UNE SAINTE COLÈRE
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (Jn 6, 60-69)
En ce temps-là,
Jésus avait donné un enseignement
dans la synagogue de Capharnaüm.
Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent :
« Cette parole est rude !
Qui peut l’entendre ? »
Jésus savait en lui-même
que ses disciples récriminaient à son sujet.
Il leur dit :
« Cela vous scandalise ?
Et quand vous verrez le Fils de l’homme
monter là où il était auparavant !…
C’est l’esprit qui fait vivre,
la chair n’est capable de rien.
Les paroles que je vous ai dites sont esprit
et elles sont vie.
Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. »
Jésus savait en effet depuis le commencement
quels étaient ceux qui ne croyaient pas,
et qui était celui qui le livrerait.
Il ajouta :
« Voilà pourquoi je vous ai dit
que personne ne peut venir à moi
si cela ne lui est pas donné par le Père. »
À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent
et cessèrent de l’accompagner.
Alors Jésus dit aux Douze :
« Voulez-vous partir, vous aussi ? »
Simon-Pierre lui répondit :
« Seigneur, à qui irions-nous ?
Tu as les paroles de la vie éternelle.
Quant à nous, nous croyons,
et nous savons que tu es le Saint de Dieu. »
COMMENTAIRE
Tout comme on le dit parfois au début des films à la télévision, cette homélie est pour un public averti. L’Évangile aujourd’hui nous rapporte une question douloureuse de Jésus à ses disciples alors que se profilent à l’horizon sa passion et la trahison de Judas. Jésus leur demande : « Voulez-vous partir vous aussi ? » Cette question est des plus actuelle alors que l’Église fait face à une crise morale sans précédent, où semaine après semaine les médias nous dévoilent des séries d’accusations portées contre des prêtres, des religieux, des évêques et même des cardinaux. La nouvelle la plus récente au sujet de ces scandales nous est venue des États-Unis où sur une période de 70 ans plus de mille enfants auraient été abusés par près de 300 prêtres. Et cela dans six diocèses de l’État de la Pennsylvanie. Il est temps que nous en parlions !
Tout comme vous, ces comportements attribués à des prêtres m’ont indigné au plus haut point, et l’on peut comprendre la réaction spontanée de bien des croyants qui songent à se distancer de l’Église, ou même à la quitter. Car il faut reconnaître qu’il y a quelque chose de vicié dans une structure ecclésiale qui rend possible de tels abus, même si les faits invoqués remontent parfois à plus de soixante-dix ans. Bien sûr, des mesures ont été mises en place depuis une vingtaine années afin d’éviter de telles dérives, mais il semble exister une culture inhérente à ce type d’abus, une culture cléricale « autoréférentielle » comme l’appelle le pape François ; c’est-à-dire une culture qui entretient une image idéalisée des prêtres et des religieux comme s’ils faisaient partie d’une élite à qui tous les privilèges seraient permis.
La promotion d’une telle vision du service pastorale et de la vie religieuse ne peut qu’encourager les dérives et les excès, les complicités et les silences, et ainsi ouvrir la porte à toutes sortes d’abus : abus sexuels, abus de pouvoir et abus de conscience. Voilà le diagnostic que pose courageusement le pape François, avouant avec douleur que l’Église a abandonné ses enfants devant les crimes commis en Pennsylvanie et ailleurs dans le monde.
Selon plusieurs, cette crise exige un examen en profondeur des structures d’autorité dans l’Église, ainsi que notre manière de concevoir les ministères, ce qui ouvre par le fait même la discussion quant au rôle que devraient jouer les laïcs, et ce, à tous les niveaux de responsabilité dans l’Église. Vaste chantier que soulèvent ces questions et que les évêques du monde entier devront aborder avec courage et détermination de concert avec tout le peuple de Dieu.
Mais venons-en maintenant à nos réactions personnelles. Une amie qui travaille en pastorale universitaire écrivait ces jours-ci dans sa chronique du Magazine PRÉSENCE : « Je suis révoltée. J’ai honte de cette Église. Ce n’est pas “mon” Église. Ce n’est pas l’Église, point. Je refuse d’être responsable, via les liens de la foi, des crimes de ces hommes du clergé qui ont violé et volé des enfances et des vies entières. […] Et cependant, poursuit-elle, cette Église est indissociable de celle où j’ai grandi dans ma foi, celle aussi où j’exerce mon travail. Ça me met dans une sainte colère ! »
Cette colère c’est aussi la nôtre et elle a bien sûr besoin d’être reconnue et exprimée, car il est important que nous condamnions ces crimes alors que des loups se sont introduits dans la bergerie. Mais il nous faut aussi pouvoir nous dire pourquoi nous restons, pourquoi nous tenons à ce point à notre vie en Église, car elle est loin de se réduire à tous ces scandales. Mon amie qui s’appelle Sabrina Di Matteo, termine ainsi sa lettre ouverte : « Je choisis de rester. Sans taire ma sainte colère. »
J’ai beaucoup porté cette question au cours des dernières semaines, devenant de plus en plus convaincu qu’il nous fallait aborder cette question ensemble, me demandant aussi ce que nous pourrions apporter comme motifs pour rester à ceux et celles qui ont des doutes, qui hésitent ou qui sont blessés. Voici ce que j’aimerais leur partager, et ce sont là mes propres raisons de rester et de continuer à aimer l’Église. Tout d’abord, quand nous parlons d’Église, il nous faut voir plus large que la simple institution, car elle n’est que l’expression visible et bien imparfaite du mystère qui nous habite et qui nous rassemble. Je veux parler ici de la force de résurrection du Christ qui s’est emparée des premiers témoins le matin de Pâques, traversant même leurs portes verrouillées et les animant d’une espérance à toute épreuve.
Quand nous parlons de l’Église, je pense à cette Église-Mère née au pied de la croix avec la Vierge Marie, et qui s’est vue propulsée aux quatre coins du monde avec l’avènement de la Pentecôte. C’est cette assemblée des premiers fidèles à Jérusalem qui nous a annoncé la résurrection du Christ au matin de Pâques ; et ce sont ses premiers missionnaires qui nous ont transmis les paroles et les actions du Seigneur Jésus à travers les lettres et les récits évangéliques des premiers témoins.
C’est cette Église qui nous a donné le Nouveau Testament, tout comme c’est elle qui nous a transmis le baptême et l’eucharistie, nous donnant ainsi d’avoir part à la vie du Ressuscité. Cette jeune Église, dont nous sommes les héritiers, nous a légué les mystères de la foi au fil des siècles et elle nous a appris que Dieu est Amour, même si tout comme nous elle porte ce mystère dans un vase d’argile.
Sans ces témoins, sans cette Église qui a cheminé et grandi à travers les siècles, rien de tout cela ne nous serait parvenu. Ni les grands textes spirituels d’un saint Paul ou d’une Thérèse d’Avila, ni les témoignages d’un François d’Assise, d’une Thérèse de Lisieux ou de milliers de nos contemporains, tels un Jean Vanier dans son Arche ou une sœur Emmanuelle avec les chiffonniers du Caire. Sans l’Église, la bonne nouvelle du salut en Jésus Christ ne serait jamais parvenue jusqu’à nous.
Nous n’aurions ni les cathédrales, ni les monastères, ni les églises de campagne où nous recueillir et célébrer notre foi. Les communautés chrétiennes n’auraient jamais vu le jour si des hommes et des femmes ne s’étaient mis à sillonner la Palestine et les côtes de la Méditerranée afin d’annoncer l’incroyable nouvelle du matin de Pâques, bonne nouvelle qui a franchi les siècles et les continents comme une traînée de feu et qui est parvenue jusqu’à nous !
C’est à cause de tout cela, et bien plus encore, qu’il nous faut persévérer et lutter pour notre Église, la protégeant contre ceux qui la défigurent car la foi qui l’habite est un trésor qui nous est confié. Il n’est pas question que l’on vienne nous voler notre Église ! Il nous faut donc la défendre contre les loups, et même la défendre contre elle-même parfois, tout en résistant aux forces extérieures qui souhaitent la voir disparaître.
Qui sait si la crise actuelle ne sera pas l’occasion d’un nouveau printemps pour l’Église ? Que ce soit là, frères et sœurs, notre prière fervente de tous les jours, et que Dieu nous accorde de tenir bon quand les vents contraires se lèvent ; qu’il nous accorde la grâce de persévérer et de faire nôtre la réponse de Pierre à l’interrogation de Jésus : « Voulez-vous partir vous aussi ? » Et Pierre de répondre : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. »
Mot de la fin. C’est le prêtre orthodoxe Alexandre Men, assassiné en Union soviétique en 1990, alors qu’il se rendait célébrer la Liturgie dominicale, qui affirmait dans une homélie : « Le christianisme n’en est qu’à ses débuts. Son “programme”, appelons-le ainsi, est prévu pour des millénaires… Le christianisme est ouvert sur tous les siècles, sur le futur, sur le développement de toute l’humanité. C’est pourquoi il est capable de renaître constamment. Au fil de son histoire, il peut traverser les crises les plus pénibles, se trouver au bord de l’extermination, de la disparition physique ou spirituelle (ce qu’Alexandre Men a bien connu en Union soviétique), mais à chaque fois il renaît. Non pas parce qu’il est dirigé par des personnes exceptionnelles — ce sont des pécheurs comme tout le monde —, mais parce que le Christ lui-même a dit : “Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde” (Mt 28, 20). Le Seigneur n’a pas dit : “Je vous laisse tel ou tel texte, que vous pouvez suivre aveuglément.” […] Non, le Christ a dit : “Je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde.” Il n’a pas parlé de quelques écrits, de Tables de la Loi, de certains signes et symboles particuliers. Il n’a rien laissé de tel, mais il s’est laissé lui-même, lui seul. »
Fr. Yves Bériault, o.p.
Dominicain. Ordre des prêcheurs
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Le mot Église, dont je suis, est souvent mal utilisé. Le mot est tellement mal utilisé que, souventes fois, le personnel clérical va jusqu’à dire aux baptisés de prendre leur place dans l’Église. Je suis l’Église comme tous les baptisés. Je n’ai pas besoin de me faire dire d’y prendre ma place. Si quelqu’un s’avise de la prendre (j’en ai fait l’expérience) avec ses charismes, la culture cléricale, toujours omniprésente mais camouflée dans des comités, bloque biens des personnes qui voudraient faire plus mai s doivent se contenter de faire moins, puisque tout doit passer par le filtre ecclésiastique.
Pour sauver un navire, on ne saute pas par-dessus bord. On reste dedans. Et si on sombre avec, du moins aurons-nous essayé de le sauver.
Pour l’Eglise, il en est de même à un immense iota près : la tête en est le Christ. Il fera malgré nos erreurs puisqu’Il fait depuis toujours malgré nos erreurs.
L’Eglise catholique a survécu à l’Inquisition, au Jansénisme et autres terribles erreurs tout humaines. Elle a fait souffrir, elle a souffert, elle a mis trop de temps à demander pardon…. oui, mais elle est toujours là par la grâce de Jésus et non par l’action des hommes fussent-ils ses serviteurs.
Abandonne-t-on un être que l’on aime parce qu’il est malade?
Parfois, oui, me direz-vous; mais tout chacun convient en sa conscience profonde, que c’est mal. Mal, comme disent les enfants. Même les non-croyants le savent, alors … les croyants doivent bien le savoir aussi.
Or, tout est là, dans l’amour.
Aimons-nous assez l’Eglise?
La voyons-nous comme cette Fiancée, promise au Fils par le Père qu’évoque Saint Jean de la Croix? Une fiancée à chérir pour l’embellir, à embellir pour qu’elle devienne digne du Fils avant de l’épouser pour d’éternelles épousailles.
C’est un carme, Pierre de la Vierge, que notre diocèse a eu l’inestimable bonheur d’avoir pendant quelque temps comme prêtre, qui m’a appris cela.
Il m’a appris l’amour de l’Eglise comme Personne. Il y a là en-dessous, Saint Jean de la Croix et ses Romances , Saint François Palau et tous les saints, si l’on y pense bien.
Avec lui, avec ce prêtre, j’ai compris qu’on ne nous insufflait pas l’amour de l’Eglise. Là, il en va de la responsabilité de tous, des évêques, des prêtres (pardon!) en priorité. Ils ont la parole. A eux de la prendre.
Il a fallu que j’attende plus de soixante de vie pour entendre un tel amour pour l’Eglise, égrené au fil des homélies.
Une partie du problème, n’est-elle pas là, dans ce que ses serviteurs n’aiment pas assez l’Eglise pour la magnifier à nos yeux ou tout simplement, la faire exister? Pas en nous disant que nous sommes l’Eglise, pas en se séparant de nous dans un cléricalisme décourageant, mais en s’imprégnant de cet amour pour une Personne, la Personne Eglise? La Fiancée, imaginée, rêvée par Dieu, à ciseler sans cesse pour la rendre compatible au Fils, son Epoux?
Cette Eglise-là, on ne la quitte plus.
On veut juste essayer de la rendre plus belle.
On a mal, on pleure sur elle, on pleure sur notre indignité.
Notre, pas une indignité étrangère, non, la nôtre, parce que tout parvient par nous et avec nous. La responsabilité est celle de tous. Nous sommes un seul Corps. Un Seul !
Mon Dieu, aide-nous! Sauve-nous encore et toujours par ta Grâce!
Dans ce Corps, il en est des magnifiques.
Regarde-les, mon Dieu, regarde-les mon Christ. Regarde et prends-pitié des autres, prends pitié de nous!
Pardon pour tout, pardon!
Complément 1
Romance III, Jean de la Croix
« Une épouse qui t’aime
mon fils j’aimerais te donner… »
Complément 2
Autre raison d’aimer l’Eglise.
Un exemple de ce que peut faire l’amour, folie pour les hommes, sagesse pour Dieu. Des Franciscains aux Philippines, envers et contre tout… On ne quitte pas l’Eglise parce qu’on ne quitte pas le Christ, le Christ qui suscite chez l’homme, quelque chose de plus grand, de plus beau que ce qu’il est quand il veut bien se laisser habiter.
http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud-est/philippines/2018-08-21-des-franciscains-prechent-a-mindanao-en-territoire-extremiste
Non, ne quittons pas l’Eglise. Même défigurée ici, elle est transfigurée là.
Rimbaud disait qu’il était prisonnier de son baptême. Baptisés, nous sommes l’Église et nous le serons toujours. Même en Éternité. Car l’Église c’est l’Eternité dans le TEMPS »