Homélie pour le Dimanche des Rameaux

La liturgie de ce dimanche semble paradoxale à première vue, alors que nous avons deux désignations pour le décrire : nous l’appelons le dimanche des Rameaux, qui rappelle l’entrée messianique de Jésus à Jérusalem, mais il s’agit aussi du dimanche de la Passion du Seigneur.

Lors de la procession d’entrée, solennellement, rameaux à la main, nous avons acclamé le Christ en tant que Roi triomphal, mais dans la préface eucharistique, nous dirons qu’il a été jugé comme un criminel. En entrant dans l’église nous avons chanté : «Fils de David, Hosanna! Tu es notre Roi», mais lors du récit de la Passion nous avons entendu la foule crier : «crucifie-le!»

En une seule liturgie, nous sommes passés de la foule en liesse, à la mort de Jésus, de son accueil triomphal, au spectacle insoutenable de sa crucifixion. Cette liturgie ne vient-elle pas nous rappeler combien notre humanité est fragile et a besoin d’être sauvée ? 

Nous retrouvons dans cette liturgie le drame de notre humanité, alors qu’à tous les jours sur notre terre, nous sommes sans cesse confrontés au mystère du mal, au cœur même de nos joies et de notre soif de vivre, d’aimer et d’être aimés, alors que se dressent devant nous, le plus souvent à travers les médias, les violences et les guerres qui n’épargnent ni les enfants ni les innocents. 

La vie est souvent bafouée, nous le savons, et la liturgie de ce dimanche vient nous rappeler que nous ne sommes pas à l’abri de cette tentation, alors que le mal et la violence cherchent toujours à imposer leur loi dans nos vies. C’est pourquoi la liturgie de ce dimanche oriente nos regards vers le Christ alors qu’il se dirige vers sa passion, nous invitant à l’accueillir comme notre sauveur et notre roi, à l’accompagner dans le don même de sa vie pour nous.

À l’aube de cette Semaine sainte, nous sommes invités à porter avec Jésus notre monde qui souffre, à porter sa peine et ses joies, à porter sa croix et sa soif de bonheur, à faire nôtre sa douleur, contemplant en Église le mystère de notre foi à travers les liturgies de cette Semaine Sainte, qui vont nous conduire jusqu’au matin de Pâques.

Comme l’écrivait avec justesse sainte Catherine de Sienne : « Ce ne sont pas les clous qui retiennent Jésus sur la croix, mais l’amour. » Et c’est sur ce bois que la vie va refleurir, c’est sur ce bois que l’amour du Fils de l’Homme sera livré jusqu’au bout, au point de saisir dans son offrande toute l’humanité, chacun et chacune de nous, toutes les générations présentes et à venir, qui mettront leur foi en lui, Jésus, le grand vainqueur de la Mort.

Frères et sœurs, c’est la Semaine Sainte qui commence, sachons ouvrir nos cœurs au mystère du plus grand amour qui soit. Amen.

Yves Bériault, o.p. Dominicain

Le retour vers Dieu. Homélie pour le 4e dimanche du carême (C)

Aujourd’hui, Jésus nous raconte une histoire. Une de ses plus belles histoires dont lui seul a le secret. Une histoire comme bien des histoires que l’on raconte aux enfants : « Il était une fois un homme… »

Mais pourquoi Jésus raconte-t-il cette histoire? L’évangéliste Luc nous en donne l’explication suivante : « Les collecteurs dimpôts et les pécheurs sapprochaient tous de Jésus pour l’écouter. Et les pharisiens et les scribes murmuraient; ils disaient Cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux !  La parabole de l’enfant prodigue est donc une réplique à la critique des opposants de Jésus.

Comme une pièce de théâtre, elle met en scène différents personnages, mais l’acteur principal, c’est le Père. Cette parabole aurait pu s’intituler “la parabole de la du Père miséricordieux”, tellement le visage que Jésus nous dépeint de lui est étonnant, surprenant même. Est-ce que Dieu peut nous aimer à ce point? Les pharisiens et les scribes semblent en douter.

Jésus nous raconte l’histoire d’un jeune homme qui dépouille littéralement le père de son bien quand il quitte la maison avec sa part d‘héritage. Mais le Père le laisse aller. L’agir du fils cadet va aller à l’encontre de toutes les valeurs de sa famille : il s’établit dans un pays païen, il devient le gardien d’un troupeau de porcs, un animal impur pour les Juifs. Il mène une vie dissolue et, d’après son frère, il aurait dépensé tout son argent avec les filles, entendre ici les prostituées. Ici, l’on sent la méchanceté de l’aîné, mais nous y reviendrons…

Le Père lui ne cesse d’attendre son fils devant la maison. Il l’attend sans doute depuis son départ, et quand il le voit revenir, il se jette à son cou. Le fils cadet n’a même pas le temps de dire à son père toute la formule de regret qu’il avait préparé. Le Père le prend dans ses bras, il l’embrasse et il ordonne aux serviteurs de préparer la salle pour la fête. 

Le fils cadet n’est pas dépouillé de sa dignité aux yeux du Père parce qu’il a péché. Au contraire, le Père s’écrie : Vite, apportez le plus beau vêtement pour lhabiller. Mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds.

Le père revêt son fils des habits de l’élection, de la bénédiction. Le fils est choisi à nouveau par son père. Il est revêtu des sandales de l’homme libre, de la bague des fiançailles, et il est invité au banquet des noces. Allez chercher le veau gras, tuez-le; mangeons et festoyons. Car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie; il était perdu, et il est retrouvé.

Par cette parabole Jésus veut nous révéler ce visage trop souvent méconnu de Dieu, pour qui il n’y a pas de pays, aussi lointains soient-ils, de situations, aussi désespérées soient-elles, dont on ne peut revenir. Jésus raconte cette parabole parce qu’on l’accuse de faire bon accueil aux pécheurs. Elle met en scène un fils aîné qui représente ces pharisiens et ces scribes qui critiquent Jésus. Le fils cadet lui représente les pécheurs qui ont besoin de guérison, et qui, dans leur exil,  ont entendu la Bonne Nouvelle du Christ, et ont repris le chemin vers la maison du Père.

Maintenant, il est important de souligner l’attitude du Père à l’endroit du fils aîné, lui qui refuse d’entrer dans la salle du festin. Le père va même sortir pour aller lui parler. Une invitation lui est faite à prendre part au grand pardon de Dieu. Mon enfant, lui dit-il, toi tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi.

Voyez comme le père l’aime lui aussi, alors que le fils aîné semble tout ignorer de cet amour du Père pour lui. Le Père prend même la peine de s’expliquer : Mais il fallait festoyer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé. Remarquez que le père ne dit pas mon fils que voici était perdu…”mais plutôt ton frère que voici. Le fils cadet n’est pas seulement un fils pour son Père, mais il est aussi un frère pour le frère aîné et tous les deux sont aimés tout autant. 

Jésus nous enseigne aujourd’hui que notre Père du ciel est un Dieu d’amour et de miséricorde, et que dans son pardon nous trouvons la guérison. Les paroles du Père pour le fils aîné sont tout aussi empreintes de tendresse que pour le fils cadet, car Dieu aime tous ses enfants. Dans nos vies, l’on peut être tour à tour fils cadet et fils aîné, fille cadette et fille aînée, mais Jésus dans cette parabole nous invite à aller plus loin. Il nous invite àdevenir comme le Père.

Vous connaissez l’expression “tel père, tel fils”, “telle mère, telle fille”. La parabole de l’enfant prodigue nous est racontée pour nous dévoiler le vrai visage de Dieu, et pour nous inviter à devenir comme Lui, à porter avec Lui le souci du monde, à aimer avec Lui tous nos frères et sœurs où qu’ils soient, quelles que soient leurs situations.

Tous ensemble, nous avons la charge de tous les humains, d’ici et d’ailleurs, chacun et chacune de nous, selon nos possibilités, nos talents, nos ressources. Nous avons tous un rôle à jouer dans ce ministère de la réconciliation qui nous est confié en Église. Comme nous le rappelle saint Paul, nous sommes tous des ambassadeurs du Christ, et le premier pas qui mène vers l’autre, est tout d’abord de porter le souci de cet autre, de ne pas vivre dans l’indifférence, dans l’ignorance de l’autre, surtout les plus pauvres. Nous devenons des reflets du visage du Père quand nous avons le souci des plus malheureux. Voilà ce à quoi Jésus nous invite dans la parabole de l’enfant prodigue. 

Je me souviens de cette jeune infirmière qui revenait d’Haïti et qui pleurait en me racontant la misère qu’elle avait vue là-bas, et qui m’avait dit : “Il me semble, que le bon Dieu doit avoir honte de nous.” En dépit du propos, je la trouvais belle dans son indignation et dans sa tristesse. Je me disais : “voilà vraiment la fille de son père, son Père du ciel. Comme il doit se reconnaître en elle”. Que ce soit là notre indignation à nous aussi.

Vivre les valeurs évangéliques, refléter le visage de Dieu, est un long et patient travail sur nous-mêmes, et qui est rendu possible si nous marchons avec Jésus. L’évangile de l’enfant prodigue vient nous rappeler que Dieu nous aime d’un amour fou, déraisonnable, parce que nous sommes ses enfants bien-aimés et qu’Il nous attend au festin du Royaume. Il guette notre arrivée. N’est-ce pas là un motif suffisant pour nous inciter à participer à la grande fête de Dieu avec l’humanité?

D’ailleurs, cette fête est déjà commencée. Nous la célébrons en chacune de nos eucharisties en attendant la grande fête du ciel. Amen.

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain.

Où est-il ton Dieu ? Homélie pour le 3e dimanche de Carême (C)

EVANGILE – selon Saint Luc, 13, 1-9

1 Un jour, des gens rapportèrent à Jésus
l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer
mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient.
2 Jésus leur répondit :
« Pensez-vous que ces Galiléens
étaient de plus grands pécheurs
que tous les autres Galiléens,
pour avoir subi un tel sort ?
3 Eh bien, je vous dis : pas du tout !
Mais si vous ne vous convertissez pas,
vous périrez tous de même.
4 Et ces dix-huit personnes
tuées par la chute de la tour de Siloé,
pensez-vous qu’elles étaient plus coupables
que tous les autres habitants de Jérusalem ?
5 Eh bien, je vous dis : pas du tout !
Mais si vous ne vous convertissez pas,
vous périrez tous de même. »
6 Jésus disait encore cette parabole :
« Quelqu’un avait un figuier planté dans sa vigne.
Il vint chercher du fruit sur ce figuier,
et n’en trouva pas.
7 Il dit alors à son vigneron :
Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier,
et je n’en trouve pas.
Coupe-le.
A quoi bon le laisser épuiser le sol ?
8 Mais le vigneron lui répondit :
Maître, laisse-le encore cette année,
le temps que je bêche autour
pour y mettre du fumier.
9 Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir.
Sinon, tu le couperas. »

COMMENTAIRE

Malgré la conclusion de l’évangile qui nous laisse sur un message d’espérance avec cet appel du vigneron à la patience du maître, je dois vous avouer que mon attention est surtout sollicitée ce matin par ces Galiléens qui se font massacrer dans le Temple, ou encore par ces des dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé. Pourtant ce n’est pas la première fois que j’entends cet évangile, mais voyez-vous, il y a l’Ukraine et combien d’autres régions du monde avec leurs terribles scènes de violence qui défilent sans cesse sur nos écrans.

Inutile de dire qu’un sentiment de dégoût nous monte au cœur devant un tel mépris de la vie humaine. Et ceci ne peut que nous amener en tant que croyants à nous poser la question de Dieu. Mais où est-il dans tout cela? Ne nous monte-t-il pas aux lèvres la prière du psalmiste persécuté qui crie vers Dieu dans son poème : « Ça ne te fait rien de nous voir mourir? » 

Vous avez sans doute compris que je n’aborderai pas la question de la conversion dans cette homélie. Ce thème revient assez souvent pendant le carême pour nous permettre en ce dimanche de regarder ailleurs. On pourrait intituler cette homélie : Le procès de Dieu ou encore, Où est-il ton Dieu?

Peut-on parler de l’absence de Dieu devant les guerres et les conflits? Serait-il indifférent à nos souffrances? Pourtant, la Parole de Dieu, entendue dans notre première lecture, nous présente une première réponse susceptible de nous aider dans notre réflexion. Car cette rencontre entre Dieu et Moïse, où Dieu est représenté par ce buisson ardent, est la première fois dans la Bible que l’humanité découvre qu’elle est aimée de Dieu; au point qu’il voit, qu’il entend, qu’il connaît nos souffrances.

« J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple

qui est en Égypte, dit-il,

et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants.

Oui, je connais ses souffrances.

La Révélation biblique sur Dieu nous apprend que notre Dieu est un Dieu proche, infiniment proche, et qu’il nous aime; un Dieu qui veut notre bien et qui veille sur nous. Mais cette même bonté de Dieu, sinon son existence même, est régulièrement remise en question devant le triomphe du mal. Ce qui a amené les modernes, de Dostoïevski à Camus, à faire le procès de Dieu. Comme l’écrivait si bien le moine Christian de Chergé : « Les absents ont toujours tort, et Dieu est terriblement absent. » « Où est-il ton Dieu? » nous demande le narquois en guise de défi.

Il y a là un piège à penser répondre de manière satisfaisante à ces personnes, car comment leur parler d’une réalité qu’ils ignorent et en qui ils ne croient pas. L’important, avant tout, est que nous cherchions à répondre nous -mêmes à la question : « Où est-il ton Dieu ». Il en va du sérieux de notre foi qui doit être remise cent fois sur le métier de nos doutes et de nos épreuves. 

Alors, où est-il ton Dieu quand tu fais face à l’adversité, à la maladie, à l’épreuve, au rejet ou à la violence? Je sais d’expérience, lorsque nos vies sont aux prises avec la souffrance indicible ou encore le deuil, où tout nous semble enlevé, combien il est difficile de goûter cette présence de Dieu ou même d’y croire, quand le corps ou le cœur meurtri se recroqueville sur sa douleur. Ne sommes-nous pas blessés par le mal dont on peut voir le visage hideux? Et possiblement notre foi en Dieu l’est aussi. 

Nous pouvons comprendre que la douleur puisse éveiller de telles questions en nous. Mais la vision d’un Dieu indifférent à nos souffrances est incompatible avec notre foi. Nous sommes créés à son image, Lui la source de tout amour. Et la douleur qui nous habite devant le Mal ne peut provenir que de sa douleur à Lui, sa douleur de Père, de Mère. C’est pourquoi je n’ai pas honte de mon Dieu, même si je ne comprends pas tous les enjeux du mystère du mal. J’ai mis ma confiance en Lui. 

Et si l’on nous demande : « Où est-il ton Dieu ? Quel est son visage ? » La seule image que nous pouvons offrir de Lui, que nous avons vu de nos yeux, est celle de cet homme torturé, crucifié, assassiné. Le voilà, celui que nous appelons Dieu-avec-nous, avec nous jusqu’aux profondeurs les plus sombres de notre humanité.

La jeune mystique juive Etty Hillesum, qui sera assassinée avec six millions des siens pendant la 2e Guerre mondiale, n’aura de cesse de défendre Dieu devant l’horreur du mal. Elle ne demande jamais de comptes à Dieu, estimant même que c’est l’inverse, que les milliers, millions de crimes commis ne sont pas imputables à Dieu, mais aux hommes – à la folie humaine. Elle va plus loin encore dans le retournement de la responsabilité du mal: elle ne se contente pas d’en innocenter Dieu, elle le considère comme étant la première victime du déferlement de haine et de violence qui sévit autour d’elle… (I, p. 195.)

Mais alors où est la puissance de notre Dieu? Où est sa présence alors qu’il dit à Moïse qu’il entend notre douleur et qu’il voit nos souffrances? Frères et sœurs, le Dieu de Jésus Christ est le Dieu qui marche avec nous, celui qui nous soutient dans nos combats, qui préserve en nous la force d’aimer et de pardonner, malgré les violences subies. Il est celui qui nous donne de tendre la main à ceux qui souffrent et à notre tour de marcher avec eux. Notre Dieu ne vient pas vivre à notre place ni résoudre nos conflits, mais il est au cœur de toute démarche vers la paix, et sans cesse il nous guide sur les chemins de la réconciliation et du pardon. 

Cela ne nous empêche pas de le prier pour que la paix advienne ni de lui demander d’intervenir là où tout semble perdu. Il nous faut le faire même si nous ne pourrons jamais mesurer la véritable efficacité de nos prières. Elles reposent dans le secret du cœur de Dieu, lui qui est à l’écoute de chacun et chacune de nous. Car si Jésus a su prier dans son agonie, se confiant ainsi au Père, la prière demeurera toujours une arme puissante entre nos mains. 

Fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 1er dimanche du carême (C)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 4, 1-13

En ce temps-là,
après son baptême,
    Jésus, rempli d’Esprit Saint,
quitta les bords du Jourdain ;
dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert
    où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable.
Il ne mangea rien durant ces jours-là,
et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim.
    Le diable lui dit alors :
« Si tu es Fils de Dieu,
ordonne à cette pierre de devenir du pain. »
    Jésus répondit :
« Il est écrit :
L’homme ne vit pas seulement de pain. »

    Alors le diable l’emmena plus haut
et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre.
    Il lui dit :
« Je te donnerai tout ce pouvoir
et la gloire de ces royaumes,
car cela m’a été remis et je le donne à qui je veux.
    Toi donc, si tu te prosternes devant moi,
tu auras tout cela. »
    Jésus lui répondit :
« Il est écrit :
C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras,
à lui seul tu rendras un culte.
 »

    Puis le diable le conduisit à Jérusalem,
il le plaça au sommet du Temple
et lui dit :
« Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas ;
    car il est écrit :
Il donnera pour toi, à ses anges,
l’ordre de te garder
 ;
    et encore :
Ils te porteront sur leurs mains,
de peur que ton pied ne heurte une pierre.
 »
    Jésus lui fit cette réponse :
« Il est dit :
Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
    Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations,
le diable s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé.

COMMENTAIRE

J’aimerais aborder ce carême qui commence avec un passage du livre du Petit Prince de Saint-Exupéry. Dans ce conte, le Petit Prince, seul sur son astre, s’est lié d’amitié avec un renard. Il vient lui rendre visite un jour, mais sans le prévenir. Le renard lui en fait alors le reproche :

Il eût mieux valu, revenir à la même heure, dit le renard. Si tu viens, par exemple, à quatre heures de l’après-midi, dès trois heures je commencerai d’être heureux. Plus l’heure avancera, plus je me sentirai heureux. À quatre heures, déjà, je m’agiterai et m’inquiéterai ; je découvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens n’importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m’habiller le cœur… Il faut des rites. 

Il faut des rites ! Voilà qui décrit bien la démarche dans laquelle nous nous engageons en Église, année après année, et qui s’appelle le carême. Il faut des rites pour s’habiller le cœur, afin de redécouvrir et affirmer encore une fois, combien notre foi en Jésus Christ nous importe, combien elle a ce pouvoir de transformer nos vies. Il nous faut des rites pour nous préparer à la grande fête de l’amour, la fête de Pâques, où Dieu donne sa dernière et sa plus belle parole pour notre monde en son Fils Jésus-Christ.

C’est le dominicain français Claude Geffré, un théologien de grande envergure, qui décrivait avec des mots tout simples, le mystère d’amour au cœur de sa vie de croyant : « Désirer Dieu, disait-il, c’est désirer d’abord que Dieu soit Dieu dans ma vie, parce qu’il est mon tout, mon bonheur et ma fin ». 

Frères et sœurs, c’est en marche vers ce bonheur que le temps du carême nous entraîne, et nous invite à nous habiller le cœur. Mais, n’en doutons pas, il s’agit aussi d’un combat à mener, car il nous arrive de perdre ce désir que Dieu soit Dieu dans nos vies. Et c’est ainsi que le rite du carême vient nous inviter à nous remettre en marche et à prendre au sérieux, le sérieux de notre foi, ainsi que le sérieux de nos vies.

L’évangile de ce premier dimanche du carême illustre bien le combat qui doit être le nôtre. Nous y voyons Jésus entrer dans le drame de l’existence humaine, alors qu’il est tenté par Satan. Les trois tentations que Jésus doit affronter sont l’expression de la tentation d’un monde sans Dieu, qui ne croit qu’en lui-même, qui se construit en dehors de tout principe de vie capable de fonder son existence, et de lui donner sens. De là, toutes les dérives, tous les abus qui deviennent possibles, quand l’homme devient la mesure absolue de son emprise sur le monde. 

L’attitude de Jésus devant ces tentations nous entraîne dans une autre direction et sa victoire s’affirmera définitivement le matin de Pâques. Mais il nous faut nous préparer le cœur à ce rendez-vous de notre foi. C’est pourquoi pendant quarante jours, évocation du séjour de Jésus au désert, l’Église nous propose un itinéraire de foi où nous sommes invités à nous mettre à l’écoute de la Parole de Dieu, à nous reconnaître dans le cheminement du peuple hébreu au désert, dans celui d’Abraham qui renonça à ses certitudes pour avancer dans la foi en réponse à l’appel de ce Dieu unique, dont le visage demeurait encore caché, et qui invitait Abraham à tout quitter pour un pays nouveau, d’où coulent le lait et le miel selon la belle formule biblique. 

C’est là, la surabondance qui nous est promise au terme de ce voyage, mais nous savons désormais qu’il ne s’agit plus d’un pays, ni d’une terre bénie comme destination, mais d’un Royaume où Dieu sera tout en tous, et ce, dès maintenant.

Il s’agit bien sûr d’un voyage vers la vie éternelle, le plus beau et le plus grand des voyages, mais ce voyage ne saurait se vivre en-dehors de nos vies d’hommes et de femmes, créés à l’image de Dieu, appelés à aimer comme Lui. C’est pourquoi le récit de la tentation de Jésus au désert récapitule tous ces voyages dans la foi que nous sommes appelés à vivre alors qu’il est souvent si facile de se perdre de vue, de perdre de vue le prochain, d’oublier Dieu et ses promesses de bonheur pour nous. 

Le carême est donc une invitation à entrer dans le combat de Jésus, à marcher avec lui dans ce désert d’un monde sans Dieu où l’amour est si souvent bafoué. Car nous pouvons bien prétendre aimer Dieu de tout notre cœur, mais nos vies chrétiennes n’ont de sens que dans la mesure où elles nous font ressentir comme des blessures personnelles les malheurs de ce monde, les souffrances et les injustices que les humains se font subir, car c’est là la douleur même de Dieu que Jésus prendra sur ses épaules afin de nous ouvrir le chemin du véritable bonheur. 

Je revois cette jeune infirmière, de retour d’un stage en Haïti, me confiant les larmes aux yeux, suite à la misère qu’elle y avait vue : « Il me semble que le Bon Dieu doit avoir honte de nous, disait-elle. » Et je me disais en me rappelant son indignation, « voilà bien la fille de son Père, son Père des cieux. » N’est-ce pas là la passion même du Christ pour notre monde qui doit nous animer ?

Alors, frères et sœurs, habillons-nous le cœur en ce temps de Carême qui s’ouvre devant nous, puisque le Christ nous y attend et nous entraîne à sa suite. Notre combat, ce sera celui de la disponibilité du cœur, afin d’accueillir les fruits de sa victoire en nos vies. Voilà le mouvement de conversion dans lequel nous nous engageons et qui nous conduira jusqu’au matin de Pâques, le cœur à la joie ! Amen.

Fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 8e dimanche T.O. (C)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 6, 39-45

En ce temps-là,
    Jésus disait à ses disciples en parabole :
« Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ?
Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ?
    Le disciple n’est pas au-dessus du maître ;
mais une fois bien formé,
chacun sera comme son maître.

    Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère,
alors que la poutre qui est dans ton œil à toi,
tu ne la remarques pas ?
    Comment peux-tu dire à ton frère :
‘Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil’,
alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ?
Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ;
alors tu verras clair
pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.

    Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ;
jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit.
    Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit :
on ne cueille pas des figues sur des épines ;
on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces.
    L’homme bon tire le bien
du trésor de son cœur qui est bon ;
et l’homme mauvais tire le mal
de son cœur qui est mauvais :
car ce que dit la bouche,
c’est ce qui déborde du cœur. »

COMMENTAIRE

Comment faire pour être bons? Quand l’impatience ou la colère nous domine? Que l’irritation est à fleur de peau? Que l’autre m’énerve, parce qu’en fin de compte il n’est pas comme moi? Qu’il n’est pas créé à mon image et à ma ressemblance, et donc, ne méritant que mépris, réprimande ou colère? Ce matin, je nous invite à l’école. Souvenir d’enfance.

Alors que j’étais en cinquième année, j’avais alors 11 ans, l’institutrice, qui n’était pas une sœur, était d’une intolérance telle face à mes fautes de grammaire lors des dictées qu’elle me cognait sur les doigts avec sa règle en métal, et m’enfonçait les ongles de sa main dans mon cou. Je n’ai pas oublié, car les humiliations, les blessures à l’estime de soi prennent du temps à guérir complètement.

J’aurais bien aimé que cette institutrice voie la poutre dans son œil avant de voir les petites brindilles éparses dans ma composition. Comme enfant, n’avais-je pas besoin d’une éducatrice à l’école et non pas d’une matrone de prison ? Si elle avait fait sien le sommet de l’hymne à l’amour de saint Paul où il est dit que l’amour prend patience, peut-être m’aurait-elle prise de côté après la classe afin de m’aider à comprendre les règles grammaticales. Oui, l’amour prend patience et tant que nous ne sommes pas allés à cette école de l’évangile, il nous est difficile d’accompagner les autres dans leurs faiblesses et leurs défauts.

Car l’invitation que nous fait Jésus aujourd’hui, c’est de nous mêler de nos affaires, mais avec doigté et discernement; et dans ces affaires, le prochain occupe une place centrale, car nous avons la charge de l’autre, mais il y a la manière. C’est Maurice Zundel, ce prêtre et grand spirituel Suisse, qui disait dans une homélie :

« Dans les autres, il y a l’Autre et c’est parce que dans les autres le destin de Dieu est engagé, c’est parce qu’il est mis en question par chaque décision de la volonté, c’est à cause de cela que le prochain nous est confié. »[1].

En fait, la foi en Dieu nous relie intimement les uns aux autres, et il y a là une école de vie où sans cesse nous sommes appelés à faire de nouveaux progrès, à grandir sans cesse dans le don de nous-mêmes, dans notre générosité, notre miséricorde, bref, dans notre amitié pour tous ces compagnons et compagnes de route, avec qui nous marchons vers le terme de nos vies, et qui ne sera qu’un commencement.

L’évangile de ce jour est comme un point d’orgue à l’affirmation de Jésus de dimanche dernier quand il nous disait « soyez généreux comme votre Père du ciel est généreux ». Soyez bon comme lui; branchez-vous à la source de Vie afin de devenir semblable à ces arbres qui ploient sous l’abondance de leurs fruits à la saison des récoltes.

L’enjeu dont il est question aujourd’hui dans l’évangile, c’est notre vie spirituelle, et ce n’est qu’à l’école du Christ que l’on peut apprendre à aimer en vérité, avec patience et bonté. Il ne suffit pas d’être équilibré psychologiquement dans la vie, d’avoir une foule de talents ou de richesses, ou encore d’avoir des capacités qui surpassent tous les autres, comme on le voit aux jeux Olympiques. Non, j’aurais beau avoir tous les dons du ciel, s’il me manque l’amour je ne suis rien.

Pour la philosophe Simone Weil, une femme juive qui a fait une rencontre fulgurante du Christ au cœur de la 2e Guerre mondiale, la foi en Dieu c’est l’intelligence qui est éclairée par l’amour. Superbe définition! Car c’est avec cette disposition du cœur qu’il nous faut aller les uns vers les autres afin de porter sur l’autre le regard même que Dieu porte sur chacun et chacune de nous. 

C’est de cela qu’il s’agit quand Jésus nous invite à ne pas agir comme des aveugles qui conduisent d’autres aveugles, ou à ne pas devenir des arbres desséchés, sans beauté ni fruits. Nous sommes donc invités à son école à lui, à l’école du maître miséricordieux et patient, afin de devenir comme lui, afin d’apprendre à nous mettre à l’écoute du Père qui nous donne la charge du prochain et qui nous demande d’agir en bons pédagogues les uns envers les autres. 

Un beau témoignage qu’il m’a été donné d’entendre un jour est le suivant :

Il s’agit s‘une entrevue à la radio avec un couple exceptionnel qui avait accueilli près de trois cents enfants en difficulté dans leur foyer sur une période de près de trente-cinq années. Ils en avaient même adopté plusieurs. Un véritable exploit. La journaliste leur avait demandé s’il y avait certains de ces enfants en difficulté qu’ils avaient aimés plus que d’autres. Quelle question piège ! La maman avait alors répondu de but en blanc : « Oui, ceux qui en avaient le plus besoin. »

fr. Yves Bériault, o.p.


[1] Maurice Zundel. Homélie pour le 1er dimanche de l’Avent. L’Histoire prend son sens en Jésus), dans « Ta Parole comme une source », Ed. Anne Sigier, 1991. p. 18

Homélie pour le 7e dimanche T.O. (C)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 6, 27-38)

En ce temps-là,
Jésus déclarait à ses disciples :
« Je vous le dis, à vous qui m’écoutez :
Aimez vos ennemis,
faites du bien à ceux qui vous haïssent.
Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent,
priez pour ceux qui vous calomnient.
À celui qui te frappe sur une joue,
présente l’autre joue.
À celui qui te prend ton manteau,
ne refuse pas ta tunique.
Donne à quiconque te demande,
et à qui prend ton bien, ne le réclame pas.
Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous,
faites-le aussi pour eux.
Si vous aimez ceux qui vous aiment,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
Si vous faites du bien à ceux qui vous en font,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs en font autant.
Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs prêtent aux pécheurs
pour qu’on leur rende l’équivalent.
Au contraire, aimez vos ennemis,
faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour.
Alors votre récompense sera grande,
et vous serez les fils du Très-Haut,
car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants.

Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.
Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ;
ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés.
Pardonnez, et vous serez pardonnés.
Donnez, et l’on vous donnera :
c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante,
qui sera versée dans le pan de votre vêtement ;
car la mesure dont vous vous servez pour les autres
servira de mesure aussi pour vous. »

COMMENTAIRE

Nous en sommes, pour quelques dimanches encore, à réfléchir sur le genre de vie que nous devons mener si nous voulons demeurer dans l’esprit de l’Évangile. Quelle est la proposition du Christ à ses disciples?

Nous sommes peut-être étonnés du ton et de la netteté avec lesquels Jésus nous parle des attitudes que nous devons mettre en place dans nos vies. Ce n’est pas pour mettre une pression indue sur nous. Il s’agit d’une invitation, d’un appel qu’il nous fait. Il voudrait tellement que nous ayons les mœurs de Dieu, les attitudes divines, celles qui sont aussi les siennes.

Notre monde est souvent un lieu de luttes et d’affrontements. Nous sommes tous en quête de possession et d’autorité. Nous cherchons à nous imposer aux autres, à les dominer, à posséder au-delà de ce dont nous avons besoin. Cette tendance ne concerne pas seulement les autres, nos gouvernants municipaux, provinciaux et fédéraux. C’est une affaire éminemment personnelle que de prendre option pour la douceur, la miséricorde, le pardon, les valeurs de paix et d’amour.

Bien sûr, il y a en chacun de nous un instinct de vengeance. « Nous sommes vite sur la gâchette » Nous avons tous une réaction vive devant les affronts et la douleur. Comment résister à l’envie de riposter et de rendre à la pareille à qui nous fait du mal et du tort? Et pourtant, comment désamorcer autrement la violence, l’escalade de la violence? Une vengeance immédiate ne risque-t-elle pas de nous engager dans quelque guerre interminable?

« À cochon, cochon et demi », disons-nous. Et nous sommes dès lors convaincus que notre guerre est juste, que c’est là la meilleure façon de prendre notre place dans la vie et de nous faire respecter. Mais où est donc la vraie grandeur? N’est-elle pas dans l’humilité et le service? N’y a-t-il pas de la petitesse à vouloir absolument être meilleur que les autres, à chercher la grandeur comme si elle n’était pas déjà cachée en dedans de nous? Grandeur de l’humilité, du service, de l’amour fraternel… Il y a là quelque chose de divin, de béni et de sanctifié par Jésus lui-même qui a voulu vivre au milieu de nous comme un pauvre, un petit, le serviteur de tous. Comme une graine jetée en terre dans un champ.

Savons-nous bien que nous sommes riches et comblés en dedans de nous? Nous n’avons pas à envier les autres, à être jaloux, prétentieux, en compétition et rivalité avec tous et chacun. C’est que d’abord nous devons prendre conscience de notre monde intérieur et de sa richesse, de la vie qui palpite en nous; de cette force divine qui nous habite, qui nous est prêtée.

Nous sommes faits à l’image et à la ressemblance de Dieu. Cette ressemblance, nous l’avons hélas abimée et perdue. N’ayons donc de cesse que d’accepter d’être restaurés par le Christ en cette image. Et misons sur cette restauration spirituelle en nous pour croire davantage en notre jardin intérieur. Dieu est amour. Le premier, il nous a aimés.

Nous avons en nous tout ce qu’il faut pour avoir confiance, pour aller vers les autres avec assurance. Prenons donc l’initiative de donner, d’être en service, de respecter les autres. Comment ne pas les voir, eux aussi, comme aimés de Dieu, voulus par lui. Ils me sont confiés pour que je les aime et les aide au nom de notre Dieu et Père.

Résistons donc absolument à la tentation de la méfiance envers les autres, du jugement à leur égard, de la condamnation qui les stigmatise. Soyons plutôt proactifs en travaillant pour construire un monde meilleur, de justice et de paix pour autant qu’il dépende de nous. Nous ferons alors advenir le Royaume de Dieu. Toute cette bonté, cet amour, cette miséricorde investie par nous pour les autres débordera sur nous en retour à la fin. Dieu nous l’a promis en son Fils bien-aimé Jésus. Que son mystère pascal nous en soi la preuve et nous en rappelle la promesse infaillible!

fr. Jacques Marcotte, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour la fête de la Chaire de saint Pierre Apôtre

Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 16, 13-19

En ce temps-là,
Jésus, arrivé dans la région de Césarée-de-Philippe,
demandait à ses disciples :
« Au dire des gens,
qui est le Fils de l’homme ? »
Ils répondirent :
« Pour les uns, Jean le Baptiste ;
pour d’autres, Élie ;
pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. »
Jésus leur demanda :
« Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? »
Alors Simon-Pierre prit la parole et dit :
« Tu es le Christ,
le Fils du Dieu vivant ! »
Prenant la parole à son tour, Jésus lui dit :
« Heureux es-tu, Simon fils de Yonas :
ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela,
mais mon Père qui est aux cieux.
Et moi, je te le déclare :
Tu es Pierre,
et sur cette pierre je bâtirai mon Église ;
et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle.
Je te donnerai les clés du royaume des Cieux :
tout ce que tu auras lié sur la terre
sera lié dans les cieux,
et tout ce que tu auras délié sur la terre
sera délié dans les cieux. »

COMMENTAIRE

« Pour vous, qui suis-je ? » Au-delà des siècles qui nous séparent, la question de Jésus à ses apôtres s’adresse à chacun de nous. L’Évangile n’est pas simplement un livre d’histoire que nous lisons lors de nos eucharisties sans qu’il n’ait d’impact sur nos vies. Une question nous est posée : « Que dis-tu de moi ? Qui suis-je pour toi ? ». Comme le disait le pape François : « Il s’agit d’une question claire, face à laquelle il n’est pas possible de fuir ou de demeurer neutres, ni de renvoyer la réponse ou de la déléguer à quelqu’un d’autre. » 

« Pour vous qui suis-je ? » Cette question est émouvante dans la bouche de Jésus. Elle survient alors qu’il voit se profiler sa passion à venir, le reniement, l’abandon. Aurait-il œuvré en vain ? Est-ce que sa parole a vraiment touché les cœurs ? 

La préoccupation de Jésus n’est pas de l’ordre d’un souci personnel pour lui-même. Son inquiétude vise avant tout notre bonheur, notre salut, et la réponse de Pierre, qui reconnaît en lui le Messie, a de quoi réjouir Jésus : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas, lui dit-il, : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » 

Car la reconnaissance de Jésus comme Messie prépare déjà le cœur des disciples au grand mystère qui leur sera dévoilé lors de sa résurrection : que Jésus est le Fils de Dieu et qu’il est le grand vainqueur de la mort. 

Après cette profession de foi, Jésus affirmera le rôle central de Pierre dans l’annonce de la Bonne nouvelle du salut : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » Dans ce solennel dialogue de Jésus avec Pierre, au milieu des Douze, il lui confie par avance la charge de signifier sa présence de Pasteur pour la suite des temps. Jésus est et reste l’unique Pasteur, mais les Apôtres porteront cette charge à sa suite, autour du premier d’entre eux, Pierre.

Maintenant, pour symboliser cette fête, nous employons l’image d’une chaise, qu’on appelle la chaire, et qui représente les fonctions d’autorité et d’enseignement du chef des apôtres, ainsi que de tous les successeurs des apôtres. C’est sur cette foi proclamée par Pierre que Jésus va édifier son Église. 

En célébrant la fête de la Chaire de saint Pierre Apôtre, nous célébrons à la fois l’autorité de Pierre et de ses successeurs, en tant que gardiens du troupeau, à l’image du Bon pasteur qu’est Jésus, et nous célébrons aussi la foi de l’Église exprimée par la profession de Pierre à Jésus : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »

Tout en mettant de l’avant la foi de l’apôtre Pierre sur laquelle repose la foi de l’Église, la fête d’aujourd’hui affirme aussi que c’est le Christ qui est le roc de notre foi, le bâton qui guide et qui rassure, comme le chante psalmiste, il est Lui le Bon berger qui mène à la vie.

Rendons grâce à Dieu en cette fête qui nous donne de contempler le grand mystère de la foi de l’Église en la personne de l’apôtre Pierre, et qui nous invite à répondre encore une fois à la question de Jésus : « Pour vous, qui suis-je ? » 

Fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 7e dimanche (C)

Risquer l’amour : une vie généreuse!

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 6, 27-38)

En ce temps-là,
Jésus déclarait à ses disciples :
« Je vous le dis, à vous qui m’écoutez :
Aimez vos ennemis,
faites du bien à ceux qui vous haïssent.
Souhaitez du bien à ceux qui vous maudissent,
priez pour ceux qui vous calomnient.
À celui qui te frappe sur une joue,
présente l’autre joue.
À celui qui te prend ton manteau,
ne refuse pas ta tunique.
Donne à quiconque te demande,
et à qui prend ton bien, ne le réclame pas.
Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous,
faites-le aussi pour eux.
Si vous aimez ceux qui vous aiment,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs aiment ceux qui les aiment.
Si vous faites du bien à ceux qui vous en font,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs en font autant.
Si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir en retour,
quelle reconnaissance méritez-vous ?
Même les pécheurs prêtent aux pécheurs
pour qu’on leur rende l’équivalent.
Au contraire, aimez vos ennemis,
faites du bien et prêtez sans rien espérer en retour.
Alors votre récompense sera grande,
et vous serez les fils du Très-Haut,
car lui, il est bon pour les ingrats et les méchants.

Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux.
Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ;
ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés.
Pardonnez, et vous serez pardonnés.
Donnez, et l’on vous donnera :
c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante,
qui sera versée dans le pan de votre vêtement ;
car la mesure dont vous vous servez pour les autres
servira de mesure aussi pour vous. »

COMMENTAIRE

Nous en sommes, pour quelques dimanches encore, à réfléchir sur le genre de vie que nous devons mener si nous voulons demeurer dans l’esprit de l’Évangile. Quelle est la proposition du Christ à ses disciples?

Nous sommes peut-être étonnés du ton et de la netteté avec lesquels Jésus nous parle des attitudes que nous devons mettre en place dans nos vies. Ce n’est pas pour mettre une pression indue sur nous. Il s’agit d’une invitation, d’un appel qu’il nous fait. Il voudrait tellement que nous ayons les mœurs de Dieu, les attitudes divines, celles qui sont aussi les siennes.

Notre monde est souvent un lieu de luttes et d’affrontements. Nous sommes tous en quête de possession et d’autorité. Nous cherchons à nous imposer aux autres, à les dominer, à posséder au-delà de ce dont nous avons besoin. Cette tendance ne concerne pas seulement les autres, nos gouvernants municipaux, provinciaux et fédéraux. C’est une affaire éminemment personnelle que de prendre option pour la douceur, la miséricorde, le pardon, les valeurs de paix et d’amour.

Bien sûr, il y a en chacun de nous un instinct de vengeance. « Nous sommes vite sur la gâchette » Nous avons tous une réaction vive devant les affronts et la douleur. Comment résister à l’envie de riposter et de rendre à la pareille à qui nous fait du mal et du tort? Et pourtant, comment désamorcer autrement la violence, l’escalade de la violence? Une vengeance immédiate ne risque-t-elle pas de nous engager dans quelque guerre interminable?

« À cochon, cochon et demi », disons-nous. Et nous sommes dès lors convaincus que notre guerre est juste, que c’est là la meilleure façon de prendre notre place dans la vie et de nous faire respecter. Mais où est donc la vraie grandeur? N’est-elle pas dans l’humilité et le service? N’y a-t-il pas de la petitesse à vouloir absolument être meilleur que les autres, à chercher la grandeur comme si elle n’était pas déjà cachée en dedans de nous? Grandeur de l’humilité, du service, de l’amour fraternel… Il y a là quelque chose de divin, de béni et de sanctifié par Jésus lui-même qui a voulu vivre au milieu de nous comme un pauvre, un petit, le serviteur de tous. Comme une graine jetée en terre dans un champ.

Savons-nous bien que nous sommes riches et comblés en dedans de nous? Nous n’avons pas à envier les autres, à être jaloux, prétentieux, en compétition et rivalité avec tous et chacun. C’est que d’abord nous devons prendre conscience de notre monde intérieur et de sa richesse, de la vie qui palpite en nous; de cette force divine qui nous habite, qui nous est prêtée.

Nous sommes faits à l’image et à la ressemblance de Dieu. Cette ressemblance, nous l’avons hélas abimée et perdue. N’ayons donc de cesse que d’accepter d’être restaurés par le Christ en cette image. Et misons sur cette restauration spirituelle en nous pour croire davantage en notre jardin intérieur. Dieu est amour. Le premier, il nous a aimés.

Nous avons en nous tout ce qu’il faut pour avoir confiance, pour aller vers les autres avec assurance. Prenons donc l’initiative de donner, d’être en service, de respecter les autres. Comment ne pas les voir, eux aussi, comme aimés de Dieu, voulus par lui. Ils me sont confiés pour que je les aime et les aide au nom de notre Dieu et Père.

Résistons donc absolument à la tentation de la méfiance envers les autres, du jugement à leur égard, de la condamnation qui les stigmatise. Soyons plutôt proactifs en travaillant pour construire un monde meilleur, de justice et de paix pour autant qu’il dépende de nous. Nous ferons alors advenir le Royaume de Dieu. Toute cette bonté, cet amour, cette miséricorde investie par nous pour les autres débordera sur nous en retour à la fin. Dieu nous l’a promis en son Fils bien-aimé Jésus. Que son mystère pascal nous en soi la preuve et nous en rappelle la promesse infaillible!

fr. Jacques Marcotte, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs

Homélie pour le 6e dimanche T.O. (C) Il est où le bonheur?

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 6, 17.20-26

En ce temps-là,
    Jésus descendit de la montagne avec les Douze
et s’arrêta sur un terrain plat.
Il y avait là un grand nombre de ses disciples,
et une grande multitude de gens
venus de toute la Judée, de Jérusalem,
et du littoral de Tyr et de Sidon.

Et Jésus, levant les yeux sur ses disciples, déclara :
« Heureux, vous les pauvres,
car le royaume de Dieu est à vous.
    Heureux, vous qui avez faim maintenant,
car vous serez rassasiés.
Heureux, vous qui pleurez maintenant,
car vous rirez.
    Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent
et vous excluent,
quand ils insultent
et rejettent votre nom comme méprisable,
à cause du Fils de l’homme.
        Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie,
car alors votre récompense est grande dans le ciel ;
c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes.

    Mais quel malheur pour vous, les riches,
car vous avez votre consolation !
    Quel malheur pour vous qui êtes repus maintenant,
car vous aurez faim !
Quel malheur pour vous qui riez maintenant,
car vous serez dans le deuil et vous pleurerez !
    Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous !
C’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes. »

COMMENTAIRE

Il y a quelques jours, j’écoutais la très belle chanson de Christophe Maé : Il est où le bonheur ? Quelle belle introduction que cette chanson pour mieux comprendre le sens des béatitudes que Jésus nous fait entendre aujourd’hui. Ces béatitudes nous parlent effectivement de bonheur, d’un bonheur profond et durable.

Le prophète Jérémie, dans la première lecture, compare ce bonheur à un arbre, planté près des eaux,

qui pousse, vers le courant, ses racines. Il ne craint pas quand vient la chaleur : son feuillage reste vert ;

L’année de la sécheresse, il est sans inquiétude : il ne manque pas de porter du fruit. Quelle belle image du bonheur que celle d’un arbre verdoyant planté près d’un ruisseau.

Pourtant, vous me direz que le message de l’Évangile semble aujourd’hui contredire cette belle image bucolique où tout n’est que calme, luxe et volupté, pour reprendre les mots du poète Baudelaire. Heureux êtes-vous si vous êtes pauvres, si vous avez faim, si vous pleurez, si vous êtes haïs, exclus et persécutés. Quelle joie ! Qui veut de ce bonheur-là ?

Les béatitudes sont l’un des textes les plus commentés des évangiles. Si l’on inclut les béatitudes chez l’évangéliste Mathieu, il s’agit de huit paroles de Jésus qu’il incarnera tout au long de sa vie et qui sont des chemins de bonheur menant à la fois vers Dieu et vers le prochain.

Pour bien les comprendre, il faut savoir que les béatitudes s’adressent à ceux et celles qui suivent déjà le Christ et qui sont marqués par son esprit. Ainsi, quand il est question d’être pauvre, Jésus fait référence aux anawim, ce terme hébreu qui désigne les humbles, les pauvres et les opprimés de l’Ancien Testament, et dont la seule richesse était de s’en remettre complètement à Dieu, dans l’attente du Messie. Heureux ces pauvres ! Nous dit Jésus.

Cette même pauvreté nous donne aussi d’avoir faim de Dieu, faim de sa Parole, faim de l’Eucharistie, faim de tout ce qui peut nourrir en nous cette vie nouvelle que la foi en Jésus Christ a déposée en nous. En effet, la foi en Christ ne se limite pas à une croyance intellectuelle, mais implique une union spirituelle profonde avec lui. La transformation intérieure du croyant devient un reflet de la vie de Christ en lui et dépose en lui une faim et une soif, qui se fait à la fois recherche de Dieu et recherche du prochain, qui donne faim et soif de justice, de vérité. Heureux ceux et celles qui sont habités par cette faim, nous dit Jésus!

On peut tout à fait appliquer à Jésus Christ les Béatitudes : lui, le pauvre qui n’avait pas une pierre pour reposer sa tête et qui est mort dans le dénuement et l’abandon ; lui qui a pleuré le deuil de son ami Lazare ; et qui a connu l’angoisse du Jardin des Oliviers ; lui qui a pleuré sur le malheur de Jérusalem ; lui qui a eu faim et soif, au désert et jusque sur la croix ; lui qui a été méprisé, calomnié, persécuté, mis à mort. (Marie-Noël Thabut)

Je me souviens de ce vieux moine trappiste. C’est lui qui sonnait la cloche du monastère d’Oka où j’avais passé un mois avec les moines. C’est lui qui sonnait la cloche pour appeler ses frères à la prière. Il me paraissait très âgé, tout courbé par les années. À l’occasion de la fête du dominicain saint Thomas d’Aquin, le père abbé m’avait demandé de prêcher. J’avais alors commencé mon homélie, le sourire en coin, en rappelant à ces moines ce que saint Thomas avait dit à leur sujet et au sujet des dominicains. Il avait dit que les dominicains, qui s’appellent aussi les frères prêcheurs, étaient faits pour prêcher, et que les moines étaient faits pour pleurer ! Et ce vieux moine, que j’avais croisé près de sa cloche quelques heures plus tard, m’avait appelé à l’écart pour me dire : « Vous avez bien raison, mon père, il nous faut pleurer sur notre pauvre monde. » Il avait ainsi touché à l’esprit de la béatitude « Bienheureux ceux qui pleurent ». Car ceux et celles qui pleurent, selon les béatitudes, ne peuvent regarder leurs frères et sœurs de ce monde avec indifférence ni s’approcher d’eux sans être porteurs d’un grand amour pour eux. « Heureux les doux », nous dit Jésus, « heureux les miséricordieux », « heureux ceux qui pleurent », car vous portez avec moi mon amour pour le monde.

Il est où le bonheur? Jésus nous ouvre le chemin du bonheur, le vrai bonheur, un bonheur durable dès maintenant, ainsi que la promesse d’un bonheur à venir, lorsque nous déposerons ultimement nos vies entre les mains de Dieu. Mais d’ici là, les béatitudes sont une invitation à agir, à nous compromettre, à donner des ailes à l’Évangile et lui faire ainsi parcourir le monde. 

Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux.

Heureux les affligés, car ils seront consolés.

Heureux les doux car ils hériteront la terre.

Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.

Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.

Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.

Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.

Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux.

Heureux êtes-vous lorsqu’on vous insulte, qu’on vous persécute et qu’on dit faussement toute sorte de mal contre vous à cause de moi.

Il est où le bonheur? Il s’agit en fait d’être des saints, de laisser le visage du Christ s’imprimer en nous. C’est ce que l’écrivain catholique, Georges Bernanos, écrivait à ce sujet, tel que rapporté par le moine martyr Christian de Chergé : « Il y a des millions de saints dans le monde, écrivait-il, connus de Dieu seul, une espèce rustique, des saints de toute petite naissance qui n’ont qu’une goutte de sainteté dans les veines et qui ressemblent aux vrais saints, comme un chat de gouttière au chat persan ou au siamois primé dans les concours. » Si nous acceptons chacun d’être ce « chat de gouttière », il est certain que nous trouverons notre place dans l’une et l’autre de ces béatitudes qui forment le toit du monde! (Christian de Chergé. Homélie pour la Toussaint 1976, p. 11). 

Que ce soit là votre joie frères et sœurs dans le Christ!

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 2e dimanche (C) Les noces de Cana

Détail du chef-d’œuvre de Véronèse

« Ils n’ont plus de vin. » C’est la supplique que l’on entend dans l’Évangile et que Marie adresse à Jésus : « Ils n’ont plus de vin. » C’est avec cette requête de Marie que nous entrons dans le temps ordinaire de cette année liturgique et cet Évangile nous donne l’occasion d’observer non seulement la figure de Jésus, qui opère son premier miracle dans l’Évangile de Jean, mais aussi celles de Marie, sa mère, ainsi que des serviteurs de la noce. La présence de Marie au premier miracle de Jésus dans l’Évangile de Jean n’est pas fortuite alors que cette dernière et les serviteurs sont rarement évoqués dans les commentaires sur les noces de Cana. Je vous propose de le faire aujourd’hui.

Marie impose le respect dans cet Évangile. Quelle audace et quelle détermination alors qu’elle se montre très attentive aux besoins des convives et intercède en leur faveur avec une autorité indéniable : « Faites tout ce qu’il vous dira ! », dit-elle aux serviteurs.

Ce récit a toujours intrigué les spécialistes en raison de la réponse de Jésus à sa mère : « Femme, que me veux-tu? Mon heure n’est pas encore venue. » Mais Marie insiste, elle agit en maîtresse femme qui, loin de se décourager devant les réticences de son fils, fait preuve d’encore plus d’audace, comme si elle savait déjà que lui seul peut répondre à nos pauvretés. C’est comme si elle lui disait : « Il est temps d’agir, mon fils, j’ai foi en toi.» D’où la consigne aux serviteurs : «Faites tout ce qu’il vous dira.» 

Penchons-nous sur la figure de Marie, qui nous offre une clé de lecture importante pour mieux comprendre l’Évangile de ce jour. Il y a à peine une vingtaine d’années, plusieurs théologiens protestants ont manifesté un intérêt renouvelé pour la figure de Marie. Certains d’entre eux sont même allés jusqu’à affirmer que Marie était la première théologienne de l’Église. 

Certains pensent peut-être que les Évangiles ne parlent pas beaucoup de Marie. Pourtant, elle est le seul personnage dont la présence est mentionnée à toutes les étapes importantes de la vie de Jésus. Elle est présente lors de son Incarnation et de sa naissance, elle en est même l’objet privilégié. Elle est là pendant l’enfance de Jésus, elle le présente au Temple, elle le voit grandir, elle le cherchera au Temple alors qu’il a treize ans. 

Elle est également présente pendant la mission de Jésus. Ainsi, on la trouve aux noces de Cana, à Capharnaüm avec les disciples, ou encore à Nazareth où Jésus vient prêcher. Elle est également à Jérusalem lors de la Passion et la mort de son fils. Et après la résurrection, elle se tient au milieu des apôtres lors de la Pentecôte. Malgré leur apparente discrétion, Marie occupe une place unique dans les Évangiles, car elle occupe une place unique dans l’histoire du salut.

Marie est ainsi le seul personnage des évangiles présent à toutes les étapes de la vie de Jésus, et c’est également le seul personnage dont on décrit la vie intérieure., nous la montrant habitée par le mystère de l’identité de son fils, mystère qu’elle l’a sûrement porté toute sa vie. Cette idée est affirmée à deux reprises. La première fois est évoquée après la visite des bergers à la crèche, et la seconde, lors de la rencontre entre Jésus et ses parents au Temple. À la suite de ces deux épisodes, l’évangéliste Luc soulignera que Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. Chez les Dominicains, on aime bien parler de « l’intelligence de la foi », une foi qui cherche à mieux comprendre, une foi qui interroge et qui questionne. Voilà la foi de Marie que l’évangéliste Luc nous dévoile.

Quant à saint Jean, l’évangéliste, il est le seul à nous rapporter la présence de Marie aux noces de Cana ainsi qu’au pied de la croix. Il précise même qu’elle se tenait debout au pied de la croix. Debout ! Cette précision est importante et symbolique, car la signification de cette position du corps est bien connue dans les Évangiles. C’est celle du Christ ressuscité le matin de Pâques. Marie, debout au pied de la croix, se trouve ainsi au cœur même du mystère pascal en tant que mère du Sauveur, et c’est à elle que Jésus nous confie sur la croix en s’adressant au disciple bien-aimé : « Fils, voici ta mère ; mère, voici ton fils. » 

C’est cette même Marie, femme de foi, que l’évangéliste Jean nous invite à contempler ce matin. D’où l’importance de sa présence dans ce récit. La requête de Marie, « Ils n’ont plus de vin », s’adresse bien sûr à son fils, mais depuis la résurrection, comment ne pas entendre cette requête pour nous-mêmes en tant que disciples du Christ ? En effet, nous le savons, le Seigneur ressuscité a le pouvoir de transformer nos eaux mortes en vin nouveau. Les paroles de Marie nous invitent désormais à participer à cette mission avec lui. Il s’agit là d’une invitation à nous faire les serviteurs de la noce.

Depuis la résurrection, nous sommes appelés à servir avec le Christ, à revêtir le tablier comme lui l’a fait, et à porter aux invités de la noce, c’est-à-dire notre humanité blessée et en manque d’amour, la bonne nouvelle du salut qui est capable de transformer les cœurs. Parfois, revêtir le tablier peut aller jusqu’à donner sa vie pour les autres, comme le fera Jésus, mais le plus souvent, donner sa vie, c’est tout simplement revêtir le tablier du service et du don de soi, c’est aimer et faire du bien à ceux et celles qui nous sont confiés. Et il n’y a pas de plus grand bonheur !

Frères et sœurs, c’est cette qualité d’attention à notre monde que la Vierge Marie incarne dans l’Évangile de ce jour. C’est pourquoi, en ce début d’une nouvelle année, nous demandons au Seigneur qu’habite en nous, comme chez Marie, cette contemplation attentive du mystère de foi et d’amour qui nous habite, et qui nous presse de répondre avec joie à l’invitation de Marie : « Faites tout ce qu’il vous dira de faire. »

Fr. Yves Bériault, o.p.  Dominicain

Homélie pour le Baptême du Seigneur (C)

Depuis les tout premiers siècles de l’Église, la fête des Rois mages, ainsi que le baptême du Seigneur ont toujours été associés à son épiphanie, c’est-à-dire à sa manifestation au monde, les mages représentant les nations païennes, à qui le Sauveur est présenté, tandis que le baptême de Jésus par Jean Baptiste marque le début de son ministère public, alors que la voix de Dieu nous révèle son identité : « Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. » 

Chez tous les évangélistes, le ministère de Jésus commence lors de son baptême. La tradition est très ferme sur ce point. Il y a donc là un évènement capital dans la vie de Jésus où l’évangéliste, à travers signes et symboles, nous dévoile à la fois son identité ainsi que le but de sa mission parmi nous. On pourrait penser à un tableau impressionniste où le peintre Luc, avec des touches subtiles qui lui sont propres, nous présente la bonne nouvelle du salut : il y a l’eau et la foule, la voix de Dieu et la colombe, mais surtout, au milieu d’eux, la présence de Jésus qui prie.

Précisons tout d’abord que le baptême que reçoit Jésus, ce n’est pas encore le baptême chrétien. Il s’agit d’une démarche de pénitence et de conversion qui n’est pas une coutume juive traditionnelle, mais un rituel propre à Jean Baptiste, et qui survient alors qu’il y a une grande effervescence dans toute la Judée. Le contexte historique et social est le suivant. 

La voix du dernier prophète s’est éteinte 450 ans plus tôt avec la mort du prophète Malachie. Le pays est sans roi depuis près de six cents ans, constamment occupé par des envahisseurs païens, et le peuple se demande quand vont se réaliser les promesses de Dieu tant annoncées par les prophètes. N’est-ce pas Isaïe qui proclamait dans notre première lecture : « Voici votre Dieu. Voici le Seigneur Dieu : il vient avec puissance et son bras est victorieux ». Mais même Isaïe semble pousser un soupir d’impatience quand il s’exclame ailleurs : « Ah ! Si tu pouvais déchirer les cieux et descendre ». Si tu pouvais enfin venir nous sauver !

En réponse à ces promesses, et à cette attente, survient Jean Baptiste le prophète à une époque de ferveur messianique, surtout chez les pauvres de Dieu. Ces pauvres on les appelle les anawim. Ils sont ceux qui espèrent tout de Dieu comme la Vierge Marie, saint Joseph et Syméon, car de plus en plus, des voix se font entendre pour dire que le Messie va bientôt venir, que Dieu va enfin accomplir sa promesse de salut. 

Certains se demandent si ce n’est pas Jean Baptiste qui est le Messie, mais lui il annonce la venue d’un plus puissant que lui, et quand il le reconnaît en la personne de Jésus, il s’étonne toutefois de sa présence dans les eaux du Jourdain. Même Jean Baptiste est décontenancé par ce Messie qui prend place parmi les pécheurs, et les plus pauvres. La même question s’impose à nous en cette fête : mais qu’est-ce que Jésus fait là et pourquoi se fait-il baptiser ? 

L’évangéliste Luc nous raconte ce qui suit : « Comme tout le peuple se faisait baptiser et qu’après avoir été baptisé lui aussi, Jésus priait, le ciel s’ouvrit. » 

La présence de tout le peuple lors du baptême de Jésus est propre à l’évangéliste Luc. Ce dernier veut ainsi nous rappeler que le Fils de Dieu assume pleinement notre condition humaine ; il la prend sur lui avec son poids de péché, il marche avec nous, il se tient parmi nous, comme le grand priant, le grand intercesseur. En plaçant Jésus parmi tout le peuple, l’évangéliste Luc veut nous montrer à quel point Jésus s’est lié à notre humanité, en se faisant solidaire des hommes et des femmes de ce monde en quête de salut et de pardon, et qui sont représentés par cette foule descendant dans le Jourdain à l’appel de Jean Baptiste.

Un autre élément important dans le récit du baptême de Jésus, c’est la voix de Dieu. Cette voix qui déchire les cieux, et qui vient réaliser le rêve du prophète Isaïe, nous dévoile l’identité même de Jésus. Il est le Fils bien-aimé du Père. Et quand Dieu dit : « aujourd’hui, je t’ai engendré », c’est là la reprise d’un psaume qui était chanté lors de l’intronisation d’un roi en Israël, ainsi qu’à chacun de ses anniversaires. Jésus est ici proclamé non seulement Fils de Dieu, mais il est déclaré Seigneur, Roi de l’Univers.

Quant à la colombe, un autre détail significatif de notre récit, elle représente l’Esprit Saint. Non seulement elle nous introduit dans le mystère trinitaire, car le Père, le Fils et l’Esprit Saint sont présents dans cette scène du baptême, mais la colombe est aussi symbole de création et de renouveau. On pense ici à la colombe après le déluge ou encore à l’esprit du Seigneur qui planait sur les eaux au moment de la création du monde. 

En soulignant la présence de la colombe, l’évangéliste Luc veut nous dire que l’heure de la nouvelle création a sonné. Non seulement Jésus est-il Dieu avec nous, mais il est aussi Dieu pour nous. Son baptême est l’expression de son amour pour nous, un amour solidaire qui se donnera jusqu’à la mort, et déjà, par ce baptême qu’il reçoit, Jésus nous prend sur ses épaules, comme il a pris sa croix. Il prend sur lui nos péchés et se fait baptiser avec le peuple, lui qui était sans péché.

C’est dans cette dynamique que nous entrons lorsque nous recevons le baptême. Le baptême de Jean Baptiste est en quelque sorte une préfiguration du baptême chrétien. Il est transfiguré par la présence de Jésus et désormais, quand ce geste sera posé en Église, ce ne sera plus seulement une volonté de conversion qui sera manifestée, mais c’est la vie toute entière du baptisé qui sera remise entre les mains du Christ. Le baptême fait de nous non seulement ses disciples, mais il nous configure au Christ, c’est une adhésion à la vie même de Jésus.

Un jour, une personne m’a demandé si je faisais autant de baptêmes que de funérailles à notre paroisse. La réponse est non, bien que nous recevions régulièrement des demandes de baptême. Malheureusement trop d’hommes et de femmes ignorent à quel point Dieu les aime et combien cet amour a le pouvoir de transfigurer leur vie. C’est pourquoi il nous faut porter sans cesse ce souci et ce désir d’annoncer la bonne nouvelle de Jésus Christ.

Il ne s’agit pas de convertir pour faire nombre, ou de se rassurer en n’étant pas les seuls à croire. Non. Il s’agit avant tout de partager avec d’autres ce bonheur de croire en Dieu, de la même manière qu’on ne peut garder pour soi notre émerveillement devant un livre ou un film qui nous séduit, ou un coucher de soleil à couper souffle, ou une bonne nouvelle qui fait irruption dans nos vies. 

Quand nous aimons, il est normal de vouloir partager ses coups de cœur avec les autres. Et il n’y a pas plus grand coup de cœur que le bonheur de croire, que la présence de Dieu dans une vie, qui de mille et une manière nous redit sans cesse : « Tu es ma fille bien aimée, tu es mon fils bien-aimé, en toi j’ai mis tout mon amour. » Amen.

Yves Bériault, o.p. Dominicain

L’Épiphanie du Seigneur : un chemin vers les autres

Je me souviens quand j’étais enfant, la préparation de la crèche de Noël ressemblait à s’y méprendre à une pièce de théâtre où nous placions soigneusement nos différents personnages, les Mages étant sans doute les plus fascinants avec leurs vêtements somptueux, leurs chameaux et leurs présents. À travers ces personnages, c’est la merveilleuse histoire de Noël qui se jouait sous nos yeux, alors que notre foi d’enfant prenait peu à peu son envol.

Nous n’avions aucune idée de l’intrigue qui se mettait en branle avec la naissance de Jésus. Que savions-nous de la peur qui s’était emparée de Jérusalem quand les mages annoncèrent la naissance du Messie; de l’inquiétude des élites religieuses ou des sombres intentions du roi Hérode à l’endroit de ce nouveau-né?

L’histoire de Noël est beaucoup plus grande et tragique que la simple représentation qu’en donnent nos crèches, car l’Enfant qui vient de naître vient disperser les superbes, comme le chante Marie sa mère, renverser les puissants de leurs trônes, prendre parti pour les humbles et les affamés. Pas étonnant que tous les Hérode et les pouvoirs malveillants de ce monde s’opposent à lui et à son Évangile, car le mystère de la Nativité se joue désormais aux dimensions du monde, et nous faisons tous et toutes partie des personnages de cette crèche universelle où le Christ nous attend. 

C’est pourquoi en ce jour de l’Épiphanie, j’aimerais vous parler des mages d’aujourd’hui, dont nous faisons partie, mais plus particulièrement de ceux et celles qui cherchent encore l’étoile, ou qui n’ont pas toujours leur place dans la crèche, car il est important que nous prenions la mesure de cette réalité qui interpelle l’Église et nos communautés.

J’ai rencontré beaucoup de mages dans mon ministère comme dominicain, pas toujours des mages somptueux avec les bras remplis de cadeaux. Souvent des personnes blessées par la vie se présentant à nos églises avec leur baluchon de détresse et de misère : ex-prisonniers cherchant à refaire leur vie, familles de réfugiés ayant fuies leur pays, parents pleurant la mort d’un enfant, personnes rejetées, ou se sentant exclus, tel cet homme divorcé remarié, m’avouant qu’il se tenait derrière une des colonnes de l’église lors des messes, voulant se faire le plus discret possible par crainte de scandaliser les gens qui le connaissaient. C’est là une douleur qui l’habita toute sa vie.

Je pense aussi aux gens de la rue, entrant timidement comme des intrus dans nos églises, se tenant dans les derniers bancs; je pense à des homosexuels que j’ai connus, vivant douloureusement le rejet par leurs parents, ou ce couple d’homosexuels voulant célébrer la mort de la mère de l’un des deux, puisque c’était ses dernières volontés, sinon ils ne seraient jamais venus à l’église, m’ont-ils confié, car ils ne croyaient pas qu’ils seraient les bienvenus. Voyez-vous, l’étable de Bethléem est trop souvent devenue un palais où il faut montrer patte blanche. 

Mais il y a aussi des petits miracles dans nos communautés. Quand je suis arrivé dans une paroisse, il y avait cette personne transgenre, une personne des plus discrète, assidue aux célébrations quotidiennes de l’eucharistie, se nourrissant d’écrits de mystiques et de vie de saints, faisant parfois les lectures à la messe. Si la foi de cette personne semblait s’imposer à tous comme une évidence, la souffrance liée au rejet qu’elle vivait de la part de son entourage était néanmoins palpable, et certains membres de la communauté la soutenaient. Oui, il y a des mages qui viennent de très loin frapper à la porte de nos églises.

Une des rencontres les plus marquantes pour moi est sans doute celle avec une infirmière à la retraite, venant à moi en pleurs après la messe, me demandant si je lui permettais de venir à la messe même si elle n’avait pas la foi. Elle me disait : « Je ne sais pas pourquoi je viens ici, mais ça me fait du bien, j’aime écouter les chants, ça m’apaise. » Cette femme avait travaillé comme infirmière avec les drogués et les prostitués dans les bas-fonds d’un centre-ville pendant plusieurs années, hébergeant même parfois de ces personnes dans sa maison. Elle était allée au Nicaragua auprès des paysans les plus pauvres, pour ensuite se retrouver au Rwanda lors du génocide, y travaillant pendant plus de trois années. Un parcours humanitaire extraordinaire! Mais voilà, elle était en pleurs près de la crèche, se sentant abandonnée par ses enfants dans sa vieillesse, ne trouvant réconfort que dans une église.

Je pense parfois à elle et à toutes ces personnes avec beaucoup d’émotion, car elles nous entraînent sur un chemin de conversion si nous prenons le temps de les écouter. Elles nous évangélisent, car sans le savoir, elles sont toute proche du cœur de Dieu.

Vous l’aurez sans doute deviné, je vois dans l’Épiphanie une invitation à suivre l’étoile qui nous conduit vers les autres, surtout ceux et celles qui ont besoin d’être accueillis, écoutés et aimés. Car au plus profond de nos vies, il y a ce mystère d’amour que l’enfant de la crèche est venu déposer en nos cœurs; un don qu’il nous appelle à partager, tels des mages en route vers d’autres crèches où, sous le couvert de la misère du monde, Dieu nous attend. 

Chers amis, puissions-nous être des mages les uns pour les autres en cette nouvelle année. C’est la grâce que je nous souhaite. Bonne et heureuse année 2025!

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

La Sainte Famille pour aujourd’hui

« Pourquoi m’avez-vous cherché ? », répond Jésus à ses parents morts d’inquiétude. Un jeune garçon de douze ans qui disparaît pendant trois jours, voilà une situation qui aurait mis sur le qui-vive bien des forces policières si le drame s’était déroulé aujourd’hui. « Pourquoi m’avez-vous cherché ? », répond Jésus, comme si son escapade au Temple allait de soi. 

Il faut dire que cette recherche des parents de Jésus se situe à l’intérieur d’une famille bien particulière, et c’est pourquoi on ne peut entendre le récit d’aujourd’hui comme le simple rappel d’un fait divers. Déjà, l’identité de Jésus est énoncée pour la première fois dans sa bouche quand il affirme : « Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? » Et c’est dans le Temple que Jésus proclame cette filiation au Père. Mais ses parents ne comprirent pas, nous dit l’évangéliste Luc, et voilà qui est rassurant d’une certaine manière, car nous-mêmes nous ne comprenons pas toujours et à travers la recherche inquiète des parents de Jésus, c’est notre propre recherche, notre propre histoire spirituelle qui se profilent dans l’évangile de ce dimanche. 

L’on a toujours proposé la Sainte Famille comme un modèle pour les familles chrétiennes. Toutefois, à notre époque, la notion même de famille traverse une crise sans précédent, ou à tout le moins elle connaît des bouleversements qui en inquiètent plusieurs. Nous connaissons les bébés éprouvettes, les mères porteuses, demain l’on nous promet le clonage, les bébés sur mesures, à notre image et ressemblance, tandis que nous connaissons tous des familles où les parents sont divorcés, des familles reconstituées, des familles monoparentales, où des pères et des mères seules font preuve d’un courage extraordinaire pour éduquer leurs enfants, et nous connaissons aussi des familles où les parents sont du même sexe. 

Par ailleurs, plusieurs couples ne pouvant avoir d’enfants ou encore par souci d’aider les enfants les plus démunis de ce monde, se tournent vers l’adoption internationale, et ainsi des grands-parents se retrouvent avec un petit-fils coréen ou une petite fille haïtienne.  Ces changements font que le visage traditionnel de la famille s’est complètement transformé. Ces changements sont parfois porteurs de soucis et de souffrances, mais ils demandent surtout beaucoup d’amour. Est-ce que la traditionnelle Sainte Famille est encore en mesure de nous inspirer dans un ce nouveau contexte de société ?

Une chose est certaine, cette famille n’est pas conventionnelle. Tout d’abord, Joseph a dû cacher la grossesse de Marie avant le mariage en la prenant chez lui comme épouse. Ensuite, même si l’on a souvent évoqué la Sainte Famille pour encourager la natalité, il faut se rappeler qu’il s’agit d’une famille avec un enfant unique, ce qui est très proche de notre moyenne nationale au Québec. De plus, Joseph, le père de Jésus, n’est pas le géniteur de l’enfant, il est son père adoptif, tandis que Marie, la mère biologique, est encore vierge, puisque l’enfant est né d’une action miraculeuse de Dieu. Voilà la Sainte Famille ! 

L’on peut à la fois retrouver en elle les valeurs familiales les plus traditionnelles, à cause de la sainteté même de Jésus et de ses parents, et en même temps l’originalité de cette famille a de quoi étonner les familles les plus diversifiées que nous connaissions. C’est pourquoi le point de convergence le plus significatif entre ces parents inquiets, que sont Joseph et Marie, et nous-mêmes en tant que parents ou membres d’une famille, est que notre histoire personnelle et familiale est aussi une histoire sainte. Chacun des membres de nos familles, qu’ils soient croyants ou non, est engagé dans une recherche de bonheur et d’absolu. 

Parfois ces recherches nous inquiètent et nous blessent. Elles sont parfois même destructrices, mais dans chacune de nos histoires, quelle qu’elle soit, Dieu y est présent, et sans cesse il nous invite à nous approcher du mystère de la crèche, afin qu’il devienne notre propre mystère, c.-à-d. que nous acceptions nous aussi, comme Marie et Joseph, d’accueillir le Messie dans nos vies, afin qu’il trouve un accueil chez nous, et ainsi qu’il puisse nous transformer et nous enrichir, nous aidant à devenir ce que nous sommes, des enfants de Dieu ! C’est tout cela le mystère de Noël.

Marie et Joseph ont dû cheminer péniblement afin de se rapprocher du mystère de leur fils Jésus. Ils n’ont pas toujours compris ni toujours cherché au bon endroit. Ils n’ont pas saisi tout de suite ce que Jésus voulait leur dire quand il disait qu’il devait être dans la maison de son Père.

On connaît peu de choses de Joseph, mais sans doute, comme Marie, gardait-il dans son cœur tout ce qui pouvait lui échapper quant à la destinée de son fils Jésus. Et en ce sens, Marie et Joseph sont des modèles de foi confiante, des cœurs dociles, s’en remettant entièrement à Dieu, même devant l’inexplicable, même devant les menaces d’un Hérode sanguinaire, ou encore l’exil forcé en Égypte, souffrant parfois de ne pas comprendre où les entraînait cet enfant qui leur avait été miraculeusement confié. Ne devait-il pas se dire parfois, tout comme nous : « Mon Dieu, qu’attends-tu de nous ? »

Frères et sœurs, c’est à nous maintenant de prendre chez nous cet enfant et de le laisser grandir « en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes. » 

C’est pourquoi, en ce temps de Noël, la Sainte Famille se présente à nous et nous invite à franchir le seuil de sa maison, à nous laisser saisir par son mystère qui nous renvoie à notre propre mystère, et qui est d’accueillir Jésus dans nos vies et dans nos familles, au cœur même de nos pauvretés, de nos doutes et de nos épreuves, car n’en doutons pas, notre histoire personnelle est aussi une histoire sacrée que l’Emmanuel vient habiter de sa présence. Et c’est ainsi que cette histoire d’amour de la Sainte Famille, l’histoire la plus extraordinaire que la terre ait jamais connue, se poursuit tout au long du temps de l’Église. Amen.

Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 4e dimanche de l’Avent (C) Croire comme Marie

La mère de Jésus occupe une place centrale dans la foi de l’Église. Pourquoi? Parce qu’elle est celle qui a cru. Mais quand on dit de Marie qu’elle est celle qui a cru, l’on ne veut pas dire par là qu’elle fait simplement partie d’une longue lignée de témoins de la foi en Dieu, bien que cela soit vrai, mais l’on veut surtout affirmer que la pierre d’assise de la foi chrétienne, qui est de croire que le Fils de Dieu s’est incarné, que cette pierre d’assise a comme point de départ la foi de Marie, son oui à Dieu ! Elle est celle qui a cru non seulement à la réalisation des promesses de Dieu, où tout le peuple d’Israël attendait le Messie, mais elle a cru à son incarnation en sa chair même. Et c’est ainsi que Marie accomplit la première et la plus grande de toutes les béatitudes, celle qui requiert une confiance absolue en Dieu : « Heureuse celle qui a cru ! »

C’est grâce à la foi de Marie que l’on entre dans l’Alliance nouvelle que Dieu vient sceller avec l’humanité. Tout d’abord, dans ce mystère de l’incarnation, nous pouvons déjà entendre Dieu dire à son peuple et à chacun et chacune de nous : « Je suis présent dans votre attente ! Vous tous qui peinez et souffrez, qui cherchez un sens à cette vie, je suis là au coeur de vos vies, avec vous. » Cette présence de Dieu en Marie devient physique. C’est le Fils de Dieu qui prend chair de notre chair, qui assume tout le poids de notre humanité, excepté le péché, afin d’affirmer de manière irrévocable que Dieu s’est engagé avec nous dans notre lutte contre le mal, le péché et la mort.

Mais le mystère qui se joue en Marie est bien plus que le signe d’une présence de Dieu à nos vies. Contemplant Marie et le mystère qui l’habite, nous sommes invités à faire nôtre sa Visitation à Élisabeth. 

Regardez les récits de l’enfance dans les Évangiles. Dès que l’action de Dieu se fait sentir, les personnages se mettent en mouvement. Visitation de l’Ange à Marie, à Joseph, à Zacharie, le père de Jean-Baptiste. Visitation de Marie à Élisabeth. Visitation des bergers, des anges et des Mages à la crèche. Même les étoiles semblent se déplacer la nuit de Noël ! Car plus qu’une présence à nos vies, le mystère qui se joue en Marie demande non seulement à être reçu, mais aussi à être porté au monde. 

Et voilà que Marie écoutant la voix de l’ange, se met en route pour aller chez sa cousine Élisabeth, qui en est à son sixième mois. Marie se fait toute disponible à cette action de Dieu en elle. Elle se rend chez sa cousine porteuse du Christ et, en ce sens, elle inaugure déjà la vocation du disciple. Elle est la première disciple de son fils. Car avant d’être une maternité physique, ce qui se vit en Marie est une maternité spirituelle. Saint Augustin dira de la Vierge Marie: « Elle conçoit le Christ dans son coeur avant de le concevoir dans son sein… ». 

Voilà toute la portée du oui de Marie, et c’est pourquoi saint Augustin dira dans un sermon : « qu’il est plus grand pour Marie d’avoir été disciple du Christ que d’avoir été mère du Christ. » Et avec Marie notre mère, nous aussi nous sommes disciples du Christ, appelés à donner nous aussi le Christ au monde. Mais comment cela va-t-il se faire ? Le défi n’est-il pas trop grand pour nous ? Voici quelques pistes que je propose à notre réflexion afin de répondre à cet appel.

Donner le Christ au monde ce sera tout d’abord croire comme Marie, i.e. de poser cet acte de foi qui fait pleinement confiance à Dieu, lui qui est au coeur de toutes nos attentes, de tout ce que nous pouvons porter comme projets, comme épreuves, comme engagements, comme relations aux autres. 

Donner le Christ au monde ce sera croire que Dieu est capable, non pas de nous donner tout ce que nous désirons, mais qu’il est capable de réaliser en nous toutes ses promesses de salut, qu’il est capable de nous donner de vivre de sa vie dans la foi et la confiance, qu’il est capable de nous faire marcher à la suite du Christ, courageusement, avançant sur les routes du monde, où qu’elles nous conduisent, à l’exemple de Marie qui va visiter sa cousine Élisabeth. 

Donner le Christ au monde ce sera de marcher avec tous les compagnons et compagnes de route que la vie nous donne, partageant leurs recherches, leurs luttes, leurs joies et leurs peines, nous associant à leur volonté de construire un monde meilleur, même s’ils ne partagent pas toujours notre foi, car Dieu aime tous ses enfants.

Quand dans l’Évangile Élisabeth s’écrie : « Heureuse celle qui a cru », cette exclamation n’est pas seulement un cri d’admiration devant la Vierge Marie, mais il nous faut aussi entendre ce cri comme une invitation qui nous est lancée afin de vivre nous aussi de cette béatitude de la foi, à l’exemple de Marie. 

C’est la bienheureuse Élisabeth de la Trinité, dans une strophe à l’Esprit Saint, écrite en 1904, qui faisait cette demande bouleversante à Dieu : 

« Ô Feu consumant, Esprit d’amour, survenez en moi afin qu’il se fasse en mon âme comme une incarnation du Verbe : que je lui sois une humanité de surcroît en laquelle il renouvelle tout son mystère. » (Prière du 21 novembre 1904). C’est cela croire comme Marie. C’est souhaiter de tout son coeur cette action de l’Esprit de Dieu en nous afin que nous puissions nous aussi témoigner de lui en le donnant au monde, porteurs de cet amour qui habitait le coeur de Marie.

C’est pourquoi, à quelques jours de la fête de Noël, la liturgie nous invite à contempler la mère de Jésus et son mystère, car en elle se trouve résumé à la fois la réponse que Dieu attend de nous, ainsi que la réponse de Dieu à notre besoin de salut, l’Emmanuel, Dieu parmi nous.

Que cette eucharistie nous ouvre le coeur et l’esprit à l’intelligence d’un aussi grand mystère, et qu’elle nous aide à grandir dans la foi, à l’exemple de Marie notre mère.

Yves Bériault, o.p. Dominicain.

Homélie pour le 3e dimanche de l’Avent (C) La joie c’est sérieux!

Sur l’affiche annonçant notre célébration, il est écrit : La joie, c’est sérieux! Vraiment? N’est-ce pas un peu rabat-joie une joie qui est sérieuse? Il faut savoir que ce troisième dimanche de l’Avent, comme chaque année liturgique, est appelé le dimanche de la joie. Mais de quelle joie voulons-nous parler? Pour introduire ce dimanche, la liturgie reprend un passage du prophète Sophonie où il ne semble pas y avoir de retenue dans l’expression de cette joie :

Pousse des cris de joie, fille de Sion !
Éclate en ovations, Israël !
Réjouis-toi, de tout ton cœur bondis de joie,
fille de Jérusalem !

Et saint Paul d’insister dans notre deuxième lecture : « Soyez toujours dans la joie du Seigneur ; je le redis : soyez dans la joie.» Mais une joie sérieuse? Certainement, c’est tout à fait juste. Bravo au concepteur de cette affiche.

Pour comprendre cette joie à laquelle nous sommes appelés, regardons comment il se fait que nous soyons ici ce soir en tant que communauté chrétienne ; comment par monts et par vaux, la joie d’une bonne nouvelle s’est frayé un chemin jusqu’à nous à travers ces quelques millénaires qui nous séparent des prophètes et de Jésus, le fils de Marie, et comment cette joie nous engage et nous rends responsables.

C’est ainsi qu’à chacune de nos eucharisties nous écoutons des textes bibliques, qui nous parlent à la fois de Dieu et de nous, de nous et de Dieu, de manière inséparable. Ces textes nous rappellent d’où nous venons et où nous allons, et qui est ce Dieu qui nous parle et nous conduit. 

C’est ainsi que tout au long de la Bible, nous assistons à un lent dévoilement de qui est Dieu. Le mystère se déploie au fil des pages et des siècles que nous contemplons dans ce livre sacré, qui est une véritable bibliothèque, couvrant une période de près de 1000 ans d’histoire. 

On y voit Dieu se révéler tout d’abord dans un contexte religieux du Moyen-Orient où les idoles surabondent, rivalisant parfois de cruauté et d’arbitraire. Les textes qui nous parlent de Dieu, ou qui lui donnent la parole, évoquent un Dieu qui se fraie un chemin au cœur d’un petit peuple de rien du tout, avec le seul but de se faire connaître et aimer. L’histoire de la Bible, c’est avant tout l’histoire du dévoilement de Dieu, et du sens même de ce monde avec ses milliards de galaxies.

Si Dieu se fait tout d’abord connaître dans la Bible comme le Dieu Tout Autre, le Dieu Créateur, le Dieu Tout-Puissant qui libère son peuple de l’Égypte et lui donne une terre ; peu à peu, Celui que l’on a appelé le Dieu des Armées, celui qui accompagne à la bataille, voilà qu’on le découvre dans la bouche des prophètes, comme le Dieu désarmé, le Dieu dont la seule puissance est celle de l’Amour et de la Miséricorde ; un Dieu qui, loin de s’imposer à nous, vient plutôt quémander notre amour, comme un mendiant. Il se révèle même comme un Dieu vulnérable, que l’on peut aisément blesser, et qui pourtant ne désespère jamais de nous, qui n’a de cesse de nous chercher jusqu’à ce qu’il nous trouve.

Le prophète Sophonie, que nous avons entendu dans la première lecture, est un tout petit prophète du septième siècle avant J.C. Son livre fait en tout cinq pages dans la Bible. Et pourtant, c’est encore la voix de ce prophète que nous entendons 2,600 ans plus tard, nous dire : « Le Seigneur ton Dieu est en toi… Il aura en toi sa joie et son allégresse. Il te renouvellera par son amour. » Et voilà que la promesse est lancée !

Le prophète Osée va comparer l’amour de Dieu pour son peuple à celui de l’amour d’un fiancé pour sa fiancée. Ce thème des épousailles de Dieu avec l’humanité va peu à peu devenir une constante dans la bouche des prophètes. Qu’il s’agisse d’Isaïe, de Jérémie, d’Ézéchiel, ou encore d’un livre poétique comme le Cantique des Cantiques, l’on retrouve chez ces prophètes tout le vocabulaire des fiançailles et des noces. Et ce Dieu, qui aime tellement le monde, va venir ultimement à nous en la personne même de son Fils, porteur de cette passion de Dieu pour chacun de ses enfants. C’est dans cette bonne nouvelle que s’enracine notre joie.

Elle est tout particulièrement au rendez-vous tout au long des évangiles. Dès le début, l’archange Gabriel salue Marie en lui disant « Réjouis-toi » (Lc 1, 28). La visite de Marie à sa cousine Élisabeth fait en sorte que Jean tressaille de joie dans le sein de sa mère (cf. Lc 1, 41). Dans son cantique, le Magnificat, Marie proclame : « Mon esprit tressaille de joie en Dieu mon Sauveur » (Lc 1, 47). Et quand Jésus commence son ministère, Jean le Baptiste s’exclame : « Telle est ma joie, et elle est complète » (Jn 3, 29). Jésus lui-même tressaille de joie sous l’action de l’Esprit-Saint (Lc 10, 21). Son message même, à ses apôtres, est source de joie quand il leur dit : « Je vous dis cela, pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète » (Jn 15, 11). 

Oui, frères et sœurs, la joie promise par le Christ frappe à la porte de nos souffrances physiques, morales et spirituelles, et elle nous invite au rendez-vous de Dieu, qui est d’accueillir le Christ dans nos vies, lui qui nous entraîne dans le sérieux de nos vies. L’affiche annonçant cette messe ne s’y est pas trompée. 

Car être « Chrétien », c’est être « du Christ », c’est lui appartenir, lui qui nous donne force et courage dans la nuit de l’épreuve et les combats de cette vie, là où nous sommes invités à nous tenir debout, au nom même de cette joie qu’il a mise en nos cœurs. Car voyez-vous, comme le dit un poète :

Voici un poème en terminant pour nous préparer à la fête de Noël :

Il y a la joie qui vient du dedans et il y a celle qui vient du dehors.

Je voudrais que les deux soient tiennes,

Qu’elles remplissent les heures de ton jour, et les jours de ta vie ;

Car lorsque les deux se rencontrent et s’unissent, 

il y a un tel chant d’allégresse,

que ni le chant de l’alouette ni celui du rossignol ne peuvent s’y comparer.

Mais si une seule devait t’appartenir,

Si pour toi je devais choisir,

Je choisirais la joie qui vient du dedans.

Parce que la joie qui vient du dehors 

est comme le soleil qui se lève le matin et qui, le soir, se couche. 

Comme l’arc-en-ciel qui paraît et disparaît ; 

Comme la chaleur de l’été qui vient et se retire ; 

Comme le vent qui souffle et passe ; 

Comme le feu qui brûle puis s’éteint… 

Trop éphémère, trop fugitive…

J’aime les joies du dehors. Je n’en renie aucune. 

Toutes, elles sont venues dans ma vie quand il fallait…

Mais j’ai besoin de quelque chose qui dure ; 

De quelque chose qui n’a pas de fin ; qui ne peut pas finir.

Et la joie qui vient du dedans ne peut finir.

Elle est comme une rivière tranquille, toujours la même ; toujours présente.

Elle est comme le rocher,

Comme le ciel et la terre qui ne peuvent ni changer ni passer. 

Je la trouve aux heures de silence, aux heures d’abandon.

Son chant m’arrive au travers de ma tristesse et de ma fatigue ;

Elle ne m’a jamais quitté.

C’est Dieu ; c’est le chant de Dieu en moi,

Cette force tranquille qui dirige les mondes et qui conduit les hommes et les femmes, 

et qui n’a pas de fin, qui ne peut pas finir.

II y a la joie qui vient du dedans et il y a celle qui vient du dehors.

Je voudrais que les deux soient tiennes.

Qu’elles remplissent les heures de ton jour et les jours de ta vie…

Mais si une seule devait t’appartenir

Si pour toi je devais choisir,

Je choisirais la joie qui vient du dedans.

Auteur anonyme.

Fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour le 1er dimanche de l’Avent (C)

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 21, 25-28.34-36

    En ce temps-là,
Jésus parlait à ses disciples de sa venue :
    « Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles.
Sur terre, les nations seront affolées et désemparées
par le fracas de la mer et des flots.
    Les hommes mourront de peur
dans l’attente de ce qui doit arriver au monde,
car les puissances des cieux seront ébranlées.
    Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée,
avec puissance et grande gloire.
    Quand ces événements commenceront,
redressez-vous et relevez la tête,
car votre rédemption approche.

    Tenez-vous sur vos gardes,
de crainte que votre cœur ne s’alourdisse
dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie,
et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste
    comme un filet ;
il s’abattra, en effet,
sur tous les habitants de la terre entière.
    Restez éveillés et priez en tout temps :
ainsi vous aurez la force
d’échapper à tout ce qui doit arriver,
et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme. »

COMMENTAIRE

Frères et sœurs, saviez-vous que le temps de l’Avent est surtout là pour nourrir notre espérance, cette espérance qui est une grâce, un cadeau, qui nous est accordée par Dieu quand nous mettons notre foi en lui. Mais qu’est-ce que l’espérance? Disons tout d’abord, que l’espérance nous invite à regarder bien plus loin que ce que l’on appelle l’espoir et qui est cette manière bien humaine d’attendre des résultats, des succès, dont on espère la réalisation. 

L’espoir joue un grand rôle dans nos vies; l’espoir est l’assise de tous nos projets, de toutes nos réalisations. L’espoir est toujours lié à la réalisation concrète d’une attente; que ce soit une bonne nouvelle du médecin ou que les Blue Jays gagnent la série mondiale, et j’en passe. Et quand l’événement attendu est passé, l’espoir n’est plus là, il s’est évanoui. 

Mais l’espérance nous accompagne tout au long de nos vies et nous invite à regarder bien plus loin que le calendrier de nos engagements ou de nos attentes. L’espérance ne s’arrête pas aux échecs, elle n’est pas déboutée par les déceptions, les angoisses ou la maladie. 

L’espérance sait regarder au-delà de ce qui est provisoire, au-delà même de la mort, surtout de la mort, et jamais sa lampe ne s’éteint quand nous gardons les yeux fixés sur le Christ. L’espérance est ce qu’on appelle une vertu théologale, c.-à-dire, une force intérieure qui nous est donnée par Dieu pour nous conduire jusqu’à lui et nous faire tenir jusqu’au bout.

C’est pourquoi, en ce premier dimanche de l’Avent, nous entendons Jésus qui nous invite à relever la tête, à veiller et à prier avec lui, alors que ce monde passe. Ce monde qui n’est pas le dernier mot de l’amour de Dieu pour nous, mais qui est là comme un premier gage de son amour, et qui, un jour, va céder place à des cieux nouveaux et à une terre nouvelle. Nos espoirs sont faits de nos désirs et de nos projets, alors que l’espérance, elle, nous inspire et nous guide dans chacune des phases de nos vies, et ce jusqu’à la fin, puisqu’elle vient de Dieu.

Le poète Charles Péguy, dans un poème sur la fête de Noël, met en scène trois personnages qu’il appelle les filles de Dieu, et qui sont la foi, l’espérance et la charité. Il compare la charité à une mère ou à une sœur aînée; la foi à une épouse fidèle, et l’espérance, à une toute petite fille. Péguy a là une intuition des plus intéressante, car les saints et les saintes sont surtout reconnus à cause de leur foi à déplacer les montagnes ou encore de leur charité à toute épreuve, mais l’espérance…

Qui a déjà été canonisé parce qu’il avait espéré? Et pourtant, nous dit Péguy avec justesse, c’est la petite fille espérance, qui entraîne par la main ses deux sœurs aînées, la foi et la charité. Cette vision du poète nous introduit, dans une belle compréhension de l’année liturgique que nous inaugurons aujourd’hui.

L’année liturgique qui commence avec le premier dimanche de l’Avent, est marquée par trois grands mouvements, comme une vaste symphonie, qui correspondent au temps de Noël, de Pâques, et du temps appelé « ordinaire », à défaut d’un qualificatif plus poétique. 

Quand on y regarde de plus près, chacun de ces trois temps de l’année liturgique semble davantage orienté vers l’une ou l’autre des trois vertus théologales de foi, d’espérance et de charité. Non pas que toutes ces vertus ne soient pas sollicitées tout au long de l’année à travers les lectures bibliques qui nous sont proposées, mais c’est comme s’il y avait une insistance plus soutenue à l’endroit de l’une ou de l’autre de ces vertus, selon les grands moments de l’année.

Tout d’abord, le temps ordinaire, celui qui occupe la plus large part de l’année liturgique, est loin d’être « ordinaire ». Je le dirais surtout consacré à la vertu de charité, à la mise en œuvre quotidienne de l’amour, manifesté par les paroles, les gestes et la personne même de Jésus. Le temps ordinaire de la liturgie est une invitation à faire nôtre sa mission, afin que, par nos gestes et nos paroles, l’amour et la tendresse du Père soient à nouveau manifestés à notre monde. Le temps ordinaire, c’est l’aujourd’hui de Dieu, l’aujourd’hui de l’Évangile et de l’Église. On pourrait l’appeler le temps de la charité de l’Église.

Le carême et le temps pascal eux me semblent davantage orientés vers la vertu de foi. C’est un temps qui invite à croire, à croire sans réserve. Une invitation nous y est faite à suivre le Christ dans sa mort-résurrection et à proclamer avec les Apôtres que ce Jésus qui a été crucifié, Dieu l’a ressuscité des morts. Carême et temps pascal sont ces temps de l’année où nous retournons aux sources de notre foi et où, à la fête de Pâques, sommet de l’année liturgique, nous proclamons que ce Jésus, Dieu l’a fait Christ et Seigneur. Et nous faisons nôtre cette béatitude promise par Jésus à ses disciples : « Heureux ceux qui croiront sans avoir vu! » C’est à cette foi audacieuse que nous invitent le carême et le temps pascal.

Vous l’aurez deviné, le temps de l’Avent lui me semble tout orienté versl’espérance. L’Avent, première halte dans l’année liturgique, vient dresser sur l’horizon de nos attentes humaines une toute petite lueur. Elle a les dimensions d’un berceau, mais elle est capable d’embraser tout l’univers, et elle est toute contenue dans le mystère de cette étable de Bethléem. Mystère de l’humilité et de la petitesse de Dieu, qui se donne sans jamais s’imposer à nous. Noël, c’est Dieu qui déjà se livre une première fois entre nos mains. 

En attendant d’être couché sur la croix, il est couché dans une mangeoire, emmailloté, offert à notre contemplation. Et là, dans cette vie humaine naissante, gît, impuissant, donnée à nous, l’espérance du monde, le Christ, le Fils de Dieu. À Noël, c’est Dieu lui-même qui vient allumer au cœur de notre nuit une soif d’infini et qui nous ouvre le chemin qui nous y conduit. Non, les indices ne trompent pas. C’est la petite vertu espérance qui se fraie son chemin depuis cette étable de Bethléem et qui illumine la nuit des temps.

Frères et sœurs, nous le savons, la Parole de Dieu ne nous propose pas une espérance à la petite semaine, une espérance facile et béate. Non, elle est de tous les combats cette espérance qui nous entraîne à sa suite, elle est de toutes nos luttes, puisque c’est elle qui nous rend capables de nous engager, de nous aimer, de changer nos cœurs, de recommencer quand tout s’écroule. 

C’est pourquoi, frères et sœurs, en ce temps de l’Avent, nous demandons au Prince de la paix de renouveler en nous cette espérance, têtue et obstinée, afin qu’il nous trouve fidèles et en tenues de service quand il viendra.

Yves Bériault, o.p. Dominicain

Homélie pour la fête du Christ Roi (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 18, 33b-37

En ce temps-là,
    Pilate appela Jésus et lui dit :
« Es-tu le roi des Juifs ? »
    Jésus lui demanda :
« Dis-tu cela de toi-même,
ou bien d’autres te l’ont dit à mon sujet ? »
    Pilate répondit :
« Est-ce que je suis juif, moi ?
Ta nation et les grands prêtres t’ont livré à moi :
qu’as-tu donc fait ? »
    Jésus déclara :
« Ma royauté n’est pas de ce monde ;
si ma royauté était de ce monde,
j’aurais des gardes
qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs.
En fait, ma royauté n’est pas d’ici. »
    Pilate lui dit :
« Alors, tu es roi ? »
Jésus répondit :
« C’est toi-même qui dis que je suis roi.
Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci :
rendre témoignage à la vérité.
Quiconque appartient à la vérité
écoute ma voix. »

COMMENTAIRE

Le passage que nous venons d’entendre est le seul dans les évangiles où Jésus affirme sa royauté, alors que, devant Pilate il est enchaîné, humilié, abandonné de tous. Mais quelle est donc cette royauté de Jésus tellement contraire aux appétits des puissants de ce monde ? 

Jésus en avait déjà donné une claire indication à ses apôtres alors que ces derniers réclamaient le privilège de s’asseoir à sa droite et à sa gauche lors de l’établissement de son royaume. « Vous le savez, avait-il dit : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur ; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave. Ainsi, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » Étrange royauté que celle de Jésus, où le Messie revêt le tablier du serviteur.

Par ailleurs, Jésus affirme être venu pour rendre témoignage à la Vérité. Pilate ne comprend pas. Qu’est-ce donc la vérité demande-t-il à Jésus ? « Les Juifs, eux, savent, depuis le début de leur Alliance avec Dieu, que la vérité c’est Dieu lui-même. » (Thabut) Il est la seule vérité et Jésus est venu nous le révéler, nous dévoiler le visage du Père. 

Cette royauté que Jésus fait sienne est celle-là même de Dieu et il semble y avoir là un renversement incroyable, puisque nous proclamons la toute-puissance de Dieu dans notre Credo. Cette toute-puissance, nous révèle Jésus, est avant tout la toute-puissance de l’amour dans l’humble service des autres.

Cette question de la royauté de Jésus survient au terme de l’année liturgique. Et avant d’aller plus loin, histoire de nous rafraîchir la mémoire, une petite catéchèse est peut-être de mise ici, afin de nous rappeler ce qu’est l’année liturgique, qui étrangement ne correspond pas à l’année civile.

L’année liturgique commence quatre dimanches avant Noël et dure douze mois. Cette période liturgique se décline en trois années, les années A, B et C où nous relisons presque tous les évangiles. Pendant chacune de ces années, la liturgie de l’Église nous fait cheminer à travers les grandes étapes du salut révélées en la personne de Jésus Christ. Faut-il le rappeler, l’année liturgique est bâtie autour de notre foi au Christ et son but est de nous aider à approfondir, de dimanche en dimanche, l’extraordinaire mystère de l’incarnation du Fils de Dieu, sa venue parmi nous, sa passion et sa mort, ainsi que sa résurrection au matin de Pâques.

L’année liturgique commence toujours avec le temps de l’Avent, quatre semaines qui nous préparent à la fête de Noël. Et de là on chemine vers la fête des Rois, l’Épiphanie et le baptême du Seigneur. Quelques semaines plus tard, vient le temps du carême, qui nous prépare à la fête centrale de notre foi, la fête de Pâques, qui est suivie d’une période de 50 jours, que l’on appelle le temps pascal et qui nous mène de l’Ascension à la fête de la Pentecôte. 

Entre ces périodes fastes de la liturgie se vit le temps de l’Église, le temps que l’on appelle « ordinaire », qui reprend après la Pentecôte, du printemps jusqu’à l’automne, et qui nous conduit jusqu’à la fête d’aujourd’hui, qui est le dernier dimanche de l’année liturgique. C’est la fête du Christ-Roi. L’Église proclame la Seigneurie du Christ, sa royauté sur l’univers.

Chaque année, ce cycle liturgique recommence, et pourtant, on ne finit jamais d’en découvrir la nouveauté, car notre vie évolue, et nous-mêmes nous changeons. Il s’en passe des choses en une année. Notre foi avec Dieu s’approfondit, on la questionne. Parfois, c’est la vie qui nous bouscule, qui nous violente même, et il est bon que la liturgie nous invite à nous redire qui est le Christ pour nous au terme de chaque année liturgique.

Alors, qu’affirmons-nous en ce dimanche du Christ-Roi ? Tout d’abord, nous croyons qu’il y a deux mille ans « l’Absolu s’est incarné et qu’il porte un visage, le visage de Jésus Christ ! » (Jacques de Bourbon-Busset). Nous croyons et nous affirmons qu’il est le Seigneur des vivants et des morts, que tout a été remis entre ses mains par le Père, et qu’il nous appelle à vivre éternellement auprès de lui. Nous croyons que sa vie donne sens à notre existence, qu’elle en est le fondement, et qu’il nous appelle à une vie en plénitude dès ici-bas. Nous faisons nôtre l’affirmation de l’Apôtre Pierre à Jésus, lorsqu’il lui disait : « À qui d’autre irions-nous Seigneur ? Tu as les paroles de la vie éternelle ! » 

Nous croyons que le seul royaume que le Christ veut établir en tant que roi est celui de l’amour. Son palais est une étable. Son trône, une croix. Son armée, tous ceux et celles qui veulent vivre de l’esprit des béatitudes, car le Royaume des cieux est à eux. Notre roi est le plus humble des hommes que la terre ait jamais porté. Il se présente à nous comme celui qui frappe à la porte et qui attend qu’on lui ouvre. Il promet à la personne qui lui ouvrira, qu’il entrera dans sa maison, qu’il s’assoira à sa table, et qu’il prendra son repas avec elle. Le Christ-Roi est un roi d’humilité qui vient quémander notre hospitalité et notre amour, et qui jamais ne s’impose à nous. Vraiment, sa royauté n’est pas de ce monde.

N’est-ce pas Jésus qui disait dans les évangiles : « Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos ». Ou encore ce que nous dit l’épître de Paul aux Philippiens, au sujet de Jésus : « Jésus n’a pas retenu le rang d’être l’égal de Dieu, mais… il s’est dépouillé, prenant la forme d’esclave… Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix ».

Voilà, frères et sœurs, le roi qui se tient au milieu de nous. Il est le Seigneur de l’univers et pourtant il vient vers nous avec douceur et humilité, non pas pour dominer nos vies, mais pour les transformer, pour nous donner le vrai bonheur, pour nous inviter à transformer le monde avec lui, avec le seul pouvoir qu’il connaisse, celui de l’amour et de la miséricorde.

Dans un proverbe arabe, Dieu dit ceci : « Viens à moi avec ton cœur, et je te donnerai mes yeux. » N’est-ce pas là, l’appel que nous fait sans cesse le Christ, à nous son Église. Si tu viens à moi avec ton cœur, si tu écoutes ma voix, je te donnerai mes yeux, et non seulement les yeux, mais les mains et le cœur, et l’intelligence des choses. En somme, le Fils de Dieu est venu pour se remettre entre nos mains. Il est notre bien le plus précieux. La vérité qui rend libre! Il est le Christ-Roi ! 

Yves Bériault, o.p. Dominicain

La fin d’un monde – Homélie pour le 33e dimanche (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 13, 24-32

En ce temps-là,
Jésus parlait à ses disciples de sa venue :
    « En ces jours-là,
après une grande détresse,
le soleil s’obscurcira
et la lune ne donnera plus sa clarté ;
    les étoiles tomberont du ciel,
et les puissances célestes seront ébranlées.
    Alors on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées
avec grande puissance et avec gloire.
    Il enverra les anges
pour rassembler les élus des quatre coins du monde,
depuis l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel.

    Laissez-vous instruire par la comparaison du figuier :
dès que ses branches deviennent tendres
et que sortent les feuilles,
vous savez que l’été est proche.
    De même, vous aussi,
lorsque vous verrez arriver cela,
sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte.
    Amen, je vous le dis :
cette génération ne passera pas
avant que tout cela n’arrive.
    Le ciel et la terre passeront,
mes paroles ne passeront pas.
    Quant à ce jour et à cette heure-là,
nul ne les connaît,
pas même les anges dans le ciel,
pas même le Fils,
mais seulement le Père. »

COMMENTAIRE

Tout au cours de l’histoire des derniers millénaires, des mouvements sont apparus prédisant une fin du monde éminente. Que ce soit Nostradamus au Moyen-Âge, ou encore, les Témoins de Jéhovah au XXe siècle, aucune époque n’a échappé à cette angoisse qui s’enracine dans notre finitude humaine, dans la peur de la mort, et, faut-il le dire, la crainte de Dieu. 

Les textes de ce dimanche nous présentent des scènes de catastrophes terrifiantes à l’échelle planétaire. Ce sont là sans doute les passages les plus énigmatiques et troublants de la Bible. Il faut savoir qu’il s’agit d’un style littéraire appelé apocalyptique, d’où le nom bien connu d’apocalypse. Nous connaissons bien ce dernier livre du Nouveau Testament, le Livre de l’Apocalypse, et qui, en anglais, s’appelle The Book of Revelation, qualificatif beaucoup plus compréhensible pour nous aujourd’hui.

Le récit apocalyptique était fort populaire dans les cultures du Moyen-Orient au temps de Jésus et bien avant même. Il s’agissait parfois d’un récit subversif, qui, sous le couvert d’images et de symboles, annonçait des transformations sociales et politiques importantes à venir, afin de redonner espoir et courage. Jésus et le prophète Daniel dans nos lectures aujourd’hui s’inspirent de ce type de récit afin de livrer leur message. 

Que veulent-ils nous dire au juste ? Précisons tout d’abord qu’en rester à l’annonce d’une fin du monde dans les paroles de Jésus ou du prophète Daniel, c’est déformer le sens de leur message qui, paradoxalement, est avant tout un message d’espérance. Jésus et le prophète Daniel ne nous parlent pas de fin du monde malgré les apparences, mais ils nous parlent de la fin d’un monde où Dieu va se manifester et sauver son peuple.

Le prophète Daniel écrit vers l’an 170 av. J.-C., alors que le roi grec Antiochus Épiphane règne sur la Palestine vaincue par ses armées. C’est un despote, un homme cruel qui gouverne avec une main de fer et que l’on considère comme l’ennemi du peuple juif. Se prenant pour un dieu, il ordonne même qu’on lui rende un culte dans le temple de Jérusalem et ceux qui refusent sont mis à mort. 

C’est donc à ses compatriotes juifs que le prophète Daniel adresse son message en le camouflant dans un récit de fin du monde, mais dont ses lecteurs savent bien lire entre les lignes. C’est l’écroulement du règne de ce despote Antiochus Épiphane qui est annoncé par le prophète Daniel, et qui est représenté par un grand combat dans le ciel où l’archange Gabriel lutte en faveur du peuple de Dieu et remporte la victoire. Donc courage, leur dit le prophète Daniel, votre libération est proche puisque Dieu est avec vous.

Ce message est d’autant plus vrai dans la bouche de Jésus. Dans l’Évangile, les paroles de Jésus semblent tourner nos regards vers un avenir encore lointain où tout sera détruit. Mais rappelons-nous que le style littéraire apocalyptique ne signifie pas « destruction », mais « dévoilement », « révélation ». Ce qui est annoncé par Jésus, c’est un monde nouveau, un monde non seulement pour demain, mais pour aujourd’hui même. 

C’est la saison de Dieu qui arrive avec son figuier en fleurs, c’est la nouveauté du Christ. C’est pourquoi les certitudes des hommes, avec leur superbe et leurs sentiments de puissance, en sont ébranlées, comme si le ciel se décrochait. Car c’est le règne de Dieu qui se manifeste avec la venue de Jésus Christ. La victoire définitive de Dieu contre le Mal, c’est pour tout de suite, et c’est ainsi que « le Père donne au monde sa dernière parole, la plus belle et la plus profonde en son Fils fait chair. » (Karl Rahner).

Jésus va employer des images puissantes afin de nous faire comprendre qu’il y a un avant et un après avec sa venue. Même si le ciel et la terre passent, dit-il, « mes paroles ne passeront pas », car elles sont promesse de vie, paroles de Dieu. 

Jésus nous invite donc à cette ferme espérance qui n’est pas un banal espoir, mais cette conviction inébranlable que Dieu est avec nous en ce monde fragile et menacé, ce monde aux prises avec ses guerres, ses catastrophes et ses violences, avec ses populations qui gémissent, ses saisons qui se dérèglent. À travers tout cela, nous dit Jésus, Dieu est avec nous. Confiance, courage!

Mais, attention, il ne s’agit pas là d’une invitation à la passivité. Le Christ se tient à notre porte, nous dit l’Évangile, et il frappe. Il nous invite à lui ouvrir et à marcher avec lui. L’espérance chrétienne n’est pas seulement tournée vers l’avenir, mais elle est pour ce présent qui nous est donné.

C’est pourquoi l’Évangile nous rappelle sans cesse que c’est moins l’homme qui se tourne vers Dieu et qui espère en Lui, que Dieu qui se tourne vers nous et qui espère en nous, puisque c’est Lui qui nous a aimés le premier en nous donnant la vie et en nous donnant son Fils.

Bien sûr, on nous demandera où elle est cette présence du Christ dans la vie de tous les jours. Où est-il ton Dieu ? La victoire du Christ peut sembler dérisoire à l’œil nu, et pourtant, notre foi nous donne de le reconnaitre, de deviner les signes de sa présence, de le savoir tout proche de nous. Nous croyons qu’il est à l’œuvre dans le monde, comme le levain dans la pâte, qu’il est présent dans tous nos gestes d’amour et de solidarité. Car notre espérance s’enracine avant tout dans le présent. C’est pourquoi nous croyons et nous aimons pour aujourd’hui et non pas seulement pour un futur lointain. 

Alors, la fin du monde est-elle pour bientôt ? Nous n’en savons rien et ce n’est pas là la question qui importe. Jésus vient nous dire qu’il inaugure un monde nouveau qui prend sa source dans le cœur de chacun et chacune de nous, et qui nous donne la force et le courage d’avancer avec lui au-devant de tous les combats et de toutes les épreuves. Comme l’affirme l’apôtre Pierre : « Ce que nous attendons, selon la promesse du Seigneur, c’est un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice. Dans l’attente de ce jour, faites donc tout pour que le Christ vous trouve nets et irréprochables, dans la paix. » (2P 3, 13-14)

Frères et sœurs, la foi en Dieu c’est le plus beau cadeau qui soit, et cette foi nous engage à marcher les yeux ouverts dans l’existence, affrontant courageusement les défis qui sont les nôtres sur cette terre trop souvent malmenée, défis qui se vivent tout particulièrement dans nos relations de couples, de familles, de travail et d’amitiés. 

Car, voyez-vous, le premier pas vers la paix dans ce monde nouveau que le Christ vient inaugurer, ce premier pas commence tout d’abord autour de nous et, chaque fois que nous faisons ce pas, c’est l’Évangile qui est annoncé. C’est la joie de croire qui prend le dessus dans nos vies et il n’y a pas de plus grand bonheur. Promesse de Jésus Christ!

Yves Bériault, O.P.

Yves Bériault, o.p. Dominicain

La veuve au Temple. 32e dimanche (B)

Le récit de la veuve et du don qu’elle fait au Temple de Jérusalem est l’un des mieux connus des Évangiles. L’on peut dire que cette femme a frappé l’imagination populaire. Spontanément, elle nous est sympathique. Non pas parce que tous s’identifient à elle. Sans doute pas la plupart d’entre nous. Mais sûrement les pauvres semblables à elle, qui se reconnaissent dans sa pauvreté, et qui sont touchés par l’attention que Jésus lui porte. Quant aux autres, quant à la plupart d’entre nous, si elle nous est sympathique, c’est que l’on admire secrètement sa générosité, sans doute plus grande que la nôtre. Nous l’envions et, en même temps, son humilité nous empêche d’être jaloux. Car nous nous doutons bien comme il doit être grand ce don de la foi qui l’habite, et qui la rend suffisamment confiante pour donner avec une générosité que même Jésus remarque. 

Avec l’évangéliste on se réjouit du trésor qui habite cette femme et que Jésus a su si bien deviner, malgré la discrétion dont elle fait preuve. Il a su lire dans son cœur, il a su lire bien plus loin que sa gêne à se tenir dans un tel endroit, parmi les riches et les prêtres du Temple.

Car ce qu’elle offre au Temple, c’est non seulement un don pour le culte et pour les pauvres; ce que cette veuve offre c’est un cœur généreux qui met toute sa confiance en Dieu, une telle confiance qu’elle prend même sur son indigence, sur sa pauvreté. Jésus dira d’elle qu’elle a tout donné. L’évangile de ce dimanche nous invite à faire comme elle, et cela, il faut bien l’avouer, ça nous fait peur. Puis-je avoir confiance en Dieu à ce point dans ma vie? Voilà la question. Suis-je capable de cette générosité qui ne calcule pas et où je m’engage totalement? L’évangile de ce dimanche veut nous aider à faire un pas dans cette direction. 

Tout d’abord, le contexte où se déroule cet évènement qui nous est rapporté, c’est le temple de Jérusalem, le lieu où l’on vient offrir des prières, des sacrifices, des dons en argent. Et ce Temple, Jésus, dans l’Évangile de Marc, le fréquente beaucoup, surtout après son entrée triomphale à Jérusalem, entrée qui se situe avant le récit de ce dimanche dans l’évangile de Marc.

Déjà, il en a chassé les vendeurs et commerçants de toutes sortes. Et bientôt il annoncera qu’il ne restera pas pierre sur pierre de ce temple. Pourtant, c’est là le lieu où se déroule toute la vie religieuse d’Israël, c’est le Temple du Dieu vivant. De grandes transformations sont encore à venir. Et Jésus lui est ainsi dans ce Temple, comme s’il en avait déjà pris possession. Il observe. Sans doute voit-il venir les évènements qui le conduiront à sa passion. Déjà, il porte en lui cette vérité qu’il annoncera bientôt, qu’il est lui le Temple nouveau, le Temple qu’on ne pourra plus détruire, le Temple où viendront de nouveaux adorateurs du Père et dont la veuve est déjà un signe, tandis que les scribes que Jésus voit à l’œuvre en sont un contresigne.

Les scribes qui s’affairent au Temple, ce sont des conseillers religieux bien en vue du peuple. Ils font partie de cette caste qui règlemente les manières de bien vivre la loi religieuse d’Israël, qui servent d’avocats dans les litiges religieux et l’application de la Loi. Ils conseillent, mais souvent à fort prix. Plusieurs d’entre eux exploitent ceux et celles qui les consultent en exigeant des sommes exorbitantes, ne se gênant pas même pour abuser des plus petits, des veuves, considérées comme faisant partie des plus pauvres, car elles sont seules, souvent abandonnées par leur famille, sans ressources. Le phénomène de ces abus est suffisamment important pour que Jésus le dénonce et entre en conflit ouvert avec ces scribes. C’est pourquoi ces derniers chercheront à éliminer ce gêneur, cet empêcheur de tourner en rond.

Alors l’évangile nous présente comme un tableau à deux panneaux où, sur celui de gauche nous avons les scribes que Jésus dénonce et, sur le panneau de droite, la veuve et son obole. Le récit parle de lui-même et il s’adresse à nous. Nous sommes à la fois les riches et les pauvres de ce récit. Aux riches que nous sommes parfois à cause de nos attitudes et nos manques de générosité, Jésus nous invite à découvrir combien cette façon d’agir nous appauvrie, combien elle nous tient loin du Royaume. Jésus condamne la dureté de cœur. 

Il remet en question nos prétendues sécurités et richesses qui ne font que nous appauvrir si nous les possédons comme un avare ou comme un enfant égoïste. Car l’amour ne calcule pas, il ne mesure pas la dépense. Il donne tout ce qu’il a. Au point même de prendre sur son indigence, de donner quand ça coûte, de marcher deux kilomètres avec l’autre quand il nous demande de n’en faire qu’un.

 L’évangile aujourd’hui interpelle le riche que nous sommes parfois. C’est Jésus qui vient nous aider à combattre nos égoïsmes. Mais cet évangile s’adresse aussi aux pauvres que nous sommes. Tellement dépassés parfois par les exigences de la vie, par les épreuves, par le manque de ressources soit financières, de talents, d’opportunités, que nous pouvons douter de nous-mêmes. Et c’est là une vraie pauvreté. Que puis-je apporter au monde avec le peu que j’ai? Dans ma situation actuelle? Jésus nous donne en exemple la veuve et son obole. Il vient nous dire que si nous sommes inégaux en ressources, tous sont égaux dans leur capacité d’aimer, avec la grâce de Dieu. Tous, nous sommes égaux dans notre capacité de nous donner totalement, sans compter. L’évangile est pour tout le monde, sans distinction. Tous nous sommes appelés à la sainteté.

Cette page d’évangile, qui est comme une parabole vivante, est une bonne nouvelle pour nous. Car elle nous enseigne que si nous engageons notre vie à l’école du don de soi et de la générosité, nous ferons alors partie de ces vrais adorateurs du Père. 

 L’écrivain Georges Bernanos posait la question suivante : « Quel sont les riches, quels sont les pauvres dans la communion des saints? » Et la réponse, l’évangile nous la dévoile aujourd’hui : les vrais riches, selon le Royaume, sont ceux et celles qui accueillent l’invitation de Jésus à porter le souci du monde avec lui et à se donner sans compter. Ainsi nos actions, nos engagements, s’ils sont confiés à Dieu, deviennent alors porteurs de sa présence, une présence qui s’inscrit au cœur même de notre existence. Comme le dit un proverbe juif : « Dieu est partout où tu le laisses entrer ». 

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain

Tu n’es pas loin du Royaume. Homélie pour le 31e dimanche (B)

Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 12, 28b-34

En ce temps-là,
    un scribe s’avança vers Jésus pour lui demander :
« Quel est le premier de tous les commandements ? »
    Jésus lui fit cette réponse :
« Voici le premier :
Écoute, Israël :
le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur.
    Tu aimeras le Seigneur ton Dieu
de tout ton cœur, de toute ton âme,
de tout ton esprit et de toute ta force.

    Et voici le second :
Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. »
    Le scribe reprit :
« Fort bien, Maître,
tu as dit vrai :
Dieu est l’Unique
et il n’y en a pas d’autre que lui.
    L’aimer de tout son cœur,
de toute son intelligence, de toute sa force,
et aimer son prochain comme soi-même,
vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. »
    Jésus, voyant qu’il avait fait une remarque judicieuse,
lui dit :
« Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. »
Et personne n’osait plus l’interroger.

COMMENTAIRE

Je dois vous avouer que ces paroles de Jésus me sont souvent venues à l’esprit lors de rencontres privilégiées avec des personnes qui ignoraient tout du Seigneur Jésus, mais dont la vie et les actions étaient tellement belles, empreintes d’une telle compassion, que je ne pouvais qu’y reconnaître Celui en qui nous avons mis notre foi.

Vous conviendrez avec moi qu’elle est belle cette figure du scribe qui, ouvertement et avec beaucoup de sincérité, vient converser avec Jésus. Nulle duplicité de sa part. Il ne vient ni de nuit, comme Nicodème afin que personne ne le voie, ni pour prendre Jésus au piège, comme l’ont fait des pharisiens et des docteurs de la Loi. Non, ce scribe est un chercheur de Dieu, un Juif fervent dont la foi impressionne Jésus; d’où la réponse de ce dernier, empreinte d’une réelle amitié, où l’on pourrait lire entre les lignes le même commentaire que fait l’évangéliste Marc au sujet de l’homme riche venu voir Jésus : «Et Jésus se mit à l’aimer.» En effet, mon ami, lui dit Jésus : «Tu n’es pas loin du royaume de Dieu.»

Mais s’il n’est pas loin du Royaume de Dieu, la remarque de Jésus laisse quand même entendre que ce scribe doit faire de nouveaux progrès afin de s’en approcher. Alors voulez-vous bien me dire ce qui peut lui manquer? Car voilà un scribe qui fait vraiment exception parmi ces élites religieuses d’Israël auxquelles Jésus est sans cesse confronté. Car non seulement comprend-il bien les enseignements de Jésus, mais il exprime aussi avec beaucoup d’enthousiasme son accord avec lui. Oui, dit-il, « aimer Dieu de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, vaut mieux que toute offrande d’holocaustes et de sacrifices. » Alors, que lui manque-t-il? Vous l’avez sans doute deviné. 

C’est que si tout était déjà là, «en germe dans la Loi d’Israël, Jésus vient annoncer et accomplir la dernière étape de la Révélation : premièrement, il vient élargir à l’infini la notion de prochain; deuxièmement, il vient sur terre pour vivre en lui ces deux amours inséparables, celui de Dieu, celui des autres, sans exception; enfin, il vient nous en rendre capables en nous donnant son Esprit.[1]» C’est cela l’avènement du Royaume de Dieu que Jésus vient inaugurer. C’est à cette reconnaissance que le scribe est implicitement invité.

Mais ce qui est au cœur de l’enseignement de Jésus, et qui deviendra ultimement une pierre d’achoppement pour beaucoup, c’est sa personne même. Car l’entrée en plénitude dans cette dynamique du Royaume de Dieu passe inévitablement par sa personne, lui qui est le Messie, le Fils de Dieu. Et cela, nous ne saurons jamais si ce scribe aura pu le reconnaître, car nous ne savons rien de la suite du récit.

Mais ce que je retiens surtout de cet évangile, c’est le regard de Jésus sur le scribe. D’une part, on y reconnait bien cette sollicitude de Dieu, ce regard bienveillant qu’il pose sur chacune de nos vies, nous encourageant sans cesse à faire de nouveaux progrès. D’autre part, il y a dans ce regard une leçon de vie quant à notre manière de regarder le monde où nous vivons et ceux et celles que nous y côtoyons. Car au-delà des différences, et de ce qui parfois nous sépare les uns des autres, même sur le plan de la foi, ne nous faut-il pas nous inspirer de ce regard bienveillant du Christ, lui qui est toujours attentif à la quête de sens qui anime ceux et celles qu’il rencontre sur sa route?

Cette ouverture du cœur à l’autre, qui d’entre nous n’en a pas déjà fait l’expérience? J’en suis parfois témoin quand je parle tout particulièrement avec des parents ou des grands-parents. Je vous entends me parler de vos enfants, de vos petits-enfants, dont le manque de foi en Dieu vous désole. Mais parce que vous les aimez à la folie, vous êtes capables de porter sur eux un regard émerveillé comme le fait Jésus avec le scribe. Je vous entends dire : «Ah! si vous saviez comme ils sont généreux mes enfants, comme ils sont bons et charitables mes petits-enfants.» Ce regard vous êtes capables de le porter parce que vous aimez, bien sûr. 

Mais, comme disciples du Christ, ne nous faut-il pas aussi apprendre à regarder avec lui ces tout proches que sont nos frères et sœurs en humanité, qui cherchent eux aussi le chemin du vrai bonheur, sans toujours en connaître la direction, sans toujours croire en Dieu, qui souvent ne sont pas si loin du Royaume, et sur qui Dieu porte le même regard d’amour que sur nous?

Mais alors, me direz-vous, croire en Dieu, croire en Jésus Christ ne serait que facultatif. Un choix de vie sans conséquence, tout au plus une étiquette, puisque Dieu aime tout le monde? 

Ex. Un jeune me demanda un jour ce que la foi en Jésus Christ pourrait changer à la vie de sa sœur, elle qui était déjà merveilleusement engagée en Afrique. Je lui avais répondu, spontanément, un peu pris par surprise, que sa sœur ne pourrait qu’aimer davantage, et avec encore plus de profondeur [2], si elle accueillait le Dieu de Jésus Christ dans sa vie. Et cela demeure ma conviction. Est-ce que tous les chrétiens font preuve d’un plus grand amour que les autres? Malheureusement, les faits contredisent trop souvent cette affirmation. Mais nous savons que la personne qui marche sérieusement et fidèlement à la suite du Christ, soutenue par la grâce, ne pourra que grandir dans le don d’elle-même, un don d’elle-même qui souvent la dépasse. Je dirais que la foi en Jésus Christ vient nous prendre là où nous sommes et nous entraîne plus loin que nous ne l’aurions jamais imaginé.

Il est celui dont résonnent sans cesse en nous les paroles inoubliables à la Samaritaine : « Si tu savais le don de Dieu et celui qui te parle! » Car la foi en Jésus Christ est de l’ordre d’un don, d’une rencontre qui transforme une vie. Il vient rendre possible pour nous, le rêve fou de Dieu qui est de le connaître et de l’aimer d’une manière nouvelle, tel que Jésus l’a connu, et d’aimer notre prochain tout comme Jésus nous a aimés. Croire en Dieu, vraiment y croire, c’est dire oui à ce dynamisme de vie en nous qui nous fait grandir et tendre sans cesse vers Lui.

Ce sont là, frères et sœurs, les portes du Royaume que nous ouvre le Christ et où le scribe est invité à entrer, là où la seule monnaie d’échange sera toujours notre humanité transfigurée par le Christ.

fr. Yves Bériault, o.p. Dominicain


[1] Marie Noëlle Thabut. Commentaire de l’Évangile pour le 31e dimanche de l’année B.

[2] Pour moi cette « profondeur », i.e. cet approfondissement dans une vie qu’entraîne la foi en Jésus Christ se résume à deux notions explicatives : soit l’unification et l’intentionnalité d’une vie, d’où une profondeur renouvelée dans l’engagement et le don de soi, qu’apporte la foi en Jésus Christ.