nous inaugurons aujourd’hui.

L’année liturgique qui commence avec le premier dimanche de l’Avent, est marquée par trois grands mouvements, comme une vaste symphonie, qui correspondent au temps de Noël, de Pâques, et du temps appelé « ordinaire », à défaut d’un qualificatif plus poétique. 

Quand on y regarde de plus près, chacun de ces trois temps de l’année liturgique semble davantage orienté vers l’une ou l’autre des trois vertus théologales de foi, d’espérance et de charité. Non pas que toutes ces vertus ne soient pas sollicitées tout au long de l’année à travers les lectures bibliques qui nous sont proposées, mais c’est comme s’il y avait une insistance plus soutenue à l’endroit de l’une ou de l’autre de ces vertus, selon les grands moments de l’année.

Tout d’abord, le temps ordinaire, celui qui occupe la plus large part de l’année liturgique, est loin d’être « ordinaire ». Je le dirais surtout consacré à la vertu de charité, à la mise en œuvre quotidienne de l’amour, manifesté par les paroles, les gestes et la personne même de Jésus. Le temps ordinaire de la liturgie est une invitation à faire nôtre sa mission, afin que, par nos gestes et nos paroles, l’amour et la tendresse du Père soient à nouveau manifestés à notre monde. Le temps ordinaire, c’est l’aujourd’hui de Dieu, l’aujourd’hui de l’Évangile et de l’Église. On pourrait l’appeler le temps de la charité de l’Église.

Le carême et le temps pascal eux me semblent davantage orientés vers la vertu de foi. C’est un temps qui invite à croire, à croire sans réserve. Une invitation nous y est faite à suivre le Christ dans sa mort-résurrection et à proclamer avec les Apôtres que ce Jésus qui a été crucifié, Dieu l’a ressuscité des morts. Carême et temps pascal sont ces temps de l’année où nous retournons aux sources de notre foi et où, à la fête de Pâques, sommet de l’année liturgique, nous proclamons que ce Jésus, Dieu l’a fait Christ et Seigneur. Et nous faisons nôtre cette béatitude promise par Jésus à ses disciples : « Heureux ceux qui croiront sans avoir vu! » C’est à cette foi audacieuse que nous invitent le carême et le temps pascal.

Vous l’aurez deviné, le temps de l’Avent lui me semble tout orienté versl’espérance. L’Avent, première halte dans l’année liturgique, vient dresser sur l’horizon de nos attentes humaines une toute petite lueur. Elle a les dimensions d’un berceau, mais elle est capable d’embraser tout l’univers, et elle est toute contenue dans le mystère de cette étable de Bethléem. Mystère de l’humilité et de la petitesse de Dieu, qui se donne sans jamais s’imposer à nous. Noël, c’est Dieu qui déjà se livre une première fois entre nos mains. 

En attendant d’être couché sur la croix, il est couché dans une mangeoire, emmailloté, offert à notre contemplation. Et là, dans cette vie humaine naissante, gît, impuissant, donnée à nous, l’espérance du monde, le Christ, le Fils de Dieu. À Noël, c’est Dieu lui-même qui vient allumer au cœur de notre nuit une soif d’infini et qui nous ouvre le chemin qui nous y conduit. Non, les indices ne trompent pas. C’est la petite vertu espérance qui se fraie son chemin depuis cette étable de Bethléem et qui illumine la nuit des temps.

Frères et sœurs, nous le savons, la Parole de Dieu ne nous propose pas une espérance à la petite semaine, une espérance facile et béate. Non, elle est de tous les combats cette espérance qui nous entraîne à sa suite, elle est de toutes nos luttes, puisque c’est elle qui nous rend capables de nous engager, de nous aimer, de changer nos cœurs, de recommencer quand tout s’écroule. 

C’est pourquoi, frères et sœurs, en ce temps de l’Avent, nous demandons au Prince de la paix de renouveler en nous cette espérance, têtue et obstinée, afin qu’il nous trouve fidèles et en tenues de service quand il viendra.

Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour la fête du Christ Roi (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 18, 33b-37

En ce temps-là,
    Pilate appela Jésus et lui dit :
« Es-tu le roi des Juifs ? »
    Jésus lui demanda :
« Dis-tu cela de toi-même,
ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? »
    Pilate répondit :
« Est-ce que je suis juif, moi ?
Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi :
qu’as-tu donc fait ? »
    Jésus déclara :
« Ma royauté n’est pas de ce monde ;
si ma royauté était de ce monde,
j’aurais des gardes
qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs.
En fait, ma royauté n’est pas d’ici. »
    Pilate lui dit :
« Alors, tu es roi ? »
Jésus répondit :
« C’est toi-même qui dis que je suis roi.
Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci :
rendre témoignage à la vérité.
Quiconque appartient à la vérité
écoute ma voix. »

COMMENTAIRE

Le passage que nous venons d’entendre est le seul dans les évangiles où Jésus affirme sa royauté, alors que, devant Pilate il est enchaîné, humilié, abandonné de tous. Mais quelle est donc cette royauté de Jésus tellement contraire aux appétits des puissants de ce monde ? 

Jésus en avait déjà donné une claire indication à ses apôtres alors que ces derniers réclamaient le privilège de s’asseoir à sa droite et à sa gauche lors de l’établissement de son royaume. « Vous le savez, avait-il dit : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave. Ainsi, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » Étrange royauté que celle de Jésus, où le Messie revêt le tablier du serviteur.

Par ailleurs, Jésus affirme être venu pour rendre témoignage à la Vérité. Pilate ne comprend pas. Qu’est-ce donc la vérité demande-t-il à Jésus ? « Les Juifs, eux, savent, depuis le début de leur Alliance avec Dieu, que la vérité c’est Dieu lui-même. » (Thabut) Il est la seule vérité et Jésus est venu nous le révéler, nous dévoiler le visage du Père. 

Cette royauté que Jésus fait sienne est celle-là même de Dieu et il semble y avoir là un renversement incroyable, puisque nous proclamons la toute-puissance de Dieu dans notre Credo. Cette toute-puissance, nous révèle Jésus, est avant tout la toute-puissance de l’amour dans l’humble service des autres.

Cette question de la royauté de Jésus survient au terme de l’année liturgique. Et avant d’aller plus loin, histoire de nous rafraîchir la mémoire, une petite catéchèse est peut-être de mise ici, afin de nous rappeler ce qu’est l’année liturgique, qui étrangement ne correspond pas à l’année civile.

L’année liturgique commence quatre dimanches avant Noël et dure douze mois. Cette période liturgique se décline en trois années, les années A, B et C où nous relisons presque tous les évangiles. Pendant chacune de ces années, la liturgie de l’Église nous fait cheminer à travers les grandes étapes du salut révélées en la personne de Jésus Christ. Faut-il le rappeler, l’année liturgique est bâtie autour de notre foi au Christ et son but est de nous aider à approfondir, de dimanche en dimanche, l’extraordinaire mystère de l’incarnation du Fils de Dieu, sa venue parmi nous, sa passion et sa mort, ainsi que sa résurrection au matin de Pâques.

L’année liturgique commence toujours avec le temps de l’Avent, quatre semaines qui nous préparent à la fête de Noël. Et de là on chemine vers la fête des Rois, l’Épiphanie et le baptême du Seigneur. Quelques semaines plus tard, vient le temps du carême, qui nous prépare à la fête centrale de notre foi, la fête de Pâques, qui est suivie d’une période de 50 jours, que l’on appelle le temps pascal et qui nous mène de l’Ascension à la fête de la Pentecôte. 

Entre ces périodes fastes de la liturgie se vit le temps de l’Église, le temps que l’on appelle « ordinaire », qui reprend après la Pentecôte, du printemps jusqu’à l’automne, et qui nous conduit jusqu’à la fête d’aujourd’hui, qui est le dernier dimanche de l’année liturgique. C’est la fête du Christ-Roi. L’Église proclame la Seigneurie du Christ, sa royauté sur l’univers.

Chaque année, ce cycle liturgique recommence, et pourtant, on ne finit jamais d’en découvrir la nouveauté, car notre vie évolue, et nous-mêmes nous changeons. Il s’en passe des choses en une année. Notre foi avec Dieu s’approfondit, on la questionne. Parfois, c’est la vie qui nous bouscule, qui nous violente même, et il est bon que la liturgie nous invite à nous redire qui est le Christ pour nous au terme de chaque année liturgique.

Alors, qu’affirmons-nous en ce dimanche du Christ-Roi ? Tout d’abord, nous croyons qu’il y a deux mille ans « l’Absolu s’est incarné et qu’il porte un visage, le visage de Jésus Christ ! » (Jacques de Bourbon-Busset). Nous croyons et nous affirmons qu’il est le Seigneur des vivants et des morts, que tout a été remis entre ses mains par le Père, et qu’il nous appelle à vivre éternellement auprès de lui. Nous croyons que sa vie donne sens à notre existence, qu’elle en est le fondement, et qu’il nous appelle à une vie en plénitude dès ici-bas. Nous faisons nôtre l’affirmation de l’Apôtre Pierre à Jésus, lorsqu’il lui disait : « À qui d’autre irions-nous Seigneur ? Tu as les paroles de la vie éternelle ! » 

Nous croyons que le seul royaume que le Christ veut établir en tant que roi est celui de l’amour. Son palais est une étable. Son trône, une croix. Son armée, tous ceux et celles qui veulent vivre de l’esprit des béatitudes, car le Royaume des cieux est à eux. Notre roi est le plus humble des hommes que la terre ait jamais porté. Il se présente à nous comme celui qui frappe à la porte et qui attend qu’on lui ouvre. Il promet à la personne qui lui ouvrira, qu’il entrera dans sa maison, qu’il s’assoira à sa table, et qu’il prendra son repas avec elle. Le Christ-Roi est un roi d’humilité qui vient quémander notre hospitalité et notre amour, et qui jamais ne s’impose à nous. Vraiment, sa royauté n’est pas de ce monde.

N’est-ce pas Jésus qui disait dans les évangiles : « Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos ». Ou encore ce que nous dit l’épître de Paul aux Philippiens, au sujet de Jésus : « Jésus n’a pas retenu le rang d’être l’égal de Dieu, mais… il s’est dépouillé, prenant la forme d’esclave… Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix ».

Voilà, frères et sœurs, le roi qui se tient au milieu de nous. Il est le Seigneur de l’univers et pourtant il vient vers nous avec douceur et humilité, non pas pour dominer nos vies, mais pour les transformer, pour nous donner le vrai bonheur, pour nous inviter à transformer le monde avec lui, avec le seul pouvoir qu’il connaisse, celui de l’amour et de la miséricorde.

Dans un proverbe arabe, Dieu dit ceci : « Viens à moi avec ton cœur, et je te donnerai mes yeux. » N’est-ce pas là, l’appel que nous fait sans cesse le Christ, à nous son Église. Si tu viens à moi avec ton cœur, si tu écoutes ma voix, je te donnerai mes yeux, et non seulement les yeux, mais les mains et le cœur, et l’intelligence des choses. En somme, le Fils de Dieu est venu pour se remettre entre nos mains. Il est notre bien le plus précieux. La vérité qui rend libre! Il est le Christ-Roi ! 

Yves Bériault, o.p. Dominicain

La fin d’un monde – Homélie pour le 33e dimanche (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 13, 24-32

En ce temps-là,
Jésus parlait à ses disciples de sa venue :
    « En ces jours-là,
après une grande détresse,
le soleil s’obscurcira
et la lune ne donnera plus sa clarté ;
    les étoiles tomberont du ciel,
et les puissances célestes seront ébranlées.
    Alors on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées
avec grande puissance et avec gloire.
    Il enverra les anges
pour rassembler les élus des quatre coins du monde,
depuis l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel.

    Laissez-vous instruire par la comparaison du figuier :
dès que ses branches deviennent tendres
et que sortent les feuilles,
vous savez que l’été est proche.
    De même, vous aussi,
lorsque vous verrez arriver cela,
sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte.
    Amen, je vous le dis :
cette génération ne passera pas
avant que tout cela n’arrive.
    Le ciel et la terre passeront,
mes paroles ne passeront pas.
    Quant à ce jour et à cette heure-là,
nul ne les connaît,
pas même les anges dans le ciel,
pas même le Fils,
mais seulement le Père. »

COMMENTAIRE

Tout au cours de l’histoire des derniers millénaires, des mouvements sont apparus prédisant une fin du monde éminente. Que ce soit Nostradamus au Moyen-Âge, ou encore, les Témoins de Jéhovah au XXe siècle, aucune époque n’a échappé à cette angoisse qui s’enracine dans notre finitude humaine, dans la peur de la mort, et, faut-il le dire, la crainte de Dieu. 

Les textes de ce dimanche nous présentent des scènes de catastrophes terrifiantes à l’échelle planétaire. Ce sont là sans doute les passages les plus énigmatiques et troublants de la Bible. Il faut savoir qu’il s’agit d’un style littéraire appelé apocalyptique, d’où le nom bien connu d’apocalypse. Nous connaissons bien ce dernier livre du Nouveau Testament, le Livre de l’Apocalypse, et qui, en anglais, s’appelle The Book of Revelation, qualificatif beaucoup plus compréhensible pour nous aujourd’hui.

Le récit apocalyptique était fort populaire dans les cultures du Moyen-Orient au temps de Jésus et bien avant même. Il s’agissait parfois d’un récit subversif, qui, sous le couvert d’images et de symboles, annonçait des transformations sociales et politiques importantes à venir, afin de redonner espoir et courage. Jésus et le prophète Daniel dans nos lectures aujourd’hui s’inspirent de ce type de récit afin de livrer leur message. 

Que veulent-ils nous dire au juste ? Précisons tout d’abord qu’en rester à l’annonce d’une fin du monde dans les paroles de Jésus ou du prophète Daniel, c’est déformer le sens de leur message qui, paradoxalement, est avant tout un message d’espérance. Jésus et le prophète Daniel ne nous parlent pas de fin du monde malgré les apparences, mais ils nous parlent de la fin d’un monde où Dieu va se manifester et sauver son peuple.

Le prophète Daniel écrit vers l’an 170 av. J.-C., alors que le roi grec Antiochus Épiphane règne sur la Palestine vaincue par ses armées. C’est un despote, un homme cruel qui gouverne avec une main de fer et que l’on considère comme l’ennemi du peuple juif. Se prenant pour un dieu, il ordonne même qu’on lui rende un culte dans le temple de Jérusalem et ceux qui refusent sont mis à mort. 

C’est donc à ses compatriotes juifs que le prophète Daniel adresse son message en le camouflant dans un récit de fin du monde, mais dont ses lecteurs savent bien lire entre les lignes. C’est l’écroulement du règne de ce despote Antiochus Épiphane qui est annoncé par le prophète Daniel, et qui est représenté par un grand combat dans le ciel où l’archange Gabriel lutte en faveur du peuple de Dieu et remporte la victoire. Donc courage, leur dit le prophète Daniel, votre libération est proche puisque Dieu est avec vous.

Ce message est d’autant plus vrai dans la bouche de Jésus. Dans l’Évangile, les paroles de Jésus semblent tourner nos regards vers un avenir encore lointain où tout sera détruit. Mais rappelons-nous que le style littéraire apocalyptique ne signifie pas « destruction », mais « dévoilement », « révélation ». Ce qui est annoncé par Jésus, c’est un monde nouveau, un monde non seulement pour demain, mais pour aujourd’hui même. 

C’est la saison de Dieu qui arrive avec son figuier en fleurs, c’est la nouveauté du Christ. C’est pourquoi les certitudes des hommes, avec leur superbe et leurs sentiments de puissance, en sont ébranlées, comme si le ciel se décrochait. Car c’est le règne de Dieu qui se manifeste avec la venue de Jésus Christ. La victoire définitive de Dieu contre le Mal, c’est pour tout de suite, et c’est ainsi que « le Père donne au monde sa dernière parole, la plus belle et la plus profonde en son Fils fait chair. » (Karl Rahner).

Jésus va employer des images puissantes afin de nous faire comprendre qu’il y a un avant et un après avec sa venue. Même si le ciel et la terre passent, dit-il, « mes paroles ne passeront pas », car elles sont promesse de vie, paroles de Dieu. 

Jésus nous invite donc à cette ferme espérance qui n’est pas un banal espoir, mais cette conviction inébranlable que Dieu est avec nous en ce monde fragile et menacé, ce monde aux prises avec ses guerres, ses catastrophes et ses violences, avec ses populations qui gémissent, ses saisons qui se dérèglent. À travers tout cela, nous dit Jésus, Dieu est avec nous. Confiance, courage!

Mais, attention, il ne s’agit pas là d’une invitation à la passivité. Le Christ se tient à notre porte, nous dit l’Évangile, et il frappe. Il nous invite à lui ouvrir et à marcher avec lui. L’espérance chrétienne n’est pas seulement tournée vers l’avenir, mais elle est pour ce présent qui nous est donné.

C’est pourquoi l’Évangile nous rappelle sans cesse que c’est moins l’homme qui se tourne vers Dieu et qui espère en Lui, que Dieu qui se tourne vers nous et qui espère en nous, puisque c’est Lui qui nous a aimés le premier en nous donnant la vie et en nous donnant son Fils.

Bien sûr, on nous demandera où elle est cette présence du Christ dans la vie de tous les jours. Où est-il ton Dieu ? La victoire du Christ peut sembler dérisoire à l’œil nu, et pourtant, notre foi nous donne de le reconnaitre, de deviner les signes de sa présence, de le savoir tout proche de nous. Nous croyons qu’il est à l’œuvre dans le monde, comme le levain dans la pâte, qu’il est présent dans tous nos gestes d’amour et de solidarité. Car notre espérance s’enracine avant tout dans le présent. C’est pourquoi nous croyons et nous aimons pour aujourd’hui et non pas seulement pour un futur lointain. 

Alors, la fin du monde est-elle pour bientôt ? Nous n’en savons rien et ce n’est pas là la question qui importe. Jésus vient nous dire qu’il inaugure un monde nouveau qui prend sa source dans le cœur de chacun et chacune de nous, et qui nous donne la force et le courage d’avancer avec lui au-devant de tous les combats et de toutes les épreuves. Comme l’affirme l’apôtre Pierre : « Ce que nous attendons, selon la promesse du Seigneur, c’est un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice. Dans l’attente de ce jour, faites donc tout pour que le Christ vous trouve nets et irréprochables, dans la paix. » (2P 3, 13-14)

Frères et sœurs, la foi en Dieu c’est le plus beau cadeau qui soit, et cette foi nous engage à marcher les yeux ouverts dans l’existence, affrontant courageusement les défis qui sont les nôtres sur cette terre trop souvent malmenée, défis qui se vivent tout particulièrement dans nos relations de couples, de familles, de travail et d’amitiés. 

Car, voyez-vous, le premier pas vers la paix dans ce monde nouveau que le Christ vient inaugurer, ce premier pas commence tout d’abord autour de nous et, chaque fois que nous faisons ce pas, c’est l’Évangile qui est annoncé. C’est la joie de croire qui prend le dessus dans nos vies et il n’y a pas de plus grand bonheur. Promesse de Jésus Christ!

Yves Bériault, O.P.

Yves Bériault, o.p. Dominicain

La veuve au Temple. 32e dimanche (B)

Le récit de la veuve et du don qu’elle fait au Temple de Jérusalem est l’un des mieux connus des Évangiles. L’on peut dire que cette femme a frappé l’imagination populaire. Spontanément, elle nous est sympathique. Non pas parce que tous s’identifient à elle. Sans doute pas la plupart d’entre nous. Mais sûrement les pauvres semblables à elle, qui se reconnaissent dans sa pauvreté, et qui sont touchés par l’attention que Jésus lui porte. Quant aux autres, quant à la plupart d’entre nous, si elle nous est sympathique, c’est que l’on admire secrètement sa générosité, sans doute plus grande que la nôtre. Nous l’envions et, en même temps, son humilité nous empêche d’être jaloux. Car nous nous doutons bien comme il doit être grand ce don de la foi qui l’habite, et qui la rend suffisamment confiante pour donner avec une générosité que même Jésus remarque. 

Avec l’évangéliste on se réjouit du trésor qui habite cette femme et que Jésus a su si bien deviner, malgré la discrétion dont elle fait preuve. Il a su lire dans son cœur, il a su lire bien plus loin que sa gêne à se tenir dans un tel endroit, parmi les riches et les prêtres du Temple.

Car ce qu’elle offre au Temple, c’est non seulement un don pour le culte et pour les pauvres; ce que cette veuve offre c’est un cœur généreux qui met toute sa confiance en Dieu, une telle confiance qu’elle prend même sur son indigence, sur sa pauvreté. Jésus dira d’elle qu’elle a tout donné. L’évangile de ce dimanche nous invite à faire comme elle, et cela, il faut bien l’avouer, ça nous fait peur. Puis-je avoir confiance en Dieu à ce point dans ma vie? Voilà la question. Suis-je capable de cette générosité qui ne calcule pas et où je m’engage totalement? L’évangile de ce dimanche veut nous aider à faire un pas dans cette direction. 

Tout d’abord, le contexte où se déroule cet évènement qui nous est rapporté, c’est le temple de Jérusalem, le lieu où l’on vient offrir des prières, des sacrifices, des dons en argent. Et ce Temple, Jésus, dans l’Évangile de Marc, le fréquente beaucoup, surtout après son entrée triomphale à Jérusalem, entrée qui se situe avant le récit de ce dimanche dans l’évangile de Marc.

Déjà, il en a chassé les vendeurs et commerçants de toutes sortes. Et bientôt il annoncera qu’il ne restera pas pierre sur pierre de ce temple. Pourtant, c’est là le lieu où se déroule toute la vie religieuse d’Israël, c’est le Temple du Dieu vivant. De grandes transformations sont encore à venir. Et Jésus lui est ainsi dans ce Temple, comme s’il en avait déjà pris possession. Il observe. Sans doute voit-il venir les évènements qui le conduiront à sa passion. Déjà, il porte en lui cette vérité qu’il annoncera bientôt, qu’il est lui le Temple nouveau, le Temple qu’on ne pourra plus détruire, le Temple où viendront de nouveaux adorateurs du Père et dont la veuve est déjà un signe, tandis que les scribes que Jésus voit à l’œuvre en sont un contresigne.

Les scribes qui s’affairent au Temple, ce sont des conseillers religieux bien en vue du peuple. Ils font partie de cette caste qui règlemente les manières de bien vivre la loi religieuse d’Israël, qui servent d’avocats dans les litiges religieux et l’application de la Loi. Ils conseillent, mais souvent à fort prix. Plusieurs d’entre eux exploitent ceux et celles qui les consultent en exigeant des sommes exorbitantes, ne se gênant pas même pour abuser des plus petits, des veuves, considérées comme faisant partie des plus pauvres, car elles sont seules, souvent abandonnées par leur famille, sans ressources. Le phénomène de ces abus est suffisamment important pour que Jésus le dénonce et entre en conflit ouvert avec ces scribes. C’est pourquoi ces derniers chercheront à éliminer ce gêneur, cet empêcheur de tourner en rond.

Alors l’évangile nous présente comme un tableau à deux panneaux où, sur celui de gauche nous avons les scribes que Jésus dénonce et, sur le panneau de droite, la veuve et son obole. Le récit parle de lui-même et il s’adresse à nous. Nous sommes à la fois les riches et les pauvres de ce récit. Aux riches que nous sommes parfois à cause de nos attitudes et nos manques de générosité, Jésus nous invite à découvrir combien cette façon d’agir nous appauvrie, combien elle nous tient loin du Royaume. Jésus condamne la dureté de cœur. 

Il remet en question nos prétendues sécurités et richesses qui ne font que nous appauvrir si nous les possédons comme un avare ou comme un enfant égoïste. Car l’amour ne calcule pas, il ne mesure pas la dépense. Il donne tout ce qu’il a. Au point même de prendre sur son indigence, de donner quand ça coûte, de marcher deux kilomètres avec l’autre quand il nous demande de n’en faire qu’un.

 L’évangile aujourd’hui interpelle le riche que nous sommes parfois. C’est Jésus qui vient nous aider à combattre nos égoïsmes. Mais cet évangile s’adresse aussi aux pauvres que nous sommes. Tellement dépassés parfois par les exigences de la vie, par les épreuves, par le manque de ressources soit financières, de talents, d’opportunités, que nous pouvons douter de nous-mêmes. Et c’est là une vraie pauvreté. Que puis-je apporter au monde avec le peu que j’ai? Dans ma situation actuelle? Jésus nous donne en exemple la veuve et son obole. Il vient nous dire que si nous sommes inégaux en ressources, tous sont égaux dans leur capacité d’aimer, avec la grâce de Dieu. Tous, nous sommes égaux dans notre capacité de nous donner totalement, sans compter. L’évangile est pour tout le monde, sans distinction. Tous nous sommes appelés à la sainteté.

Cette page d’évangile, qui est comme une parabole vivante, est une bonne nouvelle pour nous. Car elle nous enseigne que si nous engageons notre vie à l’école du don de soi et de la générosité, nous ferons alors partie de ces vrais adorateurs du Père. 

 L’écrivain Georges Bernanos posait la question suivante : « Quel sont les riches, quels sont les pauvres dans la communion des saints? » Et la réponse, l’évangile nous la dévoile aujourd’hui : les vrais riches, selon le Royaume, sont ceux et celles qui accueillent l’invitation de Jésus à porter le souci du monde avec lui et à se donner sans compter. Ainsi nos actions, nos engagements, s’ils sont confiés à Dieu, deviennent alors porteurs de sa présence, une présence qui s’inscrit au cœur même de notre existence. Comme le dit un proverbe juif : « Dieu est partout où tu le laisses entrer ». 

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain