Homélie pour le 30e Dimanche T.O. (C)

« J’ai été arraché à la gueule du lion ;
    le Seigneur m’arrachera encore
à tout ce qu’on fait pour me nuire.
Il me sauvera et me fera entrer dans son Royaume céleste. » 2 Tim 4,18

Quand on considère l’assurance de Paul devant la mort et que l’on entend l’évangile de ce jour qui nous parle de la prière du pharisien et du publicain au Temple, l’on peut se demander s’il n’y a pas de la prétention à se tenir devant Dieu avec assurance. Après tout, Dieu n’est-il pas comparé à un juge ? Le jugement de Dieu dont il est question dans la bible ne devrait-il pas nous jeter dans l’effroi au moment de la mort ? Pourtant c’est une attitude tout à fait contraire que l’on retrouve chez l’apôtre Paul.

Peut-être est-ce notre compréhension des mots juge et justice qui nous amène à déformer le visage de Dieu, à méconnaître le véritable sens de sa miséricorde. Dans l’Ancien Testament, lorsque l’on dit de Dieu qu’il est juge, l’on signifie par là qu’il est un modèle d’intégrité de qui découle toute justice. Les Juges en Israël, et ensuite les Rois, auront pour principale fonction de faire triompher la justice de Dieu, lui qui prend le parti de la veuve et de l’orphelin, du pauvre et du réfugié. Ben Sirac le Sage le dit clairement : Le Seigneur est un juge qui ne fait pas de différence entre les hommes. Il ne défavorise pas le pauvre, il écoute l’opprimé, ne méprise pas l’orphelin, ni la veuve. Il accueille celui qui sert Dieu de tout son cœur, il se prononce en faveur des justes.

Le Seigneur regarde les justes,
il écoute, attentif à leurs cris.
Le Seigneur entend ceux qui l’appellent :
de toutes leurs angoisses, il les délivre.

Il est proche du cœur brisé,
il sauve l’esprit abattu.
Le Seigneur rachètera ses serviteurs :
pas de châtiment pour qui trouve en lui son refuge. (Psaume 33)

Le psaume 33, comme en écho à ce texte, vient nous rappeler que le Seigneur regarde les justes. Il écoute, il est attentif, il entend, il délivre. Il est proche, il sauve, il rachète. Tout ce qui est requis pour que le Seigneur agisse de la sorte à notre endroit c’est d’avoir besoin de lui, de chercher en lui notre refuge, d’avoir le cœur brisé, de regretter ses fautes, d’être conscient de sa misère. Somme toute, pour entrer dans la miséricorde de Dieu, pour bénéficier de sa justice, pour devenir juste, il faut entrer dans la dynamique de celui qui reconnaît que tout vient de Dieu et que sans lui nous ne sommes rien. 

Il faut savoir se reconnaître pécheur comme le publicain pour entrer dans le Royaume. Non pas que Dieu veuille notre humiliation. Au contraire, il veut nous élever, nous grandir à la mesure de ses rêves sur nous. Mais pour cela, il faut avoir le cœur ouvert, il faut laisser naître en nous le désir de devenir ce à quoi Dieu nous appelle. 

Dieu, comme le dit Jésus du publicain, nous justifie. C’est-à-dire qu’il nous rend juste, il nous donne la grâce de participer à l’œuvre qu’il accomplit en son Fils, lui le seul Juste. Il nous rend capables de porter son amour et de le donner au monde. Mais pour cela, il faut, comme le publicain, se tenir devant lui pauvre et entièrement abandonné, les mains ouvertes, prêts à tout recevoir de lui. 

Le pharisien, lui, se tient devant Dieu le cœur suffisant, plein de lui-même. Étant incapable de s’ouvrir à la vérité de la prière du publicain, il ne peut donc pas accueillir la grâce de Dieu. D’ailleurs, comment la prière du pharisien pourrait-elle être une véritable prière puisqu’il méprise son frère. C’est l’évangéliste Luc qui l’affirme au début de la présentation de cette parabole lorsqu’il dit : « Jésus dit une parabole pour certains hommes qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient tous les autres ».

Ainsi donc, différents motifs peuvent nous faire nous tenir avec assurance devant Dieu. L’assurance devant Dieu peut soit être le résultat de l’orgueil ou de l’inconscience. Ou bien elle peut être la conséquence d’une vie tout entière remise entre les mains de Dieu, où seulement là peut se vivre l’expérience de la miséricordieuse fidélité de Dieu, l’expérience de Dieu qui m’accorde sa grâce et me justifie. C’est là le sens profond de l’expérience spirituelle d’un Paul. Et c’est cela que le pharisien n’a pas compris dans l’évangile d’aujourd’hui.

Attendre tout de Dieu, comme le publicain, c’est comprendre que Dieu veut opérer en nous une transformation qui n’a rien à voir avec une pratique légaliste de la foi. Bien sûr, c’est parfois déroutant de comprendre Dieu. Après tout, qui est ce Dieu qui accorde autant d’importance aux pauvres, aux petits, aux « losers » de notre société ? Qui est ce Dieu qui, en Jésus-Christ, préfère la fréquentation des pécheurs, des voleurs, des prostitués, aux prétendus justes des castes religieuses ?

Dieu se révèle à nous en tant que Père, un père qui nous aime. Nous ne pouvons le voir, mais pour tenter de comprendre qui il est, il importe de saisir ce qu’il fait en nous. Pour comprendre l’action de Dieu en nous, j’aime bien la comparer à ces merveilles de la technologie biomédicale où des personnes afin de sauver un membre de leur famille ou un ami, vont donner de leur sang ou de la moelle osseuse ou un rein à la personne aimée. Ces personnes aiment tellement l’autre qu’elles sont prêtes à donner une partie d’elle-même afin de sauver l’autre. Dieu, lui, il a tellement aimé le monde qu’il nous a donné son Fils, son Unique. Il a voulu transplanter en nous sa vie. C’est cela le don de la grâce. Dieu nous aime tellement qu’il veut mettre en nous un cœur neuf pour aimer comme lui, des yeux pour voir l’autre dans toute sa réalité d’enfant de Dieu, des oreilles pour entendre les besoins de notre monde.

Le croyant, la croyante qui se reçoit ainsi de Dieu est alors capable de porter l’amour de Dieu jusqu’au bout du monde. Il est justifié par Dieu, porteur de sa justice et de son amour. Il sait qu’en dépit de sa fragilité, Dieu est avec lui et l’accompagne tous les jours de sa vie. C’est pourquoi, tout en reconnaissant ses fragilités et ses limites, il n’a pas peur de se tenir en présence de Dieu. 

Humblement, il sait se tenir debout au cœur du mystère de sa pauvreté tout en s’en remettant entièrement à Dieu. La prière devient alors le lieu de la rencontre de Dieu avec l’homme racheté. C’est le secret de la prière du publicain.

Yves Bériault o.p. Dominicain (Ordre des prêcheurs)