Homélie pour le 2e dimanche (C) Les noces de Cana

Détail du chef-d’œuvre de Véronèse

« Ils n’ont plus de vin. » C’est la supplique que l’on entend dans l’Évangile et que Marie adresse à Jésus : « Ils n’ont plus de vin. » C’est avec cette requête de Marie que nous entrons dans le temps ordinaire de cette année liturgique et cet Évangile nous donne l’occasion d’observer non seulement la figure de Jésus, qui opère son premier miracle dans l’Évangile de Jean, mais aussi celles de Marie, sa mère, ainsi que des serviteurs de la noce. La présence de Marie au premier miracle de Jésus dans l’Évangile de Jean n’est pas fortuite alors que cette dernière et les serviteurs sont rarement évoqués dans les commentaires sur les noces de Cana. Je vous propose de le faire aujourd’hui.

Marie impose le respect dans cet Évangile. Quelle audace et quelle détermination alors qu’elle se montre très attentive aux besoins des convives et intercède en leur faveur avec une autorité indéniable : « Faites tout ce qu’il vous dira ! », dit-elle aux serviteurs.

Ce récit a toujours intrigué les spécialistes en raison de la réponse de Jésus à sa mère : « Femme, que me veux-tu? Mon heure n’est pas encore venue. » Mais Marie insiste, elle agit en maîtresse femme qui, loin de se décourager devant les réticences de son fils, fait preuve d’encore plus d’audace, comme si elle savait déjà que lui seul peut répondre à nos pauvretés. C’est comme si elle lui disait : « Il est temps d’agir, mon fils, j’ai foi en toi.» D’où la consigne aux serviteurs : «Faites tout ce qu’il vous dira.» 

Penchons-nous sur la figure de Marie, qui nous offre une clé de lecture importante pour mieux comprendre l’Évangile de ce jour. Il y a à peine une vingtaine d’années, plusieurs théologiens protestants ont manifesté un intérêt renouvelé pour la figure de Marie. Certains d’entre eux sont même allés jusqu’à affirmer que Marie était la première théologienne de l’Église. 

Certains pensent peut-être que les Évangiles ne parlent pas beaucoup de Marie. Pourtant, elle est le seul personnage dont la présence est mentionnée à toutes les étapes importantes de la vie de Jésus. Elle est présente lors de son Incarnation et de sa naissance, elle en est même l’objet privilégié. Elle est là pendant l’enfance de Jésus, elle le présente au Temple, elle le voit grandir, elle le cherchera au Temple alors qu’il a treize ans. 

Elle est également présente pendant la mission de Jésus. Ainsi, on la trouve aux noces de Cana, à Capharnaüm avec les disciples, ou encore à Nazareth où Jésus vient prêcher. Elle est également à Jérusalem lors de la Passion et la mort de son fils. Et après la résurrection, elle se tient au milieu des apôtres lors de la Pentecôte. Malgré leur apparente discrétion, Marie occupe une place unique dans les Évangiles, car elle occupe une place unique dans l’histoire du salut.

Marie est ainsi le seul personnage des évangiles présent à toutes les étapes de la vie de Jésus, et c’est également le seul personnage dont on décrit la vie intérieure., nous la montrant habitée par le mystère de l’identité de son fils, mystère qu’elle l’a sûrement porté toute sa vie. Cette idée est affirmée à deux reprises. La première fois est évoquée après la visite des bergers à la crèche, et la seconde, lors de la rencontre entre Jésus et ses parents au Temple. À la suite de ces deux épisodes, l’évangéliste Luc soulignera que Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. Chez les Dominicains, on aime bien parler de « l’intelligence de la foi », une foi qui cherche à mieux comprendre, une foi qui interroge et qui questionne. Voilà la foi de Marie que l’évangéliste Luc nous dévoile.

Quant à saint Jean, l’évangéliste, il est le seul à nous rapporter la présence de Marie aux noces de Cana ainsi qu’au pied de la croix. Il précise même qu’elle se tenait debout au pied de la croix. Debout ! Cette précision est importante et symbolique, car la signification de cette position du corps est bien connue dans les Évangiles. C’est celle du Christ ressuscité le matin de Pâques. Marie, debout au pied de la croix, se trouve ainsi au cœur même du mystère pascal en tant que mère du Sauveur, et c’est à elle que Jésus nous confie sur la croix en s’adressant au disciple bien-aimé : « Fils, voici ta mère ; mère, voici ton fils. » 

C’est cette même Marie, femme de foi, que l’évangéliste Jean nous invite à contempler ce matin. D’où l’importance de sa présence dans ce récit. La requête de Marie, « Ils n’ont plus de vin », s’adresse bien sûr à son fils, mais depuis la résurrection, comment ne pas entendre cette requête pour nous-mêmes en tant que disciples du Christ ? En effet, nous le savons, le Seigneur ressuscité a le pouvoir de transformer nos eaux mortes en vin nouveau. Les paroles de Marie nous invitent désormais à participer à cette mission avec lui. Il s’agit là d’une invitation à nous faire les serviteurs de la noce.

Depuis la résurrection, nous sommes appelés à servir avec le Christ, à revêtir le tablier comme lui l’a fait, et à porter aux invités de la noce, c’est-à-dire notre humanité blessée et en manque d’amour, la bonne nouvelle du salut qui est capable de transformer les cœurs. Parfois, revêtir le tablier peut aller jusqu’à donner sa vie pour les autres, comme le fera Jésus, mais le plus souvent, donner sa vie, c’est tout simplement revêtir le tablier du service et du don de soi, c’est aimer et faire du bien à ceux et celles qui nous sont confiés. Et il n’y a pas de plus grand bonheur !

Frères et sœurs, c’est cette qualité d’attention à notre monde que la Vierge Marie incarne dans l’Évangile de ce jour. C’est pourquoi, en ce début d’une nouvelle année, nous demandons au Seigneur qu’habite en nous, comme chez Marie, cette contemplation attentive du mystère de foi et d’amour qui nous habite, et qui nous presse de répondre avec joie à l’invitation de Marie : « Faites tout ce qu’il vous dira de faire. »

Fr. Yves Bériault, o.p.  Dominicain

2 Réponses

  1. Cher Moine ruminant,

    Quel texte extraordinaire ! D’abord, dans la plupart des textes que j’ai lus concernant cet Évangile, on parle de préfiguration de la passion du Christ (vin rouge – sang de Jésus), Marie présente au début et à la fin de la vie publique de Jésus, etc, etc. Vous mettez l’accent sur le rôle prépondérant de Marie. Puis, Vous nous offrez même une synthèse de la présence de Marie tout au cours de la vie de Jésus. Mais quelle femme cette Marie ! Elle met Dieu le fils devant un fait accompli en disant « faites tout ce qu’il vous dira ». Dieu le fils n’avait d’autre choix que de faire un miracle pour faire en sorte que le vin coule à flot. Enfin, vous montrez l’importance du rôle que joue Marie dans notre monde actuel où elle voit nos misères et intercède constamment en notre faveur.

    Mille mercis.

    Richard Dufresne

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