Homélie pour le 33e dimanche (C)

Les textes de ce dimanche nous présentent des scènes de catastrophes terrifiantes à l’échelle planétaire. Ce sont là sans doute les passages les plus énigmatiques et les plus troublants de la Bible. Mais il est bon de se rappeler qu’il s’agit d’un style littéraire appelé apocalyptique, d’où le nom bien connu d’apocalypse. Ce type de récit était fort populaire dans les cultures du Moyen-Orient. Jésus et le prophète Malachie s’en inspirent afin de livrer leur message. 

D’ailleurs, tout au cours de l’histoire des derniers millénaires, des mouvements apocalyptiques sont apparus prédisant une fin du monde imminente. Que ce soit les mouvements prédisant la fin du monde à la fin du premier millénaire, Nostradamus au Moyen-Âge, ou encore les Témoins de Jéhovah au XXe siècle. Aucune époque n’a échappé à cette angoisse qui s’enracine dans notre finitude humaine, dans la peur de la mort, mais aussi dans la crainte de Dieu et de son jugement. 

Que veulent nous dire alors ces textes que nous venons d’entendre ? Précisons tout d’abord qu’en rester à l’annonce d’une fin du monde dans les paroles de Jésus ou du prophète Malachie, c’est déformer le sens de leur message qui, paradoxalement, est avant tout un message d’espérance. Jésus et le prophète Malachie ne nous parlent pas de fin du monde, ils nous parlent de la fin d’un monde, où Dieu va se manifester et sauver son peuple.

Dans l’évangile, les paroles de Jésus semblent tourner nos regards vers un avenir encore lointain où tout sera détruit. Mais il est important de souligner que le style littéraire apocalyptique ne signifie pas « destruction », mais « dévoilement », « révélation ». Ce qui est annoncé par Jésus, c’est un monde nouveau, un monde non seulement pour demain, mais pour aujourd’hui même. C’est pourquoi les certitudes des hommes avec leur superbe et leur sentiment de puissance en sont ébranlées, comme si le ciel se décrochait, car c’est le règne de Dieu qui se manifeste, le seul qui soit éternel. 

Jésus nous invite donc à cette ferme espérance, qui n’est pas un banal espoir, mais à cette conviction inébranlable que Dieu est avec nous, en ce monde fragile et menacé, ce monde aux prises avec ses guerres et ses catastrophes, ses violences, ses populations qui gémissent et ses saisons qui se dérèglent. Dieu est avec nous.

Mais il ne s’agit pas là d’une invitation à la passivité. Sans cesse le Christ se tient à notre porte et il frappe. Il nous invite à lui ouvrir et à marcher avec lui, parce que l’espérance chrétienne n’est pas seulement tournée vers l’avenir, mais elle est avant tout pour ce présent qui nous est donné. Et l’évangile nous rappelle sans cesse que c’est moins l’homme qui se tourne vers Dieu et qui espère, que Dieu lui-même qui se tourne vers nous et qui espère, puisque c’est lui qui a espéré le premier en nous donnant la vie et en nous donnant son Fils.

C’est pourquoi, comme le dit le théologien Karl Rahner, il confie « au monde sa dernière parole, la plus belle et la plus profonde en son Fils fait chair. Cette parole nous dit : je t’aime ô monde, homme et femme. Je suis là. Je pleure vos larmes. Je suis votre joie. N’ayez pas peur. Quand vous ne savez pas comment allez plus loin, je suis avec vous. Je suis dans vos angoisses, parce que je les ai souffertes moi aussi. Je suis dans vos besoins et dans votre mort, parce qu’aujourd’hui j’ai commencé à vivre et à mourir avec vous. Je suis votre vie. Et je vous le promets : la vie vous attend vous aussi. Pour vous aussi, les portes vont s’ouvrir. »

Bien sûr, on nous demandera où elle est cette présence du Christ dans la vie de tous les jours. Où est-il ton Dieu ? Mais comme le dit le renard au Petit Prince : « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »  La victoire du Christ peut sembler dérisoire à l’œil nu, et pourtant notre foi nous donne de le reconnaitre, de deviner les signes de sa présence, de le savoir tout proche de nous, d’être à l’œuvre dans le monde comme le levain dans la pâte, d’être cette présence secrète dans tous les gestes d’amour et de solidarité. Car notre espérance s’enracine tout d’abord dans le présent, fort de cette présence du Ressuscité au cœur de notre foi.

Alors, la fin du monde est-elle pour bientôt ? Nous n’en savons rien et ce n’est pas là la question qui importe. Il faut plutôt se demander ce que nous faisons de notre monde alors que le Christ est à notre porte. « Ne vous laissez pas égarer », nous exhorte Jésus, restez ferme dans votre foi, ne cessez pas d’espérer, nous dit-il. Je me souviens du témoignage d’un chrétien de Mosul en Iraq, ville qui était occupée par l’État islamique. Ce chrétien faisait le commentaire suivant au sujet de la situation des chrétiens de sa ville : « Nous sommes confiants dans le Seigneur, disait-il. Il continue de nous murmurer à l’oreille : N’aie pas peur. » N’aie pas peur, même quand la mort semble inévitable, n’aie pas peur même quand tous tes repères te sont enlevés, n’aie pas peur, nous dit Jésus.

Frères et sœurs, les textes bibliques de ce dimanche nous invitent à regarder au-delà de nos fatigues et de nos défaites, au-delà de la maladie et de la mort même, car il vient le jour du Seigneur, ne le voyez-vous pas dans cette foi qui nous anime, cette espérance qui nous fait vivre, cette charité qui enflamme le cœur et lui donne envie de tout donner. Oui, il vient le jour du Seigneur et il est déjà commencé, depuis que l’Absolu s’est incarné et a pris un visage, celui de Jésus Christ notre Seigneur!

Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour la Dédicace de la Basilique du Latran

La liturgie d’aujourd’hui est consacrée à une église : la basilique du Latran, à Rome. Il s’agit d’une fête célébrée dans toute l’Église et c’est la seule église qui a droit à un tel honneur.

Alors que le christianisme est légalisé dans l’Empire romain en l’an 313, la basilique du Latran est la première église à avoir été consacrée, neuf ans plus tard, par le pape Sylvestre 1er. Cette basilique est devenue la cathédrale et le siège de l’évêché de Rome, dont le titulaire n’est autre que le pape. Elle est la première en ancienneté et en dignité de toutes les églises d’Occident. L’inscription suivante figure sur le fronton de la basilique : « Mère et tête de toutes les églises de la ville et du monde ». Voilà pour le volet historique.

Mais que pouvons-nous dire au sujet de cette basilique, qui soit de nature à nourrir notre foi ?

Pour introduire cette réflexion, j’aimerais partager avec vous l’anecdote suivante. Alors que je rendais visite à nos moniales dominicaines qui sont en Colombie-Britannique, une communauté de près de vingt sœurs, dont plus de la moitié à moins de quarante ans, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec l’une des plus âgées, sœur Marie Angela, qui fait partie des sœurs pionnières, venues des États-Unis, fonder un monastère au Canada, il y a vingt-cinq ans maintenant. À l’époque, elles n’étaient qu’une dizaine.

Il faut se représenter le lieu d’une grande beauté où est situé ce monastère : la chaîne de montagnes appelée Coastal Mountains, dont le monastère fait face à une montagne au sommet enneigé toute l’année. Un lieu magnifique de silence et de contemplation. Les moniales se sont installées dans ce lieu il y a douze ans, après de longues recherches, afin d’allier nature, écologie et vie monastique. J’ai exploré cet endroit avec elles avant la construction du monastère, et le paysage, avec ses montagnes aux neiges éternelles, nous a tous conquis, déterminant même le choix de cet emplacement.

Sœur Marie Angela était là avec tout le groupe des moniales lors de ce moment déterminant de fondation, et voilà qu’elle me prend à part, quatorze ans plus tard, et me dit à l’oreille, comme si elle me confiait un secret : « Frère Yves, je sais maintenant que la montagne n’est pas Dieu! » La montagne n’est pas Dieu! 

J’ai compris alors que sœur Marie Angela voulait me dire que cette beauté devait nous orienter ailleurs, tout comme devait le faire le Temple de Jérusalem ou encore, la basilique du Latran, ou encore notre église Saint-Dominique. Sœur Marie Angela me faisait comprendre à quel point la mission de son monastère s’enracinait dans une réalité beaucoup plus profonde que la contemplation d’une beauté éphémère. Car même les neiges dites éternelles ne durent pas toujours.

Nous le savons, frères et sœurs, le Temple de Jérusalem occupait une place centrale dans la vie d’Israël. Toutefois, l’action du Christ, et surtout ses paroles, ouvre dans l’Évangile de ce jour de nouvelles perspectives quant à l’avenir de ce Temple. 

Jésus nous entraîne déjà dans son mystère pascal lorsqu’il affirme : « Détruisez ce temple, et je le reconstruirai en trois jours. » C’est vers ce mystère que la fête de la Dédicace oriente notre regard aujourd’hui. Ce n’est pas tant l’édifice de pierre que la vision qu’il porte que nous célébrons. Cette fête ne se limite pas à la commémoration d’une basilique ; elle célèbre une Église en sortie, envoyée dans le monde. 

Elle nous rappelle que nous formons un temple spirituel dans le Christ. C’est pourquoi nous ne devons pas avoir peur face à l’avenir en dépit du contexte de précarité et de menaces auquel font face nos institutions religieuses et nos églises aujourd’hui. 

Cette fête nous invite à regarder au-delà de nos fragilités, au-delà des pierres et de l’aspect matériel de nos églises, et à contempler tout le chemin parcouru depuis la première annonce de l’Évangile, depuis la création des premières communautés chrétiennes, et dont nous sommes les héritiers.

Le Temple de Jérusalem préfigurait la venue d’un temps nouveau où l’humanité se verrait invitée à rendre à Dieu un culte en esprit et en vérité. C’est cette réalité que la Dédicace de la basilique du Latran célébrait lors de sa consécration au cœur même de la capitale de l’Empire romain. Et le souvenir de cet événement historique doit orienter notre regard vers la réalité spirituelle qu’est l’Église, qui est faite des pierres vivantes que nous sommes, qui est construite sur le fondement solide qu’est le Christ, avec qui nous formons un seul Corps. Trop souvent, nous parlons de l’Église comme d’un corps étranger, extérieur à nous-mêmes, alors que l’Église c’est nous avant tout, nous tous ensemble avec le Christ. 

De nos jours, les personnes que nous voyons aux eucharisties sont pour la plupart des survivants, qui ont traversé la grande épreuve de la sécularisation dans notre société. Beaucoup sont des Anciens comme on les appelait dans les premiers temps de l’Église, c.-à-d. des aînés, mais avant tout des aînés dans la foi qui, par leur fidélité et leur persévérance, sont des porteurs et des gardiens de la bonne nouvelle de Jésus Christ. 

C’est surtout cela qui me frappe quand je vois des fidèles rassemblés pour l’eucharistie. Fidèles! On ne peut trouver mot plus beau pour décrire ce qui habite le cœur des disciples du Christ. Elle est belle cette fidélité qui semble à toute épreuve, et où des parents et des grands-parents persévèrent dans leur foi, tout en portant le souci parfois douloureux de leurs enfants et de leurs petits-enfants qui semblent loin de l’Église, priant sans cesse pour eux. Elle est belle aussi la fidélité de ces personnes qui font le choix d’être fidèles et qui s’engagent dans la Cité et dans l’Église au nom même de leur amour du Christ et du prochain.

C’est cette Église que nous célébrons en cette fête de la Dédicace de la basilique du Latran, une Église en sortie comme aimait le rappeler le pape François. Et, quel que soit le lieu où les chrétiens et les chrétiennes se réunissent, de la chapelle la plus modeste à la cathédrale la plus majestueuse, c’est toujours la vie même du Christ Jésus qui est reçue et célébrée, et ce à toutes les époques. Car, comme sœur Marie Angela voulait bien me le rappeler, lui seul est Dieu, il n’y en a pas d’autres !

Fr. Yves Bériault, o.p.

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