L’obéissance religieuse : Obéir à Dieu, à soi-même et au monde

Le mot obéissance n’est pas un mot à la mode dans notre société. Les libertés récemment acquises font que ce mot évoque surtout l’attitude de l’enfant devant ses parents ou un rapport à l’autorité qui semble tout à fait dépassé pour nos contemporains. En abordant la notion d’obéissance il faut se rappeler que le mot  » obéir  » veut dire  » écouter « . Écouter pour ensuite répondre, pour obéir. D’ailleurs le mot  » responsabilité  » veut aussi dire  » donner une réponse « . Obéissance et responsabilité, deux notions indissociables dans la vie religieuse. L’obéissance implique donc une attitude très active et très dynamique qui fait appel à toute la personne.

Pour nous religieux, le mot « obéir » est au cœur de notre engagement dans la vie religieuse et chez nous, les dominicains, il est même le seul vœu évoqué pour signifier notre engagement religieux quand nous faisons profession : « Moi frère un tel je promets que je serai obéissant… ». Notre rituel de profession religieuse nous situe ainsi dans la grande tradition monastique où le vœu d’obéissance au Maître de l’Ordre et à nos constitutions, implique nécessairement les vœux de chasteté et de pauvreté. Mais notre manière de faire profession met encore plus en valeur notre vœu d’obéissance, bien qu’il ne soit pas notre seul vœu. D’ailleurs, c’est saint Thomas d’Aquin qui affirmait que le vœu d’obéissance est le plus important des trois vœux, puisqu’il sous-tend les deux autres.

Le mot obéissance vient du latin « oboedire » qui signifie «prêter l’oreille à quelqu’un» d’où l’implication d’« être soumis » ou d’« écouter ». Toutefois, dans la vie religieuse, telle qu’elle se vit aujourd’hui, ce serait vraiment ne pas comprendre la profondeur de ce vœu que d’en faire une obéissance servile à des supérieurs, bien que l’obéissance aux supérieurs soit requise dans le projet de vie religieuse.

L’obéissance religieuse est à comprendre selon quatre axes majeurs :

1. Obéissance à Dieu. Tout d’abord écouter ce que Dieu a à me dire à propos de ma vie et puis découvrir ce que je pourrais en faire afin de m’y réaliser pleinement. C’est toute la notion de vocation, d’appel, qui se joue. Naturellement cette obéissance à Dieu, aux inspirations de l’Esprit Saint au cœur de ma vie, implique les trois autres points qui suivent, mais fondamentalement, l’obéissance c’est avant tout se mettre à l’écoute de Dieu afin de discerner qu’elle est son projet de vie sur moi.

2. Obéissance à soi-même. Il y a aussi dans le vœu d’obéissance, une obéissance à soi-même. Une congruence comme diraient les psychologues. On pourrait définir cette obéissance ainsi : ce que j’aimerais avoir accomplit au terme de ma vie. Obéir implique donc une connaissance de soi et de ses aspirations les plus profondes, afin d’être fidèle à soi-même, afin d’être capable de s’écouter en vérité.

3. Obéissance au monde. Écouter, obéir, veut aussi dire accueillir le monde et ses habitants, qui sont mes frères et mes sœurs en humanité. Les écouter afin de pouvoir les accueillir dans leurs luttes et leurs détresses, et m’y engager selon ce que j’ai pu découvrir de moi-même en me mettant à l’écoute de Dieu et des autres. Obéir implique donc d’avoir le cœur en disponibilité, l’oreille tendue vers le monde, d’être à son écoute, afin d’identifier les points de convergence entre ce que je porte comme aspirations et ce que le monde attend de moi, ce que mes frères et soeurs en communauté attendent de moi, ce que Dieu attend de moi.

4. Obéissance à sa famille religieuse. Enfin, obéir comme religieux, c’est aussi choisir à nouveau, à chaque jour, le projet de vie religieuse qui est le nôtre et où Dieu nous a conduit. Car notre Ordre est le moyen que nous avons choisis, afin de répondre de notre mieux à cette obéissance à soi-même, au monde et à Dieu. Quand je dis  » choisir à chaque jour le projet de vie religieuse « , je veux dire devenir à chaque jour de plus en plus responsable de notre projet de vie religieuse, de vie donnée à la manière de saint Dominique. Parce que ce projet est pour nous un modèle crédible pour vivre comme disciple de Jésus. Le projet de l’Ordre des Prêcheurs est pour nous une voie originale dans la façon d’assumer la mission apostolique de l’Église et nous nous sommes engagés par notre profession à obéir à ce projet, à nous mettre à son écoute, afin de nous mettre à son service.

L’obéissance que nous voulons vivre en tant que dominicains, avec les limites et les faiblesses qui sont les nôtres, a donc les implications suivantes :

1- Une écoute attentive de soi-même, des appels du monde et de nos frères et soeurs en communauté, afin de mieux discerner les appels de Dieu dans nos vies ;

2- une disponibilité à ce que l’on peut nous demander comme service, comme mission; il s’agit d’avoir le cœur ouvert, tendu vers l’avant ;

3- et, enfin, une créativité responsable pour réaliser ensemble notre projet de vie et notre mission ; savoir prendre des initiatives, oser avancer vers le large et y lancer nos filets.

Le vœu d’obéissance est un vœu qui, loin d’inviter à la servilité, nous rend au contraire libres pour la mission à la suite du Christ, responsables de l’Ordre des Prêcheurs qui nous accueille en tant que frères et sœurs. À travers l’Ordre, c’est Dieu qui compte sur nous.

Le vœu d’obéissance nous demande tout à la fois d’être responsables de nos frères et de nos sœurs avec qui nous vivons, responsables de notre vie de prière et de ressourcement, responsables de notre mission et du monde où nous sommes insérés. Le vœu d’obéissance est un vœu qui fait appel à l’adulte en nous. C’est pourquoi il est un vœu libérateur, qui vient chercher ce qu’il y a de meilleur en nous. Mais le vœu d’obéissance, à cause du droit de regard de mes frères et de mes soeurs sur ma manière de vivre avec eux le projet de saint Dominique et la suite du Christ, devient aussi un lieu de vérité, de croissance et de libération vis-à-vis mes limites et mes pauvretés. Le vœu d’obéissance est un lieu d’interpellation et de libération qui ne peut faire de moi qu’un meilleur dominicain, un dominicain plus heureux et plus engagé, mais dans la mesure où j’accepte  » d’entendre « !.

En somme, le vœu d’obéissance nous rapproche du Christ, lui qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort. C’est son obéissance à lui qui fonde la nôtre et y donne sens. Notre défi comme religieux est d’entrer dans l’intelligence de ce vœu et alors, avec la grâce de Dieu, nous pourrons assumer le exigences de notre vie religieuse et la faire fructifier pour le salut du monde et le nôtre.

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Yves Bériault, o.p., « Réflexion sur les voeux », in La vie des communautés religieuses, mars-avril 2004, pp. 92-102. Sur le site, appelé: « Pauvres comme lui, riches comme lui ».