
Quel paradoxe que cette fête, alors que nous glorifions un instrument de supplice ! Oui, la croix est un symbole puissant et terrible à la fois. La preuve en est que les chrétiens ont mis du temps à adopter cette croix comme signe visible de leur foi en Jésus Christ.
La première représentation du Christ qui apparaît dans l’histoire n’a pas été la croix, mais le poisson au IIe siècle. C’est qu’en grec le mot « poisson » s’écrit : IXΘYΣ, ou ichthus, et chacune des lettres grecques de ce mot forme un sigle où les initiés peuvent y lire : « Jésus Christ, Fils de Dieu, Sauveur ». Un signe peu compromettant permettant alors aux chrétiens de se reconnaître entre eux.
À la même époque, on retrouve dans les catacombes des fresques représentant la Dernière Cène et, plus tard au troisième siècle, Jésus sera représenté sous les traits du Bon pasteur. Toujours pas de Christ en croix. Ce n’est qu’au IVe siècle que l’on voit apparaître la représentation de la croix pour évoquer la foi des chrétiens. Il aura donc fallu attendre plus de trois siècles avant de reconnaître dans la croix le signe visible de notre foi. Mais jusqu’à la fin des temps, cette croix demeurera toujours porteuse du plus grand paradoxe qui soit, car ne fait-elle pas violence à toutes les représentations que l’on peut se faire de lui
Les textes bibliques de ce jour viennent éclairer ce qui est au cœur de ce grand symbole de notre foi. L’hymne aux Philippiens aujourd’hui nous parle d’un mystère d’abaissement en Dieu, un Dieu qui se fait serviteur, qui se fait l’un de nous jusqu’au don de sa vie, jusqu’à prendre sur lui la mort elle-même. L’évangéliste Jean lui nous rapporte les paroles de Jésus qui nous dévoile la clé de ce mystère. Il nous parle d’un Dieu fou d’amour dont le seul souci est de sauver sa création en se donnant lui-même en son Fils unique.
C’est pourquoi le renversement de perspective est total ici quand nous contemplons le mystère de la Croix à la lumière du don que Dieu nous fait. Sa vénération ne vise pas développer en nous une vision misérabiliste de notre condition humaine, encore moins une glorification de la souffrance. Bien au contraire, la croix devient avec Jésus le symbole de l’amour capable d’aller jusqu’au bout de lui-même. Cette croix fait office de lieu-dit de notre condition humaine, elle agit comme un étendard au cœur de l’histoire du monde, un lieu d’identification, nous dévoilant enfin ce que cela signifie être véritablement un Homme.
C’est pourquoi, et cela peut paraître paradoxale, le chemin des béatitudes dont nous parle l’Évangile, ce chemin du véritable bonheur, passe par la Croix, par une vie humaine capable de se donner en vérité comme le Christ, une vie qui se fait toute ouverture au bonheur et au salut des autres, une vie capable d’aller jusqu’au bout d’elle-même et que notre foi en Jésus Christ rend possible.
C’est là la victoire de Jésus Christ pour nous, victoire qui fait de sa croix une croix glorieuse, qui nous fait dire avec saint Paul, le plus grand chantre de la Croix : « Je suis crucifié avec le Christ, ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. »
Yves Bériault, o.p.
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Merci de nous faire voir votre point de vue sur la croix. J’ai toujours eu énormément de difficulté à y voir autre chose que la stupidité humaine qui a tué Dieu.