Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 17,5-10.
En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! »
Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous aurait obéi.
« Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : “Viens vite prendre place à table” ?
Ne lui dira-t-il pas plutôt : “Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour” ?
Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ?
De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir.” »
COMMENTAIRE
Il vous est sans doute arrivé un jour de remettre Dieu en question, de douter ou même de perdre la foi. Tout cela fait partie des chemins qui nous mènent vers Dieu, même si parfois ils s’en écartent. La foi en Dieu tout en étant capable de transformer nos vies, de changer complètement notre regard sur le monde, cette foi demeure fragile, elle est comme une jeune pousse qui a constamment besoin d’être entretenue, arrosée, émondée.
C’est lorsque l’épreuve frappe à notre porte que nous sommes tentés de questionner Dieu, tentés de le faire comparaître devant le tribunal de notre indignation afin qu’il se justifie. Secrètement, nous faisons notre le cri des contradicteurs de la foi d’Israël, que reprend le psalmiste dans l’un de ses psaumes, quand il écrit : « Où est-il ton Dieu ? » C’est ce cri qui trouve son écho chez le prophète Habacuc dans notre première lecture. C’est la même détresse, la même supplication qui monte aux lèvres des opprimés, des souffrants, des malheureux à travers les siècles. Habacuc reprend la plainte d’Israël dont la survie est menacée par des rois ennemis : « Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? »
Nous le savons, le plus grand des défis que la foi en Dieu doit affronter, c’est le silence de Dieu quand le malheur frappe. Jésus lui-même en a fait l’expérience à Gethsémani quand il s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » En fait, Jésus reprend ici le cri d’un psaume qui a comme conclusion une remise totale de sa personne entre les mains du Père : « Père, non pas ma volonté, mais la tienne. » Cette prière d’abandon est la plus difficile qui soit, car elle implique l’acceptation de ce que l’on ne peut changer, alors que l’on voudrait que Dieu intervienne, qu’il change le cours des événements qui nous frappent de plein fouet.
Alors, qu’est-ce que Dieu attend de nous ? Et que pouvons-nous attendre de lui ? Pour illustrer mon propos, j’aimerais parler ici d’Etty Hillesum, cette jeune juive assassinée à Auschwitz en 1943. Une jeune convertie qui a des réflexions renversantes au sujet de Dieu. Au cœur de sa détresse et des persécutions qui frappent son peuple, Etty est convaincue que Dieu ne peut intervenir et empêcher comme d’un coup de baguette magique le drame qui se déroule autour d’elle, soit l’extermination systématique de tout un peuple à l’échelle de l’Europe.
Etty, à la lumière de sa foi toute jeune, mais combien lumineuse, est convaincue que c’est à nous d’aider Dieu, que Dieu veut avoir besoin de nous. Mais pour y parvenir, dit-elle, il faut le laisser habiter en nous. « Un peu de toi en nous mon Dieu », écrira-t-elle dans son journal. Etty a cette vive conscience que la force intérieure qui peut nous donner le courage d’affronter la vie et ses tempêtes ne peut que nous venir de Dieu. Qu’il est lui le véritable artisan de nos courages, de nos redressements, de nos recommencements ! « Un peu de toi en nous mon Dieu »
On est tout proche ici de ce qu’affirme le prophète Habacuc quand il dit que le juste vivra par sa fidélité. C’est là une condition indispensable pour bien vivre sa foi, qui est de s’attacher à Dieu envers et contre tout, de mettre toute sa confiance en lui, tout en sachant que cela n’a pas pour but de nous mettre à l’abri des épreuves, même si c’est là notre désir le plus profond. La foi en Dieu nous aide surtout à mieux assumer nos vies d’hommes et de femmes, et ainsi affronter la vie et ses tempêtes avec la force de Dieu, tout en sachant aussi gouter les plages ensoleillées de l’existence avec une vive reconnaissance pour celui qui en est l’auteur.
À la demande des apôtres d’augmenter leur foi, Jésus répond : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer, et il vous aurait obéi. »
La mer dans la bible est un lieu dangereux, symbole du doute, du péché et de la mort. C’est ainsi que Jésus dans les évangiles va marcher en vainqueur sur les eaux de la mer déchaînée. Jésus parle donc de planter un arbre dans cette mer. L’image de l’arbre est parfois employée dans la Bible pour signifier le fidèle qui met sa confiance en Dieu. Le psalmiste nous dit qu’il ressemble à un arbre verdoyant planté près d’un cours d’eau, et qui porte du fruit en sa saison.
L’analogie surréaliste de Jésus prend alors tout son sens : si nous avons vraiment la foi, pas une foi qui calcule, ni une foi qui cherche son intérêt, mais simplement la foi qui nous fait nous donner à Dieu, qui fait confiance, et bien cette foi, nous dit Jésus, elle est capable de nous donner la force de nous planter comme un mât de bateau dans la mer au cœur de la tempête.
Malgré toutes ces considérations, est-ce que cela veut dire qu’on ne souffre pas quand on est chrétien ? Qu’on n’est pas saisi de vertige devant la peine et la douleur ? Bien sûr que non ! Mais Dieu sera toujours l’appui le plus sûr, l’ami le plus fidèle que nous ayons pour affronter l’épreuve.
En guise de témoignage, voici ce que m’écrivait une correspondante un jour, en me parlant de son quotidien vécu à la lumière de sa foi en Dieu :
« La foi, m’écrivait-elle, c’est Jésus toujours à mes côtés pour me soutenir et me redonner courage quand j’ai envie de baisser les bras. La charité : c’est elle qui me permet de servir et accompagner la fin de vie de mon époux de 86 ans atteint de la maladie d’Alzheimer, avec amour après plus de 56 ans de vie commune. L’espérance ! Elle me fait espérer l’accueil miséricordieux de ce Dieu plein d’amour, auquel je crois, où nous serons définitivement réunis dans la paix. »
Frère et sœurs, lorsque nous laissons la foi prendre racine en nous, comme cette petite graine de moutarde dont parle Jésus, elle a ce pouvoir de nous conduire à l’amour, et l’amour nous conduit à la source de tout amour qui est Dieu. Comme le dit saint Paul à Timothée, « ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force et d’amour », qui nous rends vainqueurs avec Christ, et ce, à tous les âges de la vie.
Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs
Filed under: moineruminant |
Votre commentaire est d’une richesse et d’une profondeur telles qu’on ne peut s’empêcher de le relire plusieurs fois pour le méditer.
Saint Paul nous dit que c’est la foi qui sauve. Comme il est rassurant de savoir que lorsque la foi vient à manquer, Dieu ne nous abandonne pas. En effet Dieu-Sauve (Jésus) est toujours là pour nous sauver. Simon Pierre en a fait l’expérience lorsque, à l’invitation de Jésus, il s’est aventuré à marcher sur la mer et qu’il s’est senti enfoncer après avoir douté.
Merci encore.
intéressant