J’aimerais vous inviter ce matin à entreprendre l’ascension de cette « montagne sainte » qui se dresse devant nous, là où Jésus entraîne ses trois apôtres. Mais avant de commencer cette ascension, il nous faut situer notre récit. Nous le savons, le récit de la Transfiguration est d’une importance capitale dans les évangiles. Les trois évangélistes en font mention et l’Apôtre Pierre en parle lui aussi dans sa deuxième lettre (1:16-18) disant avoir été avec Jacques et Jean témoins oculaires de sa majesté : « Cette voix, dit-il, nous, nous l’avons entendue; elle venait du Ciel, nous étions avec lui sur la montagne sainte ».
Le récit de la Transfiguration survient après la profession de foi de Pierre : « Tu es le Christ, le Messie ! » Cette profession fait passer les disciples à un nouveau mode de relation avec Jésus. Il y a là une avancée importante quant à la relation d’intimité et de confiance qui se noue entre eux. Jésus va les inviter à entrer plus avant dans le mystère de sa personne et de son identité profonde, encore secrète.
Il est important aussi de souligner que l’événement de la Transfiguration survient après la première de trois annonces que fait Jésus de sa passion à venir. C’est déjà la montée vers Jérusalem qui se profile et Pierre s’y oppose violemment. Les disciples sont bouleversés. Ils ont peur. Leurs certitudes, leur confiance en Jésus sont mises à l’épreuve et c’est dans ce contexte que Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les amène sur la montagne, afin de leur redonner confiance et ainsi les préparer à vivre la passion/résurrection à venir. Mais au-delà de cette visée anticipatrice le récit nous dévoile aussi, à la manière d’une icône qu’il faut contempler longuement, toute la grandeur du mystère de l’être chrétien, de la vocation à laquelle nous engage notre baptême.
Entreprenons maintenant notre montée de la montagne de la transfiguration, qui se fera en trois étapes. Le versant nord, le sommet et le versant sud.
Le versant nord est celui de l’ascension de la montagne. C’est le côté abrupt et aride, ne jouissant jamais de la lumière du soleil. C’est une montée qui se fait dans l’obscurité. L’obscurité de la fragilité humaine, de nos vies aux prises avec le mal et le péché. C’est un lieu de doute et de combat pour nous, comme pour les disciples qui ont entrepris cette montée. Mais ils ne sont pas seuls. Jésus monte avec eux. Il en est ainsi pour nous. Cette montée du versant nord se compare à un temps de conversion, un temps de retour vers Dieu afin de retrouver l’intimité perdue au fil du quotidien. L’enjeu, c’est le rapprochement avec le Christ et il n’y a pas de rapprochement possible si l’on ne prend pas la pleine mesure de nos pauvretés et de notre besoin infini de Dieu. Voilà pourquoi il faut s’engager avec Jésus dans cette ascension.
C’est seulement après un tel parcours que l’on parvient au sommet, où le spectacle se déploie alors devant nos yeux. L’horizon est sans fin, nous contemplons le mystère trinitaire. Les disciples entrent dans la pleine lumière, une lumière éblouissante où ils deviennent témoins de la prière de Jésus. Une prière qui a ses racines dans la Loi et les Prophètes, et dont Moïse et Élie sont les témoins. Alors que la gloire de Jésus se manifeste aux disciples, l’icône devient trinitaire. Le Père s’entretient avec le Fils alors que les disciples, eux, entrent dans la nuée, symbole de l’Esprit Saint, lui qui fait toute chose nouvelle, et qui nous fait participants de ce dialogue intime entre le Père et le Fils.
Les disciples sont alors saisis de crainte, la crainte sacrée devant le divin. Ils n’ont pas encore reçu l’Esprit Saint. À l’exemple de David qui voulut construire un temple pour le Seigneur, Pierre offre de monter trois tentes : une pour Élie, une pour Moïse et une pour Jésus. « Il ne savait pas ce qu’il disait », commente laconiquement l’évangéliste Marc, car c’est Dieu lui-même qui va dresser une tente pour nous et nous donner le Temple nouveau. C’est lui le Fils de Dieu qui est venu planter sa tente parmi les hommes. Et la voix du Père se fait alors entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le! »
Enfin, voici le troisième versant de la montagne. Nous nous engageons dans la descente du mont de la Transfiguration. C’est le versant sud de la montagne, celui qui est le plus ensoleillé. Les disciples baignent dans la lumière de la résurrection et la victoire du Christ sur la mort. Les ténèbres ont disparu! C’est pourquoi à la Vigile pascale nous chantons aux nouveaux baptisés : « Resplendis! Sois illuminé! » C’est cette réalité profonde qui anime ceux et celles qui font la rencontre de Christ ressuscité. Alors que nous sommes passés par la conversion personnelle et la contemplation du mystère du Christ, ce versant sud, est celui de la mission joyeuse avec le Christ en Église. Désormais, ce ne sont plus seulement les trois disciples privilégiés, mais tous les croyants qui deviennent les témoins éblouis de la gloire du Christ et qui annoncent au monde qui il est.
Frères et soeurs, tout cela peu paraître bien mystique, et pourtant pour nous chretiens, c’est le coeur de notre foi. Et aujourd’hui encore le Christ s’offre à notre contemplation en nous rassemblant tout comme les Apôtres Pierre, Jacques et Jean, afin de nous partager sa vie dans cette eucharistie qui nous rassemble de dimanche en dimanche. C’est la grâce qui nous est faite de pouvoir nous arrêter avec lui sur ce sommet de notre foi et de le contempler dans l’offrande qu’il fait de lui-même, ainsi que de nous nourrir de sa vie de ressuscité. Et c’est ainsi qu’au terme de notre célébration nous pourrons retourner dans la plaine de nos occupations et de nos engagements, sûrs de sa présence et de sa force au coeur de nos vies.
fr. Yves Beriault, o.p. Dominicain
Filed under: moineruminant |

Cher Moine ruminant,
Quel texte magnifique qui ne peut être inspiré que par nul autre que le très très Saint Esprit ! Seigneur, aide-moi ainsi que tout être humain non parvenu au sommet à gravir le versant Nord.
Mille mercis.
[…] Transfiguration du Seigneur – 18 e dimanche (A) […]