Nous fêtons aujourd’hui la solennité du Christ-Roi, une fête qui vient clore l’année liturgique où, pour la seule fois de l’année, nous célébrons l’identité même de Jésus en tant que Messie et Roi de l’Univers. Les trois années liturgiques soulignent toutes cette fête, mais avec un évangile différent : soit en évoquant l’entrée de Jésus à Jérusalem, assis sur le dos d’un âne, ou encore Jésus, prisonnier humilié, comparaissant devant Pilate; et enfin, ce dimanche, Jésus bafoué, cloué sur une croix entre deux malfaiteurs. Et nous l’appelons le Roi de l’Univers.
Mais le danger qui guettera toujours l’Église en célébrant son Seigneur à titre de Roi de l’Univers, sera d’oublier ce qu’il a dit de lui-même à Pilate alors qu’il était son prisonnier. Rappelez-vous, ce dernier lui demanda s’il était le roi des Juifs et Jésus lui répondit : «ma royauté n’est pas de ce monde».
Comment ne pas voir, en cette fin d’année liturgique, encore une fois fort éprouvante pour les catholiques que nous sommes, une contradiction flagrante entre l’affirmation de Jésus, dont la royauté est dépouillée de toute forme de puissance ou de domination, et de sombres pages de l’histoire de notre Église qui s’écrivent encore aujourd’hui, où les abus d’autorité de la part de membres de l’Église font la manchette, protégés parfois par une hiérarchie se croyant au-dessus des lois. Encore, ces dernières semaines en France, les journaux en ont fait écho amplement.
Bien sûr, nous sommes convaincus que la grande majorité des chrétiens et des chrétiennes prennent au sérieux leur foi, et il en va de même pour les ministres de l’Église. Mais il y aura toujours ceux par qui le scandale arrive, surtout quand c’est la structure même de l’Institution qui les favorise. Et cela doit changer. Si Jésus invite à laisser pousser le bon grain avec l’ivraie, il y a urgence dans la demeure quand l’ivraie étouffe le bon grain, détruit des vies. Nous ne voulons ni ne pouvons être complices d’une telle conception de l’Église du Christ, qui est appelée à servir comme Lui.
Et c’est ainsi qu’au terme d’une année liturgique où nous ont été rappelé successivement les abus commis dans les écoles résidentielles autochtones, les comportements scandaleux reprochés à des prêtres, des évêques et des religieux, il est difficile, pour plusieurs catholiques, de retrouver le chemin du vivre ensemble en Église, ou même du pourquoi de leur foi. Oui, au terme de cette année liturgique notre Église en ressort humiliée et, même s’ils n’en mouraient pas tous, comme le raconte une fable de Lafontaine, tous en sont atteints.
C’est Mgr de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, qui lors de la réunion de l’assemblée des évêques à Lourdes l’année dernière, décrivait une Église qui croyait pouvoir enseigner sans écouter, sanctifier sans se dépouiller, gouverner sans se convertir.
Vous en conviendrez avec moi, ce constat est très difficile à entendre, mais comme dit Jésus : «La vérité vous rendra libres!» C’est pourquoi, frères et sœurs, il est important de nous redire quelle Église nous voulons, comment nous voulons vivre entre nous, et de quelle manière nous voulons annoncer la bonne nouvelle de Jésus Christ.
Car, au-delà de tous les scandales, de toutes les campagnes aussi pour discréditer l’Église, un fait demeure: nul ne va au ciel tout seul, et c’est ensemble que le Christ nous invite à le suivre, à nous reconnaître les uns les autres de sa bergerie, et à nous soutenir dans cette marche qui sera toujours très exigeante, soit de faire Église ensemble.
Former Église, ne va pas de soi, et dès le début de la mission des apôtres, ces derniers en ont fait l’expérience: abandon de certains disciples, reniement de Pierre, trahison de Judas, persécutions, dispersions des disciples du Christ dans le bassin de la Méditerranée, discordes entre Pierre et Paul. Pourtant, cette même Église a porté la Bonne nouvelle de la Résurrection aux quatre coins du monde jusqu’à nous rejoindre, nous tous qui sommes ici. C’est pourquoi le défi de faire Église sera toujours à notre portée puisque c’est le Christ qui nous y appelle et qui nous y accompagne malgré les mauvais jours. Alors comment cela va-t-il se faire? Il nous suffit de contempler la vie de celui dont nous célébrons la royauté aujourd’hui.
Rappelez-vous: Jésus en avait déjà donné une claire indication à ses apôtres alors que ces derniers réclamaient le privilège de s’asseoir à sa droite et à sa gauche lors de l’établissement de son Royaume. «Vous le savez, avait-il dit : les chefs des nations les commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne devra pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave.»
Frères et sœurs, voilà l’agenda qui nous est proposé, tant aux ministres de l’Église qu’à tous les baptisés. Car nous sommes de l’ordre du tablier, dont le maître est le premier des serviteurs. Et nous l’appelons le Roi de l’Univers. Car notre Roi a comme palais une étable, comme trône, une croix, son armée, ceux et celles qui vivent de l’esprit des béatitudes, car sa royauté n’est pas celle des puissants de ce monde. Le seul royaume que le Christ est venu établir parmi nous est celui de l’amour qui sait se donner et servir jusqu’au bout. Servir et donner, et non pas prendre et être servis. Et cela, l’Église ne doit jamais l’oublier.
« Souviens-toi de nous, Seigneur Jésus, quand tu viendras dans ton Royaume. »
fr. Yves Bériault, o.p.
Ordre des prêcheurs. Dominicain.
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